Mar 16 Jan - 5:42
Morbide accointance
Un vestige du passé
Son corps était toujours en bon état. Si l’on faisait abstraction de quelques ecchymoses et petites écorchures, sa peau restait diaphane, sa taille menue. On le reconnut sans mal dans le hall du Marquis quand il franchit les portes avec son paquetage troué, de retour depuis l’aérogare d’Opale.
Mais les agents de réception se rendirent vite compte qu’ils faisaient face à une personne différente. Son regard améthyste semblait voilé, comme s’il ne s’arrêtait sur personne. Surtout pas sur les grands panneaux miroitant, auxquels il n'offrait que son profil. Et même, une aura sombre planait autour de lui, comme s’il avait vu des choses que les bons esprits ne sauraient supporter.
Lycia Cassandre passait par là avec un de ses amants, en route pour un gala de bienfaisance. Tous deux avaient fini par se rapprocher au fil des mois. Mais depuis son départ à Aramila, Xandrie, Yfe… c’était à peine s’ils s’étaient croisés.
-« Tu as changé… » dit-elle simplement.
Le groom le débarrassa d’autorité de son sac et le mena vers le grand comptoir de la réception où le maître d’hôtel lui livra l’information qui l’intéressait.
« Ils ne sont pas là… Nous avons reçu un, hmm, un télégramme de la part de l’Alliance, chacun ses usages… ils reviennent d’Aramila et seront là dans quelques jours après avoir réglé certaines affaires et emprunté un Zeppelin. »
Alors ça, il ne s’y attendait pas. Non seulement il avait échappé à l’enfer pour retrouver une Opale dévastée, mais en plus son mentor et son meilleur allié s’étaient catapultés pour une obscure raison à l’autre bout du monde, de manière « quasi-instantanée et contre leur gré », s’il en croyait ce qui avait été retranscrit. Après un séjour imprévu de plusieurs jours dans les locaux de l’Alliance à Opale, il devançait encore Seraphah et Maëlstrom de plusieurs jours à Epistopoli. Une solitude… inattendue. Et malvenue.
-« Merci. Je monte dans mes appartements. » conclue-t-il, l’air morose.
-« Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous être utile, monsieur Evangelisto ? »
-« Oui. J’ai faim. Extrêmement faim. J’apprécierais beaucoup un plateau garni par le chef Xavier. Mais après, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte, s’il vous plaît. »
-« Ce sera fait. »
La vue des gratte-ciel lui donnait l’impression d’un calme immuable malgré les mouvements agités des phares des voitures qui s’étiraient dans les longues avenues en contrebas. La grisaille de la pollution s’accordait à merveille à son humeur délavée et son immobilité. Pourtant, intérieurement, il avait envie de crier.
Son repas fut dévoré avec une rage animale plutôt que dégusté. Il abandonna très vite le plateau et retira un draps de son lit pour en recouvrir le grand miroir de la salle de bain en faisant bien attention à ne pas s’y refléter.
Que faire maintenant ? Le mal le rongeait de l’intérieur. Personne ne pouvait le comprendre ou l’aider.
Il aurait bien fait appel à Raphaël, mais le pauvre homme avait disparu depuis longtemps pour ne plus jamais revenir. Il était seul face à son démon. Il ne pensait qu’à dormir. Mais il savait qu’il ne pourrait s’y résoudre. Sa télépathie avait pris de l’ampleur depuis son voyage à l’astrolabe. En conséquence, il se glissait involontairement aux marges des esprits assoupis, à travers ce couloir de portes éthérées.
La chose qui le traquait n’avait pas nécessairement besoin de cet artifice pour l’atteindre, mais utilisait le théâtre des rêves pour se montrer bien tangible face à lui et le harceler en s’infiltrant dans les portes qu’il laissait entrouvertes. Ainsi, les songes des enfants devenaient cauchemars. Le Liechi prenait vie dans la tête des petits d’Opale pour les traumatiser.
Il finirait peut-être par succomber d’un seul coup. Elle le savait et attendait patiemment.
Que faire, sinon espérer, qu’à son réveil, Maëlstrom serait rentré et lui dirait quoi faire, comment se protéger. Et connaître les propriétés spéciales de cette abomination qui grandissait chaque jour en lui.
En attendant, Keshâ’rem avait une très mauvaise idée.
Il y avait au fond de son dressing, une grande boîte à chaussures, dans laquelle se trouvait un petit souvenir des pyramides d’Aramila. Ou plutôt, il s’agissait de parler de passager clandestin pour désigner le crâne aux orbites creuses qu’il avait entreposé là, comme si de rien n’était. Le vestige s’était endormi, lassé de murmurer dans le vide après des semaines et s’en était retourné à son sommeil séculaire.
Quand il l’attrapa sans cérémonie pour le placer dans sa main, ses orbites s’allumèrent de lueurs violacées, comme si la conscience spectrale qui l’habitait le regardait à présent.
-« J’ai changé d’avis. Je suis prêt à parler. Tu ne me parais plus aussi maléfique que par le passé. Qui sait? Peut-être auras-tu pour moi de sages conseils.»
Le spectre prisonnier de ce crâne était une énigme. Il était intrigué par lui et par son histoire autant qu’il le craignait.
S’il l’avait tiré d’un mauvais pas dans les couloirs emplis de pièges de la pyramide de Rheel, le jeune homme ne s’en était jamais vanté auprès des autres. Pour une raison obscure, il avait caché cette rencontre insolite à Seraphah et Maëlstrom. Pour une raison encore plus étrange, il n’avait pu se résoudre à laisser le vestige où il se trouvait et l’avait mis dans son sac.
Depuis, le spectre mystérieux dormait dans son placard. Ses tentatives infructueuses de lui parler s’étaient heurtées à sa ruse et à la peur qu’il lui inspirait. Mais il n’en était plus là aujourd’hui, pas vrai ?
Il était décidé à apprendre ce qu’il pouvait des secrets de son lugubre familier.
Mais les agents de réception se rendirent vite compte qu’ils faisaient face à une personne différente. Son regard améthyste semblait voilé, comme s’il ne s’arrêtait sur personne. Surtout pas sur les grands panneaux miroitant, auxquels il n'offrait que son profil. Et même, une aura sombre planait autour de lui, comme s’il avait vu des choses que les bons esprits ne sauraient supporter.
Lycia Cassandre passait par là avec un de ses amants, en route pour un gala de bienfaisance. Tous deux avaient fini par se rapprocher au fil des mois. Mais depuis son départ à Aramila, Xandrie, Yfe… c’était à peine s’ils s’étaient croisés.
-« Tu as changé… » dit-elle simplement.
Le groom le débarrassa d’autorité de son sac et le mena vers le grand comptoir de la réception où le maître d’hôtel lui livra l’information qui l’intéressait.
« Ils ne sont pas là… Nous avons reçu un, hmm, un télégramme de la part de l’Alliance, chacun ses usages… ils reviennent d’Aramila et seront là dans quelques jours après avoir réglé certaines affaires et emprunté un Zeppelin. »
Alors ça, il ne s’y attendait pas. Non seulement il avait échappé à l’enfer pour retrouver une Opale dévastée, mais en plus son mentor et son meilleur allié s’étaient catapultés pour une obscure raison à l’autre bout du monde, de manière « quasi-instantanée et contre leur gré », s’il en croyait ce qui avait été retranscrit. Après un séjour imprévu de plusieurs jours dans les locaux de l’Alliance à Opale, il devançait encore Seraphah et Maëlstrom de plusieurs jours à Epistopoli. Une solitude… inattendue. Et malvenue.
