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Rotten Flowers [Requête]

Rotten Flowers [Requête] Brandw10
Jeu 4 Juil - 21:10

Rotten flowers

Let the hunt begin


Le maquillage est une arme redoutable. Transformer ses propres traits. Sans l'aide d'aucun cristal. C'était à la portée de n'importe qui. Avec de l'entrainement et un peu d’habilité certains devenaient de véritables artisans du travestissement. Une arme qu'elle affectionnait. Qu'elle avait perfectionner. Cent ans durant.

Ces cernes ne pouvaient avoir raison de son expérience. Elles disparaissent dans le miroir. Reflet parfait. Illusoire. De celle qui n'est plus. Qui n'a jamais été. Ses doigts l'effleurent, surface lisse, froide. L'ombre sous ses yeux a disparue, l'éclat dans son regard aussi. Rubis éteint.

Pourtant, elle se tient toujours là.

Parée du velours de l'apparat et de la soie de ses mensonges. Chāyā Lelwani adresse un sourire las à celle qui se trouve de l'autre côté du miroir. Avant de l'abandonner à son cachot de glace.

Mets du rouge sur tes lèvres.
Poudre tes joues.
Souris.

Faisait-il ainsi, lui aussi ? Masquait-il ses traits pour ne plus ressembler au visage recherché ? Les plus longs voyages commencent tous par un premier pas. Celui d'Ekiel Reyes Zadicus avait commencé par un mauvais pas. Celui qui le mena en Epistopoli.

Le destin est ironique.
Sarcastique.
Ministre déchu.
Princesse promue.

Où mèneraient ses pas désormais ? Seraient-ils bons ou mauvais ? Sur ce chemin emprunter seul, ferait-il le choix, d'être meilleur ? Est-ce que cela signifiait encore quelque chose en ce monde ? Un soupire, incontrôlé, glisse des lèvres grenat comme un fantôme de plomb. Elle est si fatiguée. Voir en cette ombre fuyante, un reflet de sa propre couardise n'était d'aucune utilité.

Elle doit se reprendre. Redresser ce dos. Esquisser un sourire naturel. Jouer ce rôle. À la perfection. Il n'en faudrait pas moins pour tromper le bleu acéré qui se poserait sur elle. Elle le craint. Ce saphir.

Autant qu'elle voudrait l'étreindre.

Une épaule.
Un ami.
Le ciel d'Aramila.

Lèvres scellées. Un seul mot et elle le sait, ce grain de sable pourrait se glisser au coeur d'engrenages déjà grinçants. Un geste et il détruirait ce château de cartes. Elle suffoquerait sous les décombres. Elle qui peine à respirer. Alors jouer une nouvelle carte, marquée du sceau de l'Ordre. Y joindre les desseins monétaristes, pour les éloigner. Spinelles roses et céruléennes.

Pour les protéger.
Joyaux mortels.
Faiblesses admises.

Il acquiesce. Elle sent pourtant, qu'il ne se contentera pas du maquillage. Le temps jouait contre lui. Lorsqu'il reviendrait, elle devrait être prête. Si elle était encore là. Un clignement, paupières lourdes, mais les cils se relèvent, sur cet éclat frauduleux, mimé, alors qu'on frappe à la porte de son bureau.

- Lan-Lan, laissez-moi vous présenter votre accompagnateur.

Un geste ample, la grâce des comédiennes aguerries. Elle danse. Sur ce fil ténu. Qui finira par se rompre. Hypocrite créature qui ouvre une chasse à l'homme, elle, traquée. Ekiel sera-t-il plus doué qu'elle ? Pour échapper à ce destin qui lui court après, il lui faudra être rusé et déterminé. Qui sait, il pouvait encore tirer son épingle du jeu, il avait des cartes à jouer, selon le chasseur devant lui. La royauté n'était pas joueuse, ou plutôt, elle était mauvaise perdante. Les Monétaristes étaient différents.

Ils ne perdaient pas.
Jeu 11 Juil - 11:05

Pot pourrie

Et le jour chassa la nuit


Au commencement vivaient deux bêtes. La première, lumineuse, glorieuse, apportait chaleur et vie sur son passage. Son pelage était éblouissant car il était fait de lumière pure. La seconde, sage et sombre, était crainte et fuie car elle n’apportait rien d’autre que froid, et obscurité. Les deux bêtes se partageaient le ciel d’égale à égale, cohabitant ensembles en parfaite harmonie.

