Museler une Nebula était une épreuve épuisante, qui nécessitait une concentration à toute épreuve. Un défi que relevait Ryker chaque jour depuis plus de dix années. Mais depuis qu’il avait bu la substance confiée par Réno, cet effort était devenu encore plus éreintant. Ainsi, à l’instar de nombreux Patrouilleurs eux aussi touchés par la Brume, il avait développé une capacité à se verser dans l’oubli qui lui permettait de se livrer corps et âmes dans un combat. Pour n’être enrayé en rien, pour ne plus retenir ses coups. Pour certains, cela pouvait passer pour de la folie. Pour d’autres, ce n’était qu’une facette de l'étrangeté de ces Morts Gris. Les lames du Patrouilleur frappaient et taillaient les morts-vivants comme s’il avait fait cela toute sa vie. La hargne de sa Nebula, sa haine de tout ce qui n’avait pas été touché par la Malice, se versait en lui. Il irradiait de son pouvoir et chaque impulsion vibrait en accord avec ses arts martiaux. Son rire s’accentua lorsqu’un tas d’os et de chaire décomposée s’empila face à lui. Les impacts répétés des lames de Ryker parvinrent à tenir la horde quelques secondes, juste assez. Il était leur rempart, il les protègerait : c’était son serment de Patrouilleur. Dans la Brume, dans la Mort.
Mais alors qu’il hurlait de rage envers cette créature qui rôdait aux abords de son esprit, il sentit des mains s’emparer de lui, le contraindre vers l’arrière. On le poussa, le bouscula et un froid intense le suivit. L’adrénaline le quitta peu à peu et le souffle court, il s’adossa au mur pour reprendre ses esprits. Il avait sué au travers de son armure et les mailles laissaient exhaler de lui les vapeurs de sa sueur. Il versa la tête en arrière, serra les dents pour faire refluer Lestat en lui, reprit les armes contre sa vieille némésis. Elle était bien plus forte, mais elle craignait tout autant que lui de mourir ici. Quelque chose la freinait et la traumatisait. Il repensait sans cesse à ce foutu Liechi qui le taraudait à chaque recoin, qui rôdait dans les limites de son champ de vision. Son cœur manqua quelques battements. Il fronça les sourcils, sa main agitée de soubresauts. Le Liechi que lui seul voyait, rôdait aux recoins de son esprit. Le harcelait, le poussait à bout. Cherchait à le faire sombrer dans la folie.
- La malédiction du Guetteur. cracha-t-il indistinctement entre ses dents, tandis que les mains de Lewën se posait sur ses tempes.
Le Patrouilleur sursauta, son environnement se brouilla et Lestat profita de la faille pour faire musarder sa vilénie en dehors de son contrôle. Il ne comprit pas ce que faisait le médecin, et la lourdeur de la révélation qui venait de se faire à lui lors de leur bref répit faillit lui coûter un mouvement incontrôlé de violence. Il attrapa son épée mais …
- Qu’est-ce que tu fous Lewën ? s’exclama le Patrouilleur en se massant la joue pendant que le médecin lui attrapait l’armure.
Je vais bien, je t’assure. J’ai … juste chaud et je reprends mon souffle. Je … ahem … j’ai consommé une corne de nebula avant de venir avec vous : ma nebula est plus forte mais ce n’est rien. Je ne pouvais juste pas concentrer mon attention sur elle pour me battre. Je vais bien, je te promets. Très bien même. lui assura-t-il avec un hochement de tête.
Il croisa le regard des autres qui semblaient, eux aussi, le prendre pour un fêlé. Bon, ça c’était le cadet de ses soucis. Sa main se serra sur la garde de son épée lorsqu’il aperçut une fois de plus le crâne aux yeux incandescents qui l’observait du coin du regard. Le froid s’intensifiait et il ne perdit pas de temps à mirer l’étrange apparition mais s’occupa à allumer une nouvelle torche. L’autre avait plus que servi, il en avait encore deux autres qu’il espérait valoriser en plus de celle qu’il venait d’enflammer. Il les observa jouer avec l’outil et reconnu vaguement planètes et étoiles mais il n’était pas assez cultivé pour comprendre ce que cela signifiait. Comprendre les mystères de l’univers quand on avait la Brume à gérer c’était superflu : des problèmes de gens qui n’avaient jamais été mordu par celle-ci. Ou presque. Il leva sa torche à peu près au même moment où Jérémiah nomma la nouvelle menace et que son chien purulent se taillait, ses griffes marquèrent le sol avec des sons stridents.