-« Merci. Je monte dans mes appartements. » conclue-t-il, l’air morose.
-« Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous être utile, monsieur Evangelisto ? »
-« Oui. J’ai faim. Extrêmement faim. J’apprécierais beaucoup un plateau garni par le chef Xavier. Mais après, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte, s’il vous plaît. »
-« Ce sera fait. »
La vue des gratte-ciel lui donnait l’impression d’un calme immuable malgré les mouvements agités des phares des voitures qui s’étiraient dans les longues avenues en contrebas. La grisaille de la pollution s’accordait à merveille à son humeur délavée et son immobilité. Pourtant, intérieurement, il avait envie de crier.
Son repas fut dévoré avec une rage animale plutôt que dégusté. Il abandonna très vite le plateau et retira un draps de son lit pour en recouvrir le grand miroir de la salle de bain en faisant bien attention à ne pas s’y refléter.
Que faire maintenant ? Le mal le rongeait de l’intérieur. Personne ne pouvait le comprendre ou l’aider.
Il aurait bien fait appel à Raphaël, mais le pauvre homme avait disparu depuis longtemps pour ne plus jamais revenir. Il était seul face à son démon. Il ne pensait qu’à dormir. Mais il savait qu’il ne pourrait s’y résoudre. Sa télépathie avait pris de l’ampleur depuis son voyage à l’astrolabe. En conséquence, il se glissait involontairement aux marges des esprits assoupis, à travers ce couloir de portes éthérées.
La chose qui le traquait n’avait pas nécessairement besoin de cet artifice pour l’atteindre, mais utilisait le théâtre des rêves pour se montrer bien tangible face à lui et le harceler en s’infiltrant dans les portes qu’il laissait entrouvertes. Ainsi, les songes des enfants devenaient cauchemars. Le Liechi prenait vie dans la tête des petits d’Opale pour les traumatiser.
Il finirait peut-être par succomber d’un seul coup. Elle le savait et attendait patiemment.
Que faire, sinon espérer, qu’à son réveil, Maëlstrom serait rentré et lui dirait quoi faire, comment se protéger. Et connaître les propriétés spéciales de cette abomination qui grandissait chaque jour en lui.
En attendant, Keshâ’rem avait une très mauvaise idée.
Il y avait au fond de son dressing, une grande boîte à chaussures, dans laquelle se trouvait un petit souvenir des pyramides d’Aramila. Ou plutôt, il s’agissait de parler de passager clandestin pour désigner le crâne aux orbites creuses qu’il avait entreposé là, comme si de rien n’était. Le vestige s’était endormi, lassé de murmurer dans le vide après des semaines et s’en était retourné à son sommeil séculaire.
Quand il l’attrapa sans cérémonie pour le placer dans sa main, ses orbites s’allumèrent de lueurs violacées, comme si la conscience spectrale qui l’habitait le regardait à présent.
-« J’ai changé d’avis. Je suis prêt à parler. Tu ne me parais plus aussi maléfique que par le passé. Qui sait? Peut-être auras-tu pour moi de sages conseils.»
Le spectre prisonnier de ce crâne était une énigme. Il était intrigué par lui et par son histoire autant qu’il le craignait.
S’il l’avait tiré d’un mauvais pas dans les couloirs emplis de pièges de la pyramide de Rheel, le jeune homme ne s’en était jamais vanté auprès des autres. Pour une raison obscure, il avait caché cette rencontre insolite à Seraphah et Maëlstrom. Pour une raison encore plus étrange, il n’avait pu se résoudre à laisser le vestige où il se trouvait et l’avait mis dans son sac.
Depuis, le spectre mystérieux dormait dans son placard. Ses tentatives infructueuses de lui parler s’étaient heurtées à sa ruse et à la peur qu’il lui inspirait. Mais il n’en était plus là aujourd’hui, pas vrai ?
Il était décidé à apprendre ce qu’il pouvait des secrets de son lugubre familier.
Dim 28 Jan - 17:03
POST MJ
Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas vu la lumière du jour ! Lorsque le garçon l’avait sorti de cette pyramide maudite, il avait cru qu’enfin, quelque chose lui permettrait de tromper l’ennui duquel il était prisonnier depuis que ses jambes avaient arrêté de le porter. Quel enfer d’être prisonnier d’un vestige pendant toutes ces années ! Mais ses espoirs avaient été vains. À peine sorti du désert, il avait été relégué au fond d’un placard telle une vulgaire babiole. Lui ! Quel culot !
Le garçon semblait toujours aussi chétif, mais son regard, lui, avait changé. Quelque chose s’agitait au fond de ses pupilles fantomatiques, quelque chose qui l’amena à sortir de cette sorte de sommeil dans lequel il s’était plongé. La mâchoire du crâne s'anima, déclenchant une voix pleine de sarcasme qui résonna dans la pièce.
— Ah ! Alors tu te décides enfin !
Un rire sonore s'échappa du crâne, comme s’il riait d’une plaisanterie qu’il était le seul à comprendre. Cependant, le spectre, conscient des intentions du garçon, ne tarda pas à enchaîner, craignant d'être relégué une fois de plus dans l'obscurité d'une boîte à chaussures.
— Ce que tu es naïf, petit Keshâ’rem ! Qu’espères-tu obtenir de moi ? De sages conseils, et puis quoi, encore ?
Le ton du crâne oscillait entre le sarcasme et une curiosité mal dissimulée. Que voulait le garçon ? Le silence s'installa, tendu, alors que les deux entités, l'une vivante et l'autre en esprit, se faisaient face.
Mar 30 Jan - 6:05
Morbide accointance
Un vestige du passé
-« Oui, il vaut mieux tard que jamais, n’est-ce pas ? »
Parce qu’il était étrange de tenir un authentique crâne humain en lui parlant. Et, plus encore, de voir sa mandibule en dessiccation articuler une réponse, il rapporta son trophée spectral dans la chambre. Et il le déposa précautionneusement sur la table de chevet, comme s'il craignait de voir les sutures crâniennes partir en morceaux.
A son tour, il glissa un coussin sous ses fesses au sol et s’adossa contre le mur, le corps lourd et lasse. Le crâne avait l’air d’être un sacré râleur. Ou alors, il prenait vite la mouche. Le néo portebrume se garda bien de rappeler que sans lui, il serait toujours au fond d’une fosse, le regard tourné vers un mur, dans le noir le plus complet. Même s’il fallait reconnaître que le fond d’une boîte à chaussure, même propre et parfumée au cèdre, ce n’était pas beaucoup plus stimulant.
-« Allons, ne soit pas susceptible… » Il semblait parti pour jouer avec l’entité, mais son regard était vague et il se sentait si fatigué.
« Je me suis dit que ce ne devait vraiment pas être drôle de rester seul aussi longtemps. Peut-être aurais tu envie de voir autre chose ? Après tout, que sais-tu du monde d’aujourd’hui ? Sais-tu seulement en quelle année on est ? »
Une partie de lui ne pouvait pas refouler la sensation que ces lueurs mystiques violacées tentait de l’aspirer au fond du vide de l’orbite qui les entourait pour lui voler son âme. D’un autre côté, qui pouvait se prévaloir de vivre pareille expérience ? Même Seraphah serait jaloux d’une telle trouvaille, s’il n’était pas d’abord furieux en l’apprenant.
-« On est au mois d’Urh, en 1900, si tu veux tout savoir… et aussi, fini de moisir dans les dunes du désert de Saleek. Je t'ai amené à Epistopoli... Peut-être pourrais-tu me raconter ton histoire ? … Après tout, ce n’est pas comme si on avait quelque chose de mieux à faire."
