Tu n’y es pas du tout, pauvre fille. On va mourir si tu continues de faire preuve d’autant de légèreté, pensa le vagabond en continuant sa marche sans réagir à aux propos de sa cliente. Elle représentait pour lui une véritable plaie. Son boulot était certes de protéger et guider les personnes, comme des chercheurs, dans des milieux hostiles. Mais ils étaient normalement dociles et donnaient toute leur confiance à Artémis qui œuvrait pour leur sécurité. Après tout, vivant dans ces bois, il était le plus à même de maîtriser cet environnement. Or, cette fois-ci, il avait le sentiment que cette dame ne souhaitait en aucun être dirigée. Elle devait contrôler. Tout. Tout le temps. Il avait pris sa décision. Si elle voulait mettre sa vie en danger, le Portebrume ne se sacrifierait pas pour elle.
« Comme vous le désirez, Madame. C’est vous la cheffe. », dit-il finalement.
Cependant, il en était absolument certain, un ou des prédateurs se trouvaient ici : des traces de pas le prouvaient. Mlle Reddington suivait relativement le rythme. Pour la discrétion, c’était à revoir, alors Artémis ne fit pas l’effort d’être discret. Les deux voyageurs représentaient une véritable aubaine pour tous prédateurs affamés. Le vagabond ne s’occupait presque pas de la scientifique. De par ses pas maladroits, il la savait présente. Mais son attention était ailleurs. La nuit venait pleinement de tomber. Ils marchaient dans l’obscurité totale. Krista tenait toujours bon et leur toit n’était plus très loin. Cependant, Artémis ordonna l’arrêt de la marche. Avant même que la Reddington ne puisse ouvrir la bouche, il prit simplement la parole.
« Comme je vous le disais plus tôt, nous ne sommes pas seuls. Un prédateur nous traque depuis tout à l’heure. Si vous êtes armée, c’est le moment de sortir vos armes. »
Après réflexion, il regretta ses paroles. Laisser une amatrice armée, c’était le risque d’involontairement se prendre une balle dans le dos. Une odeur animale le fit réagir et il se tourna vers la mutante. Un cerf-broyeur. Juste derrière elle, les dents visibles. Si l’un d’entre eux se trouvait, alors les autres n’étaient pas loin et commençaient déjà l’encerclement. A deux contre une horde entière, impossible de s’en sortir. Il saisit le bras de Krista et l’entraîna dans une course complètement folle. Elle ne devait pas y comprendre grand-chose. Derrière eux, le prédateur les poursuivait. Des bruits sur leurs flancs, les renforts étaient là. Manifestement rien à signaler devant eux. C’était déjà un bon point.
« Devant. Entrez et barricadez la porte. C’est la seule entrée et sortie. Aucune fenêtre. Croyez-moi, ce n’est pas un défaut ni un hasard. »
Il ralentit volontairement sa course pour que Krista prenne le devant. Il ne savait pas réellement si elle l'avait écoutée ou non. Peu importait. Si elle mourrait aussi bêtement, ce n'était plus son problème. Il ne pouvait se concentrer sur autre chose que ses poursuivants. Si elle était entrée, de l’intérieur, la chercheuse pouvait entendre des bruits de tir, des bruits d’épée qui tranchaient de la chaire tendre, puis quelques gémissements douloureux du vagabond. Le temps paraissait long. Et il l’était réellement.
Après un très long moment, les tirs cessèrent, faute de balles. Les lames continuaient de s’entrechoquer contre les bois tordus de ces cerfs modifiés. L’épéiste gémissait plus régulièrement. Il souffrait. Toujours de l'intérieur, on pouvait constater qu’un écoulement de sang passait sous la fente de la porte. Difficile de savoir à qui appartenait une telle quantité. Elle devait attendre l’aube avec impatience. Et il arriva lentement. Très lentement. L’accalmie régnait depuis quelques heures déjà. Si une tierce personne décidait subitement de prendre l'air, marchant sur le sang à peine séché qui s'était écoulé sur l'entrée de la maisonnette, elle découvrait alors le carnage. Une étendue rougeoyante se présentait sous ses yeux. Des cadavres par dizaines, éparpillés, faisant la joie des rapaces qui se régalaient de ce festin.
Assis et adossé au mur d’un coin de la petite maison, Artémis semblait mort. En prenant son pouls, on pouvait se rassurer de la savoir en vie. Il était inconscient ou dormait profondément. Il était entièrement recouvert de sang, de la tête aux pieds. Le sien ? Difficile à croire tant la quantité était impressionnante. Il serait complètement vidé de son sang. Au fond de lui, il s’en voulait de ne pas avoir respecté sa promesse : il a sauvé cette femme d’une mort certaine et épouvantable. Ou pas. Sa bonté le perdra. Sa mère dont il a oublié le visage le disait toujours... Sa mère ? Il avait une mère ? Était-ce un souvenir ou était-il mort ? Tandis qu’il creusa pour obtenir la réponse, il se réveilla en sursaut. Paniqué, prêt à combattre, il se détendit en voyant le spectacle qui se présentait face à lui. Il sentit une présence non loin de la sienne, sans être certain qu'il s'agissait de Krista.
« Vous comprenez maintenant pourquoi les déplacements sont importants. Dorénavant, nous voyagerons de nuit. Pour une raison qui m’échappe complètement, vous semblez mieux vous déplacer en pleine nuit. Malheureusement, le troupeau de cerf-broyeurs nous suivait déjà puis un moment. Plus on s’approche de la Brume et plus notre environnement est dangereux. Par ailleurs, je risque également de perdre ma lucidité à certains moments, alors veillez à me stimuler. »
Il se leva péniblement et se dirigea vers l’entrée de la maisonnette.
« Maintenant, si vous le permettez, j’ai besoin de récupérer un peu. Si vous avez faim, servez-vous, la viande ne manque pas. »
Il entra et ferma la porte derrière lui. Krista n’était pas mise à la porte, il limitait simplement l’entrée de la luminosité.