Light
Dark
Bas/Haut

Feu de joie à Roquerel

Feu de joie à Roquerel Brandw10
Dim 31 Déc - 16:22
« Quelle belle nuit. » Chuchota doucement Judicaël.

À raison. Le crépuscule s'en était allé tantôt dans un dernier flamboiement à l'horizon. Timidement, une étoile avait point dans le ciel. Puis une autre. Puis pleins d'autres, paillettes mystérieusement accrochées au firmament. Enfin avait surgi la lune gironde, éclatante et resplendissante, qui illuminait maintenant généreusement le sol de sa pâle lumière affectueuse.
La température était douce, la route facile et le décor charmant. C'était véritablement une très belle nuit.

Bien sûr, une petite voix murmurait à l'Inquisiteur qu'il aurait pu tout aussi bien prendre une chambre à l'auberge-relais qu'il avait croisé quelques heures plus tôt et qu'il serait en train de savourer pareille nuit par la fenêtre, dans la quiétude de sa chambre, un bon bol de lait tiède et épicé à la main.

Cette petite voix n'était pas une petite voix dans son esprit, non. C'était littéralement son reflet dans le fer de la pelle qui s'en chargeait, de façon tout à fait audible. Ce qui était somme toute on ne peut plus normal : Judicaël avait toujours vu et entendu des choses qui échappait au commun des mortels. Cela ne l'alarmait guère. Après tout, les pensées de ses reflets l'accompagnait depuis aussi loin qu'il s'en souvenait.

Le Prêtre rappela donc oralement à la petite voix de la raison que le devoir, lui, n'attendait pas. Il n'était pas en promenade de santé mais en mission commandée. C'était la Cardinale Victoria d'Andurail-Sélénée elle-même qui l'avait mandaté. Non seulement il n'était pas envisageable de lui faire défaut, mais encore moins de la décevoir !
Et puis, c'était pour faire triompher le bien sur le mal et venir en aide à des tas de gens, ce qui ne gâtait rien à l'affaire.

La petite voix maugréa qu'il aurait quand même au moins pu réquisitionner un cheval à l'auberge-relais, on en aurait eu fini plus vite.

« Chuuut…
_ Ne me chut pas. Ça sert à rien, je te rappelle.
_ On est arrivé, rétorqua calmement l'Inquisiteur Concentrons-nous. Plus de place pour les pensées parasites.
_ Parasite toi-même, hé ! »

Le village qui s'étendait devant lui était constitué d'une cinquantaine de maisonnettes, étalées en une grossière étoile qui rayonnait depuis la place centrale. Et au beau milieu, l'église. L’œil perçant et expérimenté de l'Inquisiteur ne manqua pas non plus les différents autels situés aux carrefours mineurs de la petite agglomération : on restait dans les terres d'Aramila. Même si la foi Orthopraxe écrasait tout de sa présence hégémonique, d'innombrables variantes de cultes et de traditions antiques coexistaient et se maintenaient pacifiquement dans son ombre.

« Les gens ont peur, grommela son reflet dans la pelle tandis qu'ils cheminaient dans la rue.
_ Je suis un inquisiteur et ça se voit, rétorqua tranquillement Judicaël.
_ Les gens craignent les inquisiteurs. Là, ce n'est pas de la crainte normale. »

Remontant l'avenue principale, le Prêtre pouvait voir presque à chaque maison des formes s'agiter entre les interstices des volets clos ou derrière les lourdes tentures opaques. Des visages blafards, discret, qui battaient instantanément en retraite s'il faisait ne serait-ce que mine de les avoir remarqués – et parfois même sans qu'il n'y en ait besoin.

« De la terreur, apprécia Judicaël. Ils se terrent les uns contre les autres pour se donner du courage dans la nuit, guettant et craignant le moindre signe sortant de l'ordinaire. Des animaux affolés et traqués jusque dans leur tanière… Hmmm, mauvais.
_ Pourquoi restent-ils ? S'interrogea son reflet. Quelque chose les surveillerait ? Ouuu… quelque chose les empêcherait de fuir ?
_ Génial : dans le premier cas, il est au courant de notre arrivée. Dans le second… il nous a carrément laissé passer à dessein.
_ Un plan ? S'inquiéta la petite voix.
_ En finir au plus vite.
_ Mauvaise réponse à la mauvaise question ! »

La place principale : un puits au centre, un large cercle de terre battue, quelques bâtiments alentours, magasins, hôtel de ville. Et l'église. Grande, sombre, menaçante, surplombant la zone de toute la hauteur de son imposant clocher.
Judicaël s'y rendait d'un bon pas, sans même prendre la peine de ralentir, lorsque le puits le héla d'une voix beaucoup trop familière. Soupirant, le jeune homme s'approcha de la margelle et jeta un coup d’œil. Eau, lune, reflet. Rien d'inhabituel.

