Astrebrume

Cricbolg de son perchoir constatait leur désavantage. L'automate était bien trop efficace pour être rattaché à ce type de convoi… ou bien les activités de brigandages de l'époque troublée avaient entraîné une augmentation de la sécurité ?
Il soupira faiblement… « Kark Mkyght »
Le groupe de voyageur s'était détaché du duel, il avait laissé faire. Il maintenait en joug deux cibles aléatoires, lorsqu'une voix perça le flot de murmures paniqués.
Lippe retroussé, le gobelin avisa la noble hautaine au moralisme inconsistant. Nan, il n'avait pas la fibre révolutionnaire. Mais, tout de même, il y avait des limites… Il n'était pas citoyen… Aucun parmi leur groupe de malfrat ne l'était. Ce n'était que des laissés pour compte ; un peuple abandonné aux mains d'investisseurs étrangers qui n'avaient rien à faire de lui. Alors… considérer la citoyenneté des opalins, vous pensez bien…

Le gobelin siffla expertement. Du genre de sifflement qui réverbérait bien sous terre. Demande d’attention et de calme. « Taarhg Mokc » lança-t-il, lorsque le regard de la fortunée opaline croisa le sien. Il agita doucement une de ses armes vers le haut, sans sortir sa cible de sa ligne de mire.

- Mains en l'air.

Il détestait parler le commun…

* * *
Il y avait en fond de son combat comme un petit couinement indigné qu'il avait bien du mal à méditer dans la situation actuelle. Gueule-de-canon parlait logique face à lui. Ça le sentait. Loin, loin, dans les tréfonds de son cortex.

Ça grinçait des dents. Tentait de rompre la mêlée. De prendre distance. De puiser dans ses ressources jusqu'à se démettre l'épaule et de nouveau jouir de liberté. Le destin en décida autrement, la force brute ne servait à rien contre la prise parfaite de l'automate. Mais, Ça n'avait rien de plus. De technique martiale, l'ex-soldat apatride n'en avait aucune. Ça n'était qu'instrument.
Ça se débattait. Ça forçait. Mais rien. Aucun jeu. Ça ne pu que tourner la paume vers le bassin de son assaillant et envoyer un nouveau jet de flamme.
Sans contrôle.
Hasardeux.
Ça était Haine.
Indistincte, sans focus.
Sa tête était calé dans une position inconfortable. La chair de sa  joue crépitait sous la chaleur résiduelle de la main de l'ennemi. L'infinitésimal douleur supplémentaire que cela imposait à la chose de viande-chromée ne suffit pas au réveil de l'être assoupi dans son cœur.
Ça était perdu.

- Citoyen ?

Ça grimaçait, produisant un sale raclement de gorge aux sonorités métalliques, comme sous le coup d'une insulte, mais n'était pas en capacité d'expliquer en quoi Ça était affecté.
Son seul espoir était entre les mains de Cricbolg…

La p'tite avait pas l'air de comprendre la situation dans laquelle elle se trouvait…
Elle pouvait bien raconter tout ce qu'elle voulait sur Jivar. Cricbold s'y était attaché, c'était le premier humain moins stable que lui qu'il croisait, mais c'était pas une fléche… surtout lorsqu'il était dans cet état. Mais, qu'elle le prenne, lui, pour une créature, un larbin, un laquai, il n'aimait pas… Elle voulait le voir prendre une initiative ? Qu'elle le réclame encore une fois, une seule. Le gobelin s'en foutait pas mal de lui trouer le ciboulot. Ça ne serait pas une perte. Ses breloques vaudraient autant, qu'elle les cède, ou qu'il ait à les prendre sur son cadavre.

Le truc c'est que quand un automate délaisse votre camarade sans l'avoir finit tout bien comme il faut avant de vous charger, bin de suite ça change les priorités… Ou pas !

- Tss tss, tout doux l'bestail ! Moi'z'aussi j'ai bien envie de t'trifouiller d'partout, mais plus tard !

Le vert gardait une arme en joug sur la tête de la brunette. Dès fois qu'on aurait oublié que ses bijoux pouvaient tirer, il claqua une munition dans les airs en coup de semence. Pis ça servait aussi à s'accaparer l'attention une bonne fois pour toute, dans le cas où le ''chef'' tenterait un truc.

