Light
Dark
Bas/Haut

[Requête] Le Vent se lève

[Requête] Le Vent se lève Brandw10
Ven 4 Oct - 17:25

Le Vent se lève

Tout commence mal


Plic ploc.

Tu nous as pas mis dans une situation facile, tu sais ? On a hâte de voir comment tu vas nous sortir de là. T’es sûr que serrer les dents c’était la solution ? Ils ont bien amoché ton visage en tout cas. Non pas qu’il y avait de quoi en être fier, tu ferrais pas une œuvre d’art dans quelques bureaux du coin. C’était quoi l’idée exactement ? Tu fais bien des mystères, Arno…

J’émergeais, avalant goulument une bouffée d’air humide. J’en aurais presque oublié mes mains attachées dans le dos, disons que la douleur sous mon œil attirait toute l’attention de mes nerfs. Je l’ouvrais difficilement, ce n’était qu’une fente qui s’ouvrait sur des grilles épaisses. J’allais devoir plutôt miser sur l’autre. J’entendais un ricanement et quelques ronflements interrompus de l’autre côté de la porte.

J’avais ma gorge sèche et ma langue pâteuse comme après une mauvaise nuit. Je sentais mon nez encombré, sans doute quelque caillot sanguin qui me poussait à respirer difficilement par la bouche. Fallait reconnaître un zèle particulier à nos geôliers epistotes et la main sûre et lourde. Ils devaient être trop contents d’avoir réussi à capturer un membre du groupe qui leur échappait depuis si longtemps.

Les fils de l’air insaisissable, un compagnon du Sirocco.

Ils avaient réussi à choper un courant d’air. Une erreur bête d’un gamin sans doute, d’un jeune qui voulait trop en prouver et qui avait fait un excès de confiance. Il y en avait toujours été ainsi, toujours les mêmes erreurs, toujours les mêmes maillons faibles qui lâchaient un jour ou l’autre. Il fallait que je joue ce rôle. J’attendais de les voir débarquer maintenant qu’ils me savaient réveillé. Ils avaient quelques dispositifs ou instincts et, bientôt, je verrai la petite ouverture s’ouvrir et une paire d’yeux vides me scruter.

Ça faisait quoi ? Trois jours au même tarif ? Plic ploc.

J’essayais de compter le goutte-à-goutte de cette fissure dans l’angle de la meurtrière. Il avait plu quand déjà ? Je commençais un peu à perdre le fil, c’était jamais bon. Quat’ jours plutôt, c’était y a quat’ jours.Possible Pod, possible, me surpris-je à commenter à voix basse. Ça change pas grand-chose.” Je tentais tant bien que mal de trouver une position un peu plus confortable, mais la morsure du fer sur mes poignets me fit changer d’avis, entraînant son cliquetis métallique en prime. Pas besoin de faire semblant. Je sentais dans mon dos une chaleur sèche. Malgré les vapeurs, malgré le smog, le soleil réussissait encore à filtrer quand le vent l’accompagnait pour chasser les vilains nuages.

On devait être aux alentours de la mi-journée alors. Ils auraient pas tardé à venir me réveiller de toute façon. S’ils savaient comme le sommeil me manque, ils joueraient avec d’autres techniques que d’essayer de me briser en le réduisant. Autant miser sur ça après tout. Restons lucides un tant soit peu et laissons planer le doute sur le reste. J’étais le dernier arrivé dans la troupe d’après les rapports, j’étais aussi forcément celui qu’on enverrait au charbon, car connaissant le moins les secrets de la troupe. C’était une logique froide et implacable, tout le monde était tombé d’accord avec le plan du chef.

Le judas s'éteint, la grille s’ouvre, les yeux sont de sombres abimes sur des sourcils hirsutes. Il grogne plus qu’il ne parle, un genre de roquet bien utile si vous voulez mon avis. Le manège redémarre alors que la lourde porte s’ouvre en tournant sur ses gonds rouillés. On tourne la clé et la machine se lance. Il rentre dans la pièce tel un automate, s’approche sans une hésitation et me soulève sans ménagement. Tant pis pour le serrage de dents, tant pis pour les morceaux de peau arrachés aux poignets. Il me trimballait comme un vulgaire sac vers une autre pièce à peine plus chaleureuse.