En réalité, il y avait beaucoup de choses que Keshâ’rem aurait pu faire en cet instant. De la plus créative, comme rédiger l’histoire de ses aventures à Aramila et Yfe, que Mielo Lewis ne désavouerait pas, ou se préparer pour ce qui viendrait ensuite. Quoi que cela puisse être, la fin du monde, son récital, une nouvelle aventure… Mais il préférait se réfugier dans tout ce qui n’était pas tourné vers l’action et l’effort alors que ses ruminations allaient bon train et que cette chose obscurcissait son futur un peu plus à chaque minute.
Au moins, le crâne sans nom avait l’air curieux d’interagir avec lui, même s’il était bien compliqué de deviner une expression sur ses os inexpressifs.
-"Au fait... dis-moi, Crâne, as-tu un nom?"
Parce qu’il était étrange de tenir un authentique crâne humain en lui parlant. Et, plus encore, de voir sa mandibule en dessiccation articuler une réponse, il rapporta son trophée spectral dans la chambre. Et il le déposa précautionneusement sur la table de chevet, comme s'il craignait de voir les sutures crâniennes partir en morceaux.
A son tour, il glissa un coussin sous ses fesses au sol et s’adossa contre le mur, le corps lourd et lasse. Le crâne avait l’air d’être un sacré râleur. Ou alors, il prenait vite la mouche. Le néo portebrume se garda bien de rappeler que sans lui, il serait toujours au fond d’une fosse, le regard tourné vers un mur, dans le noir le plus complet. Même s’il fallait reconnaître que le fond d’une boîte à chaussure, même propre et parfumée au cèdre, ce n’était pas beaucoup plus stimulant.
-« Allons, ne soit pas susceptible… » Il semblait parti pour jouer avec l’entité, mais son regard était vague et il se sentait si fatigué.
« Je me suis dit que ce ne devait vraiment pas être drôle de rester seul aussi longtemps. Peut-être aurais tu envie de voir autre chose ? Après tout, que sais-tu du monde d’aujourd’hui ? Sais-tu seulement en quelle année on est ? »
Une partie de lui ne pouvait pas refouler la sensation que ces lueurs mystiques violacées tentait de l’aspirer au fond du vide de l’orbite qui les entourait pour lui voler son âme. D’un autre côté, qui pouvait se prévaloir de vivre pareille expérience ? Même Seraphah serait jaloux d’une telle trouvaille, s’il n’était pas d’abord furieux en l’apprenant.
-« On est au mois d’Urh, en 1900, si tu veux tout savoir… et aussi, fini de moisir dans les dunes du désert de Saleek. Je t'ai amené à Epistopoli... Peut-être pourrais-tu me raconter ton histoire ? … Après tout, ce n’est pas comme si on avait quelque chose de mieux à faire."
En réalité, il y avait beaucoup de choses que Keshâ’rem aurait pu faire en cet instant. De la plus créative, comme rédiger l’histoire de ses aventures à Aramila et Yfe, que Mielo Lewis ne désavouerait pas, ou se préparer pour ce qui viendrait ensuite. Quoi que cela puisse être, la fin du monde, son récital, une nouvelle aventure… Mais il préférait se réfugier dans tout ce qui n’était pas tourné vers l’action et l’effort alors que ses ruminations allaient bon train et que cette chose obscurcissait son futur un peu plus à chaque minute.
Au moins, le crâne sans nom avait l’air curieux d’interagir avec lui, même s’il était bien compliqué de deviner une expression sur ses os inexpressifs.
-"Au fait... dis-moi, Crâne, as-tu un nom?"
Dim 10 Mar - 13:34
POST MJ
— Tu ne mérites pas de connaître mon nom, petit ingrat ! cracha le crâne d'un ton empreint de mépris.
En vérité, celui-ci était troublé. Le nom d'Epistopoli ne lui disait absolument rien, et l'année n'avait pour lui aucun sens. Seul le nom des dunes de Saleek lui rappelait quelque chose. Plus que quelque chose, même, puisqu'il était pleinement conscient d'y avoir été piégé. Combien de temps s'était écoulé ? Il se rappelait avoir été dans une sorte de stase, sans pour autant pouvoir se rappeler précisément d'où il venait ni pourquoi il était là. Un voile couvrait ses souvenirs, insaisissables. Son nom... la question le perturba, non pas parce qu'il refusait de le donner, mais parce qu'il se rendait compte qu'il l'ignorait lui-même. Qui était-il ?
Malgré tout, parler lui apportait un certain réconfort. Peut-être qu'à force d'échanger avec l'autre malotru, il parviendrait à se souvenir de qui il était ? Il observa l'autre avec une intensité silencieuse, comme s'il cherchait quelque chose au-delà de ses paroles.
— À quel point es-tu désespéré pour rester ici, à parler à un crâne oublié depuis des temps immémoriaux ? demanda-t-il, sa voix portant une nuance de curiosité teintée de dédain.
Il marqua une pause, laissant ses paroles flotter dans l'air. Les ombres dansaient autour d'eux, éclairées seulement par la lueur pâle d'une lune invisible au-dehors.
— Peut-être que nous sommes tous désespérés, à notre manière, murmura-t-il, son regard vide se perdant dans les ombres de la salle. Peut-être que c'est là le lot des oubliés, des perdus, des damnés...
Son esprit, tel un navire à la dérive, naviguait à travers les souvenirs fragmentés, tentant désespérément de rassembler les pièces éparses de son identité. Mais comme des vagues implacables, les ténèbres du passé semblaient le submerger, le tirant toujours plus loin du rivage de la clarté.
— Si les oubliés peuvent se révéler, alors peut-être il y a de l'espoir pour nous, après tout, murmura-t-il, comme s'il parlait autant à lui-même qu'à son étrange interlocuteur.
Lun 18 Mar - 0:58
Morbide accointance
Un vestige du passé
La véhémence du Spectre le fit reculer par instinct. Il ne s’attendait pas à autant de ressentiment. En même temps, il serait sans doute assez soupe-au-lait si on l’avait rangé dans une boîte à chaussures et oublié comme un bibelot durant des semaines.
Le vestige s’abîma dans le silence. On aurait pu le croire « endormi », n’étaient ces deux lueurs violacées qui virevoltaient avec animation sans ses orbites vides de manière tout à fait surnaturelles. Il semblait cogiter activement.
-«… je suis… désolé. » tenta-t-il comme on tend le rameau du salut.
La crainte le disputait à la compassion tandis qu’il patientait à côté des ossements froids. Le crâne allait-il dorénavant refuser le dialogue avec lui ? Alors que le crâne reprenait vie pour lui asséner ses remarques, il se tordait les doigts, le visage ombragé, un brun mélancolique.
-« Il est vrai que je n’ai pas beaucoup d’amis, Crâne. Donc tu as raison, je traverse des moments assez désespérés. Je me demande si mon âme sera assez forte pour tenir jusqu’au retour de ceux qui me restent. »
Le vestige était quand même assez déprimant. Mais Keshâ n’arrivait pas à lui en vouloir, il semblait vivre un grand tourment. Sa prise de conscience actuelle semblait tendue et il ne voulait pas démontrer un nouvel acte de maladresse, lui laissant l’espace de réflexion et de parole, dans l’environnement des soieries noires et rouges de son lit gothique.
-« Cela doit te faire un choc de revenir au contact de l’extérieur après un tel enfermement… voudrais-tu que je te laisse un moment seul ?... » proposa-t-il en arrondissant les angles. « Ou alors, si tu préfères, on pourrait mettre de la musique ? » avança-t-il sur la défensive.