* * *
Ça n'avait pas bien compris pourquoi l'adversaire s'était détourné après lui avoir donné un petit coup de sumotori. Comportement étrange. Il fallait toujours finir sa cible avant d'en changer… Ça courut donc après l'automate pour tenter un plaquage. Arrivé au contact, Ça s'étonna que son poids déstabilise autant l'armure autonome. Ça se retrouvait couché à plat-ventre sur le dos métallique de l'ennemie. Ça hésita un court instant dans ses mouvements avant de passer maladroitement son bras encore chaud sous l'encolure de sa cible.
Ça voulait serrer, entendre l'acier céder sous la pression et fondre sous la chaleur de son fourneau. Ça écoutait les bruits de l’assistance… la peur s'animait en eux à voir leur champion providentiel sur le sol. Ça s'en réjouissait. Trois larmes coulèrent sur la joue de la chose qui fut humaine dans un temps lointain que Ça avait oublié.

Franchement, la brune se foutait de sa gueule… Et bien soit ! Cricbolg ferma un œil, parfait son focus sur la poitrine de sa cible. Il visait à cœur. Les grumeaux de cervelles, même à distance, il préférait s'en passer. Mais voilà qu'elle se mit à courir ! Tout en pas légers. Pas pour le fuir, ni espérer se mettre à couvert du tir, mais bien pour s'élancer sur Jivar… Bon sang mais qu'est-ce qu'elle foutait ? Donc elle déconnait pas, elle cherchait vraiment à crever. Pas d'arme, rien, elle s'agenouilla juste devant l'improbable mêlée et… Ah ! Il aurait pu le parier ! Noble opaline, hein… en un mot : strigois ! Eh bah, elle allait avoir une surprise ! 'Fin p'tre que c'est ce qu'elle cherchait après tout, elle avait bien vu comment le chef déraillait, qu'il n'était pas bien frais, en se rapprochant, elle avait pu voir les plaques urticaire et les quelques bubons bleutés qui n'avaient pas eu le temps d'être traités… ça revenait tellement vite. Le gobelin prenait ça comme un jeu ; combien de temps allait-il pouvoir faire tenir cet homme-machine en état approximatif de marche ?
Alors bon… pour l'expérience, il laissa le prélèvement s'effectuer. Pis, tuer les suicidaires ce n'était pas son délire.

D'une contorsion souple, sa patte arrière vient choper une grenade à sa ceinture.
Juste au cas ou.
Et ça manqua pas.
Une fois que l'augmenté siphonné, qui aimait se prétendre son chef, fut anémié l'automate le repoussa sans difficulté. Retour à la position initiale : échange d'otage. Cricbolg soupira. Tellement fade. Il dégoupilla la grenade d'un de ses orteils. « Haartz berg ! » fut sa réponse à la proposition de désamorçage pacifique de la situation alors qu'il se jetait vers le sol et que la grenade roulait déjà sur le toit.
Droit vers le moteur au Myste.
Droit vers le chaos.

La coquine ne fila pas droit, elle bifurqua et tomba du toit a mi-parcours. Le gobelin poussa un petit cri d'effroi strident. Pur réflexe. L'explosion lui emporta le bras l'instant qui suivit. Il en lâcha son arme restante et se roula par terre. Un instant. Avant de tomber dans l'inconscience.

* * *
Le souffle court, l'augmenté était quant-à lui revenu à lui… plus ou moins. Son cœur battait froid, la douleur, toutes ses douleurs s'étaient tus. Son esprit s’éclaircissait à peine lorsqu'il entendit le cri pathétique du gobelin.

- Cricbolg ?

Il ne fit aucune attention au canon de l'automate pointé sur son front, s'agita juste mollement pour échapper à l'étreinte. Il tomba, un genou à terre, faible, ses oreilles bourdonnaient, ses sens ne supportaient pas la perte de tant de sang.
Rien ne s'était déroulé comme prévu…
Mais alors qu'il s'endormait, il se dit tout de même que cette attaque n'avait pas été en vain, qu'il était resté fidèle à lui même, à la spontanéité qui l'animait… Ce qu'il adviendrait de lui se trouvait entre d'autres mains à présent.