« Ne me dis pas que tu vas rentrer là-dedans la fleur au fusil !? Le morigéna derechef son alter ego. Et l'instinct de conservation, alors ?
_ Relaaax, ça va le faire, le rassura l'Inquisiteur. J'aurais l'effet de surprise pour moi.
_ Mais t'es pas cinglé !? Il nous attend, tu peux pas avoir l'effet de surprise, sacrebleu !
_ Il ne s'attend sûrement pas à ce que j'entre par la grande porte. La stratégie de l'inattendu : c'est ça, le vrai effet de surprise, répliqua très sérieusement Judicaël.
_ Nanananan ! Fais pas ça, tu vas te faire tuer, triple buse ! Paniqua son reflet.
_ Ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer, affirma l'Inquisiteur. Reste là, je reviens très vite.
_ J'peux pas bouger de là, abruti ! »

Laissant ses angoisses derrière lui, le jeune homme traversa en quelques pas assurés le reste de la place, avant de pénétrer dans l'église, repoussant en grand les deux vantaux de l'imposante porte d'entrée dans un fracas du diable.

L'intérieur de l'église était sombre. De conception assez simple, une nef agrémentée de nombreuses assises et prie-Esprits sur les côtés, délimitant un couloir jusqu'à l'autel. Des chandeliers parsemaient les lieux, mais seuls un sur deux avaient été allumés pour économiser les chandelles. Du reste, le brusque courant d'air perpétré par Judicaël en avait soufflé une bonne partie près de l'entrée, renforçant la pénombre ambiante.
La faible luminosité était néanmoins suffisante pour distinguer sans soucis la silhouette qui se tenait près de l'autel, engoncé dans ses habits de prêtre, et qui avait brusquement sursauté à l'entrée fracassante de l'Inquisiteur.

« Je suis le Père Judicaël Adhémar Cassien de Hautedune, Inquisiteur de l'Ordre Réformé des Chevaliers Orthodoxes du Griffon Pourpre, directement missionné par le Concile Œcuménique, déclara d'une voix forte et claire le jeune homme en s'avançant en direction de l'autel.
_ J-je suis le Père Bastien Roussel, responsable de la communauté de Roquerel, bafouilla l'ecclésiaste. Comment puis-je vous aider, Inquisiteur ? »

Judicaël se planta au milieu de l'église, un je-ne-sais-quoi de menaçant dans la façon dont reposait sa pelle sur son épaule, réajustant ses lunettes du bout des doigts le long de son nez pour mieux toiser son interlocuteur.

« Cessez donc ces enfantillages : vous n'êtes pas le Père Roussel, gronda l'Inquisiteur.
_ Allons, je ne sais d'où vient cette méprise, s'empressa de temporiser le prêtre, mais je vous jure que…
_ Vous êtes le sieur Laurent Géhénos. Strigoï de son état. Et présentement accusé du meurtre et de l'usurpation d'identité du Père Roussel, poursuivit imperturbablement Judicaël.
_ … Ce sont là des accusations très graves, Inquisiteur, rétorqua le Prêtre d'une voix mielleuse. J'ose espérer que vous avez quelques preuves de mon supposé forfait ?
_ Vous êtes un idiot, rétorqua le jeune homme. Oh, c'était bien tenté, en soi. Je suppose que vous vous êtes débarrassé discrètement du Père Roussel et que vous avez fait croire aux gens du coin qu'il avait été rappelé à Aramila et que vous étiez son remplaçant. Et vous avez continué à écrire le rapport mensuel du Père à sa place pour que le clergé d'Aramila ne se rende compte de rien. Mais c'est oublier une chose fondamentale… laissa en suspens Judicaël.
_ Très bien, jouons le jeu, s'amusa le Prêtre. Qu'aurais-je oublié dans un tel cas ?
_ L'existence de l'Inquisition. Nous sommes habilités à ouvrir et lire l'ensemble du courrier du clergé – ce dont nous ne nous privons pas. Certes, le clergé ne lit jamais aucun rapport, se contentant de les entasser dans leurs archives… mais pas nous. Nous lisons. Absolument. Tout. L'un de nos limiers n'a pas été long à repérer le changement d'écriture. Ce qui nous amène à votre seconde erreur.
_ Continuez donc, c'est très divertissant, l'encouragea l'accusé.
_ L'Ordre des Caravaniers. Passe encore que vous ayez loupé notre existence car trop obscure et méconnue de l'extérieur, mais les Caravaniers ? Sérieusement ? Hé bien, sachez pour votre gouverne que ces charmants gaillards tiennent à jour un registre des strigoïs connus avec, entre autre, des échantillons graphologiques. Visiblement, un certain nombre de votre engeance aime à se refaire une vie chez nous. Je suppose que vous nous pensez trop primitif pour pouvoir détecter vos petites particularités ? Toujours est-il que vos récentes lettres ont parlé : vous n'écrivez soudainement plus comme le Père Roussel mais comme le strigoï Géhénos. Je ne vous cache pas que le Concile Œcuménique a très moyennement apprécié la blague. »

La mâchoire de l'accusé se crispa de colère et de dépit. Effectivement, il n'aurait jamais cru que cette bande d'arriérés moyenâgeux soit capable de détecter un strigoï agissant prudemment. Non plus qu'il n'ait jamais pensé qu'il puisse être confondu par un assemblage de moyens aussi primitifs et rustiques.
Néanmoins, ce n'était pas non plus comme s'il n'avait pas soigneusement préparé une telle éventualité…

