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[1901 Keladron] Astra valant silence

[1901 Keladron] Astra valant silence Brandw10
Mar 17 Sep - 22:47

Astra valant silence


Il pleut.

À l'orée de la capitale, l’eau portée par les vents fouette le val où s'étendent les terres agricoles détenus par la famille des Ozwinfeld. Les précipitations abondantes feront peut-être déborder l'un des bras du Dain traversant le pays d’Opale. Tu t’en réjouis ; aucune pensée bienveillante pour les paysans et leurs maigres possessions. Le limon apporté par le fleuve est une bonne chose pour la terre, et ce qui est bon pour la terre est bon pour la fortune de ta défunte épouse. Celle qui impacte directement la rente que tu perçois.

Ta main tire le rideau couvrant la grande fenêtre du salon. Cela n’empêchera pas le crépitement de la pluie sur le verre, mais peut-être arriveras-tu cette fois à duper ton mal de tête. Dans un geste mécanique, tu avales deux cachets ovales sortis de ta poche.

L’intensité du luminaire semble s’apaiser.

Puis on frappe à la porte.

Tu pousses un grognement agacé en te touchant rapidement le front. De l’autre côté, on doit prendre ce bruit pour une invitation à entrer : ton homme de main ouvre. Il tient une femme menue par l’articulation du coude. Il la fait entrer dans la pièce - pousser ne serait pas le terme exact, mais disons que le mouvement manque cruellement de galanterie - sous ton regard insistant.

La cape de la brune s’est prise dans le cadre de la porte ; un pan se soulève brièvement, laissant entrevoir la silhouette d’une aile.

Pendant un court laps de temps, plus personne ne gesticule.

Puis tu sembles revenir à ta conscience. Tes pupilles dilatées quittent enfin la nouvelle venue pour se poser sur son… accompagnateur. Merci, que tu lâches simplement à l’autre homme. Le ton est sec, il sous-entend qu’il peut (et doit) disposer. Ton employé s’éclipse en fermant la porte derrière lui.

Vraiment navré, que tu ajoutes aussitôt à l’intention de la jeune femme

En voyant l’expression sur son visage, tu te doutes que ton homme de main n’a pas dû être très loquace sur les raisons de sa présence ici. Alors tu enchaînes sans trop de délais, mais pour éviter qu’elle ne fuit en courant ou qu’il ne lui prenne l’envie de te balancer au visage le premier objet lui tombant sous la main, tu t’éloignes. Vers l’une des bibliothèques, plus précisément. Où tu met la main sur une bouteille d’eau-de-vie à l’apparence dispendieuse.

Vous avez fait la connaissance de mon bras droit, il est un peu… particulier. Il a été soldat pour Opale, un ancien garde rapproché des Ozwinfeld… - tu lui décroches un regard de biais, comme pour vérifier que l’explication suffit à ne pas la faire hurler d’indignation face au traitement qu’on vient de lui imposer pour bénéficier de sa présence ici.

Plus ou moins forcée, si ton intuition est bonne.

Je m’appelle Jerah, c’est moi qui vous ai fait mandé, que tu conclus simplement et débouchant la flasque pour remplir deux petits verres.

Tu en lève un vers elle et le dépose sur la table du salon, à son intention. Ttremper ses lèvres dans une goutte d’alcool aide généralement à avoir les idées claires. Tu t’asseois sur l’un des canapés et ne rajoutes rien de plus, laissant place à ce que ton invitée voudra bien te donner : qu’il s’agisse d’une logorrhée accusatrice, d’un silence méfiant ou d’un geste mesuré.

Toi aussi, tu as besoin de savoir à qui tu as à faire.
Sam 21 Sep - 13:29

ASTRA VALANT SILENCE

#FreePincher
La prison c'est dur, mais la sortie c'est sûr


Le gorille me balance dans la pièce. Je titube. Ma cape s’accroche à la porte et me sauve de justesse d’une humiliation de plus. Trempée, tremblotante, je m’enracine au sol. Le silence s'épaissit. J'essaie de camoufler l'inconfort qui me gagne. Lui est tapi dans la pénombre, immense, avec cette gueule tailladée, horrifique avec la lumière vacillante. C'est un roi déchu, surplombant son monde en lambeaux, l’air de cracher : «  Toujours debout.  »

Enfin bref, salut moi c'est Nym. Vous vous demandez sûrement comment j'en suis arrivé là ? Eh bien, tout a commencé par...