Il se figurait que promener le crâne sur une desserte roulante à travers les couloirs du Marquis serait un spectacle trop violent pour les invités et lui causerait des problèmes. Par contre…
-« Si tu m’autorises… désolé encore. » s’excusa-t-il, ne voulant pas faire affront au crâne anonyme, avant de le soulever délicatement.
Il prit soin de placer son occiput contre lui de manière à ce que ses orbites découvrent la pièce en avant, veillant à ne pas trop l’agiter ou l’incliner par sa démarche. Il se fit sourd aux protestations du vestige, aussi dépressif qu’un alcoolique et aussi ronchon qu’un vieillard.
-« Peut-être que cela te ferait du bien de recevoir un autre genre de stimulation. Ou en tout cas, de percevoir un horizon dégagé avec un peu de lumière naturelle. »
Le jeune homme atteignait le salon de sa suite et s’assit sur le grand canapé sous la grande bibliothèque de récits d’aventures. La baie vitrée s’ouvrait, immense, sur un ciel nocturne voilée par une tranche de pollution, mais d’où perçait néanmoins l’éclat de la lune et, bien plus forts, les innombrables lumières émises par les tours et les lampadaires le long des grandes avenues parcourues par les voitures à cette heure tardive.
Keshâ’rem déposa lentement le crâne sur un énorme atlas, déposé à plat sur la table basse, afin qu’il puisse contempler la ville aux lumières pétillantes.
-« C’est Epistopoli. » décrit-il sommairement.
-« Peut-être l’as-tu plus connue sous le nom de Sancta ? » précisa-t-il en se souvenant que le nom de la capitale Epistote appartenait finalement à l’histoire récente et que personne ne s’était a priori aventuré au cœur des pyramides depuis l’époque de l’inquisiteur Ader’rhazak.
-« J’imagine que cela doit te faire tout drôle. En tout cas, j’ai eu le vertige la première fois en montant si haut. Ça me donne toujours l’impression que je vais tomber ou être aspiré par le ciel si je me colle trop près de la fenêtre. »
L’Epistote laissa le silence retomber, pris lui aussi dans sa contemplation silencieuse aux côtés du crâne. Cela lui faisait du bien de parler, mais il avait aussi grand besoin de silence pour endurer son vécu. La nébula frappait toujours contre les défenses de la prison d’eau qu’il était parvenu à bricoler dans sa psychée profonde. Il était reconnaissant de ne pas être seul en cet instant d’épouvante, quand bien même c’était en une présence aussi intriguante. Et il comprenait que le rescapé des pyramides avait droit à ses humeurs moroses ou à un temps d’actualisation.
Ven 3 Mai - 12:58
POST MJ
Le crâne reposait silencieusement sur l'atlas, ses orbites vides fixées sur la ville lumineuse qui s'étendait devant lui. Pourtant, malgré son silence apparent, il semblait absorber chaque mot prononcé par Keshâ’rem, comme s'il tentait de comprendre le monde qui l'entourait après un si long sommeil. Ce jeune garçon ? Il n'était pas si méchant, finalement. Sans doute un peu poltron, mais pouvait-il lui en vouloir ?
— Sancta... murmura-t-il, comme s'il testait ce mot dans sa bouche après une éternité. Oui, ce nom me semble familier...
Son ton était empreint de confusion et de frustration. Il semblait lutter contre les ombres de l'oubli qui enveloppaient son esprit, oubliant sa véhémence.
— La lumière de cette ville... Elle me rappelle quelque chose, mais je ne peux pas mettre le doigt dessus.
Il se tut un instant, laissant ses pensées vagabonder dans les méandres de sa mémoire perdue.
— Fait-il toujours aussi sombre dans cette ville ? demanda-t-il soudainement, ses orbites se tournant vers Keshâ’rem. Ou bien est-ce juste une illusion causée par mes propres ténèbres intérieures ?
Sa question était teintée d'une curiosité sincère, comme s'il cherchait à comprendre non seulement le monde qui l'entourait, mais aussi lui-même. Soudain, une image transcenda sa mémoire : des constructions à l'allure gothique, des temples, des religieux qui déambulaient, le soleil qui inondait les rues... Sancta.
— Que lui est-il arrivé ? marmona-t-il, troublé. Pourquoi Sancta est-elle ainsi ? demanda-t-il, une certaine angoisse perçant dans sa voix.
Il n'y était pas venu souvent. Cette certitude pulsait en lui. Ce n'était pas d'ici qu'il venait, il en était convaincu. Mais alors, d'où venait-il ? Le monde semblait avoir tant changé... Cette ville, Epistopoli... il n'avait jamais vu rien de tel. Elle n'avait plus rien à voir avec ce qu'il avait connu, lui... Lui ?
— Je... je crois... je suis Dayi.
Prononcer ce nom déclencha une vague de soulagement chez le vieux crâne. Pourtant... il lui semblait qu'il avait été autre chose, aussi. Il se le répéta en litanie, ému de retrouver cette part d'identité, mais incapable de comprendre pourquoi ce nom, malgré tout, ne lui semblait pas être pleinement familier. Peut-être...
— Parlez-moi du monde, Keshâ’rem, dit-il avec un respect qu'il n'avait pas manifesté jusqu'alors. Racontez-moi ce que j'ai manqué. Peut-être ainsi pourrais-je retrouver la trace de celui que j'étais...
Mer 8 Mai - 6:59
Morbide accointance
Un vestige du passé
La séquence devenait presque touchante. Le crâne observait un profond silence. Jamais, avant aujourd’hui, Keshâ n’avait pu envisager les effets de journées entières, dans la solitude la plus totale, sans aucune stimulation. Chaque seconde. Dans le noir. Les mois. Les années. Obscurité. Jusqu’à pourrir. Se délabrer. Perdre ses souvenirs. Le sens même de son identité.
S’il avait pu juger le crâne durement pour avoir fait le choix d’être un spectre, la compassion prédominait à présent. Ils faisaient bien le choix de détruire une âme et de voler un corps parce qu’ils s’accrochaient à un temps qui n’était pas le leur, n’est-ce pas ? C’était pire que le meurtre. Une abomination. C’est ce que disait l’Eglise en tout cas. Et même les plus cartésiens redoutaient cette menace fantôme qui pouvait à tout moment les broyer. Par chance, peu de spectres parvenaient à franchir le voile des Limbes. Et si ? Et s’ils n’avaient pas le choix ? Peut-être étaient-ils perdus après tout.
Le jeune homme n’osait pas interrompre les ruminations mentale du spectre. Le flux de ses paroles était si fragile, si ténu. On aurait cru une source tarie, dont l’eau n’apparaît plus que goutte après goutte. Dévier son esprit de ses sensations auraient pu le murer dans le silence.
La question le décontenança. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre où le vestige voulait en venir.
-« Je crois qu’il faut clarifier un point. Actuellement, il fait nuit noire… tout ce que tu vois devant toi, ce sont des illuminations que la ville parvient à créer en utilisant les avancées scientifiques récentes… cela permet aux gens de s’éclairer et d’y voir de jour comme de nuit… mais c’est vrai que le ciel est pollué et que le soleil paraît un peu gris parfois. »
L’esprit du spectre devait déjà vriller. Mais de ce choc surgit un éclat de son identité.
-« Enchanté Dayi ! »
Ce n’est que face à l’hébétude du spectre qu’il se rendit compte du trauma que pouvait générer un tel décalage chronologique. Lui-même ne pouvait que se l’imaginer. Sa jeunesse ne lui permettrait jamais de se rendre compte d’un tel hiatus. Mi figue-mi raisin, il se hissa sur la pointe des pieds sur un fauteuil et tendit le bras vers la plus haute étagère de livres. Du bout des doigts, il tira un livre à la reliure épaisse, qui manqua de lui écraser le nez lorsqu’il réussit enfin à le déloger de son voisinage poussiéreux.
