Mar 16 Jan - 4:29
Sombre réflexion
Pion solitaire
A quoi ressemblait leur équipage sans Amir ? A voir leurs teints peu frais, on pouvait deviner qu’ils revenaient de la guerre. Quand la porte du Zeppelin s’ouvrit, un comité restreint les attendait. Celui-ci n'en était pas moins impressionant puisque le Chancelier de l’Alliance lui-même se tenait à l’avant-poste.
L’air frais s’engouffra dans ses narines, lui procurant un sentiment d’étrangeté. L’habitacle clos du Zeppelin s’était voulu rassurant, refermé sur lui comme un œuf de métal géant qui flottait dans l’atmosphère nuageuse. Il y avait laissé ses pensées se perdre, brouillées dans un écho métallique. A plusieurs reprises, il avait cru entendre les pleurs d’une chambre d’hôpital. Ailleurs la vie reprenait son chemin. Il ignorait si perdre ses frontières pouvait être sans conséquence ou non. Son regard était flou, voyait le hublot sans le voir, avec le panache de fumée qui se dégageait d’un boulevard. Non, ce n’était pas un boulevard. Il s’agissait d’une trouée au milieu des bâtiments dont les étages s'effondraient les uns sur les autres en piles de débris. La Resplendissante l’était-elle encore? Maintenant, le sol était tangible sous ses pieds, mais l'Epistote se sentait dériver.
Au milieu de ce brouillard, le jeune homme avait l’œil hagard. Peut-être à cause de l’épuisement. Ou d’une réalité plus glaçante encore qui raidissait ses nerfs et tremblait dans ses mains de frayeur contenue. Trop de nouvelles fracassantes pour être assimilées l'avaient assailli. Il avait fait illusion devant Demephor, encore sous le coup de l’adrénaline, profondément coupé de lui-même. Ainsi dissocié, il ne s’appartenait déjà plus quand elle était entrée… Elle… cela ne lui facilitait pas les choses pour terminer son imprégnation. Car, plus qu’un corps, c’était de lui qu’elle avait besoin pour vivre. Et il était perdu. Comme un pâle souvenir au milieu d'un rêve sans fin.
~ ° Seraphah ! … Maëlstrom ! … ° ~ appelait-il en parcourant le débarcadère, dans l’espoir de sentir leur contact familier, croulant déjà sous le poids d’une pression insoutenable au fond de son être.
Le temps n’était pas à larmoyer. Il y avait trop à dire, trop à faire. Hélas, son corps était en bout de course et ne produirait rien de bénéfique avant de s’être reposé. Son être appelait néanmoins un soutien rassurant, qui lui prouve qu’il existait toujours un endroit où retourner de cette horreur. Un endroit pour lui, malgré ce qui lui était arrivé.
Aucun esprit, pas un souffle de réponse, ni dans le ciel, ni sur la terre au moment où les aventuriers descendirent de l’appareil. Jessamy s’était fait la malle de manière assez spectaculaire. Avec le recul, Keshâ aurait bien aimé l'imiter. Des figures austères les toisaient. Ryker disparut rapidement en grande pompe avec le Chancelier. De tous, Jeremiah était celui qui avait l’air le plus animé. Non par joie, mais par nervosité flagrante de retrouver sa glorieuse cité blessée. En ce qui le concernait, personne n’avait l’air de faire attention à lui.
Les survivants furent parqués, ou plutôt invités à se reposer, dans des quartiers distincts selon leur faction d’origine. Aussi fut-il emmené dans la même direction que Lewen. Avec l’impression de déchirer un voile aussi fragile qu’une toile d’araignée, les destins des aventuriers se séparèrent. On le mena au bout d’un corridor à une chambre modeste faite de pierre de taille, avec une petite fenêtre donnant sur la mer.
-« Je vous conseille de prendre quelques moments pour vous reposer. Votre interrogatoire sera peut-être remis à demain en attendant la fin de celui du Patrouilleur. Cela risque d’être long. Nous allons vous faire porter à souper. Voulez-vous voir un docteur ? »
Son cœur se pinça à cette question. Il avait fini par s'accoutumer aux auscultations de son médecin. Seraphah était suffisamment frustré de ne pas avoir pu l’accompagner à la tour d’Yfe. Il s’était fait de son visage une vision rassurante durant le trajet pour imaginer son arrivée sain et sauf à Opale. C’était l’aiguillon qui lui permettait de tenir.
Et voilà que rien ne se passait comme prévu. Pas de retour à Epistopoli. On ne lui disait pas non plus grand-chose ce qui s’était passé à Opale. Pourquoi ses amis n’étaient pas là ? Le dispositif de sécurité était important. L’Alliance devait avoir ses protocoles.
-« S’il vous plaît, oui. D’ailleurs, avez-vous vu… non, laissez tomber. »
S’il n’était pas égoïste, pour comprendre que les regrettables imprévus à Opale n’affectaient pas que lui, un ambassadeur sapiarque avait ses entrées. Seraphah savait se montrer convainquant. Malgré tout, il était absent du débarcadère. Plus que cela, il ne s’était jamais trouvé à moins de cinq cent mètres de lui. Ni Maëlstrom. Sans quoi, il aurait pu leur dire « tout va bien » par télépathie.
En temps normal, Keshâ savait se montrer autonome. Mais rien ne l’avait préparé à cette situation. Qu’attendait-t-on de lui ? Avait-il des raisons d’avoir peur ? L’épreuve d’endurance qu’avait été l’expédition et qui devait arriver à son terme durant le vol ne faisait que se prolonger. Il espérait seulement que ses amis se portaient bien. Compte tenu des circonstances, n'importe qui à Opale pouvait être porté disparu. Le cœur lourd d'incertitude, il ne pouvait que rester fort. Il faut vivre au présent. On verra demain.
Le garde semblait jeune et néanmoins expérimenté. Prévenant, ses traits avaient quelque chose de stricte, comme s'il guettait un faux-pas de sa part ou surveillait une soudaine explosion de sa personnalité. Le bleu de ses yeux se réchauffait au moins d'une étincelle bienveillante quand il se retira en l'enfermant.
La première chose que fit Keshâ après la fermeture de la porte dans un bruit de serrure, fut de laisser tomber son sac à terre. Il inspira l’air frais et poussiéreux de la chambre, prenant connaissance de l’espace. Mettre en sécurité son holographe semblait être une bonne idée. Son pouvoir de spatiokinésie ne se laissait pas apprivoiser si facilement, mais il n’était pas d’humeur à s’en laisser compter après tout ce qu’il avait vécu. Deux ou trois tentatives suffirent pour faire disparaître l’appareil dans sa dimension de poche. Il obtint en échange une pile d’assiettes en porcelaine peintes en bleue appartenant aux collections de luxe du Marquis, ce qui lui fit promettre d’affiner son entraînement avec le cristal.
Ceci fait, il ne toucha pas au broc d’eau posé sur un plateau avec des madeleines et se dirigea vers la fenêtre pour faire entrer l’air marin. Il s’assit lentement sur le rebord de pierres, très droit et immobile, sans quitter les flots de son regard lointain. Quelque chose grattait en lui. Comme une démangeaison persistante qui irrite la peau, mais que l’on ne peut se résoudre à arrêter de toucher. Jusqu’à ce qu’elle devienne rouge, puis suinte… écarlate. Sans doute serait-il bon de s’allonger, ou de se laver. Il arborait encore les restes pestilents d’incube et de Jiangshi sur son uniforme.
Pour le moment, il ne s’en sentait pas capable. Ainsi, s’abîma-t-il dans la contemplation des eaux scintillantes. Le silence n'était rompu que par le bruit du vent dans les rideaux.
L’air frais s’engouffra dans ses narines, lui procurant un sentiment d’étrangeté. L’habitacle clos du Zeppelin s’était voulu rassurant, refermé sur lui comme un œuf de métal géant qui flottait dans l’atmosphère nuageuse. Il y avait laissé ses pensées se perdre, brouillées dans un écho métallique. A plusieurs reprises, il avait cru entendre les pleurs d’une chambre d’hôpital. Ailleurs la vie reprenait son chemin. Il ignorait si perdre ses frontières pouvait être sans conséquence ou non. Son regard était flou, voyait le hublot sans le voir, avec le panache de fumée qui se dégageait d’un boulevard. Non, ce n’était pas un boulevard. Il s’agissait d’une trouée au milieu des bâtiments dont les étages s'effondraient les uns sur les autres en piles de débris. La Resplendissante l’était-elle encore? Maintenant, le sol était tangible sous ses pieds, mais l'Epistote se sentait dériver.
Au milieu de ce brouillard, le jeune homme avait l’œil hagard. Peut-être à cause de l’épuisement. Ou d’une réalité plus glaçante encore qui raidissait ses nerfs et tremblait dans ses mains de frayeur contenue. Trop de nouvelles fracassantes pour être assimilées l'avaient assailli. Il avait fait illusion devant Demephor, encore sous le coup de l’adrénaline, profondément coupé de lui-même. Ainsi dissocié, il ne s’appartenait déjà plus quand elle était entrée… Elle… cela ne lui facilitait pas les choses pour terminer son imprégnation. Car, plus qu’un corps, c’était de lui qu’elle avait besoin pour vivre. Et il était perdu. Comme un pâle souvenir au milieu d'un rêve sans fin.
~ ° Seraphah ! … Maëlstrom ! … ° ~ appelait-il en parcourant le débarcadère, dans l’espoir de sentir leur contact familier, croulant déjà sous le poids d’une pression insoutenable au fond de son être.
Le temps n’était pas à larmoyer. Il y avait trop à dire, trop à faire. Hélas, son corps était en bout de course et ne produirait rien de bénéfique avant de s’être reposé. Son être appelait néanmoins un soutien rassurant, qui lui prouve qu’il existait toujours un endroit où retourner de cette horreur. Un endroit pour lui, malgré ce qui lui était arrivé.
Aucun esprit, pas un souffle de réponse, ni dans le ciel, ni sur la terre au moment où les aventuriers descendirent de l’appareil. Jessamy s’était fait la malle de manière assez spectaculaire. Avec le recul, Keshâ aurait bien aimé l'imiter. Des figures austères les toisaient. Ryker disparut rapidement en grande pompe avec le Chancelier. De tous, Jeremiah était celui qui avait l’air le plus animé. Non par joie, mais par nervosité flagrante de retrouver sa glorieuse cité blessée. En ce qui le concernait, personne n’avait l’air de faire attention à lui.
Les survivants furent parqués, ou plutôt invités à se reposer, dans des quartiers distincts selon leur faction d’origine. Aussi fut-il emmené dans la même direction que Lewen. Avec l’impression de déchirer un voile aussi fragile qu’une toile d’araignée, les destins des aventuriers se séparèrent. On le mena au bout d’un corridor à une chambre modeste faite de pierre de taille, avec une petite fenêtre donnant sur la mer.
-« Je vous conseille de prendre quelques moments pour vous reposer. Votre interrogatoire sera peut-être remis à demain en attendant la fin de celui du Patrouilleur. Cela risque d’être long. Nous allons vous faire porter à souper. Voulez-vous voir un docteur ? »
Son cœur se pinça à cette question. Il avait fini par s'accoutumer aux auscultations de son médecin. Seraphah était suffisamment frustré de ne pas avoir pu l’accompagner à la tour d’Yfe. Il s’était fait de son visage une vision rassurante durant le trajet pour imaginer son arrivée sain et sauf à Opale. C’était l’aiguillon qui lui permettait de tenir.
Et voilà que rien ne se passait comme prévu. Pas de retour à Epistopoli. On ne lui disait pas non plus grand-chose ce qui s’était passé à Opale. Pourquoi ses amis n’étaient pas là ? Le dispositif de sécurité était important. L’Alliance devait avoir ses protocoles.
-« S’il vous plaît, oui. D’ailleurs, avez-vous vu… non, laissez tomber. »
S’il n’était pas égoïste, pour comprendre que les regrettables imprévus à Opale n’affectaient pas que lui, un ambassadeur sapiarque avait ses entrées. Seraphah savait se montrer convainquant. Malgré tout, il était absent du débarcadère. Plus que cela, il ne s’était jamais trouvé à moins de cinq cent mètres de lui. Ni Maëlstrom. Sans quoi, il aurait pu leur dire « tout va bien » par télépathie.
En temps normal, Keshâ savait se montrer autonome. Mais rien ne l’avait préparé à cette situation. Qu’attendait-t-on de lui ? Avait-il des raisons d’avoir peur ? L’épreuve d’endurance qu’avait été l’expédition et qui devait arriver à son terme durant le vol ne faisait que se prolonger. Il espérait seulement que ses amis se portaient bien. Compte tenu des circonstances, n'importe qui à Opale pouvait être porté disparu. Le cœur lourd d'incertitude, il ne pouvait que rester fort. Il faut vivre au présent. On verra demain.
