Ven 6 Jan - 19:54
POST MJ : LA VILLE
Suspendues à étreindre lascivement nos remparts solides, nos belles routes pavées, nos murs maculés – de sang et de substances moins définies. Magnifiques. Nos quartiers, effondrés aux travers des rues, dans une neige qui n'est plus pelletée depuis trente ans. Oui… Déjà trente ans que nous demeurons ici. Nous avons appris à aimer ces lieux ; ces arches baroques des grandes avenues, effrités, ces potences, ces gibets, qu'ils n'ont jamais pris le temps d'extraire de terre, ces trop hautes pointes effilées qui jouaient avec le ciel ; Que ces édifices sont fragiles… une simple secousse et les voici à terre.
Mais il s'agit là de notre ville.
Une ville dont nous sommes le fantôme, manteau brumeux, qui la revêt, protecteur. Dainsbourg la maudite. Ses anciennes statues à la gloire de leurs idoles – les Esprits comme ils les nomment – tapissent nos rues de leurs têtes, de leurs membres, fracturés. Vandales et pillards ont tentés de nous spolier. Mais tous nos trésors architecturaux, même émiettés, sont restés. Tout comme la plupart d'entre eux.
Et ils se regroupent, à nouveau, là, juste à notre portée. Une bande hétéroclite, comme nous en connaissons. Valent-ils le coup que nous nous intéressions à eux ?
Asgrevain – Cet automate l'on nous avait soufflé des mots sur lui et il a même déjà retenté sa chance par ici… ainsi il n'a toujours pas compris ?
Elizawelle – Une ombre noire à l'odeur désagréable qui n'est déjà que trop de fois venue nous titiller. Dont l'une, au moins, accompagnée de ce pantin mécanisé… Ce n'est pas de notre fait si ils sont repartis en vie.
Aaron – Que penser de celui-ci ? Nous nous condensons, fugaces, à son épaule. Une énigme qui nous déchire à cœur – si tant est que nous en ayons un.
Artémis – Un autre homme bien intrigant que nous avons ici. Ses lèvres ont l'air de remuer, mais ce n'est pas le froid qui le fait chevroter. Nul signe de sa compagne débectable et de son accoutrement de cuir et de masque de leur dernière fois par ici… Nous l'avions pourtant vu passer un peu plus tôt.
Iaso – Un borgne, comme lui, géant parmi les siens, juste au-dessus de la moyenne du groupe. Stoïque, pour le moment, saura-t-il le rester ?
Ces trois derniers, nous sentons des fragments nôtres en eux. Pourquoi donc les ont-ils élus ? Pourquoi se sont-ils abaissés à les embrasser ? Nous sifflons, évasives, à leurs oreilles.
Eve – Et… qui est-elle, cette cornue, une variable étrangère ? Elle a l'allure fière et vaillante, la présentation militaire, les bottes bien dans le rang. Hum… nous la garderons à l'œil !
Ils semblent mieux préparés que les derniers. Tous – ou presque – plaisant d'apparence, qu'ils sont braves, ces immaculés. Ils réclament une chance. On leur a offert ce qu'ils souhaitaient, ils ont été dorlotés avant de se lancer à nous explorer. Des rations, des médications, des munitions, des explosifs. Ils sont prêts, affûtent leurs armes et leurs regards afin de mieux nous percer. Espèrent-ils un rai solaire en ces lieux ? Notre pénombre les désolent. S'ils peuvent se voir entre-eux, sans se regrouper en cercle serré, c'est que nous sommes dans un bon jour, nous le leur permettons. Que nous aimerions être plus chaleureuses… mais notre linceul se mêle si parfaitement au glacial des ruines. Lichens blancs, lierres rampants, herbes folles sourdent à travers les pavés même, la nature est redevenue sauvage. Ils viennent la perturber.
- On t'a réservé l'élite, m'a-t-on dit…
Et te voici, notre hôte favori, le second borgne, tu es venu nous voir tant de fois, quelques voix parmi nous en sont venues à t'estimer. Malgré notre opacité autour de ta silhouette, en trois enjambés, tu traces, libre, vers la troupe qui t'as été laissée. Ne préférais-tu pas être seul, toi, baroudeur ? Seul, avec ton bras mort à ton flan qui n'est pas fardeau pour toi. Décidément de plus en plus étrange. Tout armuré que tu es, aujourd'hui n'est définitivement pas jour de plaisance.
- Mais… *Soupire* ils ont dû se tromper. Réno Callaghn, Maître de la Guilde des Aventuriers, comme vous devez le savoir. Mais certains parmi vous me connaissent déjà, plus que de nom.
Alors que ta voix rauque sinue à travers notre voile, tes yeux se perdent un instant dans le rang, s'arrêtant sur cette Elizawelle, entre autres têtes. Pourrait-elle être plus agréable qu'elle n'en ait l'air ? Après tout, autrefois aussi, tu avais une telle odeur.
Au deuxième passage, un sourire se dessine entre tes traits durs, labourés par les batailles. Tu as mis un temps, mais as finalement reconnu la tête que tu cherchais. Aaron. Un vieil ami t'as parlé de celui-ci. « Un maraudeur talentueux… est un maraudeur désespéré », dit l'adage qui te revient à la pensée en voyant sa mine. Oh, tu nous excuseras bien de nos indiscrétions, mais à trop nous côtoyer ton esprit s'est ouvert à nous. D'un revers souple de la main, tu nous disperses subtilement.
- Nous avons la ville pour air de jeu. Dégagez et sécurisez le périmètre afin de soutenir le repli éventuel des autres équipes et fouillez ce que vous pouvez dans ce centre-ville déjà retourné. Deux tâches que vous pourrez accomplir comme vous le souhaiterez. Mais ne faites pas les têtes brûlées ! N'avancez pas seuls. Et si vous ne connaissez pas encore la Brume… ce sera chose faites d'ici peu, ne soyez pas pressés.
Quels conseils ! Qu'aurais-tu répondu dans ta jeunesse ?
Que vous changez vite, humains… et cette façon de parler de nous, tes amies, nous peine amplement, saches le !
Les portières claquent, les uns assis, les autres dans les remorques à s'accrocher pour échapper aux cahots. Poussières et poudreuses volettent par paquet, des toussotements de nuage noirâtre s'infiltrent en nous. Nous les congédions bien vite, mais ne pouvons que constater ce qu'il vient d'arriver… Il est rare qu'ils entrent dans nos ruines ainsi… Sont-ce deux canons qu'ils ont conduits jusqu'ici ? Sur ces détestables véhicules qui vaporisent le pur de l'air pour ne laisser que kérosène. Phares en spots de lumières vacillant. Nous crépitons autour avant de nous enfumer.
…
Pourquoi êtes-Vous venus ?
Vous êtes à ce vieux carrefour, celui à l'obélisque fendu qu'une chouette a pris pour nid. Cinq embranchements sans compter d'où vous venez. Mais, vous ne comptiez pas faire déjà demi-tour, n'est-ce pas ? Des murs effondrés dévoilent des escaliers de pierre toujours solides, descendants vers des caves obscures, montants dans des tours qui ont su garder de leurs majestés. À votre niveau, les axes semblent vides. Pas même un cadavre en vue. Du fait de la réputation de la ville, sans doute ne trouvez-vous pas cela réellement plus engageant.
Comment vous inviter ? Comment vous faire rester ?
Et le clocher d'une chambre de prière résonne. Quelques ombres en frémissent dans leurs coins, sous les décombres. La vie alentour se fait encore plus discrète. La votre n'en est que plus saillante.