***


… l'île au Dragon. Un endroit chaotique où Null ne m'a jamais emmené. Trop périlleux. « Surtout pour une gamine et une vieille peau. » Mais j'ai toujours su qu'elle voulait y aller. Même si elle ne l'a jamais dit, je voyais ce désir brûler dans ses yeux. Elle rêve d'arpenter le monde pour ses dernières années, et je sais qu'elle ne se laisserait pas décourager par le danger. Et maintenant que je ne suis plus dans ses pattes…

Poussée par mon intuition incertaine, je me suis donc envolée direction Opale. Je suis arrivée sans le sou et éreintée par un voyage à travers monts et forêts. Puis, au travail, donc. J'ai enchaîné les petites missions. Celles que personne ne prend. Les problèmes de petits gens, un peu chiants, facile quand on sait voler et qu'on connaît les bois. Malheureusement, c'est aussi celles qui n’apportent que des miettes, allongeant inutilement mon séjour dans cette ville suffocante.

Un matin (similaire au précédent et le matin suivant), je scrutais les annonces, quand une voix a surgi dans mon dos.

– Boiteuse, sans famille, ni amis. Ne choisis que les tâches les plus ingrates : bêtes ou enfants égarés en montagne ou forêt, bibelots de famille tombés dans un ravin, transport d'objets en un temps record…  

Je me retourne, hoquetante. Il est tôt. Trop tôt pour que les aventuriers aient émergé de leur nuit de débauche. Mais lui, il est là. Carrure massive, coupe carrée, immobile. Statue de granite. Sa présence est pesante. Écrasante, même. Tout en lui hurle "problèmes". Alors je l’ignore et m’éloigne, clopinant mon bric-à-brac sous son regard inquisiteur.

Le souci ? Il est partout. Quand j'achète mon pain. Quand je salue les Vieux sur leurs bancs habituels. Même quand je ramasse les crottes de Pincher. Toujours là. Imperturbable. Comme mon ombre, patient. Oh, il se pense probablement discret. Mais non. Ou alors m'habituait-il à une traque bâclé pour que je baisse ma garde... Peu importe, désormais. La nuit commençait seulement à s’étirer donc et je le croyais enfin disparu.

« M'dame ! M'dame ! » Je me dis qu'ils doivent être bien désespérés pour me demander de l'aide, à moi. Je cède. L’endroit est calme, presque désert. Je m’envole, récupère le ballon, le leur tend sous leurs balbutiements hagards. Et là, une voix rauque s’est échappée des ombres. Celle-là même que j’espérais ne plus entendre.

Avant même que je déploie mes ailes, il bondit. J'ai tenté de m'envoler, ralenti par mes affaires. Une main rugueuse s'est accrochée à ma cheville, me ramenant violemment au sol. Je me suis débattue, sans succès. Plus rapide, plus fort.

Il a fouillé mes sacs, a déniché ma petite dague et a trouvé Pinch. Enfin, Pinch s'est fait remarquer. La tortue s’est accrochée à son doigt de toutes ses forces. Il n'a pas bronché. Même pas un clignement d'yeux. J'ai tenté de maintenir une façade impassible, mais mon regard a sûrement trahit mon inquiétude et… j’avoue, mon furtif sourire, mon amusement.

Il finit par me lâcher. Dans une main, Pinch qui mordait à la volée, ma dague dans l’autre.

– Je pourrais m'envoler, là, de suite. Et vous ne pourrez pas me rattraper.
– Faites donc. J'ai toujours voulu tester la résistance d'une carapace de tortue.
–...
–...
–... L’adresse ?



***


Tout ça, c'était la veille. Maintenant je me retrouve face à cet étrange malotru avec des courbatures et la boule au ventre.

Le maître des lieux me fixe, je sens mes muscles se tendre. Je m’appuie sur un meuble, ne le quittant pas des yeux. Il congédie Gorille d’un regard et un « Merci » acerbe. Sûrement, devrais-je lui demander conseils pour gérer cette brute avare de mots. Avant de déguerpir, l’ex-garde me rend mon bâton (qu’il m’avait confisqué, d'un air agacé, après que j’ai tenté de l'assommer pour récupérer Pincher). Grincement. Clac. Nous voilà seuls.