Mais un jour, la seconde bête, jalouse du pelage de sa consœur, s’empara de quelques uns de ses crins pour les ajouter à son dos - à cet instant, le ciel obscure se mit à scintiller, parée d’étoiles lumineuses qui n’étaient pas sans rappeler l’astre diurne. Mais la première bête vit en cet acte un affront impardonnable et se mit à la poursuite de la lumière dérobée.

Ainsi, le jour chassa la nuit, et cette course éternelle ne cessa jamais depuis. Parfois, en été, la nuit est fatiguée, et le jour gagne du terrain. Parfois, en hiver, le jour est épuisé, et la nuit parvient à retrouver une confortable avance.
Mais jamais l’un n’attrape l’autre - cette chasse est infinie.


Et si le jour gagnait?

Elle chassa distraitement une mèche de son front, discrète nébuleuse colorée qui gravitait dans la pièce dans un silence de façade. Tout comme le reste de l’édifice, le salon où ils se trouvaient était une curiosité - les meubles en cuir dégageaient une forte odeur d’usure et de peau, s’ajoutant aux vernis et onguents qui recouvraient méthodiquement les trophées de chasse que l’on avait disposés sur les murs. Crocs, dents, épines… Autant de pointes, autant de morts, des quatre coins d’Uhr et d’ailleurs pour enrichir le tableau, pour éclairer toujours un peu plus les visiteurs de nouveaux regards éteints, mais juges. Pourraient-ils seulement comprendre les enjeux, ces âmes déchues, regardaient-elles à travers eux comme ils se devaient de voir les courbes complexes d’un dessein plus grand?  

Ainsi le jour chassa la nuit… Ce conte, murmurait le soir avant de dormir, lui était brusquement revenu en tête alors qu’elles patientaient dans un silence de cathédrale. Elles ? Soeurs fàtales, dos et paume d’une même main dans laquelle se tenait une épée, et sur laquelle reposait une fiole de poison. Elle la chercha un instant du regard, sa pervenche - droite et fière, comme à son habitude, la fille des lames du Guet retourne en terrain conquis après avoir défait le mal et empêché tout l’édifice de tomber quelques années plus tôt. Elle admire secrètement son port altier, son sang-froid qui irradie comme une aura implacable, contre elle qui est si lassement assise sur un boudoir, main sous le menton. Au-dessus d’elle danse le dragon d’or qui finit d'asseoir leur statut si arrogant. Huang-Long est un sceaux, un sceau vivant: pour la cour Xandrienne, il n’est guère plus qu’une clef d’apparat qui ouvre certaines portes. Mais pour elles, il est tellement, tellement plus.

La mélodie finit par franchir ses lèvres discrètement - chant simple et enfantin, ancien. Millénaire. Et devant ses yeux, améthystes scintillantes, défilent les souvenirs.

La terre et le sang mêlés, boue carmin.

Le corps ouvert, les viscères répandues.

L’enfant mort. La mère abattue.

Les bois du Mesnon transformés en tombeau.

La nuit avait chassé le jour
- ce n’était pas une scène de crime, mais une boucherie. Et dans les sillons de sang, une vérité: ils n’étaient pas morts pour rien, mais pour repaître la bête qui mourrait de faim sur le chemin de l'exil.

Homme devient bête, ministre devient paria, et monétariste flaire l’astra: ils avaient senti le gros poisson sous le regard complice du Guet - tête primée, oui. Le revoir était synonyme de devoir accompli, mais le Mesnon n’était pas une simple route, c’était une sortie. Et ainsi l’affaire dépassait maintenant les affaires de Xandrie. Il faudrait voir plus loin, aller plus loin. Chercher le fugitif là où il se cachait - pour l’honneur de la nation. Mais était-ce si simple? N'y avait-il pas plus juteux? Aucun chemin n’était tout à fait droit.
La voix de la panthère la tire de ses rêveries, et son regard se braque vers la porte qui s’ouvre. Nouveau personnage qui, dans son sillage, charriait les sables chauds et ocres des dunes Aramilanes, fragrances des vents du Sud, esprit des déserts.

Lan-Lan, sage poupée Xandrienne, se tait tout à fait, indolente petite créature de cour qui s’apprête à se lancer sur les chemins de la traque. Mais sous son crâne se dessine déjà d’autres tableaux, des dessins plus grands. Oh, qu’elle voulait le découvrir, son accompagnateur. Car elle comptait bien l’accompagner jusqu’à Ekiel, et rien de moins.
Pour que le jour, enfin, avale la nuit.