Tout de métal sombre, des traces carmin sur certains murs, un miroir m’accueille avec, j’en suis sûr, quelques observateurs derrière. J’en venais presque à me croire plus important que j’étais pour vous donner un beau spectacle, mes bons sires. Je détournais mon attention d'eux, au centre, une table, une chaise de chaque côté, mais celle sur laquelle reposait le fessier de quelque gradé formé à l’interrogatoire avait le mérite d'offrir le confort du bois par rapport à l'acier froid. On me jetait sans ménagement sur l’autre avant de rattacher mes menottes à la table. Je n’allais pas pouvoir jouer de quelques vilains tours et j’avais méchamment froid. Ils auraient pu au moins me laisser mes chaussures et une veste. En plus, leurs chausses grattent horriblement. Ils n'ont aucun goût, aucune finesse, maitre Cassandre serait consterné. Il n’attendait pas que je sorte de ma bulle. Il la fit éclater. Là où son comparse, qui était le seul autre être vivant que j’avais vu depuis… Quat’ jours, proposait un regard abyssal, celui-ci avait une lueur malicieuse dans ses yeux fauves.

“T’es qui exactement gamin ?
- Je vous l'ai déjà dit, avec un sourire que je voulais canaille, mais qui me faisait de plus en plus mal. Je suis le Sirocco.

Toujours la même question, toujours la réponse encore et encore à laquelle personne ne pouvait croire, toujours la même baffe qui partait à vous en faire décoller l'orbite.

Tic tac.


Dernière édition par Arno Dalmesca le Dim 20 Oct - 23:00, édité 2 fois
Sam 5 Oct - 18:17

Le Vent se lève

Souffle nouveau


Ça rime à quoi enfin ? Tu cherches à nous faire mal ? Pourquoi tu ne leur parle pas ? Invente, fabule, mens. C’est ce pour quoi tu es bon et pourquoi ils t’ont sorti de l’ornière de ta pauvre ferme. Raconte leur une histoire qui leur plaira.

Comme je disais, c’était douloureux, autant d’entendre sa voix douce, presque compatissante que de savoir à l’avance le coup qui allait partir. Main de fer dans un gant de velours qu’ils disent ? Je rigolais pas quand je disais que c’était puissant, y avait presque un courant d’air qui suivait la gifle pour venir attiser le feu qui naissait sur ma joue. J’entendais ma chaise, pourtant bien fixée, gémir sous mon poids en harmonie avec les menottes froides qui me déchiraient les poignets, qui s’en nourissaient. Il attend que je reprenne mes esprits. De sa voix triste et paternelle, il lance le rituel récurrent. “On recommence. T’es qui gamin ?”

Là, vous devez vous dire, mais enfin comment le jeune Arno Dalmesca, fermier, marchand et plus si affinité, s'est retrouvé dans cette vilaine mouise ? On y viendra bien sûr, avant faut que ça souffle, que ça démarre, que ça se lance, faut que ça brise. Amusant comme un même mot peut aussi bien représenter un vent doux que quelque chose irrémédiablement détruit, vous ne trouvez pas ?

Je suis loin d’être dans ce dernier cas. Pour l’instant, c’est une promenade de santé par rapport à tout le reste.

T’étais délirant dans les rues de Renon. Exalté du sentiment d’être utile. Ils t’avaient retrouvé facilement. Tu faisais des petites missions. Tu jouais les petites frappes. Boulot facile. Y a que le corps à donner. Tu es le cobaye parfait. T’avais déjà fait ton trou. Creuser ce sol. T’immerger. Le faire tien. Tout le monde vous le diras, si vous avez besoin d’un soudard qui paye pas de mine, cherchez Lucas dans n’importe quelle taverne des bas fonds. Tu m’étais fait ta petite réputation. Chez les réunionistes et les envahisseurs. On t’avait à l'œil. Des fois tu gagnais, des fois tu disparaissais. Ça prend du temps de pousser les affaires des autres pour mettre ses meubles. Des mois c’est sûr, des années peut-être. Il était temps de briser la routine et la dormance. Une simple approche, un souffle nouveau. Tu le savais pas encore, mais c’était évident après coup. T’avais commencé à bosser pour ceux qui brisent, pour le Sirocco. Ça a été grandiose, mon petit Arno. Tu te rappelles ? J'parlais pas beaucoup. C'était avant Opale. J'étais déjà là. Fallait s’accrocher.