Il jacte. Frisson. Hoquètement. Sa voix sonne mal à mes oreilles. Le nom de famille ne me dit rien. Il est, de surcroît, compliqué à prononcer. Je laisse ses mots couler, comme la pluie sur les carreaux. Je les observe, les évalue. Jerah… Son nom flotte dans l’air, mais ne s’installe pas vraiment dans mon esprit. Toutes ces merveilleuses explications ne me ravissent pas. Autrement dit, je n’en ai rien à faire. Il me sert à boire. Je m’approche, chancelante. Tac. Tac. Il n'y a que le bruit de mon bâton et le ploc-ploc de ma cape qui résonne. Ma chute me lance encore dans le dos et, concrètement, la fatigue me ronge. Ne rien laisser paraître. Mes doigts glissent sur le rebords du verre. Concentre-toi. Oui, se concentrer sur autre chose que les nerfs, la peur et la colère.

– Navré ?

Ma voix sort douce, comme un murmure, mais avec un tranchant sous-jacent. Pas le tranchant d’une arme qu’on dégaine pour abattre. Plutôt celui de la lame qu’on sort de son fourreau et fait tourner du bout des doigts.

– Je suis “mandée” comme une malpropre… et vous voulez vous faire pardonner avec un fond de tord-boyaux ?

Je le scrute et pendant un instant, le silence devient étouffant. Il me toise. Semblant aussi épuisé que moi, il trône dans son fauteuil avec une allure de souverain. Je n’ai qu’une envie : lui balancer le verre à la figure. Null l’aurait probablement fait. Mais je ne suis pas Null. Et puis, Gorille est parti sans me rendre Pincher. Son regard était clair  : «  Pas de conneries ».

– Vous savez Jerah…, continue-je en appuyant sur chaque syllabe délibérément, on a pas beaucoup voulu de moi dans ma vie. Alors pourquoi ne pas couper les regards en biais, les entourloupes et autres excuses de pacotilles avant que je doive vous apprendre à se méfier des femmes et des estropiés.

Le ton de ma voix me surprend. Calme et décisif. Si je ne me connaissais pas, j’y croirai peut-être. Je ne me présente pas non plus, quand on fait suivre et battre quelqu'un, on sait bien qui, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas ?
Mer 25 Sep - 22:27

Astra valant silence


Il est vrai que si ça n'avait été que de cette aile, tu aurais su faire fie de cette émotion informe dans  ton sang. Mais elle a aussi une cane. Elle boite.

Vos lointaines ressemblances ne font pas naître en toi la sympathie, mais plutôt un mouvement d'humeur interne, secret, caché - une pulsion blanche dans laquelle, l'instant d'une fraction de seconde, tu te vois lui tordre la nuque.

Clac.

Elle s'arrête, prend le verre. Le haut de ton faciès ne laisse entrevoir qu'une placidité acquise après des années à la parfaire.

Navré ? Qu'elle répète pour reprendre tes mots.

Il te faudrait enlever ta prothèse pour boire convenablement. Autant dire que ton verre trône devant toi pour la forme. Jolie voix, incontestablement plus douce que la tienne. Tu as parfois envié le timbre des femmes ; il est moins creux, mais on y sent plus le fil de leur colère morte.

Tu ne l'interrompt pas.

Le dernier trait d'esprit te fait vaguement sourire. Un sourire rapide et sec. Invisible sous le masque, mais qui fait légèrement se fendre le coin des tes yeux fatigués.

Je me méfie déjà des femmes et des estropiés.

Sur les estropiés, tu avais tes propres agissements comme guide d'évaluation. Comme pour appuyer ces dires, tu écartes légèrement les mains pour désigner l'espace où tu reposes. Un homme sage est un homme plus mauvais qu’il n’y paraît.

Et je sais me faire pardonner, le tord-boyaux c'est pour que vous cessiez de trembler, tu ajoutes, plus sec, avant de l'inviter à prendre place sur l'autre canapé d'un geste impersonnel de la main.

Elle ne tremble pas. Mais tu veux qu'elle se pose brièvement la question, qu'elle se demande si à un moment, depuis qu'elle a mis le pied dans cette pièce, ne serait-ce qu'un frémissement d'appréhension a trahit sa maîtrise. C'est qu'elle semble attachée autant que toi à la mesure des choses.

C'est bien. Une négociation n'aboutit qu'à un résultat satisfaisant que si  le déséquilibre des forces existe sans être trop grossier.