Jeu 18 Juil - 11:22

Danse macabre

La Juste entremise


L’immensité du ciel avait apporté le calme, de là-haut, les voix se taisent. C’est dans la contemplation qu’on peut tous regarder dans la même direction. Lente traversée qui avait vu le soleil découper les Trois Sœurs qui, d’abord hésitant, venait affronter les ombres des versants. Il finissait toujours par gagner dans sa course en avant, il finissait toujours par perdre face aux ombres qui le rattrapaient. Il ne construisait rien pour se protéger où leur mettre un coup final. Un conquérant et un fuyard permanent alors que je volais vers la Juste.  

Si nous venions ici c'était avec un but et un seul, c’était pour la voir. Il restait des moments où la parole est d'or bien plus que l'argent de la pointe d'un stylo. Ça n'échappera pas à nos amis monétaristes et, pour le coup, le voyage avait été nécessaire, demandé. Pour demander son soutien en échange de n’importe quel prix, pour l’Oasis et son grand projet. Ça n’allait pas se faire sans contrepartie, donnant-donnant comme on dit.

Dire que j’étais impatient de la revoir, de pouvoir enlever au moins un masque et parler un peu plus franchement était une bouffée d’air frais. Respiration qu’un vent mauvais avait eu tôt fait de dissiper, la prudence insidieuse. Cela faisait bien des lunes que je ne l'avais pas vu, elle savait qui j’étais alors, pas ce que j’avais vécu depuis. Finalement, peut-être ne faudrait-il pas se laisser aller. D’un côté comme de l’autre, il y avait des choses plus faciles à cacher à l’écrit, n’est-ce pas ? Même certains messages codés dans d’autres imbroglios volontairement confus.

Ne jouons-nous pas sur la corde raide ?

J’étais arrivé la veille au soir, esquivant les habituels points de chute dans le quartier des bâtisseurs, j’avais pris une chambre ni trop modeste, ni trop bourgeoise dans une auberge ni trop pouilleuse, ni trop guindée. À la limite salubre des bidonvilles. Jaruk était émerveillé par la ville en mouvement, la folie douce de ces habitants qui vivaient. Comme à Aramila dira-t-on, mais avec un soupçon de débrouille en plus. Un soupçon de vice aussi qui vient avec la liberté de ne pas se sentir jugé par les Douze. Cette ville te va bien, petite fripouille à l’odeur d’orange. Niché dans ma capuche, cherchant à se protéger du vent vicié, mais les yeux bien ouverts. Découvre mon grand.

C’est un agent privé de la Chef des Monétaristes qui se présenta le lendemain à la Guilde, la tête encadrée de cheveux d'encre n’était pas inconnue, mais elle n’avait pas été vue depuis longtemps aussi pris-je le temps de faire les politesses d’usage. Tes filles vont bien ? Grande nouvelle ! J’ai entendu parler des sabotages sur la ligne de train oui, que veulent-ils vraiment à la fin ? Oh ! je te le fais pas dire, même si c’est loin, on en entend quand même parler à Aramila. Oui je viens voir dame Lelwani, elle m’a mandé pour lui faire un point sur la situation. Tu sais ce que c’est motus et bouche cousue je ne peux rien te dire très chère…

Bon aller, finis-je par lâcher le morceau, faisant mine de le faire à contrecœur dans ce jeu de ragots bien connus des salles aux pas perdus comme ici. Ça concerne quelques opérations immobilières aux abords des bois d’Adrianne, dans les coteaux, ils font de sacrés vins et il y avait des caves entières quasiment laissées à l’abandon. Tu imagines ? Il doit y avoir une vente aux enchères prochainement et je viens voir avec la dame sur quels lots nous devrions nous positionner.

Tout s’achète et tout se vend, je lui glissais quelques indices ni vu ni connu sur les bons coups spéculatifs, si elle avait la chance de pouvoir mettre la main dessus après tout, j’aurais ma commission dans tous les cas… J’attendis quelques instants dans ce vestibule richement décoré de quelques talentueux taxidermistes qui reproduisent des compositions fantasmées. Mes yeux se perdaient dans la contemplation d’une Salamandre affrontant un Loup dans une danse terrible, les deux s’attaquent, les deux se tournent autour pourtant, le choix de ne pas les présenter immaculés, mais déjà fatigués, la bouche en sang, montrait la volonté de réalisme. Et les autres compositions, comme celle avec ce cousin de Jaruk semblait les contempler, discret spectateur d’un combat qu’il ne pouvait rejoindre.