En effet, la descente fut raide. Et ça ressemble à du mauvais comique de répétition, c’est quoi un espion qui n’arrête pas de se faire attraper ? Pas bien bon vous me direz. Mais après tout ce n’était pas le caravanier qu’ils cherchaient tous, c’était soit un homme de main, soit le Sirocco ou un de ses gars, mais jamais le caravanier. C’était qu’une question de temps après tout, dans le Renon, le pouvoir en place apprenait à aplatir les clous qui dépassent. Et ils ont de sacrés marteaux pour ça. C’est par surprise qu’un voile noir s’est abattu devant mes yeux. J’allais pour changer de bar de toute façon, mon ardoise ici commençait à devenir vraiment gonflée. Je m’y attendais pour être honnête, ils avaient même un peu trainé. Les problèmes avec la bureaucratie et la hiérarchie c’est que c’est lent à bouger. J’étais fataliste, les premiers coups sont tombés. La même litanie de questions: “T’es qui gamin ? Tu bosses pour le Sirocco pas vrai ? Il est où ? T’es qui gamin ? Tu bosses pour le Sirocco pas vrai ? Il est où ? T’es qui gamin ? Tu bosses pour le Sirocco pas vrai ? Il est où ?” Y avait deux options, je répondais pas ou dans les moments de fatigue je lâchais un vague Lucas qui irrémédiablement entraînait un coup de matraque. “Mensonge! T’es qui ? Dit la vérité !” À mesure que ça avançait, je devinais d’autres présences que mon ravisseur, mais je voyais aussi qu’il avait pour objectif de me recouvrir de bleus. Dans quel but ? J’allais pas moucharder le peu que je savais sur cette troupe, j’allais pas donner mes points de rendez-vous. ils sont plus important que moi.

Je ne suis qu’un grain de sable.

Je ne saurais pas dire combien de fois, mais on bougeait. Je n’étais jamais au même endroit au réveil. Malgré le sac en toile, je voyais une lumière différente filtrer, un air changer de la lourdeur de la pollution à celle de l’humidité forestière, sa moiteur, je passais des sueurs froides à une transpiration crasse. Tout ce que je savais maintenant et pour toujours, c’est que je suis pas une balance. On m'assoit et on me retire enfin le sac, mon corps n’était qu’un magma de douleur. Pour la première fois depuis des jours, je fais autre chose que deviner des indices par des trous dans les fibres. Une tente de fortune, au cœur de la jungle. Je sens d’autres présence dans les ombres, y a un sifflement consterné, je devais pas être beau à voir même s’ils avaient relativement épargné mon visage, je le devinais car c’est la seule zone où je ne sentais rien. Un visage simiesque approche de la lumière, des notes à la main. Il en était difficile de savoir ce qu’il pensait sous ses traits animaux. Il grimaçait et ses mimiques trahissaient une humanité depuis longtemps laissée de côté. Était-ce par choix ou par quelque sombre tour ?

Arno Dalmesca donc… T’es loin de ta ferme gamin, tu crois pas ?” Je me demandais si j’avais enfin réussi, si je rencontrais le sommet de cette troupe que je ne comprenais pas. “Vous êtes le Sirocco ?” Il ne put s’empêcher de rire à gorge déployée, d’autres macaques et narangpés à l’extérieur répondirent en écho.

On peut dire ça… Toi aussi maintenant. Bienvenue dans la Compagnie.


Dernière édition par Arno Dalmesca le Dim 20 Oct - 0:37, édité 1 fois
Dim 20 Oct - 0:37

Le Vent se lève

Bourrasques et contrevents


Je pourrais vous dire qu’on s’est tous, tout de suite, entendus après ça, mais non, ce n’est pas aussi simple. La confiance, ça ne se gagne qu’une fois et il faut parfois du temps. Alors on se reniflait, moi aussi, j’apprenais à leur faire confiance dans leurs méthodes extrêmes, j’apprenais. Je crois que celui que je pensais être le Sirocco m’avait à l’œil et qu’il savait trop de choses sur moi alors que j’étais aveugle de mon côté. Si je les écoutais, il fallait que je les appelle tous Sirocco. J’ai d’abord cru à une forme de bizutage pour le nouveau, puis à un artifice pour protéger le vrai chef du mouvement, puis je me suis fait une raison. Ils se considéraient vraiment tous comme le chef. C’était magnifique à voir se construire et à entrer dans le moule.