Bon. Tu n’aimes pas non plus faire dans les fioritures inutiles, alors tu vas droit au but : Je finance des expéditions. Dans la Brume, c’est implicite. Et puis tu précises du même coup, aussi abrupt : Je ne veux pas que tu travailles pour moi, on ne se connait pas, mais je voudrais te faire une proposition.

Le tutoiement est peut-être là pour marquer le point tournant de cette entrevue. Ou alors c’est qu’il t’a échappé, provoqué par la défiance que tu vois dans les yeux de la jeune femme.

Je défraies tes coûts d'expédition à la condition d'avoir un premier choix d’achat sur les artefacts que tu trouveras là-bas. C'est simple, et surtout un peu trop beau.

Si je désire t’acheter quelque chose, je promet de t'offrir un bon prix, un prix que tu trouverais sur le marché. Si rien ne me plaît, tu seras libre d'aller revendre où bon te semble. Tes frais d'expédition seront payés chaque fois que tu me rapportes quelque chose, que je décide de l'acquérir ou non.

Un temps. Et plus lentement : Chaque fois que tu me rapportes toutes les choses que tu auras trouvé.

Évidemment, tu te gardes bien de préciser ce que tu recherches à ceux à qui tu fais cette offre. L'idée, c'est d'avoir un droit de regard avant n'importe qui d'autre. Pour réduire les chances que l'artefact qu'il te faut te glisse entre les doigts avant même de connaître son existence. Des receleurs avides, ce n'est pas ce qui manque par ici. Mais toi, tu as les moyens de t'acheter la première place.

Le gris sévère de tes yeux plane sur toute sa silhouette. Tu attends qu'elle te relance la balle, ses questions, son refus, qu'importe : tu as posé la première pierre à l'édifice.
Lun 30 Sep - 17:16

ASTRA VALANT SILENCE

ft. Jerah


Je fais de mon mieux pour cacher le malaise que m'inspire ce type. Il montre peu d'émotions, si ce n'est du dédain, et ce rapide éclair de mépris que j'ai cru percevoir à ma remarque. « Je me méfie déjà des femmes et des estropiés. » Il se désigne comme preuve vivante, un sourire suffisant sur les lèvres. Je pouffe. Une médaille, peut-être ? Mais mon sourire s'efface vite à sa réplique suivante. Moi ? Trembler ? Je dévie le regard pour la première fois, je crois. Je foudroie mes mains. Il ne manquerait plus que j’ai l’air de la brebis galeuse qu’on prend en pitié. Décevant. Après un court moment d’hésitation, je cède et m'assois.

De toute façon, courir n'est pas une option. Ni pour lui ni pour moi. Nos jambes nous trahiraient avant même de franchir la porte. Ce serait un spectacle risible... deux marionnettes lâchées par un marionnettiste soudain distrait..  Bon, cesse de divaguer. Je garde mes mains serrées entre elles, une manière de m’ancrer, de me forcer à attendre.

L’explication ne tarde pas. Il passe au tutoiement, un geste qui me hérisse toujours. Il n’y a rien qui me mette plus en rogne que cette familiarité forcée qu’on m’impose. Surtout venant des hommes. Je garde pourtant le silence, fronçant les sourcils à l’évocation des "expéditions". Je le laisse étaler son pouvoir, son argent, sa ruse. La proposition est alléchante. On s’y laisserait aisément berner s’il avait été un philanthrope au sourire gras et bienveillant. Mais lui… il est louche.

Les réflexions s’accumulent dans ma tête. Je recule sur le siège, perplexe. Mon regard se perd. Je le fixe. Mais Jerah n’est plus vraiment en face de moi. Mon esprit turbine.

Jusqu’ici le manque de fonds avait été ma principale barrière. J’ai cherché Null aux quatre coins de Uhr. Je me dis qu’elle les a déjà vu des dizaines de fois ces paysages. Chaque fois qu’on voyageait, elle aurait pu me préciser quel brin d’herbe avait poussé ou quelle fleur avait fané depuis la saison dernière. Elle recherche le piquant et la nouveauté constante. C’est la brume, la dernière étape. Celle que la présence d’une gamine comme moi, empêchait. Celle que je n’ai jamais pu franchir, parce que je n’avais ni les ressources, ni l’équipement... ni peut-être le courage d’y aller soli-solo.