-« Regarde. C’est une sorte d’Atlas historique concernant Sancta, alias Epistopoli… »
Son séant posé sur un maroquin face au crâne, il tenait le livre grand ouvert sur des illustrations de temple et de murailles, tout en essayant de déchiffrer le texte à l’envers. La tâche était d’autant plus difficile pour lui, que c’était un très jeune lecteur :
-« Ja… jadis, Sancta était l’une des trois saintes cités… »
Il tourna quelques pages avant de parvenir sur une illustration d’hommes barbus en robe autour d’alambics.
« Elle a-britait des hommes amoureux du s..., amoureux du savoir. Ils voulaient repousser les limites de… la connaissance, pour offrir une meilleure vie à tous… »
La page d’après délivrait la vision d’un bûcher qui dévorait l’encadré même de l’image et se propageait au texte alentour.
-« Ca c’est l’âge noir. Toutes les savants ont été pourchassé et tué. Cela a été terrible. »
La prochaine page représentait l'Ulule dans toute sa splendeur. L’émerveillement était nuancé pour Keshâ, maintenant qu’il connaissait une parcelle de la vérité servant de sous-bassement au mythe lié à Déméphor. Les rayons de soleil qui irradiait du dieu du savoir se propageaient aux scientifiques pour leur inspirer la vision de…
-« La création de la cité des sciences… il y a eu une Révolution… et maintenant nous sommes dirigés par les scientifiques, la modernité… et le Grand Sapiarque, Elias Van Beck… beaucoup de gens sont athés de nos jours… en tout cas, leur religion est la science. »
Il s’abstint de dire que le peuple ne vivait pas nécessairement mieux.
-« C’est vraiment la version courte. Je ne suis pas très doué en histoire, mais je lis beaucoup dernièrement pour me rattraper… si tu as des questions… Aramila est toujours là, le Rempart de la Foi. Ils n’ont pas du beaucoup changer depuis ton époque. Les pyramides sont toujours un mystère… là où je t’ai rencontré… Xandrie est un peu sous la coupe d’Opale, qui est devenue également une grande puissance athée… par contre Dainsbourg a été englouti par la brume… ca a du arriver quelques années avant ma naissance… et depuis, tout a changé… le monde se livre à de nombreuses expéditions dans la Malice pour en apprendre plus sur ses origines… on vient d’apprendre que la chute de Dainsbourg n’était pas un accident… »
Mieux valait s’arrêter là. Natif de ce siècle, il se donnait déjà le tournis au son de sa propre voix. Pour Dayi, ce devait être un holocauste complet. Le but n’était pas non plus que son nouveau compagnon vire fou.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Ven 1 Nov - 16:21, édité 3 fois
Dim 22 Sep - 23:15
Morbide accointance
Maître du Jeu
Si la lecture du garçon était laborieuse, c’était presque un avantage. Le flot était intarissable, les coupures et hésitations, comme du reflux de vagues qui aurait emporté le pauvre crâne loin du rivage. Prisonnier de son vestige, celui qui répondait maintenant au nom de Dayi ne pouvait embrasser que l’horizon que celui qui l’avait extirpé des pyramides voulait bien lui montrer.
Le livre posé devant lui coupé la vue sur le scintillement magique de la ville. Ainsi, ils avaient vaincu la nuit, à coup de quelques artifices. Peut-être avaient-ils aussi réussi à repousser la Brume, crut-il, jusqu’à apprendre les dernières nouvelles.
“Dainsbourg… de son râle hésitant. J’ai connu quelqu’un de Dainsbourg.”
Tout restait confus, que ce soit par le savoir dont le garçon le gavé ou par ses propres souvenirs brumeux effacés par le temps. Un voile sombre sur des souvenirs oubliés le temps d’un repos là où ils s’étaient rencontrés. Combien de temps c’était écoulé au juste ? Il ne saurait le dire, après tout, il n’était pas bon avec les chiffres, pas plus qu’avec les lettres. Ses orbites caves se perdaient sur la représentation de Déméphor qui s'étalait devant lui.
Oui, il fallait se concentrer sur ce qu’on pouvait faire revenir à la surface. Sur les connexions même les plus ténues possibles. Si Dainsbourg lui parlait, c’est parce qu’il était assez sûr que quelqu’un venu de là-bas l’avait appelé Dayi. Il n’avait pas de visage à mettre, seulement un éclat de voix, une sensation d’un moment de calme tendu.
“Je suis navré, Keshâ’rem. C’est cette sensation dérangeante d’un souvenir fuyant, d’un mot sur le bout de la langue… si tant est que j’en ai encore une ! Plus on le cherche, moins on le trouve comme s’il prenait plaisir à s’échapper à l’orée de la réflexion.”
S’il se permettait un brin d’humour, il n’en demeurait pas loin que toutes ces choses récentes glissaient encore sur lui, connaissances liquides qui n'arriveront à s’accrocher qu’à force de répétition et d’adaptation. Qu’à force de creuser dans les os de son crâne.
“Est-ce que tu peux refermer ce livre ? J’aimerais continuer à regarder vos étoiles…”
Il souffrait de son infirmité, de ne plus être rien d’autre qu’un crâne avec du répondant, qu’une tête sans yeux qui voyait, qu’une boite à écouter. Faire ne faisait plus partis de son vocabulaire. Il était pourtant sûr d’avoir déjà fait, d’avoir agit. Le comment et le pourquoi continuaient de se dérober.
“Parle moi encore du monde, mais avec tes yeux… Tu as vu des choses.”
De plus en plus, après ce temps solitaire où il avait fini par la détester, il se retrouvait à aimer sa voix et il n’avait rien perdu de son sens de l’observation. À voir si l'écoute lui permettait de retrouver des bribes pour remplir sa caboche.
Le livre posé devant lui coupé la vue sur le scintillement magique de la ville. Ainsi, ils avaient vaincu la nuit, à coup de quelques artifices. Peut-être avaient-ils aussi réussi à repousser la Brume, crut-il, jusqu’à apprendre les dernières nouvelles.
“Dainsbourg… de son râle hésitant. J’ai connu quelqu’un de Dainsbourg.”
Tout restait confus, que ce soit par le savoir dont le garçon le gavé ou par ses propres souvenirs brumeux effacés par le temps. Un voile sombre sur des souvenirs oubliés le temps d’un repos là où ils s’étaient rencontrés. Combien de temps c’était écoulé au juste ? Il ne saurait le dire, après tout, il n’était pas bon avec les chiffres, pas plus qu’avec les lettres. Ses orbites caves se perdaient sur la représentation de Déméphor qui s'étalait devant lui.
Oui, il fallait se concentrer sur ce qu’on pouvait faire revenir à la surface. Sur les connexions même les plus ténues possibles. Si Dainsbourg lui parlait, c’est parce qu’il était assez sûr que quelqu’un venu de là-bas l’avait appelé Dayi. Il n’avait pas de visage à mettre, seulement un éclat de voix, une sensation d’un moment de calme tendu.
“Je suis navré, Keshâ’rem. C’est cette sensation dérangeante d’un souvenir fuyant, d’un mot sur le bout de la langue… si tant est que j’en ai encore une ! Plus on le cherche, moins on le trouve comme s’il prenait plaisir à s’échapper à l’orée de la réflexion.”