« Très bien, je m'incline, annonça le Prêtre. Vous m'avez démasqué, je suis bien Géhénos. Je prends bonne note de vos informations : elles me seront utiles pour ma prochaine tentative.
_ Malheureusement, je crains qu'il n'y en ait point d'autres vous concernant, signala sombrement l'Inquisiteur.
_ Cela reste à voir car, voyez-vous, je ne suis pas le seul à avoir oublié quelques menus détails, reprit Géhénos avec un sourire matois. Si vous pensez me mettre dans le même sac que ces pathétiques strigoïs, vous allez au-devant d'une terrible déconvenue.
_ Cst marrant, quelque chose me dit que vous vous voyez mieux que ça…
_ Sachez que je suis un véritable Nosferatu, de la même trempe que ceux-là même qui ont forgé les légendes !
_ …
_ …
_ Non, non, mais continuez, ça va peut-être finir par faire tilt.
_ Heu… Dracula ? Lestat ? … Blade, peut-être ?
_ Non, rien.
_ Et Bram Stocker !? Vous avez au moins lu Bram Stocker, quand même, non ?
_ Désolé. Choc des cultures, tout ça…
_ Je dispose de pouvoirs au-delà du commun des strigoïs ! Enchaîna derechef Géhénos sans se démonter.
_ Ouais, ben des cristaux, quoi…
_ Non, des pouvoirs ! De vrais pouvoirs vampiriques !
_ Ah non mais vous les appelez comme ça vous fait plaisir, hein, pas de soucis.
_ Je ne… Très bien ! Contemplez, et désespérez !! »

Vivement, le strigoï brandit une main avant de claquer théâtralement des doigts devant lui. Des gémissements retentirent de part et d'autres de l'allée et quatre silhouettes se redressèrent gauchement parmi les bancs et les prie-Esprits. Regard vide, gémissement bas, signes évidents de décomposition…

« Alors ! Clama triomphalement Géhénos. Je dispose du pouvoir de relever et commander les morts ! Qu'est-ce que vous dites de ça ?
_ Bof, c'est juste des zombies, fit Judicaël en ajustant ses lunettes après s'être approché de l'un des spécimens.
_ Juste des zombies !? S'étouffa d'indignation Géhenos. Vous en connaissez beaucoup, vous, des cristaux capables de faire ça !?
_ Hééé, mais ce sont des habits de prêtre ! Ne serait-ce donc pas le Père Roussel ? Non, c'est vrai, admit tranquillement l'Inquisiteur tout en continuant à dévisager de pied en cap le zombie.
_ Je dispose de pouvoirs hors du commun eeeet… et… Et ça ne semble pas vous effrayer plus que ça ! Se plaignit le strigoï, profondément vexé.
_ Non mais j'ai laissé mon angoisse au fond du puits, dehors. Forcément, ça n'aide pas. Deux points, signala doctement Judicaël. Primo, pouvoir inconnu ou pas, un zombie reste un zombie, pas de quoi en faire un fromage, non plus.
_ Pardon !?
_ … Secundo, la peur et la panique neutralise quatre-vingt-dix pour cent des facultés mentales des gens : vous m'excuserez donc de préférer conserver mon sang-froid.
_ La panique, ça ne se commande pas, bougre d'abruti !
_ … Et tertio ! Ah oui, non, zut ! Bon ben ça fait trois points, du coup, hein… Tertio : je lis beaucoup d'ouvrages sur la Brume, en ce moment – je prépare une thèse sur le sujet – et il y est fait régulièrement mention des zombies, donc rien d'extraordinaire en vue. D'autant que ces bouquins sont tous intarissables sur un sujet les concernant, savez-vous ?
_ Et lequel ?
_ Le meilleur moyen de s'en débarrasser ! » Rétorqua malicieusement l'Inquisiteur tout en tranchant la tête de feu Père Roussel d'un solide revers de sa pelle.

Dans un silence de mort, le cadavre branlant s'effondra sur lui-même alors que le chef de la malheureuse victime roulait jusqu'au mur dans un bruit mat. Judicaël se retourna vers le strigoï vert de rage, tout en rajustant ses lunettes.

« Hé bien, si vous n'avez plus d'autres pouvoirs inconnus dans votre sac, je propose que nous mettions fin à cette petite histoire sans perdre plus de temps, suggéra l'Inquisiteur.
_ Vous, je vais prendre plaisir à vous torturer avant de faire de vous ma marionnette putride. Ça, je vous le promets ! »

Géhénos sauta brusquement sur l'autel, tout en balayant la scène d'un geste, hurlant à ses sbires de passer à l'attaque.

Les trois cadavres ambulants s'avancèrent maladroitement vers l'Inquisiteur, bras tendus, mains se crispant spasmodiquement, bousculant les prie-Esprits et renversant les bancs sans les voir. Judicaël les attendit patiemment, décontracté, pelle à l'épaule. Hé, pourquoi se fatiguer alors qu'ils venaient droit sur lui ?
Le plus proche arrivait à bonne distance, ses mains s'agitant frénétiquement vers le jeune homme. Judicaël arma son coup et – Une poigne d'acier l'accrocha par derrière, des doigts étonnamment puissants s'accrochant à son dos, remontant et raffermissant leurs prises par spasmes mécaniques.

