Dim 27 Aoû - 0:55
Première brume, dernier voyage
ft Violette
« — FLASHBACK : Expédition à provenance d'Epistopoli. »MUSIQUE :
J’ai besoin de partir. C’est la seule manière pour moi de survivre et d'espérer, que même aujourd’hui, même de là où tu es, tu serais fier de ma détermination. De ma volonté de persister.
Je sais que tu aurais voulu que je poursuive ce que tu as commencé. Que j'honore ton héritage.
Mais je ne suis pas toi, et je ne le serais jamais.
Fier. Même aujourd’hui, je tiens à ce que tu sois fier. Et ça me rend malade de constater que je suis encore capable de penser à toi avec tendresse, même après toutes ces promesses brisées. Tu nous avais promis un avenir meilleur. Et tu m’as abandonné. Dans cette même crasse, dans cette même misère ; tu es mort dans le même lit que ma mère.
Qu’importe. Ça n’a plus d’importance désormais. Plus rien n’en a. Pas ton héritage, pas même le travail que nous avons accompli. Tout ça sera oublié, en même temps que ton nom. Tu seras oublié, puisque tu n’étais rien de plus qu'un début bruyant et une fin brutale.
Tu m’as toujours dit de ne jamais me sentir coupable devant la mort. Que parfois, le monde demandait un deuil, un sacrifice, quelque chose pour pleurer et pour se rappeler de l'importance de la vie. Alors, je trinquerai à la tienne, de mort. À ce que tu m’as laissé. Pas grand chose, franchement, avouons-le. Ton amour, peut-être. Je ne céderai pas au désespoir, même si l’avenir qui s’étend devant moi s’élève affamé et inconnu.
Et, comme je l’ai toujours fait durant nos expériences, je garderai une trace de tout cela. Pas pour toi. Pas pour une quelconque audience. Mais pour faire taire mon âme.
Dans mon souvenir, je ferai de toi rien de plus qu'un homme, visionnaire - certes -, talentueux - sûrement -, misérable - certainement.
— Lettre de Poppy à son feu père.
Cela faisait plusieurs jours, semaines peut-être que le navire d’expédition avait quitté le port pour se rendre jusqu’à la Mer de Brume. C’était le genre de mission suicide, dans lequel on s’engageait quand on n'avait plus rien à perdre. Plus personne à perdre. Quand on courait après la mort. Songeait-elle à mourir ? Non. C’était autre chose. Peut-être le simple besoin de se sentir vivre – et il n’y avait pas plus poignant que de se confronter à la mort pour apprécier la vie.
Les voiles gonflées de vent, le vaisseau avançait à toute allure à travers les flots. La mer était calme. Paisible, à cet instant. Et Poppy profitait d’un moment sur le pont, seule. Bien qu’on était jamais vraiment seul au milieu d’un équipage. Elle n’avait pas encore retenu tous les noms, n’avait d’ailleurs pas essayé, mais reconnaissait tous les visages qui l’entouraient depuis maintenant deux semaines. La mécanicienne se concentrait à la tâche, jour et nuit, trimait sans relâche, comme pour oublier. Oublier tout ce qui l’entourait et tout ce qu’elle était. Elle avait toujours été dure au mal. Et semblait aimer s’en infliger car ses doigts brûlent de cloques immenses, et ses membres - douloureux des positions qu’elle adopte des heures durant - craquent de partout, éreintés par l’enchaînement des heures supplémentaires.
Mais ce soir-là, Poppy s’accorde une pause. Elle laisse ses pensées l’envahir et la posséder.
Ce n’est seulement que lorsqu'une sonnerie stridente retentit, qu’elle semble voir ce qui se tient devant elle, plus près que jamais. Elle n’aurait pas dû être surprise, après tout, c’était ce qu’ils étaient venus chercher ?
Et pourtant, la blonde reste interdite devant l’immense mur de brume qui s’élève juste devant eux, plus proche que jamais. On l’annonce, très vite. Puisque dans quelques minutes, le vaisseau le pénétrerait. Et qu’à ce moment-là, tout le monde devrait se tenir prêt. Autour d’elle, on s’agite de partout sur le pont. Ceux qui l’ont déjà visité semblent plus détendus. Après tout, ils peuvent l’être, ils en sont déjà revenus ?
Poppy, elle, retient sa respiration.
Elle avait entendu de nombreuses histoires sur ces expéditions ; on disait que certains se jetaient à la mer volontairement plutôt que d’affronter la brume, laissant dans leur sillage une étrange traînée de fumée et de cendres…
« Approche imminente… Préparez-vous. » Une voix retentit.
Une seconde avant que le navire ne s’enfonce véritablement dans la brume épaisse, Poppy dénoue son bandeau de ses cheveux, pour le renouer autour de son visage, couvrant sa bouche et son nez. Par précaution. Sur le pont, on allume quelques lampes à huile, comme si, la lueur qu’elles dispersaient pouvait se frayer un chemin à travers le brouillard. La blonde suppose qu’elles sont là pour réchauffer les cœurs, plus que pour réellement illuminer le pont.
Et tout à coup, le silence. Lourd. Pesant. Alors que la Brume se répand comme une fièvre vicieuse.
« Nous ne devrions plus être très loin des terres. »