S’il se permettait un brin d’humour, il n’en demeurait pas loin que toutes ces choses récentes glissaient encore sur lui, connaissances liquides qui n'arriveront à s’accrocher qu’à force de répétition et d’adaptation. Qu’à force de creuser dans les os de son crâne.
“Est-ce que tu peux refermer ce livre ? J’aimerais continuer à regarder vos étoiles…”
Il souffrait de son infirmité, de ne plus être rien d’autre qu’un crâne avec du répondant, qu’une tête sans yeux qui voyait, qu’une boite à écouter. Faire ne faisait plus partis de son vocabulaire. Il était pourtant sûr d’avoir déjà fait, d’avoir agit. Le comment et le pourquoi continuaient de se dérober.
“Parle moi encore du monde, mais avec tes yeux… Tu as vu des choses.”
De plus en plus, après ce temps solitaire où il avait fini par la détester, il se retrouvait à aimer sa voix et il n’avait rien perdu de son sens de l’observation. À voir si l'écoute lui permettait de retrouver des bribes pour remplir sa caboche.
Mer 2 Oct - 18:36
Morbide accointance
Un vestige du passé
On aurait pu se dire qu’il l’avait bien cherché. Pour devenir un spectre, il fallait avoir estimé à un moment que sa vie valait mieux que celle d’un autre, écrasé la personnalité, les espoirs et les rêves d’une autre âme, lui interdisant par ce biais tout ce qui pouvait recouvrir la notion même « d’après-vie ». Mais Keshâ’rem ne savait rien de cette mécanique.
Dans son état de fébrilité, il voyait seulement en Dayi un être solitaire et confus. Un peu comme lui finalement, tandis que sa nébula s’évertuait à lui fracasser le crâne pour prendre possession de son esprit. Ainsi, dans sa maladresse se trouvait beaucoup de douceur et de patience.
Dainsbourg. La révélation planante paraissait fragile, à l’image d’un château de cartes qu’un murmure de Keshâ aurait suffit à renvoyer à l’état de néant. Dayi semblait prononcer à haute voix ces mots pour leur donner plus de consistance, tout en essayant de tirer sur un fil ténu au milieu de ses souvenirs. Il aurait eu des questions, mais laissa le temps s’écouler.
-« Dainsbourg, c’est bien que tu te rappelles. » l’encouragea-t-il, après un moment.
-« Peut-être qu’il te faut un moment, quelques jours, pour te sentir plus réveillé et toi-même. » esquissa-t-il gentiment.
Le jeune homme obtempéra à la demande du vestige. Le livre refermé, Dayi n’en appelait qu’à la contemplation, de ces choses les plus simples qui sont pourtant les plus essentielles dès lors que l’on en est privé. Derrière ces orbites creuses habitées d’une lueur mauve, certains n’auraient vu qu’un masque mortuaire. Keshâ’rem eut toutefois l’impression d’y lire de l’émoi face aux « étoiles ».
En être réduit à l’assistanat était sans doute le prix à payer sur le long terme pour les voleurs de corps. Mais qu’advenait-il d’eux par la suite ? Toutes ces questions, il rêvait de les lui poser. Mais cela paraissait… prématuré.
Sa cheville posée sur son autre genou s’improvisait pupitre pour le précieux ouvrage dont il caressait la reliure en cuir repoussé. Il prit un instant pour réfléchir à la demande de Dayi, ses yeux baissés vers ses mains.
-« C’est drôle… je crois que personne ne s’est vraiment intéressé à mon point de vue sur la question…
Je ne suis qu’un orphelin pauvre, qui a fini par avoir un peu de chance…
Cet endroit, Epistopoli, est appelé la cité du Savoir. Je pense qu’on peut dire que c’est l’endroit le plus riche et le plus puissant d’Urh. Mais pour moi, c’est une prison… les gens n’ont pas le temps de penser et ou de découvrir ce qu’ils aiment, car la vie est devenue si dure qu’ils peinent à manger ou à se loger. Tout n’est que compétition pour améliorer son sort sur celui du voisin…
Derrière son expression lisse de politesse se lisait malgré tout les stigmates d'une existence morne et désespérante.
"On nous remplace de plus en plus par des automates et des robots dans les manufactures. Et les élites appellent cela le progrès. Mais on ne chasse même pas les criminels du moment qu’ils ne menacent pas ceux de la haute-ville, où nous nous trouvons...
… Je trouve… que cela fait peur… que va-t-il advenir des pauvres si on ne reconnaît pas de valeur à leur vie ? »
Il jeta à son tour un œil sur les lueurs artificielles qui leurs tenaient aussi lieu de soleil, face au pâle éclat de ce dernier, filtré par la modernité. Des silhouettes silencieuses s’affairaient encore dans les bureaux en fourmis laborieuses. Le travail ne finissait jamais dans cette économie affamée.
-« Même les gens qui sont privilégiés passent leur temps à se livrer toutes sortes de guerre. Le scientifique le plus reconnu ou le plus innovant, l’artiste le plus émérite, le politicien le plus respecté. Mais dans notre ville, tous peuvent tomber dans le déshonneur du jour au lendemain. Il suffit de déplaire aux sapiarques qui nous dirigent ou aux plus fortunés… je suis peut-être naïf, mais je pense que le monde pourrait être un peu différent… connais-tu Andoria ? »
Il reprit une inspiration. Le rythme effréné ne semblait pas propice à leur échange.
-« C’est une ville qui n’a pas changé depuis des générations. Elle est la gardienne de beaucoup de sagesses anciennes. Je trouve que là-bas, les gens se soucient réellement des autres, comme à Aramila d’ailleurs… c’est là-bas que je suis né, même si je n’y suis pas resté longtemps. »
Mais d’autres avaient tout fait pour que sous un vernis Epistote perdurent de profondes racines andoriennes.
-« En tout cas… je ne sais pas trop ce que le futur nous réserve… mais ce qui est sûr c’est que notre génération vit un moment spécial dans l’histoire. Certains disent que nous sommes à l’âge de Vérité. La guilde des aventuriers et les nations élargissent les frontières et osent affronter les expéditions de la Brume. Nous n’avons plus le choix… nous avons découvert en partie qui l’a fait venir il y a deux mille ans, très récemment… j’étais là quand nous l’avons entendu de la bouche de Déméphor à la tour d'Yfe… nous sommes peu nombreux à connaître toute l'histoire... Ce Mandebrume, Arkanis… il s’est moqué de nous et a corrompu notre cité à son réveil… il en est devenu le chef suprême…
maintenant il a fui, mais plus personne n’a confiance en Epistopoli… il risque de faire avancer la brume à nouveau et de tout détruire… comme il l’a fait à Dainsbourg… alors, les hautes cités sont prêtes à tout tenter pour l’arrêter. »
Prenant beaucoup de gants, il articulait lentement et cherchait à détecter une éventuelle réaction du crâne à ses propos. Il laissait donc volontairement des blancs entre ses phrases, tel un conteur méditatif. Bientôt, il finit par demander.
-« Je ne sais pas ce que tu penses de tout ça… mais quelle serait la toute dernière chose dont tu te rappelles? Les pyramides te disent quelque chose ? Ce n’est pas tout le monde qui a pu y pénétrer.»
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Ven 1 Nov - 16:28, édité 1 fois
Sam 19 Oct - 11:44
Morbide accointance
Maître du Jeu
Ce qu’on ne pouvait enlever au garçon, c’est qu’il avait une jolie voix, chantante, qui s’arrêtait presque sur certains mots pour leur donner plus de force, plus de corps. Et il faisait ça naturellement. Dayi n’avait jamais été un artiste pour ce qu’il se le rappelait, ça ne l’émouvait que peu. La seule utilité qu’avait eue le rythme d’un chant pour lui jusque-là, c’était pour compter les secondes et ne pas devenir fou… Et c’était des souvenirs de chants avec de bien moins bonnes notes que ce garçon qui ne faisait finalement que parler.