L'Inquisiteur ne prit même pas le temps d'y réfléchir : profitant d'être tiré en ailleurs, il se cambra violemment et projeta ses deux pieds dans le torse du zombie qui lui faisait maintenant face, le repoussant de plusieurs pas. Puis il passa la hampe de sa pelle dans son dos et se tortilla sur lui-même – son uniforme plusieurs tailles trop grand pour lui lui donnait suffisamment de jeu en dépit de la prise de son assaillant – et parvint à utiliser sa hanche comme point d'appui. Son adversaire ou sa tunique d'Inquisiteur, quelque chose finirait bien par craquer, mais pas lui : quand on n'est pas taillé comme une armoire à glace, on apprend très vite à mettre Archimède dans son camp.

Ce fût le grand manteau d'Inquisiteur qui céda dans un déchirement atroce. Judicaël termina de pivoter pour faire face au zombie étêté. Tandis qu'une part de son esprit s'émerveillait de la nouveauté, l'autre agit avec pragmatisme, frappant de sa main libre un direct juste au-dessus du sternum, au niveau des clavicules. Le coup repoussa violemment le mort-vivant, trop pour que son inagilité naturelle ne puisse compenser et il boula pitoyablement en arrière.

Rapide coup d’œil. Les deux autres approchaient. Leur trancher la tête n'y suffirait pas. Mais avant, priorité !
Judicaël se retourna vivement pour faire face au strigoï, dardant un doigt accusateur.

« Menteur ! Vous ne contrôlez pas les zombies ! Beugla Judicaël d'un voix aussi courroucée que déçue.
_ Plaît-il ? Fit le strigoï en signifiant d'un geste à ses zombies de suspendre leur attaque.
_ Vous m'avez menti, vous ne contrôlez pas les zombies, soutint fermement l'Inquisiteur.
_ Et qu'est-ce que je suis en train de faire, là ? Interrogea Géhénos. Roussel, faits donc coucou à notre invité un peu borné.
_ Ah non-non, rectifia Judicaël. Je n'ai pas dit que vous ne contrôlez pas les zombies, j'ai dit que vous ne contrôlez pas les zombies. Nuance.
_ …, se tut l'intéressé, visage de marbre.
_ Ça m'a mis la puce à l'oreille quand vous avez sauté sur l'autel – très théâtrale, d'ailleurs, chapeau – parce que vous n'étiez pas assez hystérique et assoiffé de sang pour juste vouloir… mieux profiter du spectacle. C'était donc un mouvement tout à fait rationnel mais qui ne collait pas : vous pouviez simplement lâcher vos zombies pour la curée. Donc vous ne les commandiez pas, vous les contrôliez directement. Vous aviez besoin du surplomb pour gérer tactiquement la mêlée.
_ Ce qui ne…
_ MAIS ! L'interrompit derechef le jeune homme. Les zombies deviennent ineptes lorsqu'on leur sectionne la tête. Bon, en vrai, si on coupe juste la tête, elle reste active : il faut détruire le cerveau. Mais j'avais peur de coincer ma pelle dans le crâne en le faisant… Bref ! Ce n'est pas le cas des vôtres, comme l'a prouvé le Père Zombie-Roussel. Et c'est là que les petits détails deviennent intéressants ! Vous savez, j'ai déjà décapité mon comptant de gens, alors je sais plutôt bien à quoi ça ressemble au-dedans de la gorge. Et d'ordinaire, il n'y a pas ces petits filaments végétaux gluants qui dépassent. Et donc, conclusion : il s'agit non pas de zombies mais en réalité de simples cadavres contrôlés par une souche d'Exulos, elle-même contrôlez par vos soins, via un cristal élémentaire de Plantes vivifié, du coup, si j'ai bonne mémoire.
_ …
_ Vous ne contrôlez donc pas les zombies, CQFD. Et vos pouvoirs vampiriques, c'est bien des cristaux.
_ Élémentaire, mon cher Watson, applaudit cyniquement Géhénos.
_ Gné ?
_ Laissez tomber : choc des cultures. Effectivement, vous avez vu juste, poursuivit l'intéressé en dévoilant le cristal qu'il cachait depuis le début dans son autre main. Il s'agit bien d'un cristal permettant de manipuler les plantes. Je l'ai acquis pour une bouchée de pain 'fin, façon de parler : son précédent propriétaire trouvait que c'était un pouvoir sans aucun intérêt.
_ Quel manque total d'imagination !
_ Tu l'as dit, bouffi. Et tout à fait entre nous, veuillez donc satisfaire ma curiosité : à votre place, vos collègues inquisiteurs auraient-ils su détecter la supercherie ? Tint à savoir le strigoï.
_ Mmmmh… Non, estima Judicaël. À mon avis, la moitié d'entre eux auraient paniqué sans faire attention aux détails et l'autre moitié aurait berserkalisé dans le tas sans plus réfléchir non plus.
_ Bien, voilà qui me rassure, se satisfit Géhénos en brandissant le cristal. Si je vous élimine, mon petit tour conservera donc toute sa magie.
_ Oui, enfin, sans vouloir vous vexer, ce n'est pas avec vos quatre coloquintes que ça risque d'arriver, rétorqua l'Inquisiteur.
_ Vous avez été mis en difficulté avec deux zombies.
_ Roooh, ça va : j'ai juste eu un moment d'inattention.
_ Alors si vous vous retrouvez submergé… »

Le strigoï tendit une nouvelle fois le bras pour claquer des doigts – certes, la ruse était éventée, mais l'habitude était durablement ancrée – et deux cadavres supplémentaires churent du plafond avant de prendre position auprès des autres zombies, encerclant l'homme à la pelle.