- Morts aux chiens d'Opale ! Articula-t-il lentement.

La nébula qu'il hébergeait n'allait pas se priver de le grignoter durant son rêve achrome.
Aujourd'hui, l'instrument ne s'était pas démontré utile.

Songes. Brume et songes.

- Qu'attends-tu ?

L'acteur était sur le quai d'une gare. Épistopoli avait grésillé la voix d'annonce.

- Vieil ami ? Il te rattachait à quoi ce terminus ? Il est vide à présent… Y avait-il une foule de visages imprécis auparavant ? Un qui s'échappait du lot ? Un sourire de retrouvaille ? Où était-ce ?

Le haut-parleur grésillait toujours. Une purée inaudible. L'acteur regarda le train passer. La locomotive plastique et son wagon solitaire reproduit à l'infinie.

- Où ? Quand ? À jouer par ici, je me perds également… Il si tu retournais là bas ?

L'acteur croisa le regard bleu.
Et il s'éveilla.

On lui avait proposé de l'extraire de ce monde, de le soustraire à ses souffrances. On lui avait accordé un repos. Mais à présent qu'il ouvrait les yeux, il se trouvait affligé d'une fatigue profonde. Dans une toux faible, dans un flou ambiant. Où était-ce ? Il attendait quelqu'un ? Il papillonnait dans un monde fiévreux, dans une tentative pour se lever se ne fut que le vertige qui le cueillit. Y cédant, il abandonna et tourna simplement sa tête sur le coté. L'ombre et le vent frais lui faisait grand bien. Avoir ainsi la tête dans l'herbe lui rappela un pique-nique champêtre. Un bon souvenir… sans doute, il y avait des rires dans un coin. Mais ici, le bruit qui lui parvint n'était qu'un souffle rauque et gutturale qu'il connaissait bien.

- Cricbolg ?

Appela-t-il doucement vers la petite silhouette garrottée qui semblait respirer douloureusement à ses cotés. Aucune réponse. Il finit par se redresser et s’adossa contre un arbre proche. À quelques mètres un cri surpris et peut-être effrayé se fit entendre. Qu'est-ce qu'il c'était passé par ici au juste ? Il était en représentation sauvage lorsque l'explosion avait manqué sa cible ? Quelle explosion ? Quelle cible ?

Bon sang, instrument déficient !!

- Coopérer ?

Il cligna des yeux. La nobliaude n'avait rien perdu de l'arrogance qui était sienne. Pour une raison qui lui échappait il n'avait pas été attaché et parmi ses derniers souvenirs brumeux d'avant son malaise, il y avait bien entendu, si proche de son oreille, le bienveillant dégoût clamé par cette voix – celle la même qui demandait à discuter avec l'ennemi dans ce qui ne pouvait être qu'une parodie de noblesse d'âme.

- À quelle infamie veux-tu donc me mêler ? Es-tu si duplice, à l'image de ton regard, que tu en oublies ton affiliation à la Mère de tous maux ? Car j'ai beau t'être redevable – je sens que je le dois du moins – jamais je ne me vendrais à Opale ! Tu dévies même du script en poursuivant ainsi la voie des parlementassions après le coup d'éclat.

Regard perdu au loin, lui parlait-il véritablement ? Qui pouvait le dire. Ce qui était évident, c'était que ''l'arme'' qu'elle lui agitait sous le nez ne le dérangeait pas.

- Même Cricbolg vie encore, bandé et soigné… c'est grâce à toi.

Tic tic tic, des pensées l'une après l'autre s’alignèrent et tout s'éclaira. Bien sûr ! Il s'était fourvoyé, mais dans les nouveaux détails il trouvait sens et vérité. Si il avait pu être maîtrisé si facilement, si l'explosion n'avait pu trouver sa cible, si elle agitait ainsi fièrement ce qui avait l'apparence d'une piètre brindille… Tout trouvait sens !
Le cyborg claqua des mains, s’esclaffant bien haut.

- Ainsi tu es de ces êtres qui confrontent Empires et édits de réalités… Parles, magicienne, si nos objectifs concordes de l'aide n'est que bienvenue pour lutter contre l'oppression !