Mer 2 Aoû - 12:59
La Brume s’étendait à un empan du Patrouilleur. Elle dardait vers lui des fumerolles qui l’invitaient à entrer, fragiles et avides tentacules. La présence au sein de l’esprit de Ryker s’agitait, fébrile de frayer à nouveau parmi les siens. Ce dernier se tenait droit, la main serrée sur la garde de son épée courte. Sa gorge était sèche, comme à chaque fois qu’il devait entrer dans les méandres du dangereux brouillard. Il risqua un regarda arrière, la route qui le séparait du village était longue à présent et il ne pouvait pas reculer. Des vies étaient en jeux, il était le seul espoir des perdus. Pauvres imprudents qui peinait à comprendre les dangers de cette fange miasmatique.
Un cercle vicieux et ineffable : les jeunes ne comprenaient pas les craintes des anciens. Ils passaient leur vie à remettre en question leurs peurs pour, à la fin, en devenir l’incarnation. Il était passé par là, il l’avait payé au prix cher d’un sombre parasite qui grignotait sa santé mentale jour après jour. Un ver malveillant qui lui conférait des dons impotents. Ryker tendit un doigt vers ceux translucides du brouillard maudit. Les entrelacs de fumée se nouèrent sa main, l’enrobèrent et il sentit une légère traction. Elle l’invitait à entrer, à ne faire plus qu’un avec elle. Il rompit le contact et avec elle la puissance hypnotique de son hôte. Elle ne demandait que ça, franchir le pas : céder.
Mais le Patrouilleur ne pouvait flancher. Ni maintenant, ni jamais. Il y avait au sein de cette putride brume un être en danger et il était de son devoir de le secourir. Au nom de la Guilde, en son propre nom. Il expira, vérifia une nouvelle fois tout son attirail. La Brume était la plupart du temps indifférente à sa présence, et sa nature contaminée faisait de lui plus un enfant du pays qu’autre chose. Pourtant, la fraction humaine de son esprit ne pouvait s’empêcher de trembler au souvenir de ce qu’elle lui avait infligé, avant de le marquer par sa Nebula. Il perçut un rire sinistre, niché dans sa psyché. Lestat se gaussait, encore et toujours, de ses peurs et errances.
- Je ne te crains pas, pourriture brumeuse. se murmura-t-il, avant de faire un pas et traverser le rideau qui le séparait de sa quête.
Ryker perçut plus qu’il ne vit les milliers de phalanges inquisitrices qui le palpèrent avant de se retirer et de le laisser arpenter les sentiers sans crainte. Le baiser de la Brume, comme il l’appelait, se faisait de plus en plus chaleureux. Il écarta d’un geste agacé les dernières fumerolles puis entreprit de poursuivre le sentier d’un pas inquisiteur. Il n’y avait pas beaucoup de chemins menant aux ruines jouxtant Andoria. L’adolescent qui s’était enfuit, s’il était encore vivant, ne pouvait qu’être passé par là. Il avait suivi sa piste et ses pas dans la boue, jusqu’à rejoindre cette portion de la route. Sa famille était plus qu’inquiète, ils ne comprenaient pas quelle mouche l’avait piquée. Mais Ryker, lui, ne le comprenait que trop bien. Que ce fut l’aventure, l’amour ou bien … la stupidité. Ou tout ça à la fois. Il ne savait qu’une chose : il devait retrouver quelqu’un ou quelque chose dans ces miasmes et il ne s’était pas préparé en conséquence. Pas un mot, pas un message. Juste de l’inquiétude et un manque cruel de sagesse.
Après plusieurs dizaines de minutes de marche et arrêts, le Patrouilleur s’agenouilla auprès d’un buisson. Il laissa glisser ses doigts sur la terre ce qui causa l’envolée d’une nuée d’Ailes de la Brume. Joli spectacle sur lequel il ne leva pas un œil. Il tenait entre ses doigts une bourse en cuir, éventrée. Déchirée. Un peu plus loin, la terre humide était striée de raies parallèles qui sillonnaient le chemin. Il avança de quelques pas. Des gouttes de sang. Fraîches. Et au loin, la flèche d’une église en ruine perçait la Brume. Il porta la main à son dos, dégaina son épée longue. Le Patrouilleur fit craquer sa nuque, son épaule gauche. Il expira, ferma les yeux pour étendre ses sens. Les chances de survie du gamin s’amenuisaient.