« Désolé, plastronna l'Inquisiteur, mais ça n'est pas encore assez pour remettre en cause ma stratégie gagnante.
_ Voyez-vous ça ? Hé bien… vérifions ça de suite : à l'assaut ! »

Les six mort-vivants – ou mort-mort-mais-champignonifiés pour être plus exact – s'avancèrent de conserve en direction de l'Inquisiteur, réduisant le périmètre à chacun de leur pas lourd. Au centre de ce cercle mortel, Judicaël se mit à tourbillonner sur lui-même, faisant tournoyer dans le vide sa pelle de plus en plus vite autour de lui. La distance se réduisait à peau de chagrin. Géhénos esquissa un sourire machiavélique.
Le bout de la pelle de l'Inquisiteur faucha alors subitement l'un des prie-Esprits à ses côtés et l'envoya brusquement voler en direction du strigoï. Celui-ci n'eût même pas le temps de cligner des yeux que le mobilier voyageur le percuta en pleine face, le catapultant en arrière dans un rude éclat de douleur, avant que la gravité ne reprenne ses droits et que le malheureux ne s'écrase lourdement au sol depuis l'autel.

Géhénos papillota des yeux, l'esprit confus, essayant de surmonter la vague de douleur qui l'irradiait et de comprendre ce qui venait de se produire. Il avait le nez cassé mais c'était bien le cadet de ses soucis : les Exulos ! Livrés à eux-mêmes. Ils avaient besoin de ses ordres ! Vite !

Se cramponnant au rebord de l'autel, le strigoï se releva vaille que vaille… pour être estomaqué par le spectacle qui se jouait devant lui.
Les morts-vivants s'étaient jetés maladroitement sur l'Inquisiteur. Au cœur de la mêlée, celui-ci s'était transformé en un véritable typhon humanoïde, bondissant, tourbillonnant, jouant de la balourdise et du nombre des Exulos contre eux. Un pied qui broie un genou. Un coup de paume traumatisant un coude. Une lame de pelle labourant une poitrine avant d'arracher une autre tête.  Combien d'attaques venait-il de lancer dans un même mouvement ? Deux ? Trois ? Plus ? Impossible à dire. Un kaléidoscope de coups. Chaque déplacement était propice à plusieurs attaques. Chaque mouvement d'attaque armait un nouveau coup. Un déferlement ininterrompu de violence…

Oooh, ça sent le roussi ! Putain, ça sent vraiment le roussi, là !

Le strigoï ne se le fit pas dire deux fois et pris la poudre d'escampette.

Dans un ultime tourbillon, Judicaël trancha un dernier membre et brisa une dernière articulation. Là ! Si la décapitation ne marchait pas, alors il suffisait de les démembrer, voilà tout. Les Exulos étaient toujours présents, mais leurs supports étaient maintenant définitivement neutralisés. Il s'en occuperait plus proprement plus tard. Pour l'instant, la priorité, c'était le vampire !

L'Inquisiteur se jeta à la poursuite du fugitif mais ce dernier fila à toute allure et parvint à s'enfoncer dans la sacristie, renfermant brutalement la porte derrière lui avant de la verrouiller. Judicaël ne se le fit pas dire deux fois et l'enfonça d'un seul coup d'épaule.
Avant de reculer piteusement, se massant le muscle douloureux tout en fusillant du regard cette connerie de porte en chêne bien plus lourde et solide qu'il ne l'aurait cru.
Un jour, il aurait des muscles.

En attendant, le jeune homme ne se laissa pas démonter : en quelques coups de pelle rageur, il eût tôt fait de faire sauter serrure et poignée. Insuffisant : la porte était bâclée. L'Inquisiteur força sa pelle dans l'interstice et fit prestement levier pour dégager la barre du chemin, la faisant choir derrière. Enfin d'un coup d'épaule revanchard, il se projeta en force dans la pièce.
Détonation.
Judicaël tournoya sur lui-même, fauché en plein vol, et s'effondra face contre terre.

« Gwahahahaha !! Caqueta hystériquement le strigoï, excessivement soulagé, pistolet encore fumant en main. Pitoyable vermine primitive ! Jamais je ne serai venu m'enterrer ici sans une solide police d'assurance. Jamais ! Cracha fiévreusement Géhénos en s'approchant du cadavre de son ennemi juré. Les cristaux ne sont pas l'alpha et l'oméga de la puissance ! Je ne… »

Choc sourd. Bruit du métal contre la pierre. Un court instant, le strigoï regarda le moignon qui se tenait en lieu et place de sa main et du pistolet qu'il avait possédé, avant de se mettre à hurler de douleur. Il avait commis une erreur fatale : les vêtements trop amples de l'Inquisiteur lui avait fait mésestimer sa carrure. Oh, il l'avait bien touché, comme en attestait la large tâche cramoisie qui grossissait sur la poitrine du jeune homme. Mais ce n'était pas le cœur. Il ne l'avait pas tué sur le coup. Et il s'était imprudemment approché à portée de pelle…

Avant que le vampire n'ait le temps de se ressaisir, Judicaël lui faucha les jambes d'un coup de ciseaux des siennes, avant de se jeter sur lui, agrippant fermement sa pelle de la main gauche, près du fer.
Géhénos joua son va-tout et découvrit ses crocs pour mordre son adversaire à la gorge, mais ne parvint qu'à lui labourer le menton. Rageusement, l'Inquisiteur lui enfonça son avant-bras droit en travers de la gueule, lui déboîtant la mâchoire sous la pression et achevant de le clouer au sol sous son poids.