- J’ai pas sombré, vieil ami. répondit-il à Artémis.
Comment penses-tu que j’ai pu survivre aussi longtemps dans la Brume si je n’avais pas quelques atouts ?Les deux hommes se toisèrent, Ryker un peu honteux de révéler ainsi sa part de folie, ce que la Brume avait imprimé en lui. Il avait entrouvert la porte sur une facette de son être qu’il n’appréciait pas, et qui avait plus souvent fait surface qu’il ne l’avait désiré. Une violence réprimée et enfermée derrière des années de traumas vécues dans la Brume. Il soutint le regard d’Amir. Il comprenait, il en avait la certitude. Ryker n’était qu’un homme, pas même doté de pouvoirs extraordinaires comme la majorité de ses compagnons. Il lui fallait quelque chose de plus pour survivre, quelque chose d’aussi sinistre que la Malice. Mais ils n’avaient pas le temps. Déjà le Patrouilleur dressait sa torche devant les élémentaires. Les scientifiques, ou ce qui y ressemblait, semblaient fascinés par les lumières de l’appareil qui les surplombait.
Une sorte de dispositif technologique et magique circulaire qui faisait écho à certains des dires sur cette funeste tour : le Planétarium. L’objet pouvait, en effet, être fascinant : de multiples cercles métalliques aux formes ésotériques se rejoignaient pour former une image fictive. Une sorte de carte. Il savait qu’il y avait un lien avec l’étude des astres, mais surtout que l’endroit était dangereux et que la quête du savoir ne valait rien si la mort nous cueillait en plein milieu. Les griffes des élémentaires sillonnèrent les murs et craquelèrent l’air tandis que la sueur du Patrouilleur se cristallisait sur son dos. Un littéral frisson glacé couru dans son dos tandis que ses comparses fracassaient ce qui semblait être la seule issue : épargnée par l’ire des éléments. Il héla les trois curieux de se dépêcher une fois la porte ouverte, à la suite d’Artémis et Jérémiah.
- Pas le temps ! Bougez-vous ! grogna-t-il, pendant que Nemeth jouait avec la carte pour agrandir l’échelle et observer toujours plus.
Lewën s’en mêla, parlant d’une sorte de passage que le Régent aurait pu prendre. Ryker fronça les sourcils. Le Régent n’était-il pas passé par le passage effondré ? Il écarta cette idée : il n’était pas un homme de sciences et mieux valait ne pas se faire des nœuds au cerveau dans pareille situation.
- Putain, Lewën bouge de …Une forme élémentaire s’était dessinée dans l’obscurité et, plus maligne que ses comparses, avait rôdé au sol pour échapper à leur surveillance. Elle se dressait derrière le médecin, qui marqua un temps d’arrêt lorsque la carte afficha une sorte de paire d’yeux dérangeantes. Le corps du Patrouilleur réagit avant son esprit et il déploya sa nebula dans son corps. Il parut apparaître entre le médecin et l’élémentaire, torche en l’air. Sa main droite s’était emparée de ce qui pouvait ressembler à la gorge de la créature. Une couche de glace s'appropria le bras de Ryker avant que celle-ci ne régresse et que l’élémentaire ne soit repoussé en arrière. La bulle de froid éclata et laissa quelques instants de répit aux curieux. Le pouvoir de Ryker avait contré la créature mais cela ne serait que temporaire. Il grogna de douleur et ramena sa main vers lui. La couche de glace disparut peu à peu, mais le mal était fait. Il déplia ses doigts et les referma.