“Je ne sais même plus ce que c’est un jour ou une semaine...” pesta le crâne. De son perchoir de fortune, il regardait les fenêtres sur le monde s’illuminer puis s’éteindre au hasard des passages et des vies qui bougent. Il lui fallait retrouver une pulsation, un rythme qui lui échappait maintenant qu’il en était sorti. Un chant du retour.
Il essayait de se le figurer en écoutant vaguement ce que disait le garçon. Aucun des noms qu’il évoquait ne lui disait quoi que ce soit. Aucun ne produisait une étincelle, jusqu’à : riche, puissant. Est-ce que c’est ce qu’il était alors ? Ou ce qu’il cherchait à avoir ? Simple vie qui suit un objectif aussi vague et lambda, quand cela avait-il terminé ? Il avait ses propres questionnements pendant que son interlocuteur discourait sur la valeur de la vie des pauvres. Les pauvres se sont toujours fait écraser, voilà la terrible vérité. On pouvait leur donner la sensation de s’élever, de vivre mieux, mais il y avait toujours quelqu’un au-dessus pour les écraser.
“Andoria ?... Ça ne me dit rien… Aramila oui.” Le mot résonnait, un son d’habitude, comme si la langue qu’il possédait jadis l’avait déjà prononcé. Ça ne faisait pas tache dans sa bouche morte, ça ne rappait pas. Le monde semblait être au bord de la rupture, mais pour Dayi, le monde était déjà perdu depuis longtemps. Lui n’avait plus de monde. S’il avait pu réagir, l’évocation des Pyramides lui fit un choc terrible. Son tombeau, enfermé là depuis années et des années, combien ? Impossible de se le rappeler, même le rythme s’était détendu dans les ténèbres. Protégé sous sa boite crânienne était imprimée au fer blanc l’image de la marche contre laquelle son regard s’arrêtait, ses yeux avaient eu le temps de pourrir et mourir qu’ils n’avaient toujours pour horizon qu’un vulgaire angle droit de pierre. Et ça jusqu’à que Kesha’rêm et sa troupe ne vienne à sa rencontre… Sa troupe.
“Je suis mort deux fois. Une fois par mes ennemis, une fois par mes amis… J’aurais pu mourir plus.” C’était flou, cryptique, même pour lui, mais il le sentait à présent. Il était un étranger même dans ce crâne. Il n’était pas le sien n’est-ce pas ? Risible alors qu’il n’avait passé qu’une fraction de son temps dans son corps d’origine, une autre fraction à bouger dans un autre corps, une éternité face à une marche.
Il avait été Dayi, il était revenu, on lui avait planté des lames, des piques, on l’avait brulé. Il se relevait toujours face à ses adversaires là où il aurait dû mourir. Il a fallu la trahison et la croyance que le Vestige était mort pour qu’il soit enfin puni de ses errances. Il n'était pas prêt à partager plus sur son passé. Et si tout cela faisait parti de sa punition ?
Les Pyramides ? Tout était flou.
Sauf cette satanée marche en pierre.
“Je ne sais même plus ce que c’est un jour ou une semaine...” pesta le crâne. De son perchoir de fortune, il regardait les fenêtres sur le monde s’illuminer puis s’éteindre au hasard des passages et des vies qui bougent. Il lui fallait retrouver une pulsation, un rythme qui lui échappait maintenant qu’il en était sorti. Un chant du retour.
Il essayait de se le figurer en écoutant vaguement ce que disait le garçon. Aucun des noms qu’il évoquait ne lui disait quoi que ce soit. Aucun ne produisait une étincelle, jusqu’à : riche, puissant. Est-ce que c’est ce qu’il était alors ? Ou ce qu’il cherchait à avoir ? Simple vie qui suit un objectif aussi vague et lambda, quand cela avait-il terminé ? Il avait ses propres questionnements pendant que son interlocuteur discourait sur la valeur de la vie des pauvres. Les pauvres se sont toujours fait écraser, voilà la terrible vérité. On pouvait leur donner la sensation de s’élever, de vivre mieux, mais il y avait toujours quelqu’un au-dessus pour les écraser.
“Andoria ?... Ça ne me dit rien… Aramila oui.” Le mot résonnait, un son d’habitude, comme si la langue qu’il possédait jadis l’avait déjà prononcé. Ça ne faisait pas tache dans sa bouche morte, ça ne rappait pas. Le monde semblait être au bord de la rupture, mais pour Dayi, le monde était déjà perdu depuis longtemps. Lui n’avait plus de monde. S’il avait pu réagir, l’évocation des Pyramides lui fit un choc terrible. Son tombeau, enfermé là depuis années et des années, combien ? Impossible de se le rappeler, même le rythme s’était détendu dans les ténèbres. Protégé sous sa boite crânienne était imprimée au fer blanc l’image de la marche contre laquelle son regard s’arrêtait, ses yeux avaient eu le temps de pourrir et mourir qu’ils n’avaient toujours pour horizon qu’un vulgaire angle droit de pierre. Et ça jusqu’à que Kesha’rêm et sa troupe ne vienne à sa rencontre… Sa troupe.
“Je suis mort deux fois. Une fois par mes ennemis, une fois par mes amis… J’aurais pu mourir plus.” C’était flou, cryptique, même pour lui, mais il le sentait à présent. Il était un étranger même dans ce crâne. Il n’était pas le sien n’est-ce pas ? Risible alors qu’il n’avait passé qu’une fraction de son temps dans son corps d’origine, une autre fraction à bouger dans un autre corps, une éternité face à une marche.
Il avait été Dayi, il était revenu, on lui avait planté des lames, des piques, on l’avait brulé. Il se relevait toujours face à ses adversaires là où il aurait dû mourir. Il a fallu la trahison et la croyance que le Vestige était mort pour qu’il soit enfin puni de ses errances. Il n'était pas prêt à partager plus sur son passé. Et si tout cela faisait parti de sa punition ?
Les Pyramides ? Tout était flou.
Sauf cette satanée marche en pierre.
Ven 1 Nov - 17:07
Morbide accointance
Un vestige du passé
D’abord revêche, le crâne passait par la confusion. Cette confusion ne faisait qu’augmenter depuis que son nom semblait lui être revenu. Et maintenant, frustration et colère.
-« Je vais t’aider sentir le rythme des heures et des jours. Tu pourras rester ici et voir le soleil se lever et se coucher. »
Il y avait plus loin dans la suite une lourde horloge d’un style pompeux, qu’il alla chercher pour la mettre dans le champs de vision du crâne.
-« Cela te permettra de voir l’heure… forcément, après quelques jours ou semaines, tu auras un rythme. »
Lui n’aimait pas trop regarder le cadran. Cela ne faisait que lui rappeler combien soixante secondes pouvaient paraître longues et lui donner une idée du nombre conséquent d’heures à survivre avant de recevoir de l’aide. Par contre, il aimait l’idée de voir le soleil se lever, signe qu’il avait tenu pour voir un nouveau jour en tant qu’humain porteur de brume. S’il ne succombait pas à l’errance, il devrait bien s’absenter un jour. Peut-être longuement, en retournant à ses activités. Dayi se retrouverait alors à nouveau seul et sans stimulation… peut-être pourrait-il laisser une radio à ses côtés, pour alterner musiques, réflexions philosophiques et propagande Epistopolitaine…
Aramila avait l’air familière à Dayi. Cela faisait du sens, puisqu’il l’avait trouvé dans les pyramides.
