Et juste ainsi, le monde s’effondrait
et son petit esprit cassé
restait quelque part
sous les décombres
Comprendre, comprendre… Que d’efforts. Que de peines. Les yeux dans la foule, prunelles se perdent, prunelles ne comprennent pas le vacarme des corps et le silence sur la place, jusqu'à s’écraser sur le sol nappé de sang. L’autre Podrick aux cheveux d’or l’avait regardé comme un ennemi, des yeux écarquillés et pleins d’aigreur, de haine même. Ces deux grands yeux bleus qui semblaient capable de temps de lumière, plissés et froncés, deux billes acusatrices et elle, penaude, qui n’avait pas besoin de sentir ses émotions pour lire en son coeur et y sentir le poids de sa méfiance.
Lö était coupable - mais de quoi? La danse macabre, la peur, les corps qui tournent et se confondent dans la folie. A son tour, ses yeux se froncent. A son tour, son coeur est méfiant. Il n’y a plus de solaire dans cet homme que la couleur de ses cheveux, car tout son être transpire la défiance.
Podrick reprend la main, les guide tous les deux vers un abri - un grand abri, une maison immense qui se dresse aux abords de la place comme tous ces temps qu’elle avait vu aux abords des fleuves guider les âmes et les navires vers un lieu de rédemption. Il lui faisait l’effet de la terre promise - le salut? Le calme?
Comprendre… Le silence des coeurs l’aide. Un peu. Plus de joie, de colère, de peine, plus rien des coeurs qui palpitent autour d’elle. Podrick n’est plus que silence, l’autre Podrick… Un prédateur. Elle les suit. Elle aussi est silence. Et son coeur: une énigme indéchiffrable où chahutent des sentiments à comprendre, mais pour l’instant improbablement lointain.
Le silence de la place… Elle regarde au loin - tombe au sol quand elle entend la détonation d’une arme. On tirait encore sur la foule, mais elle n’en comprenait que le bruit, celui de la mort, celui des yeux gris qui implorent pour quelques minutes de plus, avant que le carmin ne repeigne ses vêtements, sa peau, les pierres polies par le passage incessant sous lui. Chaque détonation est un nouveau corps qui tombe, une nouvelle mort, et la rousse le comprend. Elle comprend la mort. La fin. Etait-elle venue pour mourir, elle aussi? Elle n’avait pas le mot. Mais elle savait que chacun des ces debouts gisant ne se relèverait pas.
Dans le silence, elle suivait Podrick comme si lui aussi était le phare. Il ouvre la voie, trouve le chemin - dans son coeur git aussi la culpabilité de l’inutilité. Si elle avait plus… Si elle comprenait.
Bientôt, une ouverture, une porte cassée à demi arrachée par d’autres mains, avant eux. Sur la place, on crit. Et la flamme se retourne, happée par la voix qui hurle sur la place. Tant de corps. Tant de petites choses trépassées aux mains de leurs semblables. Pourquoi? L’animal tue pour se nourrir. Pour protéger sa famille. Qui protégeaient-ils?
Là.
Juste Là. Elle est morte un petit peu plus. Et une nouvelle fois. Plus la colère, la peur. La peur dévorante, la peur venimeuse, la peur absolue. Le silence disparaît. Et comme un barrage qui éclat, les émotions se ruent de nouveau jusqu’à son coeur, qui s’ouvre comme la porte que l’on a défoncé plus tôt. Le monde n’est plus silence, et Lö ressenti de nouveau tout.
Dans le doute, elle cherche Podrick des yeux, à la recherche de réponses, de l’abri. Il était avec l’autre Podrick, ils se toisaient devant l’entrée, les yeux verrouillés. Colère. Défiance. Ego. Elle les sonde sans le vouloir, les émotions claires devant elle comme les pages d’un livre. Mais elle ne comprend pas - les mots vides. Deux rivaux, deux amis, elle voyait en eux ces deux chefs dans les meutes puissantes qui cohabitent sans s’apprécier, et cherchaient constamment à prendre le dessus. Podrick serra les crocs. Il avait perdu. Et elle serra les dents à son tour.
