Ven 31 Mar - 23:05
Tu te souviens des premiers symptômes et du rire de Papa face à ta moue contrariée, de cette toux insidieuse, intermittente, de plus en plus persistantes. Du souffle rauque devenant sifflant à chaque fin de journée et la difficulté à arriver en haut des escaliers. Le teint perdant de sa couleur, pâle et cireux où ressortent les cernes noirs, les ongles bleus. Tu sais qu'il souffre, il mange moins, dort peu malgré l'envie, tant ses nuits sont hantées par les quintes cacophoniques, erratiques, et tu jures que parfois tu entends ses poumons se déchirer et la douleur échapper de ses lèvres avant qu'un silence de mort ne vienne planer dans le noir. Tu le sais, qu'il se retient pour ne pas te réveiller, pour ne pas troubler ton sommeil et t'inquiéter. Lui ne sait pas, en revanche, qu'assise sur ton lit, tu attends le ventre serré de l'entendre de nouveau respirer, luttant contre ton instinct qui te hurle de te précipiter dans sa chambre pour vérifier qu'il n'a pas cesser de lutter.
Vous dormez mal, tous les deux. Lui peine à maintenir son allure de dirigeant, à conserver sa tête hors du brouillard et à ne pas se laisser emporter par son état fébrile. Il avale des vitamines, des comprimés que le médecin lui donne pour calmer les symptômes sans parvenir à mettre de mots sur ce mal qui le ronge de l'intérieur, tandis que toi tu es prête à parier qu'une expérience à mal tournée, et qu'il en paie les frais. Vous dormez mal, tous les deux. Ton sommeil est si léger que le moindre bruit te réveille en sursaut. Tu découvres pour la première fois que les ténèbres peuvent être angoissante, que le silence peut se faire pesant. La fatigue te gagne et tu deviens de plus en plus caractérielle, tu tentes de remettre ton père en état mais petite fille étrange que tu es, tu es incapable de comprendre de quoi il a besoin. Du repos, de l'air pur, des cachets, encore et encore des cachets ? Tu ne sais que faire, et dans ta diminution, tu te sens minuscule, désemparée, profondément contrarié. L'ambiance devient électrique, et Ô que vous êtes bornés, à camper sur vos positions, sans vous écouter ! Tu veux le traîner de force à l'hôpital et le brancher à tout un tas de machines qui sauront te dire, tu en es certaine, ce qui cloche dans ce corps difonctionnel, et lui te jure Mordicus qu'il n'est pas en mesure de quitter son poste pour une durée indéterminée, qu'il ne saurait se reposer en sachant l'entreprise loin de lui, et qu'il préfère de loin rester à tes côtés plutôt que de passer des jours et des jours dans une pièce aseptisée.
Ce matin, pour la première fois, la fatigue n'y aidant sans doute pas, tu as élevée la voix, grondant ton mécontentement sur ton père se contentant d'un toast en guise de carburant. Tu frôles la colère du bout des doigts, ton organisme devient chaud, trop chaud pour toi. Tu as presque été prise de vertiges, pauvre petite ! Et lorsque tu t'es enfermée dans ton atelier, dans le complexe de ta famille, ton humeur massacrante t'as empêché d'avancer sur tes projets : ratures et échecs cuisants se sont multipliés, des erreurs que tu n'aurais jamais pensé faire un jour : si élémentaires, si idiotes ! Il a fallu toute la diplomatie du monde à IAN pour te tirer hors de ta grotte, pour te faire prendre l'air, chasser les ombres stagnant dans ton esprit, essayer tout du moins de faire du tri.
L'inquiétude, Prune, n'est pas contrôlable, et tu n'as jamais été douée pour manipuler tes émotions.
« Prune, tu as une mine affreuse ! »
Le tact de Lyana a le mérite de te sortir de ta morosité, de te secouer un peu, de t'extirper de la noirceur de ton crâne. Sans te demander ton avis, elle te couve, passe son bras autour de tes épaules, mère, grande-soeur prête à protéger le plus frêle des canetons, t'entraîne sur un banc. Tu n'aimes pas spécialement le contact humain, tu as tendance à l'esquiver instinctivement, mais là, aujourd'hui, avec tous ces facteurs qui s'enchaînent et s'accumulent au point de décupler le poids de ton corps et celui que tu ressens sur tes épaules, tu te laisses couler contre elle et un flot d'informations se déversent de ta bouche lorsque la demoiselle a le malheur de te demander ce qui a bien pu se passer pour faire disparaître le sourire de ton joli minois. Un portrait des semaines passées dressent et tu tritures nerveusement les pans de ta veste pour canaliser la vague d'émotions qui s'évaporent. Etrange, en parler te soulage un peu, mais de manière dérisoire, tant formuler les choses les rend réelles, tangibles, terribles. Papa va mal. Très très mal. Il ne dort plus. Il ne mange plus. Est-ce qu'il... Est-ce que lui aussi...
