Lun 28 Aoû - 18:27
Les rouages du temps
Avec Poppy Cox
Epistopoli … Depuis combien de temps n’avait-il pas remis les pieds dans sa ville natale ? Des jours, oh que oui. Des semaines même. Non. Des mois. Oui, des mois qu’il avait quitté le berceau natal pour fuir les regards lourds de ceux qui avaient été ses “frères d’arme”, le regard réprobateur de son père, celui inquiet de sa mère. Le seul regard qui aurait pu le faire rester, celui attristé de sa jumelle. Et pourtant, il était parti.
Oui, parti dans l’espoir d’en apprendre plus sur la Brume, sur celle qui l’habitait. Affirmer ses hypothèses, ou au contraire, découvrir qu’il se trompait. Il avait quitté l’organisation militaire, l’endoctrinement Epistote, pour trouver la neutralité dont se définissait la guilde des aventuriers de la fameuse Alliance. Il avait découvert du pays et surtout, des personnes. Cela avait été un crève-cœur de quitter Elizawelle. Il lui avait proposé de se joindre à lui, mais sa place était à Opale. Il ne pouvait l’y obliger, comme elle n’avait pu le résoudre à rester auprès d’elle.
Pourquoi partir alors ? Enfin, revenir. Pour celle qui l’a toujours soutenu, celle qui lui demandait de l’aide à présent. Lyana, sa sœur aînée de quelques minutes. Prune avait besoin de son avis de médecin, en allait de la réputation de l’entreprise ORI. Elle n’avait pas voulu déranger l’ancien militaire, Lyana, elle, ne s’était pas gênée. N’avait-il pas toujours été d’une impartialité à toute épreuve ? Et puis, bien qu’elle ne lui avait pas dit, son jumeau, cette moitié avec qui elle avait partagé croissance et enfance, tantôt confident, tantôt fautif de ses bêtises d’enfant, oui, ce jumeau là lui manquait. Ne pas avoir de ses nouvelles avait fini par rendre sa bonne humeur quotidienne maussade. Quel meilleur prétexte que celui d’aider leur protégée ?
Et il était là, dans l’appartement de sa frangine, méditant son passé. L’arrivée sur Epistpoli avait été un choc. Cette ambiance tamisée en permanence, ce nuage de poussières irritantes entourant la ville. Il avait vécu dans ça, vraiment ? La pollution à laquelle il n’était plus habitué l’avait pris à la gorge, il avait l’impression de suffoquer. Il était là, oisivement installé dans le salon de Lyana, seul, à se torturer l’esprit. Assis sur le fauteuil, il caressait machinalement son cristal d’hypermnésie, son passé revenant à la surface par bribe de l’incident qui lui avait ôté son membre.
Il fait sombre dans la rue, il fait sombre dans la Basse-Ville. Mes pas résonnent sur les pavés humides du quartier. Une mère vient de perdre son enfant, je n’ai rien pu faire face à la maladie de son jeune fils ouvrier. Le deuil est lourd à annoncer, plus encore à porter. Je marche sur le linceul qui recouvre les bas quartiers. D’où je viens, les quartiers riches, on se chamaille pour savoir qui sera le prochain Ingénieur, le prochain Capitaine, le prochain Directeur … Ici on se bat pour une miche de pain. Epistopoli, Capitale du Savoir avec un grand “S”. Epistopoli, mégalopole de la Survie avec un grand “S”. Une réalité qui échappe à nos dirigeants. C’est dans cette humeur lugubre que je traverse les piteuses rues pour rentrer “là-haut”, chez moi. Il fait sombre, mon esprit s’enfonce, je n’entends pas les pas derrière moi. Je suis quelqu’un de bien après tout, je viens aider comme je peux les plus démunis, offrant mes soins au plus miséreux, pourquoi se méfier ? Que j’étais sot de me croire invulnérable de par mon “altruisme”. Le coup à la nuque me fait trébucher mais ne suffit pas à m'assommer. Je me retourne mais seuls des visages emmitouflés me font face. Je sors mon arme, ils ne bougent plus. Je tire au sol pour les faire déguerpir, ils rient. Alors ils se jettent sur moi. Cette fois je vise une cuisse, le coup retentit une nouvelle fois, m’assourdissant un peu plus encore, un corps s’effondre. Mes agresseurs me frappent, ils me détroussent, ils se vengent de leur misérable vie, ils se vengent de leur ami se lamentant sur les pavés sales de leur rue, j’en ai blessé un, je les ai tous heurtés. Oeil pour oeil, dent pour dent … Jambe pour jambe.
Lewën reprit sa respiration, lâchant son cristal. Le souvenir flou de cette journée funeste s’estompa lentement, lui laissant un arrière goût âcre. Oppressé par son souvenir, il avait besoin de se dégourdir les jambes et l’esprit. Autant tester cette nouvelle prothèse que lui avait confectionné la jeune prodige en échange de son service. Une jambe de titane robuste et légère emboîtée dans un manchon en cuire pour une sensation non douloureuse au niveau du moignon. Une pied aux articulations manuelles qui lui donnait une nouvelle propulsion. Il pouvait y attacher une chaussure, il ne serait plus aussi claudiquant qu’avant. Merci Prune pour ce cadeau. Pas de prothèse biomécanique pour sa nature, la Nebula ne l’avait pas supporté.
Dehors, l’air était chargé. Lewën avait troqué sa tenue de ville habituelle contre celle, plus discrète, de sa tenue de corbeau. Masque en moins. Se revêtir du manteau sombre pour se couler là où la misère l’avait estropiée. Ce n’était pas comme s’il allait y retrouver son membre perdu, non, il avait besoin de savoir, besoin de voir par lui-même ce que devenait ce peuple oublié par son Régent. Cette fois il était aguerri, il serait sur le qui-vive. Ses cristaux comme garants de sa sécurité. Ses cristaux comme source de convoitise aussi. Dissimulés à l’abri des regards, trois dans une dimension de poche créée par le cristal arcanique, lui-même dissimulé dans une poche cachée facile d’accès. Le cristal d’hypervélocité maintenu à même la peau par une ceinture dérobée des regards, sous les tissus de sa tenue. Ce n’était pas sans une certaine appréhension qu’il quitta “son monde” pour redécouvrir celui de l'oublier. Ombre parmi les ombres, Lewën marchait dans une direction bien précise, un chemin qu’il avait emprunté pour faire ses adieux à Samphira qu’il n’avait pu soigner du mal qui rongeait son pays : le “Savoir”.