« Laurent Géhénos, déclama le jeune homme en ignorant les cris de panique étouffé de l'accusé. Au nom du Concile Œcuménique, moi, Judicaël Adhémar Cassien de Hautedune, Inquisiteur de l'Ordre Réformé des Chevaliers Orthodoxes du Griffon Pourpre, vous déclare coupable pour le meurtre et l'usurpation d'identité du Père Roussel, ainsi que le meurtre d'au moins cinq villageois de Roquerel. La sentence est la peine capitale, exécutable séance tenante ! Toutefois, en accord avec la Coutume, vous pouvez demander au prêtre local d'intercéder en votre faveur pour revoir votre jugement.
« … Quel dommage que tu l'aies boulotté, pas vrai ? »

Les hurlements de terreurs du strigoï prirent définitivement fin dans un dernier choc métallique.

*
*   *

Quelques instants plus tard, Judicaël émergeait de l'église, se soutenant d'une main avec sa pelle, l'autre tenant la tête décapitée du strigoï par les cheveux. Derrière lui, les flammes commençaient à ronfler digérant le mobilier, léchant les murs et effaçant définitivement toute trace des Exulos.

Le jeune homme mal au point vacilla lentement tout en s'avançant à travers la place. Un rapide coup d’œil lui appris que des gens se pressaient aux fenêtres alentours. Quelques courageux s'approchaient même à la lisière, attirés par le clocher en flammes.

« Habitants de Roquerel ! Clama l'Inquisiteur. La malédiction qui frappait votre village a été rompue ! Le monstre qui vous terrorisait n'est plus, poursuivit-il en brandissant la tête dudit monstre. Par la grâce des Esprits et du Concile Œcuménique, vous êtes désormais libres et en sécurité ! »

Judicaël ponctua sa tirade en lançant la tête en direction des courageux, avant de reprendre sa progression jusqu'au puits. Il tira le pistolet de sa poche et l'y lança. Un plouf sonore lui répondit. Là, une bonne chose de faite : cette technologie impie ne tomberait pas aux mains de quelconques villageois et ne risquerait pas de les corrompre.

L'inquisiteur se laissa glisser contre la margelle pour s'asseoir. Ça faisait du bien de souffler un peu…

« Tu te vides de ton sang, lui signala le puits derrière lui.
_ Ouais, murmura faiblement le jeune homme en contemplant sa blessure à la poitrine qui n'arrêtait pas de couler – au moins ne la tiraillait-elle plus : il ne sentait plus rien du tout.
_ Reste pas planté là, t'es en train de crever !
_ Y'a pire…
_ Pire que mourir ?
_ Pire que mourir avec le sentiment du devoir accompli » rétorqua Judicaël en contemplant l'incendie qui ronflait à pleine puissance.

La petite voix répondit quelque chose, mais le jeune homme n'écouta plus. Il se sentait glisser sur le côté. Il voulut bouger pour se redresser mais ses bras ne lui obéissait plus. Sa vision se brouilla. Il perdit connaissance avant même d'avoir touché le sol.

*
*   *

Judicaël se réveilla en sursaut, ses yeux s'agitant frénétiquement pour capter le maximum d'informations disponibles avant toute chose. Bon. Soit il n'était pas mort, soit l'au-delà ressemblait bigrement a une petite chaumière proprette.

Mes lunettes ! Ma pelle !!

Le jeune homme se redressa vivement et le regretta aussitôt alors qu'une vive douleur irradiait de sa poitrine. Ah. On l'avait soigné et bandé. Et accessoirement, il était nu comme un ver. Il lui fallait donc maintenant aussi s'inquiéter de ses vêtements. Mais plus de ses lunettes qui étaient sagement posées sur la table de chevet à côté du lit. Ni de la pelle, qui trônait fièrement près de la porte de la chambre.
Rassuré par la présence de ses deux trésors à ses côtés, l'Inquisiteur… la porte s'ouvre !

Soigné et bandé !

Ni une, ni deux, l'oreiller vola à travers la pièce pour s'écraser lourdement contre la porte.

« Arrière, vil guérisseur ! Vous n'aurez pas ma tête ! Je… J'ai un chandelier armé avec moi et je n'hésiterai pas à m'en servir ! »

Une main menue passa par l'entrebâillement en agitant un chapelet de prière tandis qu'une voix féminine s'exclamait :

« Je suis la mère Octavia, du prieuré de Saint-Christophe-des-Minerves. Rassurez-vous, je ne suis pas guérisseuse. Je reprends la charge spirituelle de Roquerel.
_ Oh. Heu… Désolé ? »

Une femme d'âge mûr pénétra dans la chambre. Cheveux court, visage souriant et chaleureux, elle était vêtue d'une robe de bure à la coupe simple et robuste, agrémentée d'icônes votives et de médailles saintes. Judicaël nota rapidement la présence de l'iconographie de la secte des Quatre Vertus, branche des Samardoles, dépendante du recteur du Temple de la Juste Tempérance à Aramila. Terrain connu.