Je pourrais aussi vous dire que ce n’étaient que des missions faciles, sans risque, sans répercussions, mais non, ce n’est pas aussi simple. Il fallait frapper vite, fort, imprimer sa marque assez profondément pour faire peur aux puissants. Ils ne réagissent qu’à ça, que quand le risque de voir leur château de cartes tomber ou leurs puits brûler. Ils n’avaient que faire des petites gens. Il fallait attaquer le matériel, il fallait attaquer à la source. L’argent, c’est le pouvoir, non ?

J’ai enlevé, j’ai torturé, j’ai brûlé, j’ai tué pendant tout ce temps. Loin de me désensibiliser à ça, j’avais presque plus de mal que d’habitude. Ce n’était pas bon, ça voulait dire que la mission me tenait à cœur. Je ne savais pas encore que cette mission allait devenir une partie de ma vie, allait en devenir un pan entier que, encore aujourd’hui, j’avais du mal à saisir. Vint un jour mon tour d’accueillir un nouveau candidat, il avait eu le même parcours que moi à faire quelques menus services. Il semblait avoir de sacrées facilités pour les faire, jamais vraiment inquiété.

Il avait craqué à la troisième baffe du deuxième point d’interrogatoire. C’était fini.

T’aurais pu faire plus expéditif bordel, il bave à en remplir des seaux.” J’essuyais l’aiguille qui avait percé son œil et trifouillé dans ce qui se cachait derrière. Il n’était pas encore mort, mais c’était tout comme. C’est plus facile de transporter un mec qui a l’air d’avoir besoin de cuver, qui bouge et grogne encore, qu’un macchabée qui ne respire plus. “C’est surtout le gamin d’un des saigneurs du Renon. Il aurait pu nous filer des infos, tu crois pas ?” Voilà comment on appelait ces salauds qui creusaient toujours plus profond, eux qui se prenaient pour les seigneurs de ces terres ne voyaient même pas qu’ils étaient en train de les vider. Ou peut-être qu’ils s’en rendaient très bien compte justement. Mes yeux s'arrêtèrent sur ceux du plus vieux compagnon qui avait lâché l'information, un regard d’oiseau de proie, lui aussi, il savait. J’enchaînais. “C'était un tendre, trop dangereux pour nous, il devait pas savoir grand chose. Autant faire passer le message et souffler dans le coin. Il a disparu depuis combien de temps ?” Le masqué regardait sa montre à gousset. “Huit heures.” Comme en réponse, une alarme se déclencha dans la demeure du mort en sursis. Pas très rapides. Il n’y avait pas eu de questions ou de réclamations, c’était ma décision et tous l’acceptaient sans rechigner. Ça aurait été pareil si je l’avais accepté, ça aurait été sans rechigner. La confiance, c’est le pouvoir, non ?

Et c’est comme ça que vous vous retrouvez dans une vie de cavale. Croyez pas que c’est l’image romantique qu’on pourrait vous servir, ça ne sent pas spécialement bon et on ne court pas gaiement dans les champs jusqu’à faire des malencontreuses chutes. On se serre les coudes pour ne pas avoir froid, on dort que d’une oreille et on ne reste jamais plus de deux nuits dans les mêmes coins. Bien sûr, ce n’était jamais toute la troupe, juste des petits groupes disparates dans ce genre de cas, plus facile à cacher, plus fluides et évanescents. Jusqu’à ce que ça vienne toquer à votre porte. On se séparait sans un mot, sans un au revoir. On finissait toujours par voir le signe d’une réunion, dans une action, un coup d’éclat, de l’une des cellules. C’était notre mode opératoire.

Un bruit d’herbe séchée écrasée nous avait alertés, elle avait gelé dans la nuit et la petite paire d’yeux tout humains était à cet âge où l’innocence commence à vous quitter. Nos regards se croisèrent un instant, un instant suffisant. Sans doute qu’il avait vu de la lumière ici alors que les lieux devaient être vides depuis des années et, au matin, il avait voulu en avoir le cœur net. C’est ça, sans doute, la fatigue de la cavale, comment les évadés et les avides de liberté finissaient par se faire avoir. La fatigue, une erreur, l’envie de faire même un petit feu pour se réchauffer dans la nuit. On avait assez couru, le plus vieux était fatigué et on adaptait le rythme. Faute de débutant, vous me direz, mais je vous jette pas la pierre, vous n’avez pas encore compris.

