Jeu 31 Aoû - 19:02
Quelques heures plus tard.
La retraite des forces xandriennes s'est faite dans un chaos amusant à voir, pleine de glissades et de pirouettes, dommage qu'elle ait conduite à tant de morts inutiles. Les agents du Magistère, eux, ont réussi à faire bon gré mal gré refonctionner leurs talkies et à coordonner une retraite plutôt propre. Quelques trous supplémentaires dans les murs auront été nécessaires pour accélérer la procédure du côté de l'équipe de Jerry, mais le processus fut sans douleur.
Bilan : une solide vingtaine de morts et de blessés graves chez les xandriens, trois blessés légers pour le Magistère. Une débandade absolue comme on en croise rarement dans les archives des opérations commandos planifiées par la Magistère.
C'est grave, ça aura des répercurssions sur la chaîne de commandement. Il ne suffira pas de leur dire qu'un pouvoir de portebrume est venu court-circuiter l'assaut du Guet. Ils voudront savoir pourquoi cette information n'avait pas été récoltée en amont et utilisée dans l'élaboration du plan d'attaque.
Dans les couloirs de l'avant-poste du Guet, Jerry et Vikram partagent un café ensemble avant de repartir pour Opale. Le gros Jerry déteste échouer, car échouer c'est causer du tort à la réputation du Magistère. Il sera doublement, triplement plus prudent, la prochaine fois, et toujours aussi zélé.
<< Quel bourbier c'était, fait remarquer Jerry. On a enchaîné couilles sur couilles, mais c'était instructif. >>
Le café noir coule dans la gorge de Jérémiah et y laisse une cascade acide.
Vikram, lui, n'est pas vraiment touché par la défaite. Le vieux strigoï venu d'Aramila a 200 ans de carrière pour le Magistère dans les pattes. Des échecs, il a eu le temps d'en connaître des tas ! Sa seule réaction fut de corser un petit peu plus son café que d'habitude, mais il adopte la même attitude blasée et indifférente qu'à son habitude.
<< Ne pas avoir neutralisé cette portebrume quand tu en avais l'occasion pourrait te valoir des problèmes. >>
Il va être compliqué d'aborder la question de l'indic Helmael auprès de ses supérieurs. Il serait plus sage de ne pas en parler du tout, de simplement évoquer la présence d'un pouvoir de manipulation des probabilités appartenant au Cartel et découvert trop tard.
Pourtant, certains collègues aimeront découvrir cette histoire, et savoir comment elle se finit.
<< C'était l'option la plus maline. C'était trop tard pour notre mission. Et ça aurait été dangereux de la laisser en liberté, avec le risque qu'elle nous retombe dessus un de ces jours. J'aurais pu la buter, mais le mieux, c'était de la foutre sous surveillance et de l'utiliser. On avait quasiment aucune vision des activités internes du Cartel. Maintenant, on a une paire d'yeux en plus, et un pouvoir rudement utile à garder sous la main.
- Certes. Si j'avais eu l'ouverture, j'aurais fais la même chose. Mais évite de raconter l'anecdote autour de toi aux bureaux, les patrons viendraient vite te chercher des puces. Et fais gaffe à ce que cette Violette se retourne pas contre toi. Ces gens sont nés dans le crime. Ils l'ont dans le sang.
- Je suis plus un bleu, Vikram. >>
Jerry finit son café. Pendant qu'il cause avec son ancien mentor, on entend là-bas, dans le bureau du capitaine xandrien, l'inspectrice Pola hurler. Ces deux-là savent pas causer sans se crier dessus on dirait.
<< Ils vont se rejeter la faute les uns sur les autres sans admettre qu'il peut y avoir eu des ratés des deux côtés, suggère Vikram. Les boss savent pas comment ça marche, le terrain. Ils pensent qu'il existe des plans infaillibles et qu'on a du temps à perdre pour les chercher... La vérité, c'est qu'il y aura toujours, toujours, un grain de sable dans l'engrenage, et que notre job, c'est de forcer malgré tout l'engrenage à tourner quitte à le détruire.
- C'est alambiqué comme métaphore. Là, c'était en fait juste la faute à pas de chance.
- Très drôle. Bon... >>
Vikram se lève, écrase son gobelet et le jette à la poubelle. Lorsque la chef aura fini son bras de fer avec le capitaine, il sera temps pour les forces du Magistère de rentrer à la maison, et d'écrire leurs rapports.
<< On fait un drôle de boulot hein Jerry, ingrat comme il faut.
- Hum, hum. >>
Le vétéran radote pas mal. Il est amoureux fou de son job, en réalité. Sinon, il s'y serait pas accroché deux cent ans.
Vikram s'éloigne, Jerry reste assis. Fatigué et pensif, le géant se perd dans les traces brunes restant au fond de son gobelet vide.
Un homme de conviction tel que toi ne devrait jamais apprendre à supporter la défaite, Jérémiah. Tu es un instrument de justice et de gloire. Lorsque tu dérapes, c'est Opale et ses lumières qui en subissent les conséquences. Le jour où tu mourras en mission, fusillé ou charcuté par on-ne-sait-quel monstre, c'est Opale et ses lumières qui en souffriront le plus. Ta vie entière ne s'envisage que sous le prisme du devoir. Quand tu échoues, alors c'est le bien-fondé de ton existence qui est remise en cause.
Aujourd'hui, des nascents explosifs ont été libérés dans la nature.
Cette Violette aura intérêt à être vachement utile, pour rattraper une telle humiliation.