Je détournais les yeux du Narangpé bien vivant alors qu’on m’indiquait un couloir et un numéro de pièce dans laquelle on m’attendait. Sourire canaille, je connaissais ce numéro, après tout, c’était toute la politique de la cheffe des Monétaristes de se mettre au plus près des siens. Ainsi on se retrouvait dans son étude plutôt qu’une pièce plus discrète. Je toquais à la porte, entendant une annonce. Nous n’étions pas seuls, comme je m’y attendais.

Discrète révérence en rentrant dans la pièce baignée de lumière qui montrait les signes d’une activité de tous les instants. Au four et au moulin, je contemplais le Maitre Caravanier face à moi qui prenait en main le destin économique de Xandrie et au-delà, fidèle à elle-même, peut-être un peu trop parfaite. “Ma dame, lançais-je. Mesdames...” Yeux d’aigles qui balayent la pièce et ses occupants. On ne m’avait pas informé de qui serait de la partie de cette entrevue, comme toujours, certaines cartes valent mieux d’être jouées avec un timing particulier. Fà, à l’attitude, même de la plus guindée et droite des deux, attitude martiale certaine, attitude de fausse légèreté, l’une protégeant l’autre.

Arno Dalmesca pour vous servir ambassadrice, me présentais-je même si je ne doutais pas que ça avait déjà été fait avant mon arrivée. J’ai cru comprendre que vous aviez un intérêt certain pour quelques vignobles du Sud. On y aurait implanté des cépages xandriens qui ont disparu de la circulation…

Une excuse fort à propos pour justifier un déplacement à Aramila, excuse qui devait déjà se répandre dans les couloirs de la Guilde depuis la révélation que j’avais faite à la réception.

Le cours des vins aramilans devrait monter de quelques points avec ce que d’aucuns appelleraient délit d’initié.

J’aurais dû faire la même chose avec les épices.
Jeu 22 Aoû - 18:15

Rotten flowers

Dansent comme les autres.


Qu'est-on prêt à devenir lorsque le destin fait des siennes ? Que nos plans ne se déroulent pas comme espéré ? Que la solitude devient notre seule alliée. Là, au milieu de cette infinie noirceur que notre coeur recèle. Nul ne saurait dire, ce qu'il advient de notre âme, essorée de ses espoirs. Mais l'ignorance ne pardonne pas la déviance. Aussi loin qu'elle se soit égarée, l'âme de celui qui fut déchu, elle finirait juger pour ses méfaits. La déception et l'errance ne sauraient excuser la barbarie des décisions prises.

Peut-être l'espérait-il ? Cette justice, cette épée de Damoclès. Que ses actes aient encore des conséquences, des répercussions sur le monde, c'était exister. Et si certains étaient assez déterminés pour le chasser alors Ekiel Reyes Zadicus n'avait pas tout à fait disparu. Son nom résonnait encore. Qu'importe alors, la manière.

Est-ce ce qu'elle désirait ?
Un nom honni,
Restait un nom.

Et cette épée de Damoclès, qui viendrait lui prouver qu'elle n'était plus sur la bonne voie.. serait-ce aussi à eux, de la manier ? Précieuses spinelles. Morceaux d'améthyste et de ciel. Finiraient-ils par se ternir en se posant sur elle ? Ou par briller de colère ?

Est-ce douloureux ?

Si cela l'était, alors, peut-être n'était-elle pas encore tout à fait perdue ? Peut-être que la nuit n'avait, ici, pas encore gagnée.

Rubis tenace, faussement inébranlable, joue son rôle. Menton fière, la monétariste a le sourire aisé, affable, taillé sur mesure. Il invite à la discussion, accueille avec bienveillance les nouveaux et derniers acteurs de cette scène. Il était temps de donner ses ordres. Une direction à suivre.

Ironique, non ?


- Comme toujours vos informations sont précieuses, Arno, et vous ne sauriez ignorer que les palais xandriens sont friands de ce délicieux vin du sud. Alors si en plus de cela il y a là quelques racines xandriennes à entretenir, vous savez bien que vous trouverez ici portes ouvertes.

Plissement léger, au bord des yeux, amical sans avoir à forcer le trait. Animal rusé au regard d'aigle, marchand avisé, oui, cela devait certainement venir de là. Le sourire se fane pourtant, avec la gravité nécessaire au sujet qu'elle s'apprêtait à aborder. Portes désormais closes.

- Si vos pas vous mèneront peut-être au Sud, cela ne sera pas pour explorer quelques vignobles, hélas. Je crains que l'homme que je vous envoie poursuivre n'aura pas davantage choisi cette destination pour ces beaux paysages, quoi qu'il puisse goûter au vin de la région, il semble ne plus.. s'en contenter.

Ce n'est certainement pas de bonté de coeur qu'elle se tourne désormais vers l'ambassadrice. Les souvenirs devaient encore être frais et donc déstabilisants, douloureux. Cependant, la jeune Fà était, avec sa soeur, la seule à pouvoir donner davantage de détails sur ce qui attendrait peut-être leur trio sur les traces du fugitif.

Ven 30 Aoû - 10:00

Sous ses canines

Le goût fiévreux du sang


La porte s’ouvre, presque à la hâte. Et une tête s'engouffre, un courant d’air chargé d'épices. Un oiseau noir de geai. Entre deux âges, visage criant de jeunesse, et pourtant la prestance de cent ans. Il donnait envie de lui offrir une confiance sans condition: c’était bon signe. Excellent signe, même.
Rubis; Saphir. Un collier de pierres rares, la scène scintille déjà de mille feux. Est-ce que le jeu vaut vraiment tous ces carats? Sans le moindre doute. Ils sont après un diamant brut, après tout. Le joyaux sur la couronne de Xandrie. Il est sorti de son socle pour mieux s’enfuir - peut-être voulait-il trop briller, seul. Mais un collier n’est beau qu’en accumulant les joyaux.

La panthère s’avance, suivie de son éminent conseiller. Affable, elle révèle des racines bien plus profondes que Xandrie, des cartes sur tout le continent - et sans doute ailleurs. L’éminent Huang n’avait pas choisi sa successeuse par hasard, bien au contraire; aussi ce n’était pas surprenant qu’elle ait des alliés dans tous les pays et bien au-delà des frontières. Il fallait parfois avoir le bras long pour mieux jouer avec les astras.
Ou avec les couronnes.

Pourtant, Lan-Lan, précieux bouton de rose, levait un sourcil surpris. Aramila ne lui avait encore jamais semblé être une terre de premier plan, et même si elle concevait sans peine que ce fut un pays en voie de promesse et de développement, elle n’était pas un terreau encore trop fertile pour les affaires. Elle y voyait surtout une terre en pleine lutte intestine pour savoir qui de sa foi ou de son développement choisir. Un peu comme Xandrie qui se démenait encore dans ses chaînes, huilant petit à petit ses poignets pour mieux les libérer.

Une terre d’opportunité… Oui, c’était ça. Une terre où tout était possible, car tout était à faire; Mais d’un point de vue des alliances, les opportunités étaient encore rares, décriées. Audacieuses. La présence du jeune homme parmi elles trahissait des ramifications jusqu’à la capitale Sudiste - féline rubis, aurais-tu déjà des plans pour cette nation? Pour l’avenir, c’était osé. Pour l’instant, c’était parfait.
Car Aramila était une grande Nation.

Et sans doute le meilleur endroit pour se cacher.

Monsieur Dalmesca. Elle inclina poliment son visage, faisant mine au passage de soulever un couvre-chef imaginaire. Il me tarde déjà de goûter ce cépage, il manque cruellement à nos tables.

Elle aimait déjà ce jeu - tourner autour du pot, dire sans dire. Au sommet de la tour des monétaristes, les secrets se cultivent comme des fleurs, et même si il n’y a déjà plus d’oreilles pour les écouter, le jeu perdure et perdurera toujours.
Pendant que Chāyā accueille le jeune homme, Lan-Lan cherche sa sœur des yeux. Les lignes tendues, affaires en court, affaires passées, plans futurs: une croisée des chemins pour bien des âmes ambitieuses. Au coeur de cette route, les crocs acérés, se tenait un homme en fuite. Si elle pouvait le lui apporter…

Mais le jeu s’arrête aussitôt que les portes se ferment: fin du spectacle et début de la confidence. En effet, les vins attendront: c’est bien un homme que l’on cherche. Un homme qui a déjà tué. Le silence embaume la pièce, et alors, doucement, les regards se portent sur elles, avec, lui semble-t-il, de la bienveillance. Elle ne peut s’empêcher d’adopter un regard sombre, plus grave. Qui pouvait bien se réjouir de pareil spectacle?