« Ne vous inquiétez pas, fit Octavia en prenant un tabouret près du lit du patient. La Cardinale d'Andurail-Sélénée m'avait prévenue de votre… méfiance naturelle à l'égard des guérisseurs. »

Mandatée par Victoria en personne ? Les craintes de Judicaël fondirent comme neiges au soleil. Il avait une confiance aveugle et absolue dans le jugement de sa supérieure : si la cardinale l'avait choisie, c'était donc forcément la personne la plus adaptée à la situation.

Le jeune homme se drapa du mieux qu'il le put avec sa couverture. Il n'était pas spécialement prude, mais restait infiniment complexé par sa maigreur prononcée. Selon lui, un inquisiteur se devait d'en imposer physiquement et il estimait que sa carrure ne correspondait absolument pas à son rôle. D'où sa manie des vêtements trop amples pour lui, afin de se donner plus de contenance.

La Mère nota son dernier geste avec tact et lui sourit.

« Vos vêtements devraient être prêts sous peu. Les villageoises les ont lavés et nettoyés et sont en train de raccommoder le manteau et la chemise.
_ Ooooh, alors ça, c'est super-sympa de leur part ! S'enthousiasma le jeune homme qui détestait avoir à s'habituer à de nouveaux vêtements.
_ C'est tout naturel, voyons. Vous…
_ Hé, attendez ! L'interrompit subitement Judicaël en prenant conscience des implications de la réponse. Je suis resté inconscient combien de temps ?
_ Environ un jour et demi, pourq…
_ Alors qu'est-ce que vous faites là ? C'est trop tôt ! Accusa l'Inquisiteur. Si les villageois n'ont pas encore eut le temps de s'occuper de mes vêtements, alors la nouvelle de ce qui s'est passé ici n'a pas encore pu atteindre Aramila. Sans même parler du trajet retour vous concernant !
_ C'est vrai, convint Octavia, mais nous n'avons pas attendu des nouvelles de votre mission. La Cardinale m'a dépêchée ici le lendemain de votre départ. Elle semblait certaine que vous auriez tout réglé avant mon arrivée. À raison, visiblement.
_ Normal, Victoria ne m'assigne que des missions que je suis capable de réussir. Des fois, je me dis qu'elle me protège un peu trop… »

La Mère se tint coite. De son point de vue, ç'avait plutôt été l'inverse : la Cardinale semblait convaincue que puisque le Père Judicaël avait été déployé, la mission ne pouvait tout simplement plus échouer. Tellement convaincue qu'elle avait même su la persuader de rejoindre Roquerel sans seulement attendre la confirmation de l'élimination de la menace présente.

« La Foi déplace les montagnes. »

La locution percuta brutalement l'esprit d'Octavia. Elle-même n'avait plus réellement la foi : à son âge, elle avait vu bien trop de misères et de malheurs pour encore croire aux Esprits qui présideraient la destinée des habitants d'Uhr. Elle restait croyante plus par habitude et confort que par réelle conviction. Mais elle avait là, sous les yeux, un échantillon d'authentique fanatique. Le Père Judicaël était persuadé de pouvoir remplir n'importe quelle mission sur la foi que la Cardinale ne lui demanderait jamais quelque chose qui ne soit pas dans ses cordes. Et la Cardinale était persuadée de pouvoir confier n'importe quelle mission à son subalterne sur la foi qu'il saurait la mener à bien quoi qu'il arrive. La Mère se demanda confusément jusqu'où pouvait aller une telle dynamique. En cet instant, elle ne doutait absolument pas que si on leur demandait effectivement de déplacer une montagne, le duo y parviendrait : la Cardinale confierait l'affaire à l'Inquisiteur, persuadée qu'il trouverait une solution et l'Inquisiteur trouverait une solution, persuadée qu'autrement la Cardinale ne lui aurait pas confié l'affaire.
C'était tout à la fois effrayant et rassurant. Effrayant, car elle ne voyait pas de limites à un tel pouvoir. Rassurant, parce qu'il est toujours bon de se dire que des individus d'un tel calibre se démenaient nuit et jour pour empêcher le monde de trop déraper.
Et peut-être était-ce finalement là le truchement par lequel les Esprits veillaient sur Uhr ? Songea-t-elle. Pas de miracles, pas de hasards faisant bien les choses, non plus que de subtiles coïncidences proprement imbriquées. Juste des agents inspirés et déterminés, des pions ignorant le doute et téléguidés pour remettre un peu d'ordre dans tous ce chaos ambiant.

« Du coup, c'est vous qui vous êtes occupé de moi ? Était en train de demander Judicaël.
_ Oh non, je ne fais que prendre le relais : ce sont les villageois qui vous ont administré les premiers soins.
_ Oh. Il va falloir que je les en remercie, alors, se fit la remarque l'Inquisiteur.
_ Je pense que c'est plutôt le contraire, signala malicieusement Octavia. Vous les avez sauvés et libérés, ce sont plutôt eux qui ont hâte de vous remercier.
_ N'importe quoi, balaya le jeune homme. Moi, j'ai juste fait mon travail, c'était tout à fait normal et attendu. Alors qu'eux, ils ont fait bien plus que ça, alors il faut leur en être reconnaissant. »

Octavia pinça des lèvres avant de finalement opiner. Inutile de signaler à l'Inquisiteur que c'était effectivement un guérisseur qui l'avait pris en charge au début – et donc que cela faisait bien partie de son travail à lui aussi. Non, non, non, mauvaise idée. La Cardinale l'avait prévenue des réactions… véhémentes que ce genre d'interaction pouvait provoquer. Ce n'était pas tout à fait un mensonge. Pas si on considérait "les villageois" dans leur ensemble, après tout.