Le cliquetis d’un mousquet et une épaule appuyée contre la rambarde de la fenêtre, il était toujours impressionnant de rapidité. Son œil fermé, la mire qui suivait le fuyard, petite perdrix perdue dans le maquis. Un souffle d’air frais pour sortir tout l’air des poumons. Le carton était assuré.

J’abaissais le canon de l’arme du copain. “Non, celui-là on le laisse courir.” Le gars faisait la moue, mais il finit par sortir sa pipe, en curer le reste de vieux tabac froid et accomplir son petit rituel habituel avant de crapoter quelques bouffées. D’autres ombres approchaient déjà en sortant de la cave. “Il va pas cafter grand-chose d’important…” La fumée âcre envahissait déjà l’espace, ça changeait pas trop de l’odeur du petit foyer allumé avec du bois mouillé. “Décampez, c’est le bon moment, ils vont être chauds après nous avoir cherchés aussi longtemps…

La modeste métairie s'était vidée en un instant. Il n’y avait plus de traces de notre passage. On restait là tous les deux dans la pièce, deux vautours aux yeux bleus, une tasse de thé fumante sur la table et seulement le souvenir de la chaleur des mains qui s’étaient posées sur mon épaule, comme une marque indélébile. La dernière fut celle, rugueuse et immense du change-peau simiesque qui ne m’avait pas loupé lors de notre première rencontre, un signe de la tête en prime, quelques mots pour la suite. À plus les camarades, on se retrouve de l’autre côté, j’en doute pas une seconde. J’espère ne pas avoir à vous attendre trop longtemps.

Il souffla de son côté, les yeux déjà dans le vague, déjà de l'autre côté. J'aimais cet homme comme un frère, comme un père. Il avait choisi sa fin et la dernière personne à qui il voulait parlait. Personne n'avait rechigné à son choix. "Tu es avec nous depuis combien de temps ?" Ses mots prenaient du temps à sortir, plus qu'avant. "Tu sais bien que je vais et je viens, mais ça doit faire trois ans..." Il réfléchissait, il n'était pas dupe, il y en avait d'autres comme moi dans la troupe. On devait avoir une odeur particulière ou un détail qu'il remarquait sans faille. "Un jour, petit Caravanier, il faudra peut-être que tu fasses un choix... définitif. Aller et venir ne suffira plus pour que le vent se lève. Tu sais quoi faire."

Je faisais mine de lire quelques rapports, évidemment fantaisistes, en attendant la suite, fataliste. J’entendais du bruit dehors, ils évitèrent la tombe fraiche. Le Sirocco s'était envolé vers midi, dans un soleil frais. Déjà, je m'agenouillais, les mains couvertes de terre derrière la tête alors que la porte s'ouvrait derrière moi. Il n’y avait qu’une chose que je devais reconnaître aux épistotes, au-delà de leur prévisibilité, c’était leur amour pour les procédures. Je n’avais rien à craindre de plus que quelques côtes fêlées maintenant. Ça jouerait plus des phalanges là où ils m’amèneraient. Ils n’aimaient rien de plus que l’information. Le savoir, c’est le pouvoir, non ?

Et voilà comment on se retrouve dans ce genre de situation… compliquée, dirons-nous. Face à un golgoth aux paluches comme des plaques de métal et une voix de velours qui détonnait. Ça faisait partie du plan. Faut savoir se sacrifier, faut savoir encaisser et laisser les secondes s’égrener. Je tapotais de mon doigt écorché sur la table en métal, l'écho n'était rien. Dans le silence pourtant, on aurait dit que quelqu'un toquait à la porte.

Sauf que nous, on toque pas, on explose la porte.

La violence, c’est le pouvoir, non ?


Dernière édition par Arno Dalmesca le Mar 22 Oct - 7:55, édité 2 fois
Dim 20 Oct - 22:45

Le Vent se lève

La morsure du Sirocco


Moi aussi, je commençais à sentir mes yeux partir dans le vague, dans ce reflet d’un sombre miroir où je voyais seulement mon visage, mais où j’en imaginais d’autres. Ceux des miens avec moi, ceux des leurs de l’autre côté. On n’avait vraiment pas fait dans la dentelle pendant tout ce temps. On me refoutait la tronche dans les affaires. Des photos des dégâts, des fautes, des corps. De sombres mises en scène et des victimes collatérales. Enfin, si elles étaient sur ces installations pétrolières, elles faisaient partie du problème.

Mais oui, c’était bien fait. Tous ces porcs qui n'avaient que faire des lieux. Tous ces faibles qui ont plié. C’est de leur faute à tous. C’est leur immobilisme. C’est ça la cause. Et voilà la conséquence. Personne n’est à l’abri. Ni eux, ni nous. Il faut bouger. Il faut agir plutôt qu’attendre. Tant pis si au passage, il faut briser.

Le visage déformé dans le miroir sans tain, qui aurait dû être le mien, affichait une lueur mauvaise. Il se battait encore, il se battait toujours. Pour exister, pour vivre. J’avais de la peine pour ce simplet réunioniste qui avait été la porte d’entrée. Ta rage ne sera pas perdue, mais elle ne servait plus… Il hurlait en silence, à se déchirer le visage là où mes lèvres avaient été fendues par les coups. Peut-être que c’est aussi la fin pour moi, on ne choisit pas sa mort, mais on peut louper sa vie.

Le raclement aigu de la chaise en face me vrilla les tympans. Il avait croisé ses mains devant sa bouche, un regard furieux, son pied qui battait la mesure. Il ne devait pas avoir l’habitude que ça résiste, surtout un dégingandé dans mon genre. S’il savait. Ce n’était même pas un cinquième de la Compagnie, ni un dixième des Caravaniers. C’était juste essayer d’enfermer le corps ; ils n’avaient pas encore réussi à trouver comment enfermer un esprit.

Un esprit, c’est libre, il suffit de le vouloir pour sortir de là et que la douleur s’arrête. C’est facile, juste une affaire de volonté. C’est la seule chose que j’avais. J’ai enfermé un père à Aramila, j’en ai enterré un autre dans le Renon. Le vieux Sirocco volait là-haut. J’avais versé une larme sur la route, voilà tout ce que je m’étais permis. Après ça, il fallait continuer, il ne fallait pas que le mouvement s’arrête. Je n’entendais plus son talon frapper la dalle au sol. Il tendait l’oreille, quelque chose grinçait hors de la pièce.

"Je crois qu’on en a fini."

Le souffle d’une explosion vint fracasser le miroir sans tain. Dans la demi-seconde où j’avais l’œil ouvert dans sa direction, je les voyais enfin. Trois visages, dont l’autre maton, et un feu qui courait derrière. Ils allaient fondre sous le feu. Je me protégeais le corps autant que faire se peut en étant attaché. Au moins, je savais à quoi m’attendre, ce n’était pas le cas des autres. En rouvrant les yeux, je ne sentais que l’odeur prenante du feu galopant et la chaleur des flammes. Sacré spectacle.

Par l’ouverture qui s’était formée dans la fonte de la porte de métal de la salle d’observation, des silhouettes masquées s’avançaient en contenant les braises. Une alarme se déclencha. Rapide, mais trop tard. On serait partis avant que la patrouille rapplique. Le change-peau s’avança, n’ayant que faire de sentir roussir ses poils. Il décrocha les chaînes de l’attache de la table ; ce n’était pas encore le moment de s’en libérer totalement. On verra pour le confort plus tard. "Lequel est le messager ?"

Je pointais du menton l’écorché recroquevillé dans un coin. Ses grosses paluches ne lui avaient pas vraiment servi : un méchant morceau de verre lui avait percé le côté. Ça saignait, mais il tiendrait et pouvait encore parler vu les râles qu’il poussait. Ce n’était pas la même chose pour les autres, dont on commençait à sentir l’odeur de lard sur la braise.