Le garde semblait jeune et néanmoins expérimenté. Prévenant, ses traits avaient quelque chose de stricte, comme s'il guettait un faux-pas de sa part ou surveillait une soudaine explosion de sa personnalité. Le bleu de ses yeux se réchauffait au moins d'une étincelle bienveillante quand il se retira en l'enfermant.
La première chose que fit Keshâ après la fermeture de la porte dans un bruit de serrure, fut de laisser tomber son sac à terre. Il inspira l’air frais et poussiéreux de la chambre, prenant connaissance de l’espace. Mettre en sécurité son holographe semblait être une bonne idée. Son pouvoir de spatiokinésie ne se laissait pas apprivoiser si facilement, mais il n’était pas d’humeur à s’en laisser compter après tout ce qu’il avait vécu. Deux ou trois tentatives suffirent pour faire disparaître l’appareil dans sa dimension de poche. Il obtint en échange une pile d’assiettes en porcelaine peintes en bleue appartenant aux collections de luxe du Marquis, ce qui lui fit promettre d’affiner son entraînement avec le cristal.
Ceci fait, il ne toucha pas au broc d’eau posé sur un plateau avec des madeleines et se dirigea vers la fenêtre pour faire entrer l’air marin. Il s’assit lentement sur le rebord de pierres, très droit et immobile, sans quitter les flots de son regard lointain. Quelque chose grattait en lui. Comme une démangeaison persistante qui irrite la peau, mais que l’on ne peut se résoudre à arrêter de toucher. Jusqu’à ce qu’elle devienne rouge, puis suinte… écarlate. Sans doute serait-il bon de s’allonger, ou de se laver. Il arborait encore les restes pestilents d’incube et de Jiangshi sur son uniforme.
Pour le moment, il ne s’en sentait pas capable. Ainsi, s’abîma-t-il dans la contemplation des eaux scintillantes. Le silence n'était rompu que par le bruit du vent dans les rideaux.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:38, édité 5 fois
Mer 24 Jan - 20:20
Sombre réflexion
Un brin d'espoir
-« Vous faites peur à voir, monsieur Evangelisto. »
La médecin se tenait derrière lui. Cela devait faire deux ou trois fois qu’elle l’appelait par son prénom. Il n’avait même pas entendu la porte s’ouvrir. Tout mouvement lui paraissant impensable et il ne rêvait que de s’effondrer dans l’inconscience la plus totale. Entre les deux, il était figé comme une statue.
Il finit par se retourner à rebourd pour lever un regard triste vers la médecin de l’Alliance. Son physique était sec mais elle dégageait une autorité rassurante dans ces instants de grande solitude. Il ne savait pas ce qu’il ferait si Seraphah et Maëlstrom étaient morts eux aussi. Comme sa famille. Lui qui s’était fait profession de ne s’attacher à personne malgré un nombre impressionnant de connaissances et d’amants ne pouvait supporter l’idée de ne plus les revoir.
C’était d’autant plus pathétique qu’il n’était pas sûr que les deux hommes se morfondraient autant à sa place. Mais il était ainsi dans l’authenticité de ce qu’il ressentait.
-"Buvez." dit-elle avec un impératif sans réplique dans le geste et dans la voix en lui tendant un verre d’eau.
« On ne va rien tirer de vous dans cet état. »
C’était sans doute une tentative d’humour, mais elle suffit à rehausser la vigilance de l’Epistote, qui se rappelait la suspicion qui pesait sur sa faction à cause de ce maudit Régent-Mandebrume, rescapé de la tour d’Yfe.
-« Qu’est-ce qui va m’arriver ? » demanda-t-il avec un réalisme emprunt de détachement.
Elle lui expliqua qu’on attendait simplement son témoignage et que finalement un premier entretien ne devrait pas tarder avec les conseillers de l’Alliance et Lewen. Mais qu’il fallait un peu s’arranger le visage et vérifier ses blessures. Après avoir promis de prendre une bonne douche, elle se décida à palper ses épaules et toutes ses articulations jusqu’aux chevilles. Par chance, il avait retiré les couches chaudes de ses vêtements. C’étaient elles qui empestaient le plus et s’étaient recouvertes de poussières collées dans des matières gluantes ectoplasmiques. Quand sa main parcourut son avant-bras gauche, il tressaillit.
Sans trop rechigner, il appuya sa tempe contre la pierre du mur autour de la fenêtre et la laissa utiliser une paire de ciseaux à angle dont la pointe était arrondie pour découper sa chemise. Les fibres étaient impossibles à décoller de sa peau et les essais lui arrachèrent une grimace alors que sa respiration s’arrêtait. Il fallut faire preuve de patience à l’aide d’une éponge et d’eau pour décoller très progressivement la croûte, ce qui ramena à vif la douleur.
Trois marques formaient de larges auréoles noires là où les doigts de la Jiangshi s’étaient resserrés impitoyablement pour y meurtrir les tissus d’ecchymoses à travers son manteau. L’index crochu était visiblement parvenu à percer cette armure de fortune et ses bracelets de cuir pour perforer une veine, d’où l’épandage carmin coagulé.
La doctoresse afficha un pli soucieux et entrepris de désinfecter la plaie et de lui injecter une dose de cheval d’antibiotique avant de lui faire avaler plusieurs pilules. Elle lui refit un bandage serré et lui annonça qu’on viendrait le chercher d’ici une demi heure.
Ce délai l’incita à bouger vers la salle de bain. Chaque pas lui coûtait et il menaçait de chavirer. Cette perte d’équilibre n’était pas due qu’à la fatigue. La nausée ne faisait que s’accroître. Il se sentait de plus en plus sensible à l’air confiné de la chambre. Et à présent au son, à la lumière. Son bras posé sur un tabouret pour épargner son nouveau bandage, il se laissa couler le long du mur sur les petits carreaux bleus qui paraient toute la salle d’eau. Nu comme un ver, il actionna le robinet. L’eau glacée le saisit d’abord, avant de tiédir et de devenir progressivement brûlante. Ses cheveux devenus plus longs ces derniers mois le rendirent aveugle et il laissa un moment retomber son crâne en arrière contre le carrelage.
A gestes mesurés, il essaya de s’appliquer à effacer les traces de ce périple éprouvant pour retrouver toute sa propreté. Il se résolut à se relever, en se disant que l’on arriverait bientôt. Soudain, Keshâ’rem eut la désagréable impression de ne pas être seul. Comme si on le toisait depuis un point d’observation dissimulé dans un recoin de la pièce. Les bruits de gouttes tombant dans la flaque au sol ponctuaient ses pas alors qu’il se prenait d’une paranoïa irrationnelle.
-« Qui est là !? »
La salle de bain était vide. Il aurait été bien difficile de s’y cacher car ce n’était qu’un rectangle de deux mètres par trois. Il n’y avait presque aucun mobilier. Rien que ce carrelage bleu et la vapeur d’eau dansant dans la lumière. Le miroir au-dessus du petit lavabo était embué. Il n’y distinguait pas même son reflet. Mais le sentiment d’effroi ne faiblissait pas. Il fit un pas.
Toc. Toc. Toc.
-« Monsieur Evangelisto. Votre interrogatoire va débuter. »
Après un long silence il répondit.
-« Je suis dans la salle de bain. Accordez-moi seulement une minute pour m’habiller. »
Il fit de son mieux pour essorer ses cheveux et enfiler le linge propre qu’on lui avait apporté. L’intervention extérieure l’avait tiré de son malaise, mais son teint restait cireux et sa démarche peu sûre lorsqu’il prit place aux côtés de Lewen face aux Opaliens et aux conseillers de l’Alliance.
La médecin se tenait derrière lui. Cela devait faire deux ou trois fois qu’elle l’appelait par son prénom. Il n’avait même pas entendu la porte s’ouvrir. Tout mouvement lui paraissant impensable et il ne rêvait que de s’effondrer dans l’inconscience la plus totale. Entre les deux, il était figé comme une statue.
Il finit par se retourner à rebourd pour lever un regard triste vers la médecin de l’Alliance. Son physique était sec mais elle dégageait une autorité rassurante dans ces instants de grande solitude. Il ne savait pas ce qu’il ferait si Seraphah et Maëlstrom étaient morts eux aussi. Comme sa famille. Lui qui s’était fait profession de ne s’attacher à personne malgré un nombre impressionnant de connaissances et d’amants ne pouvait supporter l’idée de ne plus les revoir.
C’était d’autant plus pathétique qu’il n’était pas sûr que les deux hommes se morfondraient autant à sa place. Mais il était ainsi dans l’authenticité de ce qu’il ressentait.
-"Buvez." dit-elle avec un impératif sans réplique dans le geste et dans la voix en lui tendant un verre d’eau.
« On ne va rien tirer de vous dans cet état. »
C’était sans doute une tentative d’humour, mais elle suffit à rehausser la vigilance de l’Epistote, qui se rappelait la suspicion qui pesait sur sa faction à cause de ce maudit Régent-Mandebrume, rescapé de la tour d’Yfe.
-« Qu’est-ce qui va m’arriver ? » demanda-t-il avec un réalisme emprunt de détachement.
Elle lui expliqua qu’on attendait simplement son témoignage et que finalement un premier entretien ne devrait pas tarder avec les conseillers de l’Alliance et Lewen. Mais qu’il fallait un peu s’arranger le visage et vérifier ses blessures. Après avoir promis de prendre une bonne douche, elle se décida à palper ses épaules et toutes ses articulations jusqu’aux chevilles. Par chance, il avait retiré les couches chaudes de ses vêtements. C’étaient elles qui empestaient le plus et s’étaient recouvertes de poussières collées dans des matières gluantes ectoplasmiques. Quand sa main parcourut son avant-bras gauche, il tressaillit.
Sans trop rechigner, il appuya sa tempe contre la pierre du mur autour de la fenêtre et la laissa utiliser une paire de ciseaux à angle dont la pointe était arrondie pour découper sa chemise. Les fibres étaient impossibles à décoller de sa peau et les essais lui arrachèrent une grimace alors que sa respiration s’arrêtait. Il fallut faire preuve de patience à l’aide d’une éponge et d’eau pour décoller très progressivement la croûte, ce qui ramena à vif la douleur.
Trois marques formaient de larges auréoles noires là où les doigts de la Jiangshi s’étaient resserrés impitoyablement pour y meurtrir les tissus d’ecchymoses à travers son manteau. L’index crochu était visiblement parvenu à percer cette armure de fortune et ses bracelets de cuir pour perforer une veine, d’où l’épandage carmin coagulé.
La doctoresse afficha un pli soucieux et entrepris de désinfecter la plaie et de lui injecter une dose de cheval d’antibiotique avant de lui faire avaler plusieurs pilules. Elle lui refit un bandage serré et lui annonça qu’on viendrait le chercher d’ici une demi heure.
Ce délai l’incita à bouger vers la salle de bain. Chaque pas lui coûtait et il menaçait de chavirer. Cette perte d’équilibre n’était pas due qu’à la fatigue. La nausée ne faisait que s’accroître. Il se sentait de plus en plus sensible à l’air confiné de la chambre. Et à présent au son, à la lumière. Son bras posé sur un tabouret pour épargner son nouveau bandage, il se laissa couler le long du mur sur les petits carreaux bleus qui paraient toute la salle d’eau. Nu comme un ver, il actionna le robinet. L’eau glacée le saisit d’abord, avant de tiédir et de devenir progressivement brûlante. Ses cheveux devenus plus longs ces derniers mois le rendirent aveugle et il laissa un moment retomber son crâne en arrière contre le carrelage.
A gestes mesurés, il essaya de s’appliquer à effacer les traces de ce périple éprouvant pour retrouver toute sa propreté. Il se résolut à se relever, en se disant que l’on arriverait bientôt. Soudain, Keshâ’rem eut la désagréable impression de ne pas être seul. Comme si on le toisait depuis un point d’observation dissimulé dans un recoin de la pièce. Les bruits de gouttes tombant dans la flaque au sol ponctuaient ses pas alors qu’il se prenait d’une paranoïa irrationnelle.
-« Qui est là !? »
La salle de bain était vide. Il aurait été bien difficile de s’y cacher car ce n’était qu’un rectangle de deux mètres par trois. Il n’y avait presque aucun mobilier. Rien que ce carrelage bleu et la vapeur d’eau dansant dans la lumière. Le miroir au-dessus du petit lavabo était embué. Il n’y distinguait pas même son reflet. Mais le sentiment d’effroi ne faiblissait pas. Il fit un pas.
Toc. Toc. Toc.
-« Monsieur Evangelisto. Votre interrogatoire va débuter. »
Après un long silence il répondit.
