Lun 28 Aoû - 13:59
Le pire de l'humanité
ft. Violette
Jusqu’à quand un corps demeure-t-il un corps ? Question d’ordre anthropologique qui n’a jamais intéressé que les gros bonhommes barbus adeptes de réflexions masturbatoires. Ce qui est certain, c’est que Teddy Hall, cette nuit-là, n’avait plus de corps du tout. Du postulat qu’un corps se doit d’être une “structure organique”, ses tripes marmitant dans leur propre merde, son ventre évasé comme du cuir de daim et ses yeux exorbités de terreur témoignaient qu’il n’était plus rien, mais de la viande. Ce qu’on lui avait fait ne pouvait être divulgué sans rougir de honte. Son colon fracturé à de multiples endroits précisait avec quelle ardeur méthodique son assaillant s’y était pris pour faire de lui sa chose. L’odeur putride et doucereuse qui planait dans les airs avait fait vomir les premiers témoins. Ceci n’était plus un homme du tout; ni même un corps. Mais un récipient de protéines qui moisissait à l’air libre. Mais il avait eu un nom, autrefois. Des obédiences qui, elles, vivaient encore. C’est comme cela que les mauvaises histoires commencent, n’est-ce pas ? Quand on fait les mauvais choix.
Loin de ce corps, loin de ce monde, pissait gaiement par-dessus les balustrades du port un garçon de vingt-quatre ans. L’esprit léger, comme à chaque fois que la nuit vivifiait en lui de vieilles mélancolies, Morgan sentait son corps battre plein et l’impression, pour lui, d’être délicieusement réel. Il l’aimait, sa vie, même si elle était terne, même si elle concomitait avec toutes sortes d'événements troublants, l’enfant suicidaire d’autrefois semblait s’être tu pour un individu plus lucide. Avant, on l’aurait surpris en train de se jeter des falaises dans l’espoir de mettre fin à ses jours; ou dans une baignoire d’eau chaude, qu’une de ses amantes lui aurait fait couler, les veines tranchées. “J’veux crever”, avait-il dit. “J’veux en finir avec c’truc qui m’habite, pour de vrai.” Il n’avait jamais réussi; Calamité l’en avait toujours empêché. Et aujourd’hui, en perspective de sa propre noirceur, il s’était accoutumé au monstre. Il ne l’aimait pas, non, et aurait donné cher pour pouvoir lui faire sa peau, un de ces quatre. Calamité était un être répugnant; mais ce monde l’était aussi, à sa manière, et il fallait bien que quelqu’un l’aide à lui survivre.
Sa besogne achevée, il marchait d’un pas lent le long des avenues de vieilles baraques miteuses, d'entrepôts désaffectés. L’endroit puait la pisse et le plein air, et la mer, par cette saison, charriait des odeurs chaudes et indistinctes. Le poisson, oui. Le bois vermoulu, pourri, et le parfum que prend la toile quand elle moisit. Le parfum avec lequel il avait grandi, toute son existence, - ça et les fragrances bon marché des femmes d’Epistopoli.
Ce qu’il faisait de sa soirée, il ne le savait pas vraiment. C’est ainsi que l’on vit sa mélancolie, n’est-ce pas ? on se perd dans ses pensées, le temps s’écoule et on ne sait jamais vraiment comment cela va se terminer. Peut-être finira-t-il dans le lit d’une femme; ou la joue appesantie sur le zinc d’un comptoir. Une bagarre de rue, des histoires de règlements de compte… ?
Il n’avait que des souvenirs diffus de ce que son hôte pouvait faire, quand il le contrôlait. Il se rappelait des cris. Du rouge. Beaucoup de rouge. Le goût ferreux de sang. Mais ses victimes n’avaient pas de visage. Il avait beau supplier le monstre d’arrêter, jamais il ne l’écoutait. Quel était ce vieux proverbe qu’il avait lu, une fois, en bas d’un livre ? “Regarde les ténèbres, et les ténèbres te regarderont.” Calamité avait-il fini par le vaincre ? sa noirceur corrompait-elle l’âme du garçon ?
“Qu’ai-je à foutre, de c’ machin-là…”, se prit-il dire, à voix haute, avant de jeter une pierre au-loin, qui retentit dans un “plouf” éloquent. Oui, c’était une de ces nuits que l’on appréciait.
Loin de ce corps, loin de ce monde, pissait gaiement par-dessus les balustrades du port un garçon de vingt-quatre ans. L’esprit léger, comme à chaque fois que la nuit vivifiait en lui de vieilles mélancolies, Morgan sentait son corps battre plein et l’impression, pour lui, d’être délicieusement réel. Il l’aimait, sa vie, même si elle était terne, même si elle concomitait avec toutes sortes d'événements troublants, l’enfant suicidaire d’autrefois semblait s’être tu pour un individu plus lucide. Avant, on l’aurait surpris en train de se jeter des falaises dans l’espoir de mettre fin à ses jours; ou dans une baignoire d’eau chaude, qu’une de ses amantes lui aurait fait couler, les veines tranchées. “J’veux crever”, avait-il dit. “J’veux en finir avec c’truc qui m’habite, pour de vrai.” Il n’avait jamais réussi; Calamité l’en avait toujours empêché. Et aujourd’hui, en perspective de sa propre noirceur, il s’était accoutumé au monstre. Il ne l’aimait pas, non, et aurait donné cher pour pouvoir lui faire sa peau, un de ces quatre. Calamité était un être répugnant; mais ce monde l’était aussi, à sa manière, et il fallait bien que quelqu’un l’aide à lui survivre.
Sa besogne achevée, il marchait d’un pas lent le long des avenues de vieilles baraques miteuses, d'entrepôts désaffectés. L’endroit puait la pisse et le plein air, et la mer, par cette saison, charriait des odeurs chaudes et indistinctes. Le poisson, oui. Le bois vermoulu, pourri, et le parfum que prend la toile quand elle moisit. Le parfum avec lequel il avait grandi, toute son existence, - ça et les fragrances bon marché des femmes d’Epistopoli.
Ce qu’il faisait de sa soirée, il ne le savait pas vraiment. C’est ainsi que l’on vit sa mélancolie, n’est-ce pas ? on se perd dans ses pensées, le temps s’écoule et on ne sait jamais vraiment comment cela va se terminer. Peut-être finira-t-il dans le lit d’une femme; ou la joue appesantie sur le zinc d’un comptoir. Une bagarre de rue, des histoires de règlements de compte… ?
Il n’avait que des souvenirs diffus de ce que son hôte pouvait faire, quand il le contrôlait. Il se rappelait des cris. Du rouge. Beaucoup de rouge. Le goût ferreux de sang. Mais ses victimes n’avaient pas de visage. Il avait beau supplier le monstre d’arrêter, jamais il ne l’écoutait. Quel était ce vieux proverbe qu’il avait lu, une fois, en bas d’un livre ? “Regarde les ténèbres, et les ténèbres te regarderont.” Calamité avait-il fini par le vaincre ? sa noirceur corrompait-elle l’âme du garçon ?
“Qu’ai-je à foutre, de c’ machin-là…”, se prit-il dire, à voix haute, avant de jeter une pierre au-loin, qui retentit dans un “plouf” éloquent. Oui, c’était une de ces nuits que l’on appréciait.
Dernière édition par Morgan Law le Mer 30 Aoû - 15:13, édité 3 fois