On le redressa, il serra les dents, et mes yeux l’avalaient de ma hauteur gagnée. "T’arrives à entendre, mon beau ?" C’est que ça faisait des acouphènes, et les trois tirs pour s’assurer qu’il ne restait pas d’autres traces n’aidaient pas. L’écho n’arrêtait pas de se répercuter sur les murs de métal. Il grognait, fini la voix suave. Je lui répondais d'un crachat sanguin, petite vengeance enfantine qui coulait sur sa joue. "Tu diras à ton chef que le Sirocco veut le voir. Là où je me suis fait choper, hors de la ville. Tu transmettras."

On le laissait là, j’avais accompli ma mission. J’avais trouvé le porteur du message qu’on espérait voir remonter le plus haut possible. Ne croyez pas qu’on était assez idéalistes pour s’imaginer rencontrer le Grand Sapiarque, mais même un adjoint nous suffirait pour transmettre notre demande. La même que d’habitude.

Le Renon.

Le message devait passer, déjà je voyais l’un des gars jouer du canif sur le front du porteur. Une rose des vents à sept branches, une huitième plus profonde. Fallait marquer les esprits. Fallait percuter pour que ça imprime dans leur tête que la menace était réelle.

On me soutenait vers la sortie, quatre personnes détachées qui me jetèrent à l’arrière d’une voiture. Vous parlez d’une évasion, à finir dans le coffre d’un véhicule quelconque alors que la caserne était en feu. Ils enlevèrent leur cagoule. Avant de croiser les contrôles, une sirène supplémentaire ajoutée dans la voiture qui zigzaguait vers un autre appel d’air. Je voyais cette fois les flammes vertes typiques dans un camp militaire en périphérie.

"Vous n’avez pas fait dans la dentelle…" mâchonnai-je encore. Le change-peau me répondit d’un rire simiesque. "Ça sert à rien de voir petit, ils en ont rien à foutre comme de leurs derniers pets si ça ne touche pas au moins les installations." On fonçait vers le feu, sous couvert d’un véhicule de pompier. Ils m'avaient marqué pour me retrouver dans cette fourmilière. Le conducteur me jeta un regard dans le rétroviseur. La nouvelle s’était répandue depuis… quat’ jours dans la Compagnie. Le chef était mort, et on attendait de celui qui l’avait enterré qu’il prenne la suite. "Longue vie, chef. On fait quoi maintenant ?"

"Ce que tu veux, tant que ça souffle." répondis-je, continuant à me cacher à l'arrière, le poids de la troupe sur les épaules. C’était honorifique plus qu’autre chose, chaque décision de chaque compagnon se valait dans la Compagnie du Sirocco, il fallait juste indiquer le sens du vent.

À moi d’orienter la girouette maintenant. On te rendra fier, le vieux. Le temps semblait s'accélérer, c'était bon signe non?

Ta tombe ne restera pas en terrain conquis.
Lun 21 Oct - 23:53

Le Vent se lève

Il faut tenter de vivre


La carriole avait depuis un moment fini de cramer et mes poignets libres n’avaient déjà plus que les marques pour se rappeler les menottes. La seule chose pénible, c’était l’acouphène qui revenait de temps en temps, mais ça se réglerait avec le temps. Parce que le calme n’était toujours pas au programme. Ni pour moi, ni pour eux.

Le temps était à la révolte.

J’étais le dernier à avoir parlé au vieux, croyaient-ils qu’il m’avait confié quelque sombre mystère sur la suite à donner après sa disparition ? Bien sûr que non, il contemplait les braises mourantes qui l’avaient réchauffées pour sa dernière nuit. Peut-être y voyait-il alors danser les ombres de ses compagnons qui avaient pris la clé des champs, se séparant aux quatre vents dans le Renon. Seule restait une attache, seul restait votre serviteur.

Je n’avais rien de spécial, c’est toujours le cas aujourd’hui, vous en conviendrez. Il avait quand même choisi de me faire confiance pour la suite, peut-être parce que je parle bien, peut-être parce qu’on a les mêmes yeux de rapaces qui s’accrochent et ne lâchent jamais. J’avais eu mille questions sans réponse ce matin-là. C’était comme ça et pas autrement, ainsi en avait décidé pour ses derniers instants le Sirocco. Il partait paisible après presque une vie à se battre pour cette terre qui l’avait vu naitre. Ce n’était pas de la tristesse dans le regard, c’était une libération. Il passait le relais.