-« Je suis dans la salle de bain. Accordez-moi seulement une minute pour m’habiller. »
Il fit de son mieux pour essorer ses cheveux et enfiler le linge propre qu’on lui avait apporté. L’intervention extérieure l’avait tiré de son malaise, mais son teint restait cireux et sa démarche peu sûre lorsqu’il prit place aux côtés de Lewen face aux Opaliens et aux conseillers de l’Alliance.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:38, édité 2 fois
Ven 1 Mar - 7:14
Sombre réflexion
Dans la nasse
Des gens du plus grand sérieux se trouvaient réunis autour de lui et Lewen. C’était à peine s’il tenait sur sa chaise, n’ayant toujours rien avalé. Un fin tremblement parcourait ses nerfs, sans doute de froid. Il se trouvait bêtement distrait alors qu’on leur posait des questions importantes pour savoir ce qu’il s’était passé lors de l’expédition. Fort heureusement, Lewen se montrait plus dissert.
Ce que nous avons à révéler concerne toutes les nations, annonça le médecin. L’alliance doit être présente. - "Nous n’avons pas arrêté le Régent, il s’est enfui, c’est le Mandebrume".
L’œil obséquieux des agents Opalins se posa sur Keshâ : « vous confirmez ? ». Il hocha faiblement de la tête. Un des agents lui jeta un air dédaigneux comme s’il avait affaire à un drogué. Lewen demanda rapidement à partir. Il aurait sans doute dû faire de même mais ne parvenait pas à réfléchir et se sentait perdu. On ne lui avait par ailleurs pas encore confié sa récompense et il se demandait s’il irait bien loin sans argent dans une cité endeuillée.
-« Êtes vous de connivence avec le Régent ? … êtes-vous membre du Cercle… que représente ce symbole pour vous ? … épeler votre nom… veuillez répondre à la question sans réfléchir… »
Les questions s’enchaînaient et il lui sembla que l’on s’acharnait sur lui bien plus que sur Lewen, qui avait dû rejoindre son adresse depuis longtemps. Lui de son côté, se mit ostensiblement à frissonner et à claquer des dents, ce qu’un Opalin au visage allongé et au nez de requin eut l’air de flairer comme un signe de culpabilité. Il n’avait de cesse de faire tourner une pièce entre ses doigts et de lui faire répéter encore et encore les étapes de leur voyage au travers du labyrinthe et de la tour d’Yfe. Mais dans un ordre différent. L’homme le touchait parfois à l’épaule, tout en continuant imperturbablement à jouer avec la pièce. Jamais il ne la fit tomber. Keshâ répétait sa version de plus en plus poussivement et ses phrases devenaient de plus en plus décousues.
Tout comme Lewen, il ne fit pas mention de Déméphor, car il avait remarqué que Lewen s’était tu sur ce sujet. Personne ne semblait le pousser trop loin dans cette direction durant les questions qu’on lui assénait. Il commençait à se demander s’il s’agissait vraiment d’une procédure normale.
-« Je… je me sens mal. J’ai besoin d’air. » finit-il par dire dans l’intention d’atteindre l’extérieur.
Mais on ne le laissa pas se lever. Une main durement plaqué sur son épaule le jeta plus qu’elle ne l’assit sur sa chaise.
-« Vous serez autorisé à regagner votre chambre quand nous nous serons concerté avec nos collègues. Votre départ pour Epistopoli ne sera de toute façon pas possible avant que les autorités d’Epistopoli ne signent les autorisations pour votre transfert par convoi aérien spécial. »
Un sourire aiguisé lui fut adressé. Mais au lieu de sympathie, cet homme avait quelque chose en lui qui lui inspirait une peur instinctive. Quand ils claquèrent la porte, un panneau coulissa lentement dans un bruissement métallique pour révéler une glace formant un rectangle de grande taille incliné vers la chaise à laquelle il était menotté.
L’effroi le frappa aussitôt, avec une forte envie de vomir.
-« Ouvrez, s’il vous plaît ! Il faut que je sorte ! » cria-t-il.
« Il y a quelqu’un ?! »
Au ralenti, il se retourna, caché sous ses mèches encore humides qui dégouttaient sur le sol. Ploc… Ploc… un souffle fugace effleura sa joue, comme une brise un jour de pluie, de ce son indicible qui l’habitait. Il leva un œil pour faire face à ce garçon terrifié qui le regardait dans son reflet. Il avait l’air abattu, comme s’il était passé par de nombreux sévices. Pourtant, il avait eu la chance d’être relativement épargné compte tenu d’où il venait et de ce qui était arrivé à d’autres. C’est à peine s’il se reconnaissait.
Soudain, quelque chose se modifia. Une inflexion, un infime détail. La lèvre était toujours tremblante, les mèches humides et son linge blanc et propre. Mais son air, plus précisément son regard, avait quelque chose de changé. Oui, il avait cet air satisfait et sournois, tapis derrière son violet. Un appétit.
-« Non ! Aidez-moi ! S’il vous plaît ! Je ne veux pas être seul. »
Il ne pouvait pas se protéger le visage de ses mains, car elles étaient maintenues dans son dos. Il cria, il s’époumona même, crispant ses paupières pour ne plus rien voir. C’était trop tard. Il l’avait vu. Et parce qu’il l’avait vu, elle le voyait aussi nettement. Pris de désespoir, il s’agita et convulsa jusqu’à basculer avec sa chaise et heurter le sol, sans arrêter de convulser.
-« Alors, Keshârem, dites-moi… » murmura une voix polie, emplie de patience et de compassion. L’homme aux cheveux gris lui tamponnait doucement le front avec un linge mouillé d’eau froide. Même si sa vision s’était brouillée, il reconnaissait le même genre de costume que portait l’autre homme et leur attitude guindée et calculatrice. La glace avait disparu du mur.
« Oh, pardonnez-moi. Vous préférez Keshâ, n’est-ce pas ? Vous êtes un néo-citoyen Epistote depuis peu de temps si je ne me trompe pas. Félicitations… » Il lui soutenait toujours le menton pour le regarder, quand son air se rembrunit.
« Que pouvez-vous me dire sur la mort du Dieu ? »
On finit par le laisser tranquille après quelques maltraitances morales de plus. Ou plutôt, le fait qu’il vomisse de la bile sur les chaussures hors de prix de l’Opalien les décida à céder la place à la femme médecin de l’Alliance qui le raccompagna jusqu’à sa chambre, où l’attendait un repas froid.
Effondré sur son lit, le plafond ne faisait que tourner. Le vent dans les rideaux formait des vagues évanescentes. Il finit par se ressaisir et tenter d’attraper son plateau-repas les mains tremblantes. Il n’arrivait pas à tenir ses couverts et finit par manger son plat à mains-nues.
Que lui avait fait ces types ? Était-ce le gars à la pièce qui l’avait hypnotisé ? Ou alors on l’avait drogué. Comment ? Par l’air ? Combien de temps était-il resté inconscient ?
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:39, édité 3 fois
Ven 1 Mar - 7:54
Sombre réflexion
Plan d'évasion
Il s’était effondré vers un néant absolu. Trop épuisé pour penser ou pour ressentir, il avait été englouti. Pelotonné dans sa couverture, il s’éveilla à l’aurore avec l’impression de ne pas avoir dormi du tout. Des graviers semblaient logés sous ses paupières et sa bouche était pâteuse. La première chose qu’il fit en se redressant fut de vérifier que ses cristaux étaient toujours là et qu’on n’avait pas touché à ses affaires.
Il lui semblait que la sangle de son sac était bouclée différemment de quand il l’avait laissé la dernière fois. Il avait dû faire un nœud pour la maintenir après que les cristaux de glace des élémentaires aient cisaillé la toile. Le nœud semblait avoir été refait. Keshâ se mit à avaler une demi carafe d’eau.
Un petit déjeuner avait été déposé sur le bureau. Il entreprit de le dévorer avant d’aller aux toilettes, un drap devant lui pour aller masquer ce miroir qui le terrifiait sans savoir pourquoi. La simple idée de se voir dans la glace réveillait en lui une forte aversion.
Au fond de son sac, il fut presque surpris de trouver l’amplificateur d’intelligence qu’il avait trouvé au sommet de l’observatoire de la tour d’Yfe. Si Seraphah ne le retrouvait pas, c’était à lui d’agir pour sortir d’ici. Son regard se posa sur la mer, nimbée d’une aura rosâtre au lever du soleil. Ce tableau magnifique était apaisant, depuis ce qui ressemblait de plus en plus à une cellule de détention. Car si elle était ouverte et sans barreaux, il se trouvait bien trop haut dans les étages pour pouvoir espérer sauter.
Peut-être que ces gens avaient un dossier sur lui. Mais ils ne devaient pas savoir qu’il pouvait se téléporter. En théorie. Puisqu’il n’y était pas encore parvenu. De fait, même Séraphah ignorait qu’il avait mis la main sur un cristal de spatiokinésie au marché noir. Sauf si un membre de l’expédition s’était aperçu de cette capacité, personne ne devait être au courant.
Il lui fallait trouver un moyen de s’en servir… sans tomber du dixième étage. En attendant… il jeta un regard à l’amplificateur, qui tenait dans le creux de sa main. Il était si petit. L’objet rallumait cependant en lui l’espoir. Il savait très bien se servir du cristal de télépathie. S’il lui permettait d’augmenter sa portée, peut-être parviendrait-il à lancer un appel à Maëlstrom, où qu’il puisse être en ce moment.
Il lui fallut se concentrer un bon moment pour faire apparaître dans sa main la lame diamantée coupée en biseau. Après être parvenu à défaire le bracelet de cuir qui entourait son biceps, il l’examina à la lumière croissante du jour. Du cuir, il n’avait que l’apparence, afin d’éviter la moisissure. Il était fait d’un tressage de son cru et renfermait une toile très fine en polymère, qui était utilisée comme textile industriel de très haute résistance dans son atelier de prothèses pour gainer les câbles vitaux des membres robotiques.
A l’intérieur se trouvaient ses cristaux, fixés dans un léger rembourrage pour les isoler des petits maillons d’acier assemblés en une chaîne. Pris d’un doute, il se dépêcha d’aller placer une chaise sous la poignée de la porte de la chambre, de peur d’être surpris dans ce grand moment de nudité. Il n’était jamais aussi vulnérable que lorsqu’il réagençait ses cristaux dans leur tressage.
Enfin prêt, il actionna l’amplificateur sur le cristal d’aigue-marine qui sembla vibrer et s’illuminer un moment. Le cristal de télépathie était toujours aussi beau, mais avait-il vraiment changé ? Pas d’apparence en tout cas. La concentration nécessaire à l’apparition d’une nouvelle toile de polymère depuis sa dimension de poche et la disparition de son couteau diamanté lui occasionnèrent une migraine. Mais il se hâta malgré tout de reconstituer les enveloppes protectrices de son bracelet et de le remettre à sa place à son bras. C’était comme récupérer un membre perdu, tant il s’était habitué à le surveiller et à ne plus jamais le quitter.
Une fois les yeux fermés, il tenta d’émettre un signal à longue portée :
~° Seraphah ? Maëlstrom ?! °~
La solitude répondit à ses efforts grimaçants. Jusqu’à ce qu’il entende le bruit des clefs actionner sa serrure. Aussitôt, il courut pour ôter la chaise et se retrouva face à l’homme Gris.
Il lui semblait que la sangle de son sac était bouclée différemment de quand il l’avait laissé la dernière fois. Il avait dû faire un nœud pour la maintenir après que les cristaux de glace des élémentaires aient cisaillé la toile. Le nœud semblait avoir été refait. Keshâ se mit à avaler une demi carafe d’eau.
Un petit déjeuner avait été déposé sur le bureau. Il entreprit de le dévorer avant d’aller aux toilettes, un drap devant lui pour aller masquer ce miroir qui le terrifiait sans savoir pourquoi. La simple idée de se voir dans la glace réveillait en lui une forte aversion.
Au fond de son sac, il fut presque surpris de trouver l’amplificateur d’intelligence qu’il avait trouvé au sommet de l’observatoire de la tour d’Yfe. Si Seraphah ne le retrouvait pas, c’était à lui d’agir pour sortir d’ici. Son regard se posa sur la mer, nimbée d’une aura rosâtre au lever du soleil. Ce tableau magnifique était apaisant, depuis ce qui ressemblait de plus en plus à une cellule de détention. Car si elle était ouverte et sans barreaux, il se trouvait bien trop haut dans les étages pour pouvoir espérer sauter.
Peut-être que ces gens avaient un dossier sur lui. Mais ils ne devaient pas savoir qu’il pouvait se téléporter. En théorie. Puisqu’il n’y était pas encore parvenu. De fait, même Séraphah ignorait qu’il avait mis la main sur un cristal de spatiokinésie au marché noir. Sauf si un membre de l’expédition s’était aperçu de cette capacité, personne ne devait être au courant.