-« Peut-être que tu es Aramilan. Ou alors, tu voyageais et commerçais beaucoup là-bas. »
Des réflexions contradictoires semblaient animer le spectre. Il ne savait pas trop s’il voulait être encouragé par ses mots, comme on souffle sur des braises, ou qu’on lui laisse l’espace pour émerger tranquillement.
Quant Dayi reprit la parole, ses propos se firent des plus nébuleux, comme s’il était devenu gaga. Ou qu’à l’inverse, il se faisait mage plein de sapience à délivrer une sombre prophétie. Il est mort plusieurs fois. Une fois de la main de ses ennemis. Une fois de la main de ses amis. On dirait un conte. L’énigme qu’il représentait dans son entièreté piquait sa curiosité. Elle lui donnait un pourquoi, un mystère à résoudre, fil après fil, pour retisser la trame de son histoire. Le temps qu’il faudrait pour oublier. Sinon, il n’aurait plus qu’à se plaindre, à s’effondrer et à mourir. Il mettait momentanément à distance les affres vécues à Yfe et Opale au travers de cette conversation atypique.
-« Tout cela a l’air bien étrange, Dayi… mais je remarque que pour quelqu’un qui ne se rappelait de rien il y a quelques minutes, certains détails sautent avec force… si tu permets je vais prendre quelques notes pour t’aider… Sancta t’es familière… Tu ne connais pas Andoria… Aramila t’es très familière avec les pyramides… je t’ai trouvé dans une niche de pierre, tourné vers une sorte de marche… et tu dis que tu es mort plusieurs fois, trahis par tes amis comme tes ennemis… »
Il commença à griffonner un brouillon à la hâte, avant de décrocher un immense bâillement. Ses yeux piquaient sous ses paupières, mais il ne voulait pas s’arrêter en si bon chemin.
-« Dis, j’ai un jeu à te proposer… je ne sais pas si ça va te plaire… je vais donner des mots dans le désordre… et je voudrais que tu me dises la première chose qui te vient à l’esprit à chaque fois… Si quelque chose d’important ou de précis te revient, je le noterai sur ce papier. S'il n'y a rien, je continue. Comme ça, peu à peu, les indices donneront peut-être quelque chose de plus concret. Ca te dit ? … »
En vérité, Keshâ’rem demandait par politesse, mais il était très excité de voir ce que ça pourrait donner.
-« Désert… » dit-il, en marquant plusieurs secondes d’arrêt entendu sans trop scruter Dayi, pour ne pas l’influencer.
-« Forêt… Montagnes… Rivage et mer … froid... chaleur... homme ou femme ? … »
Chaque fois, il laissait flotter le silence, espérant s’adresser plutôt à l’imaginaire qu’à la raison du vestige. Dépossédé de ses souvenirs et de son vécu, il s’en remettait à l’évidence de son instinct quand quelque chose devait sonner juste, ou tout du moins, plus familier. Cela ressemblait finalement à un jeu que pouvait faire les enfants quand ils remplissaient que qu’on appelait un « portrait xandrien ».
-« Si tu veux bien continuer un peu différemment… commerçant ? … soldat… … ecclésiastique… … voleur … … érudit … Eglise… foi panthéïste… oreilles pointues… … enfant … … famille… pouvoir... peur... amour… passion… … … colère… … tristesse… … déception… … convoitise … … vengeance… … Ader'rhazak...»
Son idée tordue pourrait ne rien donner et même irriter le crâne. Mais, à ses propos cryptiques, il répondait par des stimulations aléatoires, peut-être moins frustrantes que de se montrer incapable de répondre à une question précise. Encore fallait-il que Dayi se prête au jeu.
Sam 2 Nov - 12:00
Morbide accointance
Maître du Jeu
Gentillesse, intérêt ou servitude volontaire ? Aux questionnements et doutes du crâne, Keshâ’rem trouvait toujours une réponse, une volonté d’aider. L’horloge, à présent dans sa périphérie, ne laissait au Spectre que la possibilité de regarder les secondes défiler. Quel étrange appareil, loin des disques solaires et des sabliers ! Les aiguilles courent à une vitesse déroutante, mais si vous vous concentriez dessus, elles semblaient suspendre leur course un instant, vous regarder puis reprendre leur tour.
Il n’avait que peu eu le temps d’observer la pièce derrière lui, passant d’une cache à une autre, et maintenant le monde s’ouvrait devant ses orbites vides. Pour un orphelin, il semblait s’être plutôt bien débrouillé. Le spectre croyait plus aux destins qu’à la chance, et le sien lui échappait. “J’imagine…”
C’était un nœud à défaire et, pour l’instant, il n’avait trouvé que des petites extrémités entremêlées au reste. Le chemin était long et piégeux. Comment est-il mort ? Comment était-il mort encore ? “Oui, on peut dire ça. Très familière, je ne sais pas… Mais j’ai déjà prononcé ce nom.”
Il entendait griffonner derrière lui, puis un bâillement. Le sommeil des vivants devait être certainement doux… L’idée de l’enthousiasme avait le mérite d’en être une. Que pouvait-il faire, de toute façon ? Dire non ? Prisonnier de ce vestige, prisonnier de cette chambre.
Et la folie commença. Les mots s’enchaînaient, les fils se tendent, nœuds coulants. Des silhouettes sombres, des ombres, des lieux, des couleurs, de la chaleur, du froid. Du vide. Au maelstrom de mots ne venait que la confusion. S’il avait vécu, il aurait suffoqué. C’était sans sens, sans but, ça activait des choses dans sa mémoire, des flous par moments, des chemins sans fin ou des fils coupés. D’autres revenaient, d’autres l’enserraient, d’autres le faisaient sombrer.
Dayi s’emmurait sous le crâne. Il se ferma.
Seule restait la marche de pierre, et il n’était, pour l’instant, pas prêt à la grimper.
Il n’avait que peu eu le temps d’observer la pièce derrière lui, passant d’une cache à une autre, et maintenant le monde s’ouvrait devant ses orbites vides. Pour un orphelin, il semblait s’être plutôt bien débrouillé. Le spectre croyait plus aux destins qu’à la chance, et le sien lui échappait. “J’imagine…”
C’était un nœud à défaire et, pour l’instant, il n’avait trouvé que des petites extrémités entremêlées au reste. Le chemin était long et piégeux. Comment est-il mort ? Comment était-il mort encore ? “Oui, on peut dire ça. Très familière, je ne sais pas… Mais j’ai déjà prononcé ce nom.”
Il entendait griffonner derrière lui, puis un bâillement. Le sommeil des vivants devait être certainement doux… L’idée de l’enthousiasme avait le mérite d’en être une. Que pouvait-il faire, de toute façon ? Dire non ? Prisonnier de ce vestige, prisonnier de cette chambre.
Et la folie commença. Les mots s’enchaînaient, les fils se tendent, nœuds coulants. Des silhouettes sombres, des ombres, des lieux, des couleurs, de la chaleur, du froid. Du vide. Au maelstrom de mots ne venait que la confusion. S’il avait vécu, il aurait suffoqué. C’était sans sens, sans but, ça activait des choses dans sa mémoire, des flous par moments, des chemins sans fin ou des fils coupés. D’autres revenaient, d’autres l’enserraient, d’autres le faisaient sombrer.
Dayi s’emmurait sous le crâne. Il se ferma.
Seule restait la marche de pierre, et il n’était, pour l’instant, pas prêt à la grimper.
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