Il a effectivement développé un goût pour le rouge. Murmura-t-elle, volant la parole à sa petite sœur, pas tant pour porter le manteau que pour la préserver de devoir remuer souvenirs aussi sanguins.

Malgré sa position, elle n’aimait toujours pas la savoir confrontée à des affaires aussi sordides. Elle méritait les fleurs, l’or, l’encens; pas les viscères et le sang.

Il y a de cela quelques semaines, le corps d’une femme et son enfant ont été retrouvés dans les bois du Mesnon, à quelques lieux du passage - position idéale pour une fuite. Elle marque une petite pose. Lacération profonde. Net. Ce n’était pas un meurtre, mais une boucherie. Elle appuya sur ce mot. Gorge diaphane. Bleue. Un travail d’une bête affamé plutôt que d’un assassin. Mais si peu de sang.

Grand corps, tranché avec fièvre, pâle, gris: étendue dans la boue, ses yeux vitreux tournés vers la terre et les verres qui s’affairaient à se remplir la panse sur les chairs violacées. Ce n’était pas le travail d’un loup ou d’un ours: trop acharnés, ils n’auraient laissé que les os. Encore entière, il n’a rien emporté. Du moins, rien emporté de solide.
Tout petit corps abîmé, la tête sur le côté. Caché, presque en acte de repentance - tu étais une erreur, sans doute. La conséquence d’un oubli ou d’un appétit trop féroce. Il n’était sans doute pas censé trouver la mort, ce jour-là. Seulement sa mère était la première victime, il fallait bien faire quelque chose de toi… Il n’avait pas un an; pas assez de chair, pas assez de sang. Causalité funeste: mauvais endroit. Mauvais moment.

La boue était putride, ferrugineuse. Mais pour une belle enveloppe contenant quelques six litres du précieux liquide, ce n’était rien. Rien de plus qu’une gadoue un peu rougie. Alors, quid du sang? La réponse était si limpide.

Il a tout bu. Presque, jusqu’à la dernière goutte. Femme et enfant réduit à des verres de vin. De quoi retourner un estomac fragile. Elle a lutté mais il n’a pas eu à le faire: il avait suffisamment de force - en plus de ses crocs, il faudra compter sur un précieux arsenal. C’est un homme en fuite, assis jadis sur une précieuse fortune. Sans compter la fougue de l’exil, partons du principe qu’il est bien équipé… Et mécaniquement, j’entends pas là.

La cognition de sa petite sœur leur avait permis de mieux voir la force de son bras, mais elle était persuadée qu’il se cachait dans ses poches quelques précieuses pierreries dont il faudra se méfier. Après tout, il était connu pour être redoutable. Peut-être que d'anciennes connaissances seraient bien à même de nous en dire davantage…

Lun 16 Sep - 21:51

Sordide poursuite

Un chasseur sachant chasser


Danse rapide et jeu dangereux, quand les portes se referment, les vérités s’ouvrent. Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder la dame Lelwani faire le métronome et s’assurer que les discussions s'enchaînent. Réponses parfaites et répartie de circonstance. Elle avait raison comme toujours, le maquillage et les excuses ne devaient pas nous détourner de l’urgence que je sentais.

Je n’étais pas revenu à Xandrie depuis quelque temps, trop longtemps diront certains bâtisseurs, mais quand on a à faire ailleurs, c’est toujours les petits qui trinquent. Alors quand on y revient, même si c’est pour quelques jours, les changements sont d’autant plus tranchants.

La ville sentait la poudre et tout ce beau monde jouait avec des allumettes.

Je savais que je n’étais que de passage ici, j’avais bien compris le message qu’il me faudrait revenir sur mes pas. L’ambassadrice aux yeux de rubis trouva soudainement un air plus grave, moins Fà. J’écoutais son rapport, les sourcils froncés, les yeux courant sur les rayonnages de livre, faisant les cents pas après trop de temps à rester assis. J’arrivais mieux à me concentrer ainsi, me libérant de la léthargie du vol et du réveil matinal.

Il est des fantômes qui ne m’appartiennent pas et l’horreur dont ces sœurs avaient été témoins... Qu’auraient-elles à faire de ma compassion dans ce genre de moment? Je savais pourtant que mes yeux trahissaient déjà le fatalisme.