Dans le noir, une lueur étincelante. Une main qui se glisse dans tes cheveux pour te rassurer, une voix douce t'assure que tout va bien se passer, que les choses vont s'arranger, et que même, qui sait, peut-être connait-elle quelqu'un qui pourrait t'aider ? Des étoiles d'espoir jaillissent de tes yeux lorsque tu l'entends te dire que ce soir, elle passera te voir avec son frère, qui pourrait être en mesure de soulager les maux de Papa. Tu ne retiens pas son prénom, et lorsque tu retournes dans ton laboratoire, tu es toujours autant incapable de te concentrer : tu ne penses qu'à la possibilité que ton père aille mieux, tu confrontes ta peur, la petite voix qui chuchote au creux de ton corps que tout pourrait mal se passer. Tu ne la comprends pas, ce n'est qu'une sensation dérangeante dans un coin de ta tête, tu ne t'y attardes pas, tu n'as pas suffisamment d'énergie pour ça. Les heures passent, nébuleuses, quand il est l'heure de rentrer, tu es comme en pilote automatique, l'esprit dans un duvet de fatigue physique et émotionnel que tu te retrouves à errer dans la cuisine, une tasse fumante à la main, observant le repas se préparer. Tu n'as pas faim, tu te forceras à manger pour montrer à ton père que ce n'est pas si compliqué de faire des efforts, même s'il ne se donne même pas la peine de sortir de sa chambre, prétextant de devoir travailler sur quelque chose d'important. Tu tournes en ronds, encore, et encore et encore, tu portes plus souvent ton pouce à ta bouche que la tasse désormais froide et tu guettes le moindre mouvement à la fenêtre, à tel point que lorsque tu vois deux silhouettes passer la grille de la demeure, tu te précipites dans l'entrée pour ouvrir la porte, sous le regard surpris de Charles : depuis quand lui voles-tu son travail ?
Et te voilà qui trépignes sur le palier, d'un pied sur l'autre, mordillant ta lèvre en fouillant dans ta tête à la recherche d'un moyen d'accélérer le temps, de les faire arriver plus vite dans la chambre de ton père... Quoi, tu es en pyjama devant tes invités ? Charles glisse un peignoir en soie sur tes épaules en te demandant de ne pas attraper froid, mais tu n'as que faire d'un rhume s'il peut permettre à ton père de guérir !
« Bonsoir, bonsoir ! Entrez, vite, s'il vous plait. », tu mitrailles alors que Charles débarrasses les nouveaux arrivants. Et tes bonnes manières, Prune ? Tu ne proposes pas de boissons à tes invités, tu ne les laisses pas se reposer ? Non, toi tu files vers les escaliers, trottinant sur la pointe des pieds, t'arrêtant à mi-hauteur pour leur demander muettement de te suivre jusqu'à la chambre du patient. Au Diable les commodités, quelqu'un souffre, ici !
Vous dormez mal, tous les deux. Lui peine à maintenir son allure de dirigeant, à conserver sa tête hors du brouillard et à ne pas se laisser emporter par son état fébrile. Il avale des vitamines, des comprimés que le médecin lui donne pour calmer les symptômes sans parvenir à mettre de mots sur ce mal qui le ronge de l'intérieur, tandis que toi tu es prête à parier qu'une expérience à mal tournée, et qu'il en paie les frais. Vous dormez mal, tous les deux. Ton sommeil est si léger que le moindre bruit te réveille en sursaut. Tu découvres pour la première fois que les ténèbres peuvent être angoissante, que le silence peut se faire pesant. La fatigue te gagne et tu deviens de plus en plus caractérielle, tu tentes de remettre ton père en état mais petite fille étrange que tu es, tu es incapable de comprendre de quoi il a besoin. Du repos, de l'air pur, des cachets, encore et encore des cachets ? Tu ne sais que faire, et dans ta diminution, tu te sens minuscule, désemparée, profondément contrarié. L'ambiance devient électrique, et Ô que vous êtes bornés, à camper sur vos positions, sans vous écouter ! Tu veux le traîner de force à l'hôpital et le brancher à tout un tas de machines qui sauront te dire, tu en es certaine, ce qui cloche dans ce corps difonctionnel, et lui te jure Mordicus qu'il n'est pas en mesure de quitter son poste pour une durée indéterminée, qu'il ne saurait se reposer en sachant l'entreprise loin de lui, et qu'il préfère de loin rester à tes côtés plutôt que de passer des jours et des jours dans une pièce aseptisée.
Ce matin, pour la première fois, la fatigue n'y aidant sans doute pas, tu as élevée la voix, grondant ton mécontentement sur ton père se contentant d'un toast en guise de carburant. Tu frôles la colère du bout des doigts, ton organisme devient chaud, trop chaud pour toi. Tu as presque été prise de vertiges, pauvre petite ! Et lorsque tu t'es enfermée dans ton atelier, dans le complexe de ta famille, ton humeur massacrante t'as empêché d'avancer sur tes projets : ratures et échecs cuisants se sont multipliés, des erreurs que tu n'aurais jamais pensé faire un jour : si élémentaires, si idiotes ! Il a fallu toute la diplomatie du monde à IAN pour te tirer hors de ta grotte, pour te faire prendre l'air, chasser les ombres stagnant dans ton esprit, essayer tout du moins de faire du tri.
L'inquiétude, Prune, n'est pas contrôlable, et tu n'as jamais été douée pour manipuler tes émotions.
« Prune, tu as une mine affreuse ! »
Le tact de Lyana a le mérite de te sortir de ta morosité, de te secouer un peu, de t'extirper de la noirceur de ton crâne. Sans te demander ton avis, elle te couve, passe son bras autour de tes épaules, mère, grande-soeur prête à protéger le plus frêle des canetons, t'entraîne sur un banc. Tu n'aimes pas spécialement le contact humain, tu as tendance à l'esquiver instinctivement, mais là, aujourd'hui, avec tous ces facteurs qui s'enchaînent et s'accumulent au point de décupler le poids de ton corps et celui que tu ressens sur tes épaules, tu te laisses couler contre elle et un flot d'informations se déversent de ta bouche lorsque la demoiselle a le malheur de te demander ce qui a bien pu se passer pour faire disparaître le sourire de ton joli minois. Un portrait des semaines passées dressent et tu tritures nerveusement les pans de ta veste pour canaliser la vague d'émotions qui s'évaporent. Etrange, en parler te soulage un peu, mais de manière dérisoire, tant formuler les choses les rend réelles, tangibles, terribles. Papa va mal. Très très mal. Il ne dort plus. Il ne mange plus. Est-ce qu'il... Est-ce que lui aussi...
Dans le noir, une lueur étincelante. Une main qui se glisse dans tes cheveux pour te rassurer, une voix douce t'assure que tout va bien se passer, que les choses vont s'arranger, et que même, qui sait, peut-être connait-elle quelqu'un qui pourrait t'aider ? Des étoiles d'espoir jaillissent de tes yeux lorsque tu l'entends te dire que ce soir, elle passera te voir avec son frère, qui pourrait être en mesure de soulager les maux de Papa. Tu ne retiens pas son prénom, et lorsque tu retournes dans ton laboratoire, tu es toujours autant incapable de te concentrer : tu ne penses qu'à la possibilité que ton père aille mieux, tu confrontes ta peur, la petite voix qui chuchote au creux de ton corps que tout pourrait mal se passer. Tu ne la comprends pas, ce n'est qu'une sensation dérangeante dans un coin de ta tête, tu ne t'y attardes pas, tu n'as pas suffisamment d'énergie pour ça. Les heures passent, nébuleuses, quand il est l'heure de rentrer, tu es comme en pilote automatique, l'esprit dans un duvet de fatigue physique et émotionnel que tu te retrouves à errer dans la cuisine, une tasse fumante à la main, observant le repas se préparer. Tu n'as pas faim, tu te forceras à manger pour montrer à ton père que ce n'est pas si compliqué de faire des efforts, même s'il ne se donne même pas la peine de sortir de sa chambre, prétextant de devoir travailler sur quelque chose d'important. Tu tournes en ronds, encore, et encore et encore, tu portes plus souvent ton pouce à ta bouche que la tasse désormais froide et tu guettes le moindre mouvement à la fenêtre, à tel point que lorsque tu vois deux silhouettes passer la grille de la demeure, tu te précipites dans l'entrée pour ouvrir la porte, sous le regard surpris de Charles : depuis quand lui voles-tu son travail ?
Et te voilà qui trépignes sur le palier, d'un pied sur l'autre, mordillant ta lèvre en fouillant dans ta tête à la recherche d'un moyen d'accélérer le temps, de les faire arriver plus vite dans la chambre de ton père... Quoi, tu es en pyjama devant tes invités ? Charles glisse un peignoir en soie sur tes épaules en te demandant de ne pas attraper froid, mais tu n'as que faire d'un rhume s'il peut permettre à ton père de guérir !
« Bonsoir, bonsoir ! Entrez, vite, s'il vous plait. », tu mitrailles alors que Charles débarrasses les nouveaux arrivants. Et tes bonnes manières, Prune ? Tu ne proposes pas de boissons à tes invités, tu ne les laisses pas se reposer ? Non, toi tu files vers les escaliers, trottinant sur la pointe des pieds, t'arrêtant à mi-hauteur pour leur demander muettement de te suivre jusqu'à la chambre du patient. Au Diable les commodités, quelqu'un souffre, ici !