Mais… pourquoi moi ? Je ne doute pas qu’il a déjà répété sa magouille plusieurs fois et que je ne suis ni la première ni la dernière victime. N’empêche qu’une rapide recherche aurait démontré mon inexpérience dans le milieu des expéditions. Éventuellement, aussi l’inutilité d’une Banshee effrayée par la hauteur. Donc, soit, j’ai affaire à un charlatan de première, soit, il n’en a rien à faire de la qualité des mercenaires. « Quantité avant qualité ? » je murmure, pour moi-même. Je le vois vivement, le gourou qui jette des morceaux de viande juteuse à une horde de mercenaires affamés, les envoyant se jeter dans la Brume sans aucune garantie de retour. Rassurant.

Et puis, si c'était juste une question de profit, il aurait agi différemment. (Sinon, mieux valait m’embaucher comme conseillère que je lui échafaude un meilleur plan...) Il me demanderait des artefacts spécifiques, des objets rares ou précieux. Un collectionneur ? Ce n'est pas vraiment leur méthode. Qu’est-ce qu’il y gagne à la fin ? A l'entendre, je continuerais ma petite vie, avec quelques visites de courtoisie pour boire le thé et manger des petits gâteaux. Après tout, peut-être que c’est normal. Peut-être que ce sont les caprices des grandes maisons. J'en sais fichtrement rien.

« J’aimerais demander : qu’est-ce que vous voulez… ah j’oubliais, on est si bons amis désormais, regard désobligeant. J’aimerais te demander ce que tu veux, vraiment. Mais je n’aurais sûrement qu’un mensonge brodé et tapissé mille fois sur les murs ou alors un cynique refus. »

Le temps coule. Regard de glace ? Marmonnement dans sa barbe ? Je n’écoute déjà plus. Mes yeux se posent et ricochent sur la fenêtre. Dans le reflet, je nous vois, aussi stoïque  que des statues de marbres. Aussi difficile que cela m’est de l’admettre, on se ressemble. Deux éclopés qui pèchent à l’aveuglette en espérant que ça morde par le miracle des Douze. Je sens le rire monter. Avant même de pouvoir le contenir, il éclate, clair et cristallin. J’ai déjà rêvé de situation douteuse, mais un guet-apens étrange avec Pincher retenu en otage par un homme de main douteux, ça, c’était autre chose.

«  Tu cherches quelque chose, hein… »

En réalité, je meurs d’envie d’accepter. Qu’il les récupère tous ces foutus artefacts si ça l’amuse, peu importe qu’il se torche le cul avec ou en face un doudou. Moi, ma recherche est mille fois plus précieuse que ces gadgets.

« Moi… moi, je cherche quelqu’un. »

Je laisse l’information se fondre dans la masse opaque que l’air est devenu. Il me faut distancer mes pensées. Empêcher les émotions de passer le bout de ma langue.

« Alors, parlons collaboration. »

Je veux éviter de passer pour l’implorante qui supplie. Franchement, je ne sais pas trop qui est ce type. Mais là manière dont il a prononcé son nom. Oz-machin. Il a les moyens nécessaires pour retrouver Null (et sûrement mon ongle de pieds dans la jungle d’Aramila) et ça, bien avant que je ne m’épuise à faire des aller-retours dans la Brume. Mais (puisqu’il y a toujours un mais) l’idée d’exposer Null à un homme pareil me terrifie.

« Tu as les moyens… moyens », annoncé-je en désignant l’endroit du doigt. « et j’ai les moyens physiques. »

Je décale légèrement ma cape. Mes élytres vibrent légèrement. Tout le monde ici est déjà au courant de toute manière. Si je veux avoir une chance de tourner cette situation en ma faveur, je dois le convaincre que je vaux le coup.

« Je peux aller là où aucun des gars que tu emploies ne peut espérer mettre un orteil sans se rompre le cou ou, tout simplement, parce qu’ils n’ont pas la gueule de l’emploi. »

Je le scrute, analysant la moindre micro-réaction. Pour me rassurer. Parce que c'est un réflexe, aussi.

«  Le truc est que, quand aucune confiance ne peut naître, il faut des garanties. La garantie que tu ne feras pas de mal à la personne que je recherche et qu’elle ne deviendra pas un moyen de pression »

Je continue, à la chaîne : «  Et non, les belles paroles ne suffiront pas…»

Ça faisait longtemps que je n’avais pas autant exercer mes cordes vocales. Je reprends mon souffle avant d'ajouter, sur un ton faussement léger : « Et puis, sans insister, mais en insistant... je suis bien plus efficace quand je sais exactement ce que je traque. »