Strigoï, tu l’as forcément compris vieille branche. L’ombre qui partageait mon visage apparaissait comme un reflet sur les vitres de l’étude. Je laissais la compagnie prendre ma confusion pour de la peine. Ce mode opératoire, j’avais déjà vu l’un de ceux qu’il servait à Opale s’en régaler. Je peux même vous dire que votre serviteur a failli y passer. Heureusement que ma gouaille plaît trop à l’un des Cassandre... N'est-ce pas Arno ?

Jaruk réapparut à ce moment opportun, odeur de fleur d’oranger qui chassait les mauvais esprits en tirant sur ma manche. Ils ne tardaient jamais à me rattraper, quand bien même je les distançais, quand bien même rien de tout cela ne les concernait. Ils s’accrochaient, ils grattaient la surface, profitant de chaque rainure, chaque rayure, pour escalader jusqu’à taper aux portes du réel.

Les luttes intestines ont ça de bon qu’elles se passent en un éclair, contenu dans une étincelle. Pouvait faire passer le tout pour un instant de réflexion, un instant de digestion des macabres informations. Je ne devais pas la regarder elle, pas maintenant, où alors elle verrait que son aigle n’avait plus que les yeux d’un vulgaire moineau perdu. D’abord retrouver la contenance, rassembler les pièces, redevenir certitude. Le corps qui se tend, le poing qui se serre.

Ainsi, il devra trois vies, psalmodiais-je a voix basse comme pour chasser les fantômes, ceux des victimes, celui d'Eustache qui restait dans un coin de ma vision. Celle de la mère, celle de l’enfant et la sienne qu’il a laissée pour faire place à la Bête.” Un juste prix à payer pour la barbarie, mais je savais qu’on ne m’avait pas appelé pour mes talents de bourreau, ni même de juge. Je serai le témoin, je serai celui qui guide vers l’échafaud.

Et je comprenais qu’il me faudrait être particulièrement fort si je voulais le conduire à sa rédemption sans y passer moi-même. N’allait pas croire que nous avions peur de quelque augmenté quand bien même il fût d’une race taillée pour la discrétion et la chasse. Non, le risque était que si le chasseur se sentait proie, il pouvait devenir bien plus dangereux et d’autant plus brouiller les pistes. Rien de pire qu'une bête acculée.

Si des semaines sont passées, alors oui, une nouvelle piste par quelque connaissance sera forcément nécessaire, dis-je pour récapituler. Oeil qui retrouvait de sa superbe, sourire canaille pour que les ombres du Mesnon quittent la pièce. “Vous avez déjà des noms ? J’imagine que ses appartements ont déjà été fouillés de fond en comble par le Guet ?

J’ignorais quel genre d’appat elles pouvaient avoir sous la main, mais je n’étais pas assez candide pour ignorer ni le réseau tentaculaire des Monétaristes, ni l’emprise que pouvait avoir la famille des deux fleurs Fà sur Xandrie. Pas plus que sur le zèle que le Guet pouvait déployer dans ce genre d'affaires. “Si je puis déjà supprimer une destination. Je ne pense pas qu’il aura été à Aramila, du moins il ne sera pas resté. Je pourrai toujours me renseigner.

J’étais assez sûr de moi pour le coup, ma ville est cosmopolite et tolérante, ça ne veut pas dire qu’elle est dupe et aveugle. Un augmenté se serait fait remarquer, un Strigoï d’autant plus d’un certain commerçant de tissu qui l’aurait alpagué. Si les fils s’étaient tendus depuis cette sombre engeance de fond de marché jusqu’à sonner dans mes oreilles, alors nul doute que celles de dame Lelwani aurait aussi entendu le même son de cloche.

Et si quelqu’un qui se pense chasseur comme Ekiel Reyes Zadicus fait trop de bruit, alors il sait qu’il risque de faire fuir sa cible.

Restait à voir s’il y voyait aussi le risque d’attirer pire prédateur.
Dim 22 Sep - 11:43

Rotten flowers

Dansent comme les autres.


Le fils adoptif de Vladimir Zadicus avait pris un chemin bien sombre. Si il était réellement l'auteur de ces crimes. Mais si les preuves menaient à un strigoï et un strigoï augmenté, au moment même où le ministre disparaissait, il fallait bien avouer que les coïncidences se faisaient nombreuses. C'était bien dommage. Chaya n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer cet Ekiel mais, elle s'était renseigné sur lui bien avant d'atteindre son poste chez les Monétaristes. Il semblait alors être un homme plutôt intègre par rapport à ses acolytes de la couronne. Certains l'avaient même pensé "incorruptible". Quelle terrible désillusion. La monétariste croise ses doigts entre eux, posés sur le bureau comme une barrière à ses émotions. Elle est trop fatiguée pour se les permettre. Alors, le calcul revient, les faits, les hypothèses, s'arrêter au tangible.