Il lui fallait trouver un moyen de s’en servir… sans tomber du dixième étage. En attendant… il jeta un regard à l’amplificateur, qui tenait dans le creux de sa main. Il était si petit. L’objet rallumait cependant en lui l’espoir. Il savait très bien se servir du cristal de télépathie. S’il lui permettait d’augmenter sa portée, peut-être parviendrait-il à lancer un appel à Maëlstrom, où qu’il puisse être en ce moment.
Il lui fallut se concentrer un bon moment pour faire apparaître dans sa main la lame diamantée coupée en biseau. Après être parvenu à défaire le bracelet de cuir qui entourait son biceps, il l’examina à la lumière croissante du jour. Du cuir, il n’avait que l’apparence, afin d’éviter la moisissure. Il était fait d’un tressage de son cru et renfermait une toile très fine en polymère, qui était utilisée comme textile industriel de très haute résistance dans son atelier de prothèses pour gainer les câbles vitaux des membres robotiques.
A l’intérieur se trouvaient ses cristaux, fixés dans un léger rembourrage pour les isoler des petits maillons d’acier assemblés en une chaîne. Pris d’un doute, il se dépêcha d’aller placer une chaise sous la poignée de la porte de la chambre, de peur d’être surpris dans ce grand moment de nudité. Il n’était jamais aussi vulnérable que lorsqu’il réagençait ses cristaux dans leur tressage.
Enfin prêt, il actionna l’amplificateur sur le cristal d’aigue-marine qui sembla vibrer et s’illuminer un moment. Le cristal de télépathie était toujours aussi beau, mais avait-il vraiment changé ? Pas d’apparence en tout cas. La concentration nécessaire à l’apparition d’une nouvelle toile de polymère depuis sa dimension de poche et la disparition de son couteau diamanté lui occasionnèrent une migraine. Mais il se hâta malgré tout de reconstituer les enveloppes protectrices de son bracelet et de le remettre à sa place à son bras. C’était comme récupérer un membre perdu, tant il s’était habitué à le surveiller et à ne plus jamais le quitter.
Une fois les yeux fermés, il tenta d’émettre un signal à longue portée :
~° Seraphah ? Maëlstrom ?! °~
La solitude répondit à ses efforts grimaçants. Jusqu’à ce qu’il entende le bruit des clefs actionner sa serrure. Aussitôt, il courut pour ôter la chaise et se retrouva face à l’homme Gris.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:39, édité 7 fois
Ven 1 Mar - 8:43
Sombre réflexion
Bouc-émissaire
-« Vous savez, Keshâ. Tout devrait être plus simple. Nous avons vous et moi des activités bien plus plaisantes auxquelles nous livrer. En tout cas, c’est valable pour moi. »
L’homme Gris se tenait derrière lui, les mains sur ses épaules, comme l’on s’appuierait, les mains à plat sur un bureau d’un air songeur. Keshâ de son côté était à nouveau menotté à la chaise, les mains dans le dos, bien face au miroir de la salle d’interrogatoire. Il se demandait pourquoi diable on s’acharnait autant sur quelqu’un d’aussi insignifiant.
-« Votre ami Ryker, nous as raconté des choses intéressantes. Mais… lui non plus ne nous a pas tout dit. Il a la protection du Chancelier, ceci dit.»
L’Epistote serrait les mâchoires jusqu’à avoir mal aux dents en tentant de résister à la pression qu’exerçait son reflet.
« Cela ne me plaît pas plus que cela de vous voir souffrir. Bien que vous ayez un certain talent pour cela, c’est certain. Une endurance que l’on ne vous soupçonnerait pas… tant de fardeau sur de si jeunes épaules. Pourriez-vous en déposer une partie auprès de moi… dites-moi… où… est-il ? »
Ses yeux s’écarquillèrent, les doigts de l’homme s’enfonçaient comme des serres dans ses épaules. Il n’avait aucune idée de ce dont il voulait parler. Il déglutit pour attraper une goulée d’air et son regard se perdit dans le miroir, où une fissure se forma dans un crissement de verre. Elle s’agrandit d’une lézarde.
-« Où est le Cristal, Keshâ ?! »
Une autre lézarde apparut et sinua dans un craquement tout le long de la paroi murale.
-« Allez-vous parler, bon sang ! Qui est l’Omniscient ?! »
C’était donc de cela qu’il était question depuis le début. On ne le soupçonnait pas véritablement d’être coupable de quoi que ce soit. On voulait seulement savoir qui d’Artémis, Jessamy et les autres était le porteur du cristal divin. Attendez une minute… si ces hommes étaient du Magistérium… Jeremiah avait du tout leur révéler en détails. Ils devaient donc savoir que Lewen… Lewen était parti. Ils savaient où le trouver. Alors… comment en était-on arrivé là ? Quel merdier. Si Lewen s’était enfui, on n’en serait pas à le cuisiner. Comment pouvaient-ils aussi bien connaître son point faible depuis l’infestation par une nébula ?
-« Je ne sais rien ! » s’entêtait Keshâ au bord des larmes alors que les éclats de miroirs s’écartaient, laissant tomber certains fragments au sol.
Un bruissement d’air. L’homme, beaucoup plus fort qu’il n’y paraissait pour son âge, l’attrapa par le coude et lui plaqua violemment le visage contre la glace, arrachant un gémissement de douleur au portebrume.
-« Ce n’est que le début. Nous avons d’autres moyens plus complets dans nos installations. Nous avons seulement pensé que vous vous montreriez plus sage, et qu’il ne serait pas nécessaire de violer le protocole d’accord envers l’Alliance qui dispose de votre séjour. »
-« C’est Lewen ! » hurla-t-il au supplice, alors que les éclats de miroir tombaient en pluie partout autour de lui.
-« Je vous en prie, arrêtez ! »
L’homme Gris le rejeta sans ménagement au sol. Dès qu’il eut reculé autant que le lui permettaient ses menottes dans son dos, il risqua un regard en hauteur pour constater que la surface du miroir était indemne, sans aucune rayure.
-« Tout ça est dans votre tête. Les individus de votre sorte souffrent souvent de… dissociation. Nous avons seulement introduit un microdosage de psychédélique dans votre eau pour augmenter votre suggestibilité. Mais nous savons tous les deux que la menace est réelle… »
-« QU’ATTENDEZ-VOUS DE MOI ?! Je vous ai dis ce que je sais. C’est Lewen… » soupira-t-il, honteux, d’avoir vendu si aisément le médecin pour une bribe de soulagement. Il se doutait que le monde entier partirait à la poursuite de ce cristal d’une manière ou d’une autre. Mais il n’avait pas fallu un jour aux gens du Magistère pour tout découvrir et remonter jusqu’à eux.
-« Ca, Keshâ, nous le savions déjà. Grâce à votre ami Patrouilleur (l’enfoiré !)… ce que nous voulons savoir, c’est qui l’a eu en main, après. »
Après… cela voulait dire qu’il était arrivé quelque chose de grave à Lewen juste après qu’il aie quitté les quartiers de l’Alliance.
-« Comment voulez-vous que je le sache ? Je n’ai pas quitté ce bâtiment depuis que je suis arrivé. »
L’œil de l’enquêteur se fit incisif, avant de se porter vers le miroir, comme si cela était en soi une explication.
-« Peut-être aviez-vous préparé un plan avec d’autres complices pour attaquer le porteur. Il aurait du nous confier l’Omniscience dès son arrivée à Opale. Les menaces pesant sur la ville Lumière menace jusqu’à son existence. Figurez-vous que la Brume se dirige vers nous en ce moment même. »
Après lui avoir asséné sans transition les nouvelles des attentats et leurs conséquences sur le devenir d’Opale, le visage de Keshâ blêmit. Inutile de lui faire un dessin. Demephor lui avait expliqué en personne ce que le Mandebrume avait fait subir à Dainsbourg. Il devinait ce que les agents du Cercle avaient reproduit.
-« Des circonstances extraordinaires appellent des mesures extraordinaires. Si vous ne nous aidez pas, cela pourrait très mal aller pour vous... nous avons des spécialistes de la cognition et de la polygraphie pour vous éplucher. Nous manquons seulement de temps. »
Son regard cherchait désespérément de gauche à droite une issue ou une réponse à apporter.
-«Selon moi, Artémis de Goya a aidé une fugitive dangereuse, Jessamy. Savez-vous où il a pu l’emmener ? »
-« Allez-vous me croire si je ne dis pas ce que vous voulez entendre ? »
L’homme l’attrapa par le col et le souleva d’une main.
-« Non… non… attendez ! Ne me remettez pas devant le miroir ! Nemeth voulait le cristal. C’est peut-être Aramila qui l’a volé. »
Un long silence.
« Mais, M. Evangelisto, aucune Nemeth n’était enregistrée à bord. En tout cas, je peux vous confirmer qu’aucune personne répondant à ce nom n’a foulé le sol d’Opale. »
L’homme Gris se tenait derrière lui, les mains sur ses épaules, comme l’on s’appuierait, les mains à plat sur un bureau d’un air songeur. Keshâ de son côté était à nouveau menotté à la chaise, les mains dans le dos, bien face au miroir de la salle d’interrogatoire. Il se demandait pourquoi diable on s’acharnait autant sur quelqu’un d’aussi insignifiant.
-« Votre ami Ryker, nous as raconté des choses intéressantes. Mais… lui non plus ne nous a pas tout dit. Il a la protection du Chancelier, ceci dit.»
L’Epistote serrait les mâchoires jusqu’à avoir mal aux dents en tentant de résister à la pression qu’exerçait son reflet.
« Cela ne me plaît pas plus que cela de vous voir souffrir. Bien que vous ayez un certain talent pour cela, c’est certain. Une endurance que l’on ne vous soupçonnerait pas… tant de fardeau sur de si jeunes épaules. Pourriez-vous en déposer une partie auprès de moi… dites-moi… où… est-il ? »
Ses yeux s’écarquillèrent, les doigts de l’homme s’enfonçaient comme des serres dans ses épaules. Il n’avait aucune idée de ce dont il voulait parler. Il déglutit pour attraper une goulée d’air et son regard se perdit dans le miroir, où une fissure se forma dans un crissement de verre. Elle s’agrandit d’une lézarde.
-« Où est le Cristal, Keshâ ?! »
Une autre lézarde apparut et sinua dans un craquement tout le long de la paroi murale.
-« Allez-vous parler, bon sang ! Qui est l’Omniscient ?! »
C’était donc de cela qu’il était question depuis le début. On ne le soupçonnait pas véritablement d’être coupable de quoi que ce soit. On voulait seulement savoir qui d’Artémis, Jessamy et les autres était le porteur du cristal divin. Attendez une minute… si ces hommes étaient du Magistérium… Jeremiah avait du tout leur révéler en détails. Ils devaient donc savoir que Lewen… Lewen était parti. Ils savaient où le trouver. Alors… comment en était-on arrivé là ? Quel merdier. Si Lewen s’était enfui, on n’en serait pas à le cuisiner. Comment pouvaient-ils aussi bien connaître son point faible depuis l’infestation par une nébula ?
-« Je ne sais rien ! » s’entêtait Keshâ au bord des larmes alors que les éclats de miroirs s’écartaient, laissant tomber certains fragments au sol.
Un bruissement d’air. L’homme, beaucoup plus fort qu’il n’y paraissait pour son âge, l’attrapa par le coude et lui plaqua violemment le visage contre la glace, arrachant un gémissement de douleur au portebrume.
-« Ce n’est que le début. Nous avons d’autres moyens plus complets dans nos installations. Nous avons seulement pensé que vous vous montreriez plus sage, et qu’il ne serait pas nécessaire de violer le protocole d’accord envers l’Alliance qui dispose de votre séjour. »
-« C’est Lewen ! » hurla-t-il au supplice, alors que les éclats de miroir tombaient en pluie partout autour de lui.
-« Je vous en prie, arrêtez ! »
L’homme Gris le rejeta sans ménagement au sol. Dès qu’il eut reculé autant que le lui permettaient ses menottes dans son dos, il risqua un regard en hauteur pour constater que la surface du miroir était indemne, sans aucune rayure.
-« Tout ça est dans votre tête. Les individus de votre sorte souffrent souvent de… dissociation. Nous avons seulement introduit un microdosage de psychédélique dans votre eau pour augmenter votre suggestibilité. Mais nous savons tous les deux que la menace est réelle… »
-« QU’ATTENDEZ-VOUS DE MOI ?! Je vous ai dis ce que je sais. C’est Lewen… » soupira-t-il, honteux, d’avoir vendu si aisément le médecin pour une bribe de soulagement. Il se doutait que le monde entier partirait à la poursuite de ce cristal d’une manière ou d’une autre. Mais il n’avait pas fallu un jour aux gens du Magistère pour tout découvrir et remonter jusqu’à eux.
-« Ca, Keshâ, nous le savions déjà. Grâce à votre ami Patrouilleur (l’enfoiré !)… ce que nous voulons savoir, c’est qui l’a eu en main, après. »
Après… cela voulait dire qu’il était arrivé quelque chose de grave à Lewen juste après qu’il aie quitté les quartiers de l’Alliance.
-« Comment voulez-vous que je le sache ? Je n’ai pas quitté ce bâtiment depuis que je suis arrivé. »
L’œil de l’enquêteur se fit incisif, avant de se porter vers le miroir, comme si cela était en soi une explication.
-« Peut-être aviez-vous préparé un plan avec d’autres complices pour attaquer le porteur. Il aurait du nous confier l’Omniscience dès son arrivée à Opale. Les menaces pesant sur la ville Lumière menace jusqu’à son existence. Figurez-vous que la Brume se dirige vers nous en ce moment même. »
Après lui avoir asséné sans transition les nouvelles des attentats et leurs conséquences sur le devenir d’Opale, le visage de Keshâ blêmit. Inutile de lui faire un dessin. Demephor lui avait expliqué en personne ce que le Mandebrume avait fait subir à Dainsbourg. Il devinait ce que les agents du Cercle avaient reproduit.
-« Des circonstances extraordinaires appellent des mesures extraordinaires. Si vous ne nous aidez pas, cela pourrait très mal aller pour vous... nous avons des spécialistes de la cognition et de la polygraphie pour vous éplucher. Nous manquons seulement de temps. »
Son regard cherchait désespérément de gauche à droite une issue ou une réponse à apporter.
-«Selon moi, Artémis de Goya a aidé une fugitive dangereuse, Jessamy. Savez-vous où il a pu l’emmener ? »
-« Allez-vous me croire si je ne dis pas ce que vous voulez entendre ? »
L’homme l’attrapa par le col et le souleva d’une main.
-« Non… non… attendez ! Ne me remettez pas devant le miroir ! Nemeth voulait le cristal. C’est peut-être Aramila qui l’a volé. »
Un long silence.
« Mais, M. Evangelisto, aucune Nemeth n’était enregistrée à bord. En tout cas, je peux vous confirmer qu’aucune personne répondant à ce nom n’a foulé le sol d’Opale. »
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:40, édité 5 fois
Ven 1 Mar - 17:36
Sombre réflexion
Le sans-visage
Tandis que la femme médecin changeait son bandage et brisait devant lui une ampoule de vitamines dans un verre d’eau, il se rembrunit. Son unique réconfort était que l’interrogatoire ne soit pas mené par Jeremiah en personne.
-« Allons, monsieur Evangelisto. C’est pour vous renforcer, ce n’est pas du poison. »
D’un air dépité, il attrapa le verre, jugeant inutile de souligner l’ironie de le soigner pour ensuite le torturer mentalement et physiquement.
-« Vous savez… » le docteur pris une respiration lasse, des lignes horizontales froissant son front, « vous devriez leur dire ce qu’ils veulent. »
Consterné, il finit par répliquer, impuissant.
« Je ne sais rien, madame. Rien du tout. En tout cas, ils avaient presque l’air d’en savoir autant que moi avant même que j’ouvre la bouche. Et je n’ai rien de ce qu’ils cherchent. Je suis juste celui auquel ils se sont raccrochés après avoir perdu de vue les autres. »
La médecin refaisait patiemment son bandage.
« Je n’approuve pas leur méthode, mais en tant qu’Opalienne, je suis également frappée dans ma chair par ce qui nous est arrivé, par ce qui nous attend si rien n’est fait. »
Dans son isolement, Keshâ y vit ce qui ressemblait le plus à une alliée, sauf si elle avait été placé là à prendre soin de lui seulement pour l’amadouer.
« Je vous promets que je ne rêve que de vous aider. C’est ce que je ferais si je pouvais sortir. Quand j’ai accepté d’aller là-bas, je voulais aider Urh. Je n’ai pas d’agenda personnel. Aidez-moi à sortir, je vous en prie. Personne ne sait que je suis là. Ils me font du mal. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Avertissez l’ambassade que je suis retenu contre mon gré. »
La médecin avait terminé son ouvrage. Elle rangea lentement ses ustensiles dans une trousse et tira de sa blouse un petit pain au beurre qu’elle déposa sur sa table de chevet. Sa main se déposa un instant sur son épaule avant de se lever.
-« Mangez et reposez-vous pour le moment. Je verrai ce que je peux faire. Pour le moment, ils ont l’air occupés à suivre une autre piste. »
Une fois la médecin partie, il s’empara du petit pain au beurre. C’était donc à elle qu’il devait tout le confort qui lui était accordé. Il la remercia silencieusement en s’accoudant à la fenêtre et en avisant le vide au-dessous de lui. Comment ce pouvoir pouvait-il bien fonctionner ?
Mais… s’il réussissait. Peut-être que c’est exactement ce qu’ils attendaient. Peut-être était-ce l’explication du pourquoi on lui avait laissé ses effets personnels, pour le filer et voir s’il pouvait les mener jusqu’au XIIIème Cercle. A ce jeu là il serait encore gagnant s’il pouvait tout simplement atteindre la frontière avant d’être rattrapé. Mais s’il se trompait, il aurait grillé son dernier atout.
Les passants continuaient leur vie en contre-bas dans le grand escalier en pierre blanche qui se déroulait en quelques paliers à angles droit. Des gens du commun, richement vêtus, qui tentaient de reprendre le cours de leurs vies l'arpentaient bras dessus bras dessous. Il se demandait si par miracle il ne pourrait pas lancer une bouteille à la mer par télépathie et crier « je suis enfermé ». Mais dire qu’il était Epistote ne lui garantirait aucune aide par les temps qui couraient. A moins de voir passer un ambassadeur sous sa fenêtre, le plan paraissait assez ténu.
De guerre lasse dans ses réflexions, il finit par faire une sieste sur son lit et tomba dans un profond sommeil.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Il était perdu sans l’escalier en contrebas. La brume était partout. Levant les yeux vers la fenêtre d’où il observait le monde un peu plus tôt, il vit les rideaux battre au vent face à la mer nocturne. Sans doute que s’il continuait à descendre vers la mer, il pourrait trouver le port. De nombreux bateaux devaient quitter Opale chaque jour en direction d’Aramila. Il pourrait peut-être se faire engager comme matelot et s’échapper en laissant tout derrière lui. Aramila était loin d’Epistopoli, mais il en connaissait approximativement le chemin de retour, pour l’avoir déjà emprunté avec une caravane.
L’ambiance onirique se déroulait lentement à pas feutrés, entre les ruelles vides de toute âme. Ne restaient que les maisons à colombages et les fontaines publiques de la vieille ville, quelques véhicules abandonnés, portières ouvertes. Un jeune homme vêtu de blanc se tenait face à une fontaine sous la lune gibeuse. D’une main sur l’épaule, il voulut l’interpeler pour demander de l’aide. Mais quand il se retourna, son visage était lisse comme la pierre. Keshâ tressaillit devant cette aberration. Ni d’yeux, ni d’oreilles, ni de bouche. Pas même un front discernable. Juste un ovale aveugle et affamé semblant pousser un râle silencieux.
Il partit en courant, son pied se prit dans le rebord d’un pavé descellé et il chuta contre un mur. Sa course se poursuivit de loin en loin, perdant de vue la direction du port. Son souffle haletant et l'écho de ses pas se répercutaient contre les murs et s'amplifiaient comme des percussions de claves. Sa vision était distordue. Tantôt ralentie, tantôt accélérée pour rattraper le décalage. La brume vaporeuse s'épaississait et le baignait de plus en plus dans un chant langoureux, presque aimant. Elle montait de plus en plus haut. D'abord au genoux, puis à la taille... Quand enfin, Keshâ rencontra la silhouette obscure d’une vieillarde courbée sur sa câne portant une robe de laine bleue. Elle avait un panier empli de poissons sur le bras.
-« Que se passe-t-il jeune homme ? Vous m’avez l’air essoufflé. » s’enquit la vieille dame avec inquiétude.
-« Quelqu’un… savez-vous où je peux trouver un bateau, madame ? Je dois quitter Opale sur le champs ! »
-« Un bateau… mmm ? Cela doit pouvoir se trouver dans le coin. » susurra la vieille dame en étirant ses lèvres minces d’un sourire compatissant. Il trouvait ses yeux humides et ses bonnes joues fripées rassurantes d’humanité. « Mais rien ne sert de courir… »
Soudain, une incertitude.
-« Que voulez-vous dire ? »
La main noueuse de la vieille dame se posa sur son visage et, lentement, le balafra avec ses ongles en lambeaux, comme l’on essuierait de la peinture fraîche sur une toile. Elle fit ainsi disparaître une partie de sa peau et ses yeux, pour révéler en dessous un masque lisse. Pétrifié d'effroi, Keshâ'rem la regardait comme on plonge dans l'abysse.
Sans attendre, il détala comme un lièvre, virant et tournant à plusieurs reprises, se dissimulant dans les ombres longuement. Il changea de quartier. Ne connaissant pas Opale, il était complètement perdu.
« Est-ce que quelqu’un m’entend ? Au secours ! » Pour un peu, il aurait presque était heureux de retrouver les hommes du Magistère.
Une petite fille se tenait là.
-« Tu n'es pas seul. Je suis là, Keshâ. » déclara la voix enfantine, avant d’émettre un rire cristallin. Elle se retourna. Elle aussi était une sans visage. "Je suis partout." C’était tous des spectres sans âme. Tournant les talons, un autre portant un uniforme opalien lui faisait front à quelques centimètres de son visage. Il hurla et s’enfuit à nouveau. Il était définitivement piégé dans un terrible cauchemar qui ne prenait pas fin.
Plusieurs apparitions sans visages s’amusèrent à ricaner sur son passage, se montrant d’abord dans leur activité du quotidien, de profil ou de dos, avant d’apparaître sans visage, de l’effacer à l’aide d’un mouchoir ou de tout simplement surgir de nulle part. Que voulaient-elles ? Comment se réveiller. Il allait devenir fou.
Soudain, une porte bleue arrondie avec un carreau de verre en losange et une poignée en fer forgée attira son attention. Parce qu’elle débordait de lumière dans ce théâtre enténébré. Et parce qu’elle était placée en plein milieu d’une ruelle, sans murs attenant, entrouverte dans son cadre.
Sans réfléchir, il se précipite par l’entrebâillement et claque la porte dans son dos.
-« Allons, monsieur Evangelisto. C’est pour vous renforcer, ce n’est pas du poison. »
D’un air dépité, il attrapa le verre, jugeant inutile de souligner l’ironie de le soigner pour ensuite le torturer mentalement et physiquement.
-« Vous savez… » le docteur pris une respiration lasse, des lignes horizontales froissant son front, « vous devriez leur dire ce qu’ils veulent. »
Consterné, il finit par répliquer, impuissant.
« Je ne sais rien, madame. Rien du tout. En tout cas, ils avaient presque l’air d’en savoir autant que moi avant même que j’ouvre la bouche. Et je n’ai rien de ce qu’ils cherchent. Je suis juste celui auquel ils se sont raccrochés après avoir perdu de vue les autres. »
La médecin refaisait patiemment son bandage.
« Je n’approuve pas leur méthode, mais en tant qu’Opalienne, je suis également frappée dans ma chair par ce qui nous est arrivé, par ce qui nous attend si rien n’est fait. »
Dans son isolement, Keshâ y vit ce qui ressemblait le plus à une alliée, sauf si elle avait été placé là à prendre soin de lui seulement pour l’amadouer.
« Je vous promets que je ne rêve que de vous aider. C’est ce que je ferais si je pouvais sortir. Quand j’ai accepté d’aller là-bas, je voulais aider Urh. Je n’ai pas d’agenda personnel. Aidez-moi à sortir, je vous en prie. Personne ne sait que je suis là. Ils me font du mal. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Avertissez l’ambassade que je suis retenu contre mon gré. »
La médecin avait terminé son ouvrage. Elle rangea lentement ses ustensiles dans une trousse et tira de sa blouse un petit pain au beurre qu’elle déposa sur sa table de chevet. Sa main se déposa un instant sur son épaule avant de se lever.
-« Mangez et reposez-vous pour le moment. Je verrai ce que je peux faire. Pour le moment, ils ont l’air occupés à suivre une autre piste. »
Une fois la médecin partie, il s’empara du petit pain au beurre. C’était donc à elle qu’il devait tout le confort qui lui était accordé. Il la remercia silencieusement en s’accoudant à la fenêtre et en avisant le vide au-dessous de lui. Comment ce pouvoir pouvait-il bien fonctionner ?
Mais… s’il réussissait. Peut-être que c’est exactement ce qu’ils attendaient. Peut-être était-ce l’explication du pourquoi on lui avait laissé ses effets personnels, pour le filer et voir s’il pouvait les mener jusqu’au XIIIème Cercle. A ce jeu là il serait encore gagnant s’il pouvait tout simplement atteindre la frontière avant d’être rattrapé. Mais s’il se trompait, il aurait grillé son dernier atout.
Les passants continuaient leur vie en contre-bas dans le grand escalier en pierre blanche qui se déroulait en quelques paliers à angles droit. Des gens du commun, richement vêtus, qui tentaient de reprendre le cours de leurs vies l'arpentaient bras dessus bras dessous. Il se demandait si par miracle il ne pourrait pas lancer une bouteille à la mer par télépathie et crier « je suis enfermé ». Mais dire qu’il était Epistote ne lui garantirait aucune aide par les temps qui couraient. A moins de voir passer un ambassadeur sous sa fenêtre, le plan paraissait assez ténu.
De guerre lasse dans ses réflexions, il finit par faire une sieste sur son lit et tomba dans un profond sommeil.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Il était perdu sans l’escalier en contrebas. La brume était partout. Levant les yeux vers la fenêtre d’où il observait le monde un peu plus tôt, il vit les rideaux battre au vent face à la mer nocturne. Sans doute que s’il continuait à descendre vers la mer, il pourrait trouver le port. De nombreux bateaux devaient quitter Opale chaque jour en direction d’Aramila. Il pourrait peut-être se faire engager comme matelot et s’échapper en laissant tout derrière lui. Aramila était loin d’Epistopoli, mais il en connaissait approximativement le chemin de retour, pour l’avoir déjà emprunté avec une caravane.
L’ambiance onirique se déroulait lentement à pas feutrés, entre les ruelles vides de toute âme. Ne restaient que les maisons à colombages et les fontaines publiques de la vieille ville, quelques véhicules abandonnés, portières ouvertes. Un jeune homme vêtu de blanc se tenait face à une fontaine sous la lune gibeuse. D’une main sur l’épaule, il voulut l’interpeler pour demander de l’aide. Mais quand il se retourna, son visage était lisse comme la pierre. Keshâ tressaillit devant cette aberration. Ni d’yeux, ni d’oreilles, ni de bouche. Pas même un front discernable. Juste un ovale aveugle et affamé semblant pousser un râle silencieux.
Il partit en courant, son pied se prit dans le rebord d’un pavé descellé et il chuta contre un mur. Sa course se poursuivit de loin en loin, perdant de vue la direction du port. Son souffle haletant et l'écho de ses pas se répercutaient contre les murs et s'amplifiaient comme des percussions de claves. Sa vision était distordue. Tantôt ralentie, tantôt accélérée pour rattraper le décalage. La brume vaporeuse s'épaississait et le baignait de plus en plus dans un chant langoureux, presque aimant. Elle montait de plus en plus haut. D'abord au genoux, puis à la taille... Quand enfin, Keshâ rencontra la silhouette obscure d’une vieillarde courbée sur sa câne portant une robe de laine bleue. Elle avait un panier empli de poissons sur le bras.
-« Que se passe-t-il jeune homme ? Vous m’avez l’air essoufflé. » s’enquit la vieille dame avec inquiétude.
-« Quelqu’un… savez-vous où je peux trouver un bateau, madame ? Je dois quitter Opale sur le champs ! »
-« Un bateau… mmm ? Cela doit pouvoir se trouver dans le coin. » susurra la vieille dame en étirant ses lèvres minces d’un sourire compatissant. Il trouvait ses yeux humides et ses bonnes joues fripées rassurantes d’humanité. « Mais rien ne sert de courir… »
Soudain, une incertitude.
-« Que voulez-vous dire ? »
La main noueuse de la vieille dame se posa sur son visage et, lentement, le balafra avec ses ongles en lambeaux, comme l’on essuierait de la peinture fraîche sur une toile. Elle fit ainsi disparaître une partie de sa peau et ses yeux, pour révéler en dessous un masque lisse. Pétrifié d'effroi, Keshâ'rem la regardait comme on plonge dans l'abysse.
Sans attendre, il détala comme un lièvre, virant et tournant à plusieurs reprises, se dissimulant dans les ombres longuement. Il changea de quartier. Ne connaissant pas Opale, il était complètement perdu.
« Est-ce que quelqu’un m’entend ? Au secours ! » Pour un peu, il aurait presque était heureux de retrouver les hommes du Magistère.
Une petite fille se tenait là.
-« Tu n'es pas seul. Je suis là, Keshâ. » déclara la voix enfantine, avant d’émettre un rire cristallin. Elle se retourna. Elle aussi était une sans visage. "Je suis partout." C’était tous des spectres sans âme. Tournant les talons, un autre portant un uniforme opalien lui faisait front à quelques centimètres de son visage. Il hurla et s’enfuit à nouveau. Il était définitivement piégé dans un terrible cauchemar qui ne prenait pas fin.
Plusieurs apparitions sans visages s’amusèrent à ricaner sur son passage, se montrant d’abord dans leur activité du quotidien, de profil ou de dos, avant d’apparaître sans visage, de l’effacer à l’aide d’un mouchoir ou de tout simplement surgir de nulle part. Que voulaient-elles ? Comment se réveiller. Il allait devenir fou.
Soudain, une porte bleue arrondie avec un carreau de verre en losange et une poignée en fer forgée attira son attention. Parce qu’elle débordait de lumière dans ce théâtre enténébré. Et parce qu’elle était placée en plein milieu d’une ruelle, sans murs attenant, entrouverte dans son cadre.
Sans réfléchir, il se précipite par l’entrebâillement et claque la porte dans son dos.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mar 26 Mar - 8:08, édité 5 fois
Sam 2 Mar - 7:05
Sombre réflexion
Les Ruelles
Il faisait toujours nuit et il se trouvait toujours dans les ruelles. Mais la hantise s’était évanouie avec le claquement de la porte bleue contre laquelle il plaquait son dos. La brume qui infestait son rêve y était resté piégée.
Tout son corps se sentait plus léger. Comme s’il retrouvait son espace, son aisance et le plaisir d’être soi. Avec cette brève bouffée d’euphorie, un sursaut de conscience. Il était endormi. Plongé dans un état subliminal entre les eaux du monde d’en haut et celui d’en bas. Quant à savoir ce qu’il faisait ici, au lieu d’ouvrir les yeux et de voir sa chambre de réclusion à Opale, eh bien, il allait sans doute le découvrir dans les prochaines minutes.
L’examen des environs lui permit de s’apaiser. La ruelle était généreuse et coquette, ni trop large ni trop étroite, sinueuse. Des lampions colorés au ventre gonflé de carmin et d’azur éclairaient d’une lueur vacillante la petite allée. D’autres éclats de miroir carillonnaient au milieu de rubans pendus comme des guirlandes entre les maisons.
De part et d’autre, tout n’était qu’interminable enfilade de portes alignées en rangs d’oignon, si proches les unes des autres qu’il aurait été absurde d’imaginer des habitations derrière chacune d’elles. Toutes étaient si singulières que c’en était troublant. Certaines étaient faites de bois. Et parmi celles faites en bois, certaines étaient en noisetier, d’autres en chênes ou encore en acajou. Leur taille pouvait être grossière, ou leur sculptage raffiné, parfois orné d’un hublot ou encore de peintures et de colifichets. Il y en avait qui étaient trop rebelles pour intégrer cette description. Elles empruntaient au royaume de la métallurgie ou de la pierre pour exprimer leur voix.
En les caressant du bout des doigts, il remarqua qu’à certaines poignées était accroché un ruban. Il en défit un, de soie blanche, sur une porte en bois claire avec un bouton de porte en laiton. La porte protesta mollement en grinçant sur ses charnières et pivota. La lumière l’éblouit un instant. Puis, il finit par recouvrer la vue et reconnut des formes. La silhouette d’un homme en train de pleurer sur un lit.
Keshâ entra sur la pointe des pieds, presque surprit de se trouver témoin d’une scène si triste au milieu de ses rêves. A voir la tristesse de l’homme, il avait tout oublié de ses propres tourments. Le rêveur était ramassé au-dessus d’une masse informe recouverte par les draps. Après un temps d’attente, Keshâ demanda.
-« Qui es-tu ? Et pourquoi pleures-tu ? »
L’homme essuya ses pleurs d’un revers de manche et leva un visage incrédule vers l’éphèbe au regard lavande.
« Je suis Jophiel… c’est ma fille, Cristina. Elle ne se réveillera plus jamais. Et toi, qui es-tu ? Et que fais-tu là ? »
« Enchanté Jophiel. Je suis Keshâ. Je crois que je suis perdu. On me garde enfermé quelque part. »
Le tissage du rêve se caractérisait par une certaine ingénuité permettant de dire simplement les choses qui n’avaient pas besoin d’être remises en question.
« Qu’est-il arrivé à ta fille pour qu’elle soit plongée dans un sommeil éternel ? »
« J’ai voulu l’emmener voir la réunion des dirigeants à Opale il y a quatre jours. Une tour a explosé et ses débris lui ont fendu le crâne. J’ai voulu l’aider, mais un homme m’a retenu par les épaules et entrainé à l’intérieur d’une boutique pour fuir les terroristes… »
Jophiel partit en sanglots de plus belle en noyant son regard dans les traits inertes de son enfant. La main de Keshâ se posa sur son épaule.
« Elle est morte. Il n’y a qu’ici que je puisse la revoir. Mais ici non plus, elle ne sourit plus, elle ne parle plus… »
Les yeux de Keshâ s’embuèrent. Il était sensible à la détresse de Jophiel qui n’avait sans doute rien fait pour mériter pareil malheur. Il s’attristait de le voir aussi malheureux jusque dans ses rêves, tout comme lui. Etait-ce donc ainsi que fonctionnait le cristal de télépathie vivifié ? Dans le sommeil, il avait accès aux inconscients des dormeurs.
-« Veux-tu qu’on lui lise une histoire, cela la fera peut-être au moins rêver à son tour ? »
Dans la logique propre au rêve, tous deux se penchèrent au-dessus de la dormeuse, qui n’existait plus que dans le souvenir de son père ; lequel sortit un livre de contes sur les pirates de la mer d’argent en quête de l’esprit de l’Harmonie pour calmer les flots.
Quand il partit, l’homme était sans doute toujours en train de vivre son deuil, mais il lui parut un peu plus apaisé. Sa fille ne souriait pas, dans son sommeil de pierre, mais lui, le faisait pour eux deux, les larmes aux yeux. C'était son rêve, après tout.
La porte se referma doucement derrière lui. Les ruelles s’étendaient partout autour de lui, jusqu’à en perdre tout point de repère, maillage tisserand reliant les esprits à travers les nuits, en réaménagement permanent. Les portes ne cessaient de s’interchanger au fil du réveil et de l’endormissement des rêveurs.
Il laissait ses doigts courir sur la peinture écaillée de chacune, certaines portes vibraient plus que d’autres à son contact, comme si elles l’appelaient d’une manière qu’il n’aurait su décrire, même s’il n’avait aucune idée de qui se trouvait derrière. Y en avait-il une aussi pour Seraphah ? Ou pour Akesh ? Jusqu’où pouvait-il s’enfoncer pour fuir sa prison ? Y trouverait-il de l’aide ou des solutions ?
Son âme était en lévitation dans cet espace intermédiaire, magma évanescent où rien n’est impossible jusqu’aux rayons de l’aurore. Mais alors, les guirlandes de tissus ondoyèrent d’effroi. La grisaille des cendres parsema bientôt les ruelles, alors que le frémissement de la brume s’infiltrait près de lui. Un grognement souffrant, un corps tortueux et boursoufflé comme un amas bulleux s’extrayait de son portail. Arriva le sans-visage, de sa tête surmontant un cou démesuré, qui se tendait dans toutes les directions pour tenter de le détecter.
Pris de panique, il partit en courant. Aussitôt, cette créature si intimement lié à lui qu’elle en partageait les pouvoirs le repéra et le pris en chasse. Volute de brume serpentant à vive allure sans toucher le sol, il s’en faudrait d’une bouchée d’enjambées pour le rattraper.
Keshâ tenta de forcer une porte, mais il ne parvint pas à l’ouvrir. Il finit par se rendre compte que celles ne portant pas de rubans lui étaient difficiles d’accès. Au loin, une poignée, pourvue d’une clochette tintant l’appela. L’encadrement du portail était peint en blanc et bleu et décoré de bois flotté. Il s’engouffra dans l’esprit accueillant et referma aussitôt la porte avant que l’ombre ne parvienne jusqu’à lui. Son souffle ébranla le chambranle. Mais elle poursuivit sa course dans une bourrasque à travers les ruelles.
-« Que cherches-tu à fuir ? » demanda une voix d’où perçait le soleil.
Elle appartenait à une enfant blonde comme les ors qui paraissait dans un transat sur une immense plage de sable fin et admirait la mer au loin et ses flots tranquilles. Il y avait tant d’espace et tant de lumière dans cet esprit marin qu’il crut qu’aucun cauchemar n’y mettrait jamais les pieds.
En quelques pas à peine, il avait comblé la centaine de mètres qui les séparait.
-« Mon ombre, j’imagine. »
-« Tu ne pourras pas toujours courir. Mais tu peux rester si tu veux. »
-« Merci de m’offrir le refuge dans ton esprit. Je ne te fais pas peur ? »
-« Non. Tu es un voyageur, comme l’était mon papa. »
-« Et où est-il maintenant ? »
Elle désigna l’horizon scintillant de sa main juvénile.
-« Là-bas. Il n’est jamais remonté. Il a été attiré par la lumière et n’a plus voulu la quitter. »
-"Comment t'appelles-tu, petite fille? Moi, c'est Keshâ'rem. Mais tout le monde dit Keshâ."
-"Jyoti."
Il s'assit dans le sable pas loin de Jyoti. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté ses amis, il ressentait un profond sentiment de paix et de sécurité. Lui et Jyoti embrassaient la clarté du ciel qui se réfléchissait dans leur yeux.
Tout son corps se sentait plus léger. Comme s’il retrouvait son espace, son aisance et le plaisir d’être soi. Avec cette brève bouffée d’euphorie, un sursaut de conscience. Il était endormi. Plongé dans un état subliminal entre les eaux du monde d’en haut et celui d’en bas. Quant à savoir ce qu’il faisait ici, au lieu d’ouvrir les yeux et de voir sa chambre de réclusion à Opale, eh bien, il allait sans doute le découvrir dans les prochaines minutes.
L’examen des environs lui permit de s’apaiser. La ruelle était généreuse et coquette, ni trop large ni trop étroite, sinueuse. Des lampions colorés au ventre gonflé de carmin et d’azur éclairaient d’une lueur vacillante la petite allée. D’autres éclats de miroir carillonnaient au milieu de rubans pendus comme des guirlandes entre les maisons.
De part et d’autre, tout n’était qu’interminable enfilade de portes alignées en rangs d’oignon, si proches les unes des autres qu’il aurait été absurde d’imaginer des habitations derrière chacune d’elles. Toutes étaient si singulières que c’en était troublant. Certaines étaient faites de bois. Et parmi celles faites en bois, certaines étaient en noisetier, d’autres en chênes ou encore en acajou. Leur taille pouvait être grossière, ou leur sculptage raffiné, parfois orné d’un hublot ou encore de peintures et de colifichets. Il y en avait qui étaient trop rebelles pour intégrer cette description. Elles empruntaient au royaume de la métallurgie ou de la pierre pour exprimer leur voix.
En les caressant du bout des doigts, il remarqua qu’à certaines poignées était accroché un ruban. Il en défit un, de soie blanche, sur une porte en bois claire avec un bouton de porte en laiton. La porte protesta mollement en grinçant sur ses charnières et pivota. La lumière l’éblouit un instant. Puis, il finit par recouvrer la vue et reconnut des formes. La silhouette d’un homme en train de pleurer sur un lit.
Keshâ entra sur la pointe des pieds, presque surprit de se trouver témoin d’une scène si triste au milieu de ses rêves. A voir la tristesse de l’homme, il avait tout oublié de ses propres tourments. Le rêveur était ramassé au-dessus d’une masse informe recouverte par les draps. Après un temps d’attente, Keshâ demanda.
-« Qui es-tu ? Et pourquoi pleures-tu ? »
L’homme essuya ses pleurs d’un revers de manche et leva un visage incrédule vers l’éphèbe au regard lavande.
« Je suis Jophiel… c’est ma fille, Cristina. Elle ne se réveillera plus jamais. Et toi, qui es-tu ? Et que fais-tu là ? »
« Enchanté Jophiel. Je suis Keshâ. Je crois que je suis perdu. On me garde enfermé quelque part. »
Le tissage du rêve se caractérisait par une certaine ingénuité permettant de dire simplement les choses qui n’avaient pas besoin d’être remises en question.
« Qu’est-il arrivé à ta fille pour qu’elle soit plongée dans un sommeil éternel ? »
« J’ai voulu l’emmener voir la réunion des dirigeants à Opale il y a quatre jours. Une tour a explosé et ses débris lui ont fendu le crâne. J’ai voulu l’aider, mais un homme m’a retenu par les épaules et entrainé à l’intérieur d’une boutique pour fuir les terroristes… »
Jophiel partit en sanglots de plus belle en noyant son regard dans les traits inertes de son enfant. La main de Keshâ se posa sur son épaule.
« Elle est morte. Il n’y a qu’ici que je puisse la revoir. Mais ici non plus, elle ne sourit plus, elle ne parle plus… »
Les yeux de Keshâ s’embuèrent. Il était sensible à la détresse de Jophiel qui n’avait sans doute rien fait pour mériter pareil malheur. Il s’attristait de le voir aussi malheureux jusque dans ses rêves, tout comme lui. Etait-ce donc ainsi que fonctionnait le cristal de télépathie vivifié ? Dans le sommeil, il avait accès aux inconscients des dormeurs.
-« Veux-tu qu’on lui lise une histoire, cela la fera peut-être au moins rêver à son tour ? »
Dans la logique propre au rêve, tous deux se penchèrent au-dessus de la dormeuse, qui n’existait plus que dans le souvenir de son père ; lequel sortit un livre de contes sur les pirates de la mer d’argent en quête de l’esprit de l’Harmonie pour calmer les flots.
Quand il partit, l’homme était sans doute toujours en train de vivre son deuil, mais il lui parut un peu plus apaisé. Sa fille ne souriait pas, dans son sommeil de pierre, mais lui, le faisait pour eux deux, les larmes aux yeux. C'était son rêve, après tout.
La porte se referma doucement derrière lui. Les ruelles s’étendaient partout autour de lui, jusqu’à en perdre tout point de repère, maillage tisserand reliant les esprits à travers les nuits, en réaménagement permanent. Les portes ne cessaient de s’interchanger au fil du réveil et de l’endormissement des rêveurs.
Il laissait ses doigts courir sur la peinture écaillée de chacune, certaines portes vibraient plus que d’autres à son contact, comme si elles l’appelaient d’une manière qu’il n’aurait su décrire, même s’il n’avait aucune idée de qui se trouvait derrière. Y en avait-il une aussi pour Seraphah ? Ou pour Akesh ? Jusqu’où pouvait-il s’enfoncer pour fuir sa prison ? Y trouverait-il de l’aide ou des solutions ?
Son âme était en lévitation dans cet espace intermédiaire, magma évanescent où rien n’est impossible jusqu’aux rayons de l’aurore. Mais alors, les guirlandes de tissus ondoyèrent d’effroi. La grisaille des cendres parsema bientôt les ruelles, alors que le frémissement de la brume s’infiltrait près de lui. Un grognement souffrant, un corps tortueux et boursoufflé comme un amas bulleux s’extrayait de son portail. Arriva le sans-visage, de sa tête surmontant un cou démesuré, qui se tendait dans toutes les directions pour tenter de le détecter.
Pris de panique, il partit en courant. Aussitôt, cette créature si intimement lié à lui qu’elle en partageait les pouvoirs le repéra et le pris en chasse. Volute de brume serpentant à vive allure sans toucher le sol, il s’en faudrait d’une bouchée d’enjambées pour le rattraper.
Keshâ tenta de forcer une porte, mais il ne parvint pas à l’ouvrir. Il finit par se rendre compte que celles ne portant pas de rubans lui étaient difficiles d’accès. Au loin, une poignée, pourvue d’une clochette tintant l’appela. L’encadrement du portail était peint en blanc et bleu et décoré de bois flotté. Il s’engouffra dans l’esprit accueillant et referma aussitôt la porte avant que l’ombre ne parvienne jusqu’à lui. Son souffle ébranla le chambranle. Mais elle poursuivit sa course dans une bourrasque à travers les ruelles.
-« Que cherches-tu à fuir ? » demanda une voix d’où perçait le soleil.
Elle appartenait à une enfant blonde comme les ors qui paraissait dans un transat sur une immense plage de sable fin et admirait la mer au loin et ses flots tranquilles. Il y avait tant d’espace et tant de lumière dans cet esprit marin qu’il crut qu’aucun cauchemar n’y mettrait jamais les pieds.
En quelques pas à peine, il avait comblé la centaine de mètres qui les séparait.
-« Mon ombre, j’imagine. »
-« Tu ne pourras pas toujours courir. Mais tu peux rester si tu veux. »
-« Merci de m’offrir le refuge dans ton esprit. Je ne te fais pas peur ? »
-« Non. Tu es un voyageur, comme l’était mon papa. »
-« Et où est-il maintenant ? »
Elle désigna l’horizon scintillant de sa main juvénile.
-« Là-bas. Il n’est jamais remonté. Il a été attiré par la lumière et n’a plus voulu la quitter. »
-"Comment t'appelles-tu, petite fille? Moi, c'est Keshâ'rem. Mais tout le monde dit Keshâ."
-"Jyoti."
Il s'assit dans le sable pas loin de Jyoti. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté ses amis, il ressentait un profond sentiment de paix et de sécurité. Lui et Jyoti embrassaient la clarté du ciel qui se réfléchissait dans leur yeux.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Dim 3 Mar - 2:37, édité 6 fois
Sam 2 Mar - 8:09
Sombre Réflexion
Evanescence
Il s’éveilla un sourire rayonnant sur le visage, profondément reposé ; puis, il s’étira avec langueur, sous le soleil d’été. Qu’il serait difficile de se lever, après un tel bain dans la mer et le sable de la porte de Jyoti. Keshâ en oubliait totalement où se trouvait vraiment son corps.
Cela lui fit tout drôle de passer d’un espace infini à l’atmosphère confiné de sa chambrette. La nuit portait conseil. S’il n’était plus sûr de savoir s’il entamait son deuxième ou troisième jour de captivité, il devait de toute évidence prendre les devants avant que l’on se décide à lui faire vraiment un mal irréversible.
Il chercha ses totems, mais en vain. On les lui avait confisqués depuis le début. La frustration était grande. Il avait oublié jusqu’à l’existence de Nergal et après ces rêves incroyables qu’il venait d’explorer, il se voyait s’échapper d’Opale sur le dos de gargouille de pierre aux traits de rapace.
On ne l’embêta pas trop ce jour-là. Il observait depuis la rue l’intervention des pompiers, en train d’évacuer les victimes d’un mal invisible qui semblait s’être propagé de maison en maison. Des crises de panique et d’hystérie, des gens qui ne se réveillaient pas ou qui criaient à la cantonade qu’il était devenu trop dangereux de s’endormir. Il croyait entendre murmurer des choses allant dans le sens d’un choc collectif du aux attentats et à la perspective de la fin possible de la Cité aux Milles Lumières.
Le jeune homme ignorait s’il y en aurait mille, mais il ne connaissait qu’une seule lumière capable de tenir en respect le Sans-Visage, celui qui se tapissait dans le miroir derrière son reflet.
Il fit venir la femme médecin de l’Alliance sous un faux prétexte. Elle ne lui en voulut pas trop. Après tout, il s’ennuyait. C’était ridicule à ce stade de le maintenir à ce point à l’isolement. Heureusement qu’il savait au moins manigancer des échappées par l’esprit durant la nuit. Si sa nébula ne le tuait pas entre temps.
Ce qui l’énervait est que la médecin refusait de lui dire si oui ou non elle voulait l’aider. Lui apporter des brioches et des pansements n’était pas suffisant pour laver sa conscience. Elle finit par admettre qu’elle avait parlé de son cas à l’Alliance et que l’on travaillait à sa libération. Il poussa un peu trop son avantage en lui demandant de lui remettre ses totems d’invocation, ou à défaut de lui dire où ils étaient.
Il s’ennuya toute la journée, s’entraînant aux Mouvements, avant d’étirer dans tous les sens ses muscles perclus de sédentarité.
Quand il s’endormit en début de soirée, il se retrouva au bord d’une rivière s’écoulant sur un lit de graviers colorés. Il prit plaisir à marcher pieds nus sur leurs roulis en remontant le courant, jusqu’à voir la porte en bois bleu se dessiner. Aucun intrus ne vint l’assaillir.
Quand il entra dans les ruelles, il se figea d’horreur. Toutes les portes étaient entrouvertes et envahies de brumes. Certaines laissaient échapper des cris, derrière d’autres grondait le tonnerre, ou encore, on devinait un vide sans fond d’où ne perçait aucun son. A fuir son cauchemar, il l’avait diffusé à toutes les psychés. Cette maudite nébula tourmentait tout Opale. En tout cas, tous les esprits que le sien était en mesure de toucher. Sa contagion s’étendait comme un chancre aux ruelles qui arboraient maintenant une atmosphère oppressante.
