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Une histoire deux frères

Une histoire deux frères Brandw10
Lun 14 Oct - 21:30

Confortablement installé sur ma chaise, face au grand bureau qui donne sur une grande baie vitrée, de laquelle je peux aisément observer tout Xandrie, je rédige un rapport pour Wanath. C’est l’inconvénient de ma double-mission, je dois doublement rédiger. Néanmoins, quand je suis ici, sur mon magnifique promontoire, à observer la vie qui grouille sous mes pieds, je me sens bien. C’est l’un des rares moments durant lequel je ne pense à rien. J’écris mécaniquement et mon esprit contemple cette vue magnifique. Bientôt, je le sais, un départ m’attendra pour une nouvelle mission. Ainsi ma vie est dictée.

Le rapport que j’écris concerne une discussion très intéressante que j’ai eu avec une collaboratrice. L’ex-ministre Ekiel est toujours en vie. Première nouvelle peu étonnante, nous savions qu’il avait pris la fuite. Le retrouver serait une belle opportunité pour la suite. La suite, justement, serait une révolution en cours de préparation. Nous avions constaté des mouvements dans la région, mais de là à s’imaginer un tel renversement. Bref, des réjouissances vont bientôt me contraindre de doubler, voire tripler mon volume horaire. Mes vacances vont atteindre encore quelques longs et pénibles mois, je le crains.

« Zephyr, entre donc, mon frère. »

J’ai failli oublier cet abruti. Wanath n’a rien trouvé de mieux que de me filer son rejeton – de sang – pour me surveiller. Après tout, je ne serais toujours que le bâtard de sa nouvelle femme. Zephyr est plutôt bel homme, plutôt intelligent, plutôt musclé, plutôt charismatique – si l’on fait fi de sa tendance à être trop à cheval sur les codes –, plutôt habile et compétent. Un peu comme son père, autrefois. Wanath n’a jamais voulu me dire pourquoi il se cache derrière un si long manteau. Mon petit doigt me dit qu’il a trop trainé dans la Brume. Une fois, au cours d’un entraînement avec lui, j’ai tenté de lui découvrir le visage et j’ai cru voir quelques marques. Je ne vous dis pas la rouste que je me suis pris pour cette découverte. Comme je l’évoquais plus tôt, Zephyr est un beau garçon, j’en déduis que son père devait l’être également.

« Que me vaut ta visite, frangin ? »

Il déteste par-dessus tout que je l’appelle « frangin » et c’est pour cette raison qu’il reste muet comme une carpe. Quel rabat-joie ! Aussi parce qu’il sait pertinemment que je suis au courant de la raison de sa venue : récupérer le rapport et le transmettre à son paternel. D’un geste de la main, je lui montre qu’il est encore en cours de rédaction. Nos discussions sont quasi-inexistantes. On communique très peu. Au départ, j’admets lui avoir donné un accueil lamentable. Des coups bas qui m’ont beaucoup amusé. Pas lui. On se fixe comme deux cons. L’un s’impatiente et l’autre s’amuse de la situation. Je vous laisse deviner qui est qui.

« Le temps presse, Azur. Père s’impatiente. », dit-il avec son sérieux habituel.
« Est-ce Père qui s’impatiente… ou toi, Zephyr ? Tu as toujours été gêné de te retrouver dans la même pièce que moi. Si cela m’amusait au départ, j’avoue maintenant attendre autre chose de toi. », rétorqué-je avec sincérité. J’espère pouvoir profiter de cet instant pour sceller une relation durable avec lui. Sous mes airs « je m’en flutiste », je sais reconnaître des personnes utiles. Zephyr me sera plus qu’utile. J’ai toujours rêvé avoir un frère sur lequel compter.
« Tu es dangereux, Azur. On ne peut te laisser sans surveillance. Initialement, j’étais contre l’idée qu’un assassin soit utilisé ainsi, à perdre son temps pour te surveiller. Mais après t’avoir longuement observé, je comprends les doutes de Père.
- Wanath est un idiot.
- Il s’agit de mon père.
- Techniquement, c’est notre Père à tous, idiot. Et malgré cela, jamais je ne trahirai notre organisation. C’est la seule que je trouve pure, dans tout ce bazar. Nous accomplissons des contrats sans poser de question. On ment lorsque nous enfilons nos couvertures, mais en-dehors de ces moments, nous sommes d’honnêtes personnes. Puis aussi pour ma mère, qui se plait et qui est aimée de tous. Père est un idiot, mais Mère tient la baraque. »


Wanath n’est pas un idiot. C’est l’un des types les plus brillants qui m’ait été permis de rencontrer. Et c’est moi qui le dis. Maintenant, je dois m’occuper de son môme, l’enrôler dans mes conspirations et le corrompre. Je dois être son centre d’intérêt principal et placer Wanath au second plan. Et comme tout bon soldat, il n’existe hélas qu’un moyen de le soumettre. Je finis de rédiger mon rapport, le signe et le jette par terre. A ses pieds.

« T’es un cas désespéré, Zeph’. Maintenant, ramasse ce torchon et tire-toi, clébard. », lancé-je froidement en accompagnant le tout d’un regard hautain.

Le regard qu’il me lance est probablement le plus terrifiant que j’ai pu rencontrer au cours de l’année.