- Et merde, putain … allez, on dégage ! Dépêchez-vous ! ordonna-t-il d’une voix tonitruante, quitte à leur filer des coups de pied au train pour les faire avancer.
Une paire d’yeux incandescents l’observa lorsque la porte en bois claqua lourdement derrière lui. La glace s’occupa de la sceller. Le Patrouilleur grommela quelques insultes bien senties à voix basse et rapprocha sa main engelée de la flamme de sa torche. Il sentait ses doigts rigides, et la douleur lui monter jusqu’au milieu de l’avant-bras. Une souffrance sourde et pulsatile qui ne cessait de s’accroître. Mais il n’était pas le seul à y avoir laissé des plumes. La frêle Nemeth boîtait et sa cheville portait les traces d’une cruelle morsure glaciale.
- C’est bon, j’ai une autre main et j'en ai pas besoin pour marcher. grommela-t-il à l’adresse de Lewën, tout en indiquant la jeune femme d’un signe de la tête. Il leva sa torche et obéit à l’ordre d’Amir, toute cette pièce semblait bien sinistre.
Pourquoi de telles expériences à côté du Planétarium, et pourquoi les élémentaires n’avaient pas apprécié toucher à cette pièce ? Il soupira. Un mystère qui en resterait un. Il observa les jarres et les bocaux à la lumière de sa torche et s’efforça d’ignorer la créature qui rôdait aux abords de sa conscience. Des expériences, des cristaux. Rien de reluisant. Il dépassa les autres, à la fois énervé et décidé à avancer.
- Vous en savez bien assez sur cette tour, Amir. Et sur ces mystères … constata-t-il, se penchant dans l’escalier pour mettre en valeur le jiangshi écrasé plus bas.
Mais j’ai l’impression que le fait que le Régent ait pu y survivre est encore plus préoccupant que son contenu ?Il laissa la question flotter dans le vent, sa main blessée repliée contre lui. Il laissa la petite troupe passer devant lui, constatant un léger recul de la part de quelques membres à présent. Il n’échappait pas à la règle des Patrouilleurs concernant leur santé mentale, quoi de nouveau … En dépit du poids de son équipement il parvint avec assez d’aisance à marcher dans les pas du caravanier et son agilité lui permit de s’en sortir sans trop de difficultés. Ils parvinrent dans une salle assez étrange, qui jurait un peu avec le reste de la tour. Une sorte de décor qui lui rappela bien trop Epistopoli mais cela restait très ancien. Encore allumés, mais avec quelle énergie ? Il laissa le soin aux autres de relever les traces et indices, s’assura que personne n’empruntait de route derrière eux. Il avait un sentiment sinistre, qui s’accordait avec la présence qu’il sentait rôder aux rebords de son esprit. Il risqua un regard arrière et se retint de sursauter. Il était encore là. Il y avait ici quelque chose qui avait retenu la Brume et le Liechi à l’extérieur. Peut-être qu’il y trouverait une solution à son problème …
- Il y a encore de la lumière, et une source d’énergie qui les nourrit … Après tout ce temps … Il a dû se passer des choses encore plus sinistres ici que vous ne le pensiez, Amir … commenta le Patrouilleur, sur un ton qui avait laissé bien loin derrière lui la folie meurtrière qui s’était déroulée sous leurs yeux quelques minutes plus tôt.
Il inspecta les commandes, tenta de déterminer leur usure mais il n’avait pas grande expertise là-dedans. L’escalier en métal semblait les mener à l’étage supérieur et les portes leur faisant face paraissaient verrouillées de l’extérieur. Il soupira : cette machinerie lui était inconnue et il n’avait pas la moindre idée sur comment l’utiliser. Il y avait encore de l’énergie, c‘était certain : le Régent avait connaissance de ce qui se tramait là et le plus urgent était de le retrouver. Il se cantonna à sa position en fin de groupe. Le Patrouilleur entreprit de dégrafer son gantelet pour observer l’étendue de sa blessure tandis que les autres allaient au train de leurs conjectures. Il jura tout bas en constatant les dégâts. Son annulaire et son auriculaire droits étaient gonflés et rouges, encore sensibles mais avec de graves gelures. Le reste de sa main était couvert de rouge et d’aspérités bleutées à rouge, gonflées d’engelures sur le reste de ses doigts. Il pouvait encore bouger trois de ses doigts mais les deux autres répondaient à peine. La peau avait presque cédé lorsqu’il avait ôté son gant, lui causant une douleur qui avait failli lui arracher un cri. Il croisa le regard de Lewën. Il ne fallait pas être médecin pour se rendre compte que c’était grave et qu’il ne pourrait probablement plus manier son arme de cette main-là.