Lorsqu’il se retourna, les lampions xandriens abritaient une silhouette fine vêtue d’un kimono blanc aux emblèmes de grues. Le jeune homme aux cheveux cendrés portait un masque de renard en porcelaine qu'il tenait devant lui en avançant les yeux fermés. Les pans de son kimono se perdaient en volutes d’air dans des écheveaux de ténèbres. On aurait dit un fantôme.
Keshâ ne pouvait plus différer la confrontation d’avec cette sombre réflexion.
Elle ouvrit les yeux pour dévoiler leur couleur en tout point semblable aux siens. Ils étaient violets comme des iris, avec un brin de rose coquelicot.
Les deux entités psychiques n’avaient plus tant besoin de mots pour se comprendre ou discerner les intentions de l’autre de manière instinctive. L’une était venue pour tout avaler. L’autre essayait seulement de surnager pour préserver contrôle et intégrité. Le combat était inégal. Il ne serait pas prêt avant d’avoir reçu l’entraînement de Seraphah. Mais après tout, la brume était une entité sentiente. Et la nébula copiait de lui sa part humaine capable de sommeil et d’émoi artistique.
Alors, pour elle, il se mit à chanter.
Cette part de son esprit où la brume plantait ses racines s’engourdit. Allongé sur l’air, le Sans-Visage, qui possédait maintenant ses yeux violets se laissa flotter, ramenant à lui une brume inerte de toutes les portes alentours. Après avoir rassemblé son courage, Keshâ le saisit sous les aisselles et le tira lentement comme un morceau de nuage impalpable jusqu’à traverser sa porte dans l’autre sens, pour le remettre entièrement dans son esprit, avec toute la brume qui l’entourait. Aussitôt la pression se fit sentir en lui, de l'intérieur vers l'extérieur.
Il descendit la rivière, encore et encore, jusqu’à parvenir à une cascade. Elle avait l’air presque paisible. Cette part honnie de lui. A aucun moment il n’avait cessé de chanter, enroulant sa voix autour de lui-même et la faisant raisonner sur l’eau et dans les branches des arbres dans son esprit.
Le Rêveur referma bien les pans du kimono, avant d’attacher une énorme pierre dans son obi et de jeter la nébula dans les remous de la cascade. Puisqu’ils ne formaient en réalité qu’un seul et même être, il devait prendre ses responsabilités et la contenir en entier. Elle essayerait encore et encore de gagner du terrain. Mais aujourd’hui, cela suffirait.
Il resta pour s’assurer qu’elle reste bien au fond avant de fermer les yeux.
Les mains du docteur étaient posées sur ses épaules.
-« Ah enfin. Je craignais que vous n’ayez vous aussi succombé à cette épidémie de sommeil. »
-« Docteur Kath ? »
« Comment connaissez-vous mon nom ? »
Une partie de lui l’avait sans doute visité à travers la nébula et son inconscient. Leur lien était plus inextricable qu'il n'aurait pensé.
-« Aucune importance. »
« La chancellerie a révoqué l’autorisation des hommes du Magistère concernant votre interrogatoire. Ils sont en train de développer de nombreux recours juridiques à l’aide de tous leurs experts. Si vous voulez être libre, il faut partir maintenant. J’ai pris la liberté de faire emballer vos effets personnels, y compris vos armes et vos fétiches. Un Zeppelin quitte l’aéroport d’ici deux heures. Ne le manquez pas… oh, et voici votre paie pour service rendue à l’Alliance. »
Le jeune Epistote ne se fit pas prier pour saisir la main qui lui était tendue.
-« Merci infiniment, docteur. Je n’ai pas compris tout ce qui s’est passé, mais je sais au moins que, si je m’en sors, c’est en bonne partie grâce à vous. En remerciement, je vous promets de faire ce qui est en mon pouvoir pour traquer ceux qui ont commis ces attentats. »
Et ceux qui se sont emparés du cristal de Déméphor, ajouta-t-il intérieurement.
Une voiture à la carrosserie arrondie propulsée au myste l’attendait devant la tour. Ses vitres teintées cachaient son visage aux curieux. Il laissa courir son regard sur la foule, persuadé d’y reconnaître un instant fugace la chevelure solaire de Jyoti. L’enfant-lumière avait-elle vraiment existé en cet instant, ou même dans la nuit ? Ou n’était-elle qu’une création de son esprit pour se protéger de l’errance un court moment ? Il ne le saurait sans doute jamais.
Toujours, en lui-même, il continuait de chanter, pour faire résonner sa voix dans les eaux bouillonnantes de la cascade où reposait le Sans-Visage. Il lui en coûtait en énergie. Mais c'est tout ce qu'il avait trouvé pour le moment.
Alors qu’il s’envolait loin d’Opale, enfin soulagé, il continuait d’appeler en son for intérieur Maëlstrom et Seraphah. Cette fois, il n’utilisait plus le cristal de télépathie pour les atteindre, seulement sa foi et son cœur. Ils se retrouveraient. Il en était convaincu. Et ils seraient sains et saufs.
Cela lui fit tout drôle de passer d’un espace infini à l’atmosphère confiné de sa chambrette. La nuit portait conseil. S’il n’était plus sûr de savoir s’il entamait son deuxième ou troisième jour de captivité, il devait de toute évidence prendre les devants avant que l’on se décide à lui faire vraiment un mal irréversible.
Il chercha ses totems, mais en vain. On les lui avait confisqués depuis le début. La frustration était grande. Il avait oublié jusqu’à l’existence de Nergal et après ces rêves incroyables qu’il venait d’explorer, il se voyait s’échapper d’Opale sur le dos de gargouille de pierre aux traits de rapace.
On ne l’embêta pas trop ce jour-là. Il observait depuis la rue l’intervention des pompiers, en train d’évacuer les victimes d’un mal invisible qui semblait s’être propagé de maison en maison. Des crises de panique et d’hystérie, des gens qui ne se réveillaient pas ou qui criaient à la cantonade qu’il était devenu trop dangereux de s’endormir. Il croyait entendre murmurer des choses allant dans le sens d’un choc collectif du aux attentats et à la perspective de la fin possible de la Cité aux Milles Lumières.
Le jeune homme ignorait s’il y en aurait mille, mais il ne connaissait qu’une seule lumière capable de tenir en respect le Sans-Visage, celui qui se tapissait dans le miroir derrière son reflet.
Il fit venir la femme médecin de l’Alliance sous un faux prétexte. Elle ne lui en voulut pas trop. Après tout, il s’ennuyait. C’était ridicule à ce stade de le maintenir à ce point à l’isolement. Heureusement qu’il savait au moins manigancer des échappées par l’esprit durant la nuit. Si sa nébula ne le tuait pas entre temps.
Ce qui l’énervait est que la médecin refusait de lui dire si oui ou non elle voulait l’aider. Lui apporter des brioches et des pansements n’était pas suffisant pour laver sa conscience. Elle finit par admettre qu’elle avait parlé de son cas à l’Alliance et que l’on travaillait à sa libération. Il poussa un peu trop son avantage en lui demandant de lui remettre ses totems d’invocation, ou à défaut de lui dire où ils étaient.
Il s’ennuya toute la journée, s’entraînant aux Mouvements, avant d’étirer dans tous les sens ses muscles perclus de sédentarité.
Quand il s’endormit en début de soirée, il se retrouva au bord d’une rivière s’écoulant sur un lit de graviers colorés. Il prit plaisir à marcher pieds nus sur leurs roulis en remontant le courant, jusqu’à voir la porte en bois bleu se dessiner. Aucun intrus ne vint l’assaillir.
Quand il entra dans les ruelles, il se figea d’horreur. Toutes les portes étaient entrouvertes et envahies de brumes. Certaines laissaient échapper des cris, derrière d’autres grondait le tonnerre, ou encore, on devinait un vide sans fond d’où ne perçait aucun son. A fuir son cauchemar, il l’avait diffusé à toutes les psychés. Cette maudite nébula tourmentait tout Opale. En tout cas, tous les esprits que le sien était en mesure de toucher. Sa contagion s’étendait comme un chancre aux ruelles qui arboraient maintenant une atmosphère oppressante.
Lorsqu’il se retourna, les lampions xandriens abritaient une silhouette fine vêtue d’un kimono blanc aux emblèmes de grues. Le jeune homme aux cheveux cendrés portait un masque de renard en porcelaine qu'il tenait devant lui en avançant les yeux fermés. Les pans de son kimono se perdaient en volutes d’air dans des écheveaux de ténèbres. On aurait dit un fantôme.
Keshâ ne pouvait plus différer la confrontation d’avec cette sombre réflexion.
Elle ouvrit les yeux pour dévoiler leur couleur en tout point semblable aux siens. Ils étaient violets comme des iris, avec un brin de rose coquelicot.
Les deux entités psychiques n’avaient plus tant besoin de mots pour se comprendre ou discerner les intentions de l’autre de manière instinctive. L’une était venue pour tout avaler. L’autre essayait seulement de surnager pour préserver contrôle et intégrité. Le combat était inégal. Il ne serait pas prêt avant d’avoir reçu l’entraînement de Seraphah. Mais après tout, la brume était une entité sentiente. Et la nébula copiait de lui sa part humaine capable de sommeil et d’émoi artistique.
Alors, pour elle, il se mit à chanter.
Cette part de son esprit où la brume plantait ses racines s’engourdit. Allongé sur l’air, le Sans-Visage, qui possédait maintenant ses yeux violets se laissa flotter, ramenant à lui une brume inerte de toutes les portes alentours. Après avoir rassemblé son courage, Keshâ le saisit sous les aisselles et le tira lentement comme un morceau de nuage impalpable jusqu’à traverser sa porte dans l’autre sens, pour le remettre entièrement dans son esprit, avec toute la brume qui l’entourait. Aussitôt la pression se fit sentir en lui, de l'intérieur vers l'extérieur.
Il descendit la rivière, encore et encore, jusqu’à parvenir à une cascade. Elle avait l’air presque paisible. Cette part honnie de lui. A aucun moment il n’avait cessé de chanter, enroulant sa voix autour de lui-même et la faisant raisonner sur l’eau et dans les branches des arbres dans son esprit.
Le Rêveur referma bien les pans du kimono, avant d’attacher une énorme pierre dans son obi et de jeter la nébula dans les remous de la cascade. Puisqu’ils ne formaient en réalité qu’un seul et même être, il devait prendre ses responsabilités et la contenir en entier. Elle essayerait encore et encore de gagner du terrain. Mais aujourd’hui, cela suffirait.
Il resta pour s’assurer qu’elle reste bien au fond avant de fermer les yeux.
Les mains du docteur étaient posées sur ses épaules.
-« Ah enfin. Je craignais que vous n’ayez vous aussi succombé à cette épidémie de sommeil. »
-« Docteur Kath ? »
« Comment connaissez-vous mon nom ? »
Une partie de lui l’avait sans doute visité à travers la nébula et son inconscient. Leur lien était plus inextricable qu'il n'aurait pensé.
-« Aucune importance. »
« La chancellerie a révoqué l’autorisation des hommes du Magistère concernant votre interrogatoire. Ils sont en train de développer de nombreux recours juridiques à l’aide de tous leurs experts. Si vous voulez être libre, il faut partir maintenant. J’ai pris la liberté de faire emballer vos effets personnels, y compris vos armes et vos fétiches. Un Zeppelin quitte l’aéroport d’ici deux heures. Ne le manquez pas… oh, et voici votre paie pour service rendue à l’Alliance. »
Le jeune Epistote ne se fit pas prier pour saisir la main qui lui était tendue.
-« Merci infiniment, docteur. Je n’ai pas compris tout ce qui s’est passé, mais je sais au moins que, si je m’en sors, c’est en bonne partie grâce à vous. En remerciement, je vous promets de faire ce qui est en mon pouvoir pour traquer ceux qui ont commis ces attentats. »
Et ceux qui se sont emparés du cristal de Déméphor, ajouta-t-il intérieurement.
Une voiture à la carrosserie arrondie propulsée au myste l’attendait devant la tour. Ses vitres teintées cachaient son visage aux curieux. Il laissa courir son regard sur la foule, persuadé d’y reconnaître un instant fugace la chevelure solaire de Jyoti. L’enfant-lumière avait-elle vraiment existé en cet instant, ou même dans la nuit ? Ou n’était-elle qu’une création de son esprit pour se protéger de l’errance un court moment ? Il ne le saurait sans doute jamais.
Toujours, en lui-même, il continuait de chanter, pour faire résonner sa voix dans les eaux bouillonnantes de la cascade où reposait le Sans-Visage. Il lui en coûtait en énergie. Mais c'est tout ce qu'il avait trouvé pour le moment.
Alors qu’il s’envolait loin d’Opale, enfin soulagé, il continuait d’appeler en son for intérieur Maëlstrom et Seraphah. Cette fois, il n’utilisait plus le cristal de télépathie pour les atteindre, seulement sa foi et son cœur. Ils se retrouveraient. Il en était convaincu. Et ils seraient sains et saufs.
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