Tu l’as vu, ils sont grossiers, violents, orduriers, teigneux… Mais cette bande de saligaud comprend les âmes les plus nobles que j’ai vues de ma vie. Ce sont des bourrasques, pures, puissantes, qui fusent droit ou qui louvoient en arabesques. J’ai le sentiment de n’avoir rien fait, de mettre juste fait porter par eux, c’était… agréable de sentir cette voile d’un honneur rapiécé se gonfler.” Il était fatigué, ça se sentait dans sa voix trainante. “Je n’aurais qu’une demande pour finir, sois en témoin et sois en l’impulsion… Vous devez tout tenter, pas juste pour la victoire. Elle viendra... Tout tenter pour vivre.

L’heure était aux messes basses. S’il y avait bien un truc que j’avais appris, c’est que y a rien de plus simple à cacher comme conversation qu’une taverne miteuse. J’adressais un signe de tête au tenancier, un copain. Il répondit par un mouvement pour nous indiquer une table libre. Par un hasard, c'était celle où les sons venaient gentiment s’écraser. Même avec les quelques autres tables pleines, on était couvé par le brouhaha ambiant. “Alors, tu vas faire quoi de ton côté ?” Je regardais distraitement, balayant la pièce du regard sans but affiché. Pas d’oreille tendue et les discussions allaient bon train. “Nous trouver des soutiens, dehors, et une voie quand tout sera fini.” J’avais moyennement envie de me retrouver sur le pilori avec les envahisseurs une fois qu’on aurait terminé notre funeste office. Il nous fallait des garanties et de quoi tenir l’ost. On nous servit une bière âpre que chacun avala à grande gorgée en silence. Le froid rentrait, la chaleur de l’alcool remontait. On était des débrouillards, ça veut pas dire qu’un peu de soutien nous ferait du mal.

On savait bien que la fin risquait d’être tragique, on l’avait tous compris en serrant la pogne du vieux. Je voulais juste leur éviter de voir leur tête roulée devant leur famille pour les crimes commis. C'est un peu candide sans doute, quand je les regarde, que j'écoute leur histoire, je peux pas m'empecher de les imaginer retrouver leur terre, retrouver leur ferme. Juste avoir une chance de faire mieux. De revenir à la normale.

Epistopoli ne comprenait que le sang, la destruction et le pouvoir. Il nous manquait encore de ce dernier. La seule chose qui nous retenait, c’était l’après, c’était la peur que notre sacrifice ne serve finalement à rien. Qu’on travestisse notre héritage après notre départ. Si nous étions prêts à devenir des martyrs, tous n’étaient pas encore prêts à envisager de finir parjures ou icones dénaturées. Il fallait briser cette peur de l’inconnu. C’était la mort ou la liberté, et rien d’autre.

Il faut tenter pour vivre. Attendre c'est mourir.

Je vais nous chercher une amnistie totale, concluais-je. Qu’on soit libérés de nos dernières chaines. Je parlerai pour vous, ça pose pas de souci?
- Non, on t’a déjà dit, fous-toi ça dans le crâne…
- C’est toi le chef, t’es le Sirocco, Arno. Fais ce que tu penses devoir faire.”

Vous voyez, j’avais pas menti à l’enquêteur. Ça n’allait pas devenir plus calme pendant que je jouais des relations, on ne pouvait pas vraiment parler de calme avant la tempête, ils allaient continuer à jouer des coudes. “Il faut que vous ralliiez plus de monde pendant ce temps, affirmais-je en posant ma chope vide. Pas dans la Compagnie, sauf s’ils ont le profil… Je parle du peuple, de l’avis général. Je m’occuperai des couronnés.” Ils vidèrent la leur, la voix la plus profonde s’éleva. “On verra pour les nouveaux, le dernier en date est suffisamment pénible, dit-il en me faisant un clin d'œil canaille. Y a encore deux ou trois puits que j’aimerais changer en feu de joie avant d'aller faire le gendre idéal en porte à porte.”

Et ils embrayèrent sur cette nouvelle idée, cette nouvelle saillie, en s'insultant de tous les noms. Un mouvement qui ne pensait qu’à l’action, qu’à avancer. Depuis plus de trois ans, c'était eux, toujours eux. Pour toujours.

Le Sirocco souffle encore.

Il faut tenter de vivre.