Sur la place, un cri. Des cris. Les partis qui s’affrontent, eux aussi, des forces contraires opposées dans le sang. Ses yeux se tournent. La lumière.
La lumière.
La foudre.
Comme sa naissance, mais sans les nuages. Elle retient un cri - surprise. Un éclair sorti d’un ciel bleu venait de heurter la maison, et avait affaibli jusqu’à ses plus profondes fondations. Les poutres se mirent à craquer violemment, cris d'agonis avant de rendre l’âme et en emportant avec elle jusqu’à la moindre de ses briques. Elle essaya d’appeler Podrick - les deux, entendant les fenêtres se briser, les planches éclater, tout jusqu’au plafond céder à son propre poids. Lö voulait se rouler en boule dans un coin. Courage. Courage, enfant de la boue et des terres noyées de pluie. Courage.
Elle courut en avant, attrapa un poignet - Podrick blond, le tira vers l’arrière, vers là où la maison - pousse un dos, Podrick brun, espère le contraindre à avancer plus loin, y met toutes ses forces. Les éloigner du danger. Le danger qui s’écroule dans un nuage de poussière. Sous sa paume - Podrick brun n’est plus, il est assez loin devant maintenant, il n’est pas sous la maison. Au bout de son autre main, la haine - Podrick blond va bien. Et elle. Et elle?
Elle tousse, Lö, ses poumons se remplirent de poussière et de sciure, la maison a craquée, un vacarme assourdissant de la création qui se dérobe, tout le bâtiment au sol. Elle voit le feu au loin, une flamme vive qui tombe dans le sillage des briques. Elle doit fuir, à nouveau, et dans un réflexe elle se jette sur le côté, heurte d’autres corps. Elle a survécu, le courage qui coulait dans ses veines lui a permis de se pousser suffisamment vite pour éviter les pierres et les briques, pour repousser les deux hommes qui l’accompagnent loin des heurts - elle l’espère, elle prie. Mais pour l’instant, elle est au sol, le corps blanc de la poussière de plâtre, son voile Aramillin de qualité couvert des restes de la maison, et elle l’arracha pour le jeter au loin contre un corps inerte pour mieux respirer, son torse s’ouvrant pour y aspirer l’air.
Elle ne le sent pas encore, mais son pied est cassé - douloureux sous l’adrénaline. Mais qu’importe, Lö est en vie. Les corps hagards les rescapés s’entassent près d’eux. D’autres survivants, d’autres combattants. Elle lève les yeux. Colère. On s’organise, des ennemis viennent se présenter face à eux. Colère. Salut. Un homme aux cheveux de feu, comme elle, se présente, se détache sur la foule. Elle bouge, s’éloigne. Podrick blond est là, hargneux. Ennemie?
Elle ne voit plus Podrick. Panique. Ses émotions… Une étincelle, et la danse macabre reprendrait. Elle devait se contrôler. Lentement, elle rampa dans la poussière, s’extirpant de la petite foule, s’abritant contre les restes d’une poutre. Se cacher. Abritée à moitié sous des débris, les boucles poussièreuses, elle lutte pour ne pas perdre le contrôle sur les émotions qui se pressent à son coeur. Elle luttait contre elle-même, avant tout, sans se rendre compte que le véritable ennemi rôdait. Elle avait perdu de vue Podrick, et son double de blé, et proscrite, elle comptait les corps tomber un à un, la mort qu’elle sentait encore dans les ruelles alentours, et sur la place derrière elle.
Sans voir que devant elle, sous la poussière… Brillait dans la main d’un mort un fusil.
***
- Petit résumé:
Lö a suivi Arno et Pietro jusqu’à la maison où se trouvait Seraphah et Maëlstrom. Quand la maison s’est effondré, elle a poussée Pietro et Arno loin des décombres, mais dans l’effondrement, elle s’est cassé un pied. Ne voyant plus ni Arno et Pietro, elle est partie se cacher dans les décombres et ne remarque pas encore l’arme d’un des terroristes tombée face à elle.