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Faux-semblants [PV Pyros Borges]

Faux-semblants [PV Pyros Borges] Brandw10
Dim 27 Oct - 18:30
Le fin tissu recouvrant sa main glissa lentement, dévoilant peu à peu la peau qui se cachait en dessous. Celle-ci revêtait une pâleur inquiétante. Sans attarder sur ce constat, le Spectre renouvela l'opération avec son autre main. Le mouvement souleva brièvement l'effluve familière et parfumée des onguents, qui malgré tout le soin avec lequel leur propriétaire les appliquait chaque jour, ne suffisaient pas à dissiper complètement l'odeur de mort. Cette fois, Zéphyr s'abîma dans la contemplation de cette paume cadavérique. A l'image de cette ville qui pourrissait de l'intérieure, sa glorieuse architecture d'antan réduite à des silhouettes métalliques monstrueuses quand celles-ci ne disparaissaient pas totalement derrière les vapeurs toxiques qu'elles crachaient à longueur de journée. Le parallèle qui s'effectua dans son esprit fut perçu avec ironie. Combien de temps encore allait-il tenir ainsi ? Le supercherie ne saurait être éternelle, tout comme les excuses évoquant une maladie de peau. Etait-il seulement prêt à abandonner ce Vestige ? Se refusant d'avoir à songer à cette éventualité, le Grand Camérier termina sa toilette quotidienne. A la seule différence qu'il n'enfila pas les vêtements qu'il avait l'habitude de porter à Aramila. En ces terres devenues ennemies par la force des choses, il se devait d'incarner une autre figure. Anonyme parmi les ombres qui empruntaient les rues de la ville.

Se familiariser avec la mode épistote ne se révéla pas une mince affaire. Tout comme abandonner le confort de sa tenue de voyage préparée pour l'occasion. Toutefois, au moment d'admirer son reflet, le Spectre s'en trouva satisfait. Son apparence actuelle était celle d'un petit industriel de la région, suffisamment apprêté pour être considéré comme tel sans pour autant se démarquer parmi ses pairs pour une quelconque réussite sociale. Son objectif demeurait avant tout de se fondre dans la masse et éviter d'attirer inutilement l'attention sur sa personne. Le regard rubis glissa alors en direction de la partie gauche de son visage, perpétuellement dissimulée sous le masque de bois. Un détail avec lequel il allait devoir faire avec, même si Zéphyr lui trouva une raison d'être toute justifiée au vue des circonstances. Après un dernier regard à son reflet, le Grand Camérier quitta la chambre dans laquelle il avait élu domicile pour son séjour au Renon. Au grincement des marches de l'escalier sous ses pieds, le gérant de l'auberge releva la tête dans sa direction, le saluant d'un léger mouvement du menton. Entre fiers Aramilans, la solidarité était de mise.

La relative quiétude de sa modeste résidence s'évanouit au fur et à mesure qu'il remontait la ruelle conduisant jusqu'à l'artère principale du quartier. Sur place, toute l'effervescence d'une ville en pleine révolution industrielle lui sauta au visage. Et s'il était plus aisé de se fondre dans la foule de passants qu'emprunter une rue déserte, le Spectre se résolut à se tenir sur ses gardes. L'aubergiste l'avait alerté sur les dangers d'une promenade nocturne, sans se douter du risque que prenait son interlocuteur à se rendre jusqu'au Renon, et ce, même quand l'astre solaire demeurait haut dans le ciel. Réprimant son dégoût sous les assauts des effluves nauséabondes qui s'infiltraient jusque dans les habitations en contrebas, Zéphyr prit la direction de la cathédrale, miraculeusement intacte. Certes, le bâtiment souffrait visiblement d'un manque d'entretien mais il pouvait au moins se vanter de redorer le paysage du Renon parmi toutes les installations technologiques. L'édifice grandissait à mesure qu'il s'en rapprochait, achevant de le dominer de toute sa hauteur. Si l'air vicié n'était pas aussi présent dans l'atmosphère, nul doute que le Grand Camérier aurait pris un instant pour se recueillir devant cette vision tout en admirant son architecture remarquable.

« Je demande une audience avec le conseiller Borges. »

Peu habitué à moduler sa voix en présence de ses interlocuteurs, le Spectre se constitua pourtant un timbre et une expression ennuyée face aux gardes qui sécurisaient l'endroit. En son for intérieur, Zéphyr ne doutait pas que cette prétendue milice était plus factice qu'autre chose, un moyen de garder l'Archevêque sous contrôle.

« A quel sujet ? » finit par lui répondre l'un des deux hommes, sans être caché de le détailler de la tête aux pieds avant de s'adresser au nouveau venu.

Une curiosité qui valut à l'intéressé un regard noir de la part du faux épistote.

« Ils ont saboté mon installation la nuit dernière. Des mois de travail partis en fumée. Je veux que des mesures soient prises et que justice soit rendue pour cet affront. Est-ce suffisant à vos yeux ou dois-je vous montrer ce qu'il y a en dessous ? » lâcha-t-il froidement, en référence à un incident similaire survenu quelques jours auparavant selon les dires de l'aubergiste.

Tout en parlant, il fit un pas en avant tout en portant la main à son visage, comme avec l'intention d'ôter le masque mais se vit interrompre dans son geste par le second garde.

« C-Ce ne sera pas la peine. Qui devons nous annoncer, Monsieur... ? »

« Jeanys Berthalos. Et précisez lui bien que c'est important. »

Son petit numéro terminé, le Grand Camérier se vit invité à patienter dans un couloir lugubre dans lequel flottait un légère odeur d'encens. En son for intérieur, il s'amusait des réactions que sa présence suscitait sur les gardes chargés de l'escorter à l'intérieur de la cathédrale. Partagés entre l'exaspération et le dégoût, ils demeuraient volontairement en retrait, se contentant de lui intimer d'attendre l'arrivée du conseiller. Son amusement fut cependant de courte durée quand il prit conscience de l'ampleur de la décrépitude du lieu. Si l'aspect extérieur témoignait d'un manque d'entretien, l'intérieur du bâtiment semblait complètement laissé à l'abandon, renvoyant un bien triste état. Qu'un lieu saint se voyait ainsi bafoué de la sorte, plongeait le Spectre dans une sombre humeur. La situation au Renon était pire que ce qu'il acceptait de croire. Une terre conquise, arrachée à ses habitants et sur laquelle, personne ne trouvait réellement la paix. Envahis comme envahisseurs souffraient de la situation actuelle. Pourquoi Epistopoli s'acharnait autant à maintenir son influence ? Ne voyaient-ils pas les ravages à long terme que le conflit engendrait ?