Lun 28 Aoû - 17:07
Rage Against The Machine
ft Morgan
« FOIRE DE LA BASSE VILLE - EPISTOLOPI »MUSIQUE :
La foire avait lieu tous les mercredis dans la basse-ville de la cité des Sciences. On y trouvait de tout - vraiment de tout : des stands de morceaux rouillés de prothèses se mélangeaient aux caisses de courgettes et de viande douteusement fraîche (on pouvait le dire à la colonie de mouches qui volait tout autour)… Poppy s’y rend toujours vers la fin, pour éviter la foule du matin, et profiter des prix cassés auxquels les vendeurs bradent leurs marchandises.
Elle avait franchi l’arche de fer forgé marquant l'entrée de la foire hebdomadaire. C’était loin de ressembler au festival du pain à la tomate du petit comté de campagne – qui à côté de la Grande Foire, ressemblait plus à un pique-nique paroissial. C’était comme si toute la population de la basse-ville se retrouvait toute au même endroit, au même moment, une deuxième ville qui poussait dans la métropole. Une espèce de fourmilière d’ouvriers à la mine grise qui se bousculaient, se marchaient dessus, sans même prendre la peine de se regarder. L’air est chargé de cette odeur riche et grasse : l’huile de moteur se mélange à celle de la friture et de la sueur.
Poppy jette un rapide coup d'œil aux stands qui l’intéresse : ceux qui vendent des parties de prothèses et autres boulons et engrenages, probablement volés. Il faut dire qu’elle n’est pas vraiment regardante sur la provenance de la marchandise.
« Pour combien vous me le faites ? » Demande-t-elle en pointant du menton une espèce de squelette de moteur complètement désossé qui repose à même le sol. « C’truc là ? Ca n’vaut rien, toutes les pièces intéressantes sont déjà parties, poulette. Prends le s’tu l’veux, ça m’débarassera. » Il lève le nez vers le fond de la foire, à l’endroit où la foule s’est rassemblée en petit cercle qui n’a rien de fortuit. « Tiens, on dirait bien qu’va avoir d’l’animation. Allez, prends ton morceau d’ferraille, c’est l’moment pour moi d’plier la marchandise. »
La blondinette ne se fait pas prier, récupère le squelette rouillé et le fait glisser dans son sac, du mieux qu’elle le peut. Elle-même n'a plus de raison de s'attarder davantage : elle a trouvé ce qu’il lui fallait.
« Bienvenue braves citoyens de la Basse-Ville de notre belle cité d’Epistopoli ! Rapprochez-vous ! » L’homme qui prend la parole, perché sur quelques caisses en mauvais état a tout l’air d’un parfait gentleman, si on omettait la mauvaise facture de son costume, les trous dont il est criblé, et les morceaux rapiécés. Il transpire à grosses goûtes, et cligne trop souvent des yeux, serrant ses doigts boudinés par l’alcool sur le bord de son couvre-chef. C’est un ouvrier, comme à peu près tout le monde ici, et comme à peu près tout le monde, lui aussi a perdu son boulot. Et quand il parle, Poppy entend la morsure d’une haine longuement cultivée dans le fond de sa gorge. À ses pieds, une petite chienne est roulée en boule, une petite chose mouillée d’huile et de crasse, qui semble prête à mordre tout ce qui passe. Les regards de la foule se tournaient désormais tous vers lui : certains seulement curieux, d’autres, semblaient façonner la même hargne que leur porte-parole.
« Camarades ! Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour montrer à ceux de là-haut ; nos dirigeants, vos employeurs, que nous ne sommes ni effrayés, ni enterrés, et que nous nous battrons pour nous faire entendre ! » Il y eut quelques mouvements, dans la foule. « C’t’une manifestation ? » demanda une voix parmi les curieux. « Une manifestation… C’est ça. Nous avons tous perdu notre boulot ici, et si pas vous directement, alors vot' père, vot' oncle peut-être ? » Le garçon qui avait parlé hocha la tête. « Allons, combien d’entre vous ont réellement acheté ce qui s’trouve dans vos paniers ? Non, non, je ne vous accuse pas. Nous n’avons simplement plus d’autre choix. Plus d'autres choix que de survivre. Ne vous sentez pas coupables. Ce n’est pas de votre faute. Ce n’est pas de NOTRE faute ! Non… » Il se mit à pointer du doigt l’horizon, là où se trouvait le centre ville d’Epistolopi. « Les véritables coupables se trouvent là-bas ! Au chaud, chez eux, les doigts bien gras de leur dernier repas ! Ceux qui, pendant des années, se sont enrichis sur votre dos, pendant que vous bossiez à la sueur de votre front dans LEURS usines pour nourrir vos familles et habiller vos enfants ! Mais les temps ont changé, n’est-ce pas ? Désormais, la main d'œuvre humaine coûte « trop chère ». N’est plus assez « rentable ». Pas assez « efficiente ». Dans leur grand bureau, ils parlent de nous comme des objets, comme des machines, alors évidemment qu’ils allaient finir par nous remplacer par des véritables machines. ELLES, ne sont jamais fatiguées. ELLES travaillent jour et nuit. ELLES ne se plaignent pas. ELLES ne réclament pas de salaire à la fin du mois ! » Sa voix s’enfle, noircit au fil de son monologue, et sa haine gonfle dans sa poitrine, sous l’approbation de son public. « Nous avons été sacrifiés !!! Volés !!! De nos travails, de notre dignité ! Mais c’est terminé. Vous nous entendez ?! » et il brayait en direction de la Haute-Ville, les pointait du doigt. « Aujourd’hui, tout change !!! »
Et tout autour, on se met à s’agiter. Un homme tendait à Poppy un tract, sur lequel on pouvait lire « Joignez la Congrégation des Ouvriers en colère. » L’instant suivant, des hommes et des femmes se mirent à brandir des slogans écrits en lettres rouges sanguinolentes : « RENDEZ-NOUS NOS JOBS - RENDEZ-NOUS NOTRE DIGNITÉ ! ». On entend des frottements métalliques sur le sol, un grondement de triomphe, de haine enfin libérée. Des automates auxquels on avait retiré les batteries sont crucifiés, montés sur des immenses chars sortis de nulle part, et sur leur carcasse, on y voit les mêmes lettres de sang qui accusent toutes les plus grandes corporations, dénoncent les noms des employeurs les plus riches d’Epistopoli : « CRYSTECH », « ORI »... C’est une manifestation, une marche de colère qui se dirige vers la Haute-Ville. Ils seront probablement arrêtés par l’OAP avant d’atteindre le centre. Mais c’est le propre des hommes : de célébrer ce qui les unissait les uns les autres, davantage s’il s’agissait d’un ennemi commun. On ne peut pas réellement leur en vouloir.
Poppy observe, silencieuse, discrète, comme toujours. La foule s’agite, et c’est son signal à elle : le moment de disparaître… Il faut que, sur leur passage, d’un manifestant la bouscule, et que son épaule s’enfonce dans sa mâchoire, l’envoyant au sol. Il ne l’avait pas vu. Ne s’excuse même pas avant de continuer sa route. Ses mains s'accrochent sur les pavés, mais la mécanicienne n’y prête aucune attention : non, le précieux squelette qu’elle vient de trouver gît, toutes pièces éparpillées sur le sol, et elle tente de les récupérer avant qu’il n’en reste plus rien. On lui marche sur les doigts, la bouscule encore, tandis qu’elle serre la mâchoire.
Elle avait franchi l’arche de fer forgé marquant l'entrée de la foire hebdomadaire. C’était loin de ressembler au festival du pain à la tomate du petit comté de campagne – qui à côté de la Grande Foire, ressemblait plus à un pique-nique paroissial. C’était comme si toute la population de la basse-ville se retrouvait toute au même endroit, au même moment, une deuxième ville qui poussait dans la métropole. Une espèce de fourmilière d’ouvriers à la mine grise qui se bousculaient, se marchaient dessus, sans même prendre la peine de se regarder. L’air est chargé de cette odeur riche et grasse : l’huile de moteur se mélange à celle de la friture et de la sueur.
Poppy jette un rapide coup d'œil aux stands qui l’intéresse : ceux qui vendent des parties de prothèses et autres boulons et engrenages, probablement volés. Il faut dire qu’elle n’est pas vraiment regardante sur la provenance de la marchandise.
« Pour combien vous me le faites ? » Demande-t-elle en pointant du menton une espèce de squelette de moteur complètement désossé qui repose à même le sol. « C’truc là ? Ca n’vaut rien, toutes les pièces intéressantes sont déjà parties, poulette. Prends le s’tu l’veux, ça m’débarassera. » Il lève le nez vers le fond de la foire, à l’endroit où la foule s’est rassemblée en petit cercle qui n’a rien de fortuit. « Tiens, on dirait bien qu’va avoir d’l’animation. Allez, prends ton morceau d’ferraille, c’est l’moment pour moi d’plier la marchandise. »
La blondinette ne se fait pas prier, récupère le squelette rouillé et le fait glisser dans son sac, du mieux qu’elle le peut. Elle-même n'a plus de raison de s'attarder davantage : elle a trouvé ce qu’il lui fallait.
« Bienvenue braves citoyens de la Basse-Ville de notre belle cité d’Epistopoli ! Rapprochez-vous ! » L’homme qui prend la parole, perché sur quelques caisses en mauvais état a tout l’air d’un parfait gentleman, si on omettait la mauvaise facture de son costume, les trous dont il est criblé, et les morceaux rapiécés. Il transpire à grosses goûtes, et cligne trop souvent des yeux, serrant ses doigts boudinés par l’alcool sur le bord de son couvre-chef. C’est un ouvrier, comme à peu près tout le monde ici, et comme à peu près tout le monde, lui aussi a perdu son boulot. Et quand il parle, Poppy entend la morsure d’une haine longuement cultivée dans le fond de sa gorge. À ses pieds, une petite chienne est roulée en boule, une petite chose mouillée d’huile et de crasse, qui semble prête à mordre tout ce qui passe. Les regards de la foule se tournaient désormais tous vers lui : certains seulement curieux, d’autres, semblaient façonner la même hargne que leur porte-parole.
« Camarades ! Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour montrer à ceux de là-haut ; nos dirigeants, vos employeurs, que nous ne sommes ni effrayés, ni enterrés, et que nous nous battrons pour nous faire entendre ! » Il y eut quelques mouvements, dans la foule. « C’t’une manifestation ? » demanda une voix parmi les curieux. « Une manifestation… C’est ça. Nous avons tous perdu notre boulot ici, et si pas vous directement, alors vot' père, vot' oncle peut-être ? » Le garçon qui avait parlé hocha la tête. « Allons, combien d’entre vous ont réellement acheté ce qui s’trouve dans vos paniers ? Non, non, je ne vous accuse pas. Nous n’avons simplement plus d’autre choix. Plus d'autres choix que de survivre. Ne vous sentez pas coupables. Ce n’est pas de votre faute. Ce n’est pas de NOTRE faute ! Non… » Il se mit à pointer du doigt l’horizon, là où se trouvait le centre ville d’Epistolopi. « Les véritables coupables se trouvent là-bas ! Au chaud, chez eux, les doigts bien gras de leur dernier repas ! Ceux qui, pendant des années, se sont enrichis sur votre dos, pendant que vous bossiez à la sueur de votre front dans LEURS usines pour nourrir vos familles et habiller vos enfants ! Mais les temps ont changé, n’est-ce pas ? Désormais, la main d'œuvre humaine coûte « trop chère ». N’est plus assez « rentable ». Pas assez « efficiente ». Dans leur grand bureau, ils parlent de nous comme des objets, comme des machines, alors évidemment qu’ils allaient finir par nous remplacer par des véritables machines. ELLES, ne sont jamais fatiguées. ELLES travaillent jour et nuit. ELLES ne se plaignent pas. ELLES ne réclament pas de salaire à la fin du mois ! » Sa voix s’enfle, noircit au fil de son monologue, et sa haine gonfle dans sa poitrine, sous l’approbation de son public. « Nous avons été sacrifiés !!! Volés !!! De nos travails, de notre dignité ! Mais c’est terminé. Vous nous entendez ?! » et il brayait en direction de la Haute-Ville, les pointait du doigt. « Aujourd’hui, tout change !!! »
Et tout autour, on se met à s’agiter. Un homme tendait à Poppy un tract, sur lequel on pouvait lire « Joignez la Congrégation des Ouvriers en colère. » L’instant suivant, des hommes et des femmes se mirent à brandir des slogans écrits en lettres rouges sanguinolentes : « RENDEZ-NOUS NOS JOBS - RENDEZ-NOUS NOTRE DIGNITÉ ! ». On entend des frottements métalliques sur le sol, un grondement de triomphe, de haine enfin libérée. Des automates auxquels on avait retiré les batteries sont crucifiés, montés sur des immenses chars sortis de nulle part, et sur leur carcasse, on y voit les mêmes lettres de sang qui accusent toutes les plus grandes corporations, dénoncent les noms des employeurs les plus riches d’Epistopoli : « CRYSTECH », « ORI »... C’est une manifestation, une marche de colère qui se dirige vers la Haute-Ville. Ils seront probablement arrêtés par l’OAP avant d’atteindre le centre. Mais c’est le propre des hommes : de célébrer ce qui les unissait les uns les autres, davantage s’il s’agissait d’un ennemi commun. On ne peut pas réellement leur en vouloir.
Poppy observe, silencieuse, discrète, comme toujours. La foule s’agite, et c’est son signal à elle : le moment de disparaître… Il faut que, sur leur passage, d’un manifestant la bouscule, et que son épaule s’enfonce dans sa mâchoire, l’envoyant au sol. Il ne l’avait pas vu. Ne s’excuse même pas avant de continuer sa route. Ses mains s'accrochent sur les pavés, mais la mécanicienne n’y prête aucune attention : non, le précieux squelette qu’elle vient de trouver gît, toutes pièces éparpillées sur le sol, et elle tente de les récupérer avant qu’il n’en reste plus rien. On lui marche sur les doigts, la bouscule encore, tandis qu’elle serre la mâchoire.