Il s'était approché d'une rambarde en métal pour mener l'inspection de sa blessure, concentré sur sa douleur. Il continua d'essayer d'en déterminer la gravité quelques instants mais lorsqu'il remonta les yeux, une étrange tâche sombre attira son regard un peu plus loin. Le Patrouilleur fronça les sourcils. Il avança flamme en avant, la lumière se refléta dans le poisseux carmin. La balustrade, aux enluminures métalliques stylisées, gouttait encore. Une goutte après l'autre. Avec douleur, sa main blessée se posa sur la garde d'une dague. Il s'avança. Retenu par son nerf optique, un oeil se balançait dans le vide. Ryker se baissa au bord du sang, découvrit une touffe de cheveux encastrée dans le métal. Il posa la torche contre la rambarde et toucha le liquide de ses gants. Pas encore coagulé. Il soupira, reprit la torche et se leva. Il la bascula par-dessus le rebord en métal et révéla des fragments épars de chair : un oreille déchiquetée contre une poutre, une main fracturée un peu plus bas. Puis des morceaux de tissu, lacérés et gorgés d'hémoglobine. Il grimaça, se pencha davantage.
- Pauvre vieux ... murmura-t-il, lorsqu'il s'avança et contourna la flaque de sang.
Il se rapprocha de la trace organique, suivit les marques rouges le long du métal pour remonter le liquide qui s'épanchait d'un angle. Il serra les dents, son estomac se contracta. Dix années dans la Brume à ramasser des corps éviscérés, putréfiés. A combattre des monstres capables de réduire un être humain à l'état de charpie en quelques coups. Mais là ... là, il n'avait jamais vu cela. Le long de la grille pendait des boyaux et des tendons. Le foie avait été éclaté et la vésicule pendait, misérable, avec une odeur rance désagréable. Le dernier tractus digestif du mort était révélé à divers états de digestion, ses intestins maculant le bord de l'étage auquel ils étaient. Car en-dessous, lorsqu'il se pencha, il éclaira un déroulement d'organes déchirés par une force d'une rare violence. Les tendons étaient encore là et retenaient le corps en une structure malveillante. Il frémit : ce qui avait fait ça était gorgé de haine et de vice. Une créature aussi malsain que cette foutue Tour. Il se pencha, tout de même. Sous eux trônaient des centaines, voire milliers, d'ossements. Tout autour : sous la grille sur laquelle ils marchaient, et dans toute la salle.
- J'ai trouvé la suite de l'escorte. Et le garde-manger. annonça-t-il, conscient que seule sa résistance aux monstruosités de la Brume lui avait épargné de s'évanouir face au carnage, ou de rendre son dernier repas.
- HRP:
Ryker se prend des soins et une baffe qu'il ne comprend pas, il explique un phénomène proche d'une rage lorsqu'il se bat sans museler sa Nebula.
Le Patrouilleur rallume une torche et protège les scientifiques trop curieux. Il s'interpose entre eux et nullifie les pouvoirs d'un élémentaire au prix d'une grave gelure de la main. Il refuse les soins en faveur de Nemeth.
Ryker questionne Amir sur ce qu'il sait de la tour et le fait qu'il est inquiétant que le Régent soit allé aussi loin.
Il se questionne sur la source d'énergie puis entreprend d'inspecter sa blessure. Sans soins, il perdra rapidement deux doigt de façon certaine, à voir pour le reste.
Puis il remarque une tâche étrange : un corps éclaté avec un vice sans nom, les restes un peu partout et énormément d'ossements sous eux.