- Ekiel est un homme intelligent, il aurait fait un redoutable politicien s'il n'avait pas manqué cruellement de patience, et, si ces crimes lui sont imputables, de sérieuses valeurs morales.

S'il avait résister à ses pulsions, ou à la déception de sa déchéance, si il avait été aussi intègre qu'on le lui avait murmuré, alors peut-être aurait-il fait parti de ses plans.

- Cet homme a tout perdu ou tout du moins, il a certainement cru tout perdre lorsqu'il a perdu les faveurs du roi.

Était-ce vraiment assez pour justifier pareil virage psychologique ? Ou bien cet homme jugé bon en surface, n'avait jamais été qu'un imposteur ?

- Il appréciait le luxe mais je pense qu'il avait surtout un goût prononcé pour les coups d'éclat, ou une certaine forme de provocation peut-être. Il n'aurait pas été déchu de son poste s'il n'avait pas fait preuve d'autant d'impétuosité dans ses manigances. Un excès de confiance ou d'orgueil sans doute. Je ne serai pas si surprise de le voir en Aramila, puisque c'est là qu'on attendrait le moins de trouver un strigoï.

Le goût de la provocation. Etait-ce cela aussi, qui l'avait mené à attaquer une mère et son enfant, le crime était symbolique, si hautement monstrueux qu'il faisait l'unanimité quelle que soit la nation. Tuer un nouveau né, c'est abandonner son âme. S'en nourrir, c'est se maudire pour le reste de ses jours. Laisser leurs cadavres dans son sillage.. c'était un appel à la chasse. L'ancien ministre voulait-il vraiment disparaître ? Si c'était le cas, il ne le faisait pas discrètement.

- Cela dit, ce ne serait effectivement pas là bas que je vous encourage à commencer vos recherches. Notre homme avait un ami plus proche de nos frontières, un homme avec lequel il entretenait une relation particulière, Seraphah von Arendt. J'ignore la teneur exacte de leur relation mais une visite impromptue au Marquis, l'hôtel du sapiarque épistote, pourrait valoir le coup ? Bien qu'Ekiel soit recherché en Epistopoli, s'il devait avoir trouver refuge en dehors des frontières xandrienne, peut-être aura-t-il envisagé cet endroit ? Et si ce n'est pas le cas, peut-être pourrez-vous interroger monsieur Von Arendt ou plus discrètement, ses employés. Comme vous le dites Arno, les appartements de l'ancien ministre ont déjà été fouillés par le Guet mais ces derniers doivent limiter leurs recherches à l'intérieur de nos frontières, contrairement à vous.

Dim 6 Oct - 15:17

Mécènes des arts

et des contrats juteux


Les doigts croisés sur son fauteuil, deux yeux observent. Dans un coin de la pièce, côtes à côtes, spinelles brillantes, quatre yeux détaillent. Flottant sur les sœurs, long ruisseau d’or et de crocs, six yeux patientent. L’air sent le sang, les entrailles, la chasse.

Et pourtant demeure un premier obstacle: où?

Le problème est épineux - même dans de beaux fauteuils de cuir, d’aucun aurait rapidement vu le sol se couvrir de ronces. Et ces vilaines épines s’étiraient sur tout Xandrie, prenaient racines sous la couronnes pour courir en râpeuses rivières jusqu’à Aramila. Du moins, comme ils commençaient à l’imaginer. Sables volants, accueillez-vous un fugitif? La voix de l’inconnu retentis une nouvelle fois, glas chatoyant, promettant des têtes à tomber - subtilement, elle pinça ses lèvres - si elle devait tomber, il faudrait que ça soit à Xandrie.

Ses appartements ont été fouillés, oui. Tout sentait un départ à la hâte, il a emporté le strict minimum - vêtements, bijoux, armes et astras, juste assez pour disparaître précipitamment. Discrètement, Lan-Lan couvait Shizo du regard. Sa cadette avait bien plus de charisme, et la force écrasante de sa fonction. Implacable, elle donnait les faits, les simples faits. Nous ignorons encore comment il a échappé à notre arrestation, ou aux barrages montés dans Xandrie ce soir-là. Mais il faut s’attendre à ce qu’il soit passé maître dans la discrétion.

Pour un homme avec autant de panache et d’aura, ça devait être