« Oh ! Heu… Concernant l’Église, changea de sujet la Mère.
_ Ooups… Promis, j'avais d'excellentes raisons de la brûler, hein !
_ Personne ne vous a rien reproché, vous savez ?
_ Oui, enfin, vous dites ça juste parce que vous n'avez pas encore réalisé que j'ai cramé votre outil de travail…
_ On a retrouvé les restes de sept corps carbonisés et…
_ Çui qu'était tout seul, c'était le méchant.
_ Non mais on a fait une fosse commune, c'était plus simple. … près de l'un des corps, on a retrouvé cet bijou qui a l'air d'avoir une grande valeur, signala Octavia en dévoilant le cristal.
_ Ah oui. Non, mais ce n'est pas un bijou, c'est un outil, signala Judicaël.
_ Un outil ? Mais je ne cerne pas bien…
_ Mais si, vous aller voir, c'est très facile. Serrez-le très fort entre vos mains, regardez attentivement cette petite plante verte, là, comme ça, très bien, et mantenant priez pour qu'elle s'épanouisse et grandisse en pleine forme.
_ Vous ne seriez pas en train de me prendre pour bil-Oh mes Esprits ! Elle est en train de pousser à vue d’œil !! S'exclama Octavia, incrédule.
_ Félicitation, vous venez de faire connaissance avec les mythiques cristaux de pouvoir, lui annonça l'Inquisiteur. Celui-ci permet d'agir sur les plantes.
_ Mais… Comment ça marche ??
_ C'est un catalyseur qui permet d'adresser vos prières aux Esprits idoines afin qu'ils intercèdent dans la réalité pour réaliser de petits miracles, expliqua Judicaël.
_ …
_ Quoi ? Personne ne sait bien comment ça marche et il existe bien un demi-milliers d'hypothèse sur le sujet. Mon explication en vaut bien une autre, affirma le jeune homme.
_ Oui, je suppose, convint la Mère. Je comprends mieux pourquoi on dit que ces objets mythiques s'arrachent à prix d'or… Vous avez de la chance d'avoir mis la main dessus, poursuivit-elle en tendant le cristal à son interlocuteur.
_ Qui a dit qu'il était pour moi ? Rétorqua l'intéressé. Il était dans l'église, vous la reprenez, il est donc à vous.
_ Vous… Vous plaisantez ?
_ Non.
_ Vous pourriez en avoir plus l'usage que moi.
_ Oui.
_ Mais alors…
_ Bon, écoutez, soupira Judicaël. Quand un type fait des conneries, on le juge et il s'amende. Quand il déraille trop, on l'envoie s'expliquer directement avec les Esprits pour qu'ils se chargent de son cas. D'accord ? Mais les objets ? Les objets aussi doivent se racheter, surtout qu'eux, ils n'ont pas d'âme, donc on ne peut pas les faire juger par les Esprits.
_ Vous croyez au karma ? Appliqué aux objets ??
_ Un objet utilisé uniquement pour faire le mal ne fait qu'attirer le malheur. Ce cristal a été utilisé par le strigoï pour faire des choses infâmes, il est donc nécessaire de le purifier. Si moi, je l'utilise, je peux vous assurer que j'ai plusieurs douzaines d'idées de comment le détourner pour en faire une arme sanglante. Mais ça ne le rachètera pas. Pour cela, il faut qu'il sauve plus de vie qu'il n'en a détruite et non l'inverse. Donc je vous le donne. Bénissez les champs, faites pousser les arbres, rendez le village heureux, ça ira parfaitement.
_ Mais… cet artefact vaut une véritable fortune, répliqua Octavia, sidérée. Vous pourriez le vendre à bon prix pour…
_ Je ne veux pas le confier au type le plus avide qui soit, je veux le confier à quelqu'un de bien ! Asséna Judicaël. Ici, en l’occurrence, vous.
_ Mais vous me connaissez à peine, vous ne…
_ Non, mais si Victoria vous a jugé digne de confiance, je n'ai aucun doute que vous ferez parfaitement l'affaire. Et le fait même que vous ne vous jetiez pas sur l'occasion m'incite à valider cette impression.
_ Je… Je ne suis pas certaine d'en être vraiment digne, avoua la Mère Octavia.
_ Ayez confiance en vous et faites de votre mieux, je ne vous en demande pas plus. » Répliqua l'Inquisiteur en souriant.

Pas de miracles, pas de hasards.
Juste des gens inspirés et déterminés.

*
*   *

Dans les années qui suivirent, Roquerel ne connut plus jamais de mauvaises récoltes. Sa nouvelle église, sise au creux d'un immense arbre creux, fait la fierté de la région. Et sur l'un des rares vitraux présents, on trouve une étonnante icône d'un saint tenant une pelle.

Notes du scénariste: