Lun 19 Déc - 14:04
Le bruit de l'alarme pulse encore dans ses oreilles meurtries. Le grondement du cuivre emprisonné entre les murs de béton. Les vibrations de ses os répondant à l'appel de ce bruit strident. L'impression que sa tête va exploser. Que le silence ne pourra plus jamais régner.
Elle court, elle court, l'araignée. Comme une dératée. Plus vite qu'elle ne l'a jamais fait. Ses muscles se tendent sous sa peau, inhabitués, sa chair brûle, la plante de ses pieds glissent et s'enfoncent face à ce sol qu'elles n'ont jamais frôlé ; autre chose que du béton armé. Le souffle saccadé, des volutes de fumée blanche s'échappent de ses lèvres, s'écrasent sur son visage. Qu'est-ce que c'est ? Le monde qui l'entoure lui est totalement inconnu, son regard perdu, affolé, bondit sur l'écorce des arbres qui la surplombent, s'enchaînent et l'enferment dans une forêt immense, interminable. Le temps n'est plus, sa notion abstraite des minutes s'écoulant inéluctablement laisse place au néant, à l'arrêt total de l'espace-temps. Les odeurs emplissent ses narines, encombre son crâne d'informations non désirées, le froid glacial arrache le corps spongieux de ses poumons malmenés, mais elle refuse de s'arrêter. Loin, loin, toujours plus loin dans l'obscurité, jusqu'à ce que le bruit de la sirène cesse de résonner.
Son cerveau ne percute pas encore ce qu'il vient de se passer. Ça y est, elle s'est échappée. Ça y est, elle est dehors. Enfin. Dans le vrai monde. Pourquoi ? Comment ? Les souvenirs à vif des événements se confondent avec la réalité, sa course se compose d'esquives aléatoires, de sauts contre les arbres d'escalade le long des branches. Le système nerveux ne répond plus. Son instinct contrôle ses gestes, ses mouvements, animé par la peur, la rage, l'ardeur. Le bruissement des feuilles est confondus avec la pétarade des balles s'enfonçant dans toutes les surfaces sans discernements, les sons de la faune, avec les cris des blessés, des combattants, des apeurés. Des morts. Le goût du sang s'impose dans sa bouche, sur ses dents, baigne sa langue de sa fragrance métallique. Son estomac gronde, insatiable, le feu de sa flamme renaît de ses cendres, ses pensées s'affolent, son cœur s'envole...
Elle est libre, maintenant, totalement libre.
47 ne prend pas le temps, dans sa course effrénée, d'observer les merveilles de la nature dont elle a été injustement privée. Plongée dans le noir, la vision tourmentée par tant d'éléments, son esprit se brime inconsciemment. Et elle grouille, la bestiole, se précipite sans but, le pas volatile, l'allure inconstante, laissant dans son sillage traces nettes de son passage, des gouttes carmin sur son chemin. Un peu d'elle, beaucoup des autres. Sa chemise s'est accrochée aux branches, entortillée dans les buissons. Le tissu colore la forêt, vestige audacieux de sa traversée. L'habit en lambeaux, le corps parsemé de griffures, d'éraflures, troué à quelques endroits, l'araignée s'écroule à genoux quelques mètres après avoir quitté le cocon feuillu.
À bout de souffle, le regard trouble, la créature se retrouve à la merci de la voûte céleste qu'elle observe pour la première fois, rejetant la tête en arrière dans l'espoir de faciliter sa prise d'air erratique. Elle tremble, l'adrénaline qui l'a porté jusque-là semble s'échapper de son corps, chevauchant les petites perles glissant le long de sa peau à chaque battement de cœur. La chaleur bouillonnante de l'effort laisse place au froid insidieux, à la gifle du vent, à la paralysie des musques raides sollicités trop durement. Elle tremble, de froid, de douleur, de peur. Mais son regard reste rivé sur le ciel, la myriade d'étoiles scintillantes au-dessus de sa tête, la blancheur de la Lune.
L'immensité du monde.
Elle inspire. Constate l'odeur du pétrichor, la vapeur qui s'échappe de son corps. Sa peau recouverte de sang. Atrocité sur patte, mirage d'horreur, 47 tente de se redresser, mais ses jambes en coton ne font que céder. Elle n'aurait pas dû s'arrêter. Autour d'elle, le vaste inconnue. Le ciel interminable, la forêt labyrinthique, et la paroi de roche acérée. Cernée, si petite, et pourtant comprimée par la grandeur de ces choses qu'elle ne sait pas appréhender. “Bouge.” ordonne-t-elle a ses jambes en plantant ses ongles tachés dans ses cuisses congelées. Rien. Rien du tout. Pour la première fois de sa vie, elle ressent cette désagréable sensation d'être un animal blessé à la merci de n'importe quoi ; elle qui s'est toujours refusée de devenir une proie, se retrouve à grogner contre ses jambes, pitoyable constat. Est-ce que je vais crever comme ça ? Son cœur se serre. Non, certainement pas...
Un bruit sec, dans son angle mort ; elle tourne la tête, les crocs dehors. Mais le corps si faible, incapable de se contrôler, qui sait si elle saura échapper au danger ?
Elle court, elle court, l'araignée. Comme une dératée. Plus vite qu'elle ne l'a jamais fait. Ses muscles se tendent sous sa peau, inhabitués, sa chair brûle, la plante de ses pieds glissent et s'enfoncent face à ce sol qu'elles n'ont jamais frôlé ; autre chose que du béton armé. Le souffle saccadé, des volutes de fumée blanche s'échappent de ses lèvres, s'écrasent sur son visage. Qu'est-ce que c'est ? Le monde qui l'entoure lui est totalement inconnu, son regard perdu, affolé, bondit sur l'écorce des arbres qui la surplombent, s'enchaînent et l'enferment dans une forêt immense, interminable. Le temps n'est plus, sa notion abstraite des minutes s'écoulant inéluctablement laisse place au néant, à l'arrêt total de l'espace-temps. Les odeurs emplissent ses narines, encombre son crâne d'informations non désirées, le froid glacial arrache le corps spongieux de ses poumons malmenés, mais elle refuse de s'arrêter. Loin, loin, toujours plus loin dans l'obscurité, jusqu'à ce que le bruit de la sirène cesse de résonner.
Son cerveau ne percute pas encore ce qu'il vient de se passer. Ça y est, elle s'est échappée. Ça y est, elle est dehors. Enfin. Dans le vrai monde. Pourquoi ? Comment ? Les souvenirs à vif des événements se confondent avec la réalité, sa course se compose d'esquives aléatoires, de sauts contre les arbres d'escalade le long des branches. Le système nerveux ne répond plus. Son instinct contrôle ses gestes, ses mouvements, animé par la peur, la rage, l'ardeur. Le bruissement des feuilles est confondus avec la pétarade des balles s'enfonçant dans toutes les surfaces sans discernements, les sons de la faune, avec les cris des blessés, des combattants, des apeurés. Des morts. Le goût du sang s'impose dans sa bouche, sur ses dents, baigne sa langue de sa fragrance métallique. Son estomac gronde, insatiable, le feu de sa flamme renaît de ses cendres, ses pensées s'affolent, son cœur s'envole...
Elle est libre, maintenant, totalement libre.
47 ne prend pas le temps, dans sa course effrénée, d'observer les merveilles de la nature dont elle a été injustement privée. Plongée dans le noir, la vision tourmentée par tant d'éléments, son esprit se brime inconsciemment. Et elle grouille, la bestiole, se précipite sans but, le pas volatile, l'allure inconstante, laissant dans son sillage traces nettes de son passage, des gouttes carmin sur son chemin. Un peu d'elle, beaucoup des autres. Sa chemise s'est accrochée aux branches, entortillée dans les buissons. Le tissu colore la forêt, vestige audacieux de sa traversée. L'habit en lambeaux, le corps parsemé de griffures, d'éraflures, troué à quelques endroits, l'araignée s'écroule à genoux quelques mètres après avoir quitté le cocon feuillu.
À bout de souffle, le regard trouble, la créature se retrouve à la merci de la voûte céleste qu'elle observe pour la première fois, rejetant la tête en arrière dans l'espoir de faciliter sa prise d'air erratique. Elle tremble, l'adrénaline qui l'a porté jusque-là semble s'échapper de son corps, chevauchant les petites perles glissant le long de sa peau à chaque battement de cœur. La chaleur bouillonnante de l'effort laisse place au froid insidieux, à la gifle du vent, à la paralysie des musques raides sollicités trop durement. Elle tremble, de froid, de douleur, de peur. Mais son regard reste rivé sur le ciel, la myriade d'étoiles scintillantes au-dessus de sa tête, la blancheur de la Lune.
L'immensité du monde.
Elle inspire. Constate l'odeur du pétrichor, la vapeur qui s'échappe de son corps. Sa peau recouverte de sang. Atrocité sur patte, mirage d'horreur, 47 tente de se redresser, mais ses jambes en coton ne font que céder. Elle n'aurait pas dû s'arrêter. Autour d'elle, le vaste inconnue. Le ciel interminable, la forêt labyrinthique, et la paroi de roche acérée. Cernée, si petite, et pourtant comprimée par la grandeur de ces choses qu'elle ne sait pas appréhender. “Bouge.” ordonne-t-elle a ses jambes en plantant ses ongles tachés dans ses cuisses congelées. Rien. Rien du tout. Pour la première fois de sa vie, elle ressent cette désagréable sensation d'être un animal blessé à la merci de n'importe quoi ; elle qui s'est toujours refusée de devenir une proie, se retrouve à grogner contre ses jambes, pitoyable constat. Est-ce que je vais crever comme ça ? Son cœur se serre. Non, certainement pas...
Un bruit sec, dans son angle mort ; elle tourne la tête, les crocs dehors. Mais le corps si faible, incapable de se contrôler, qui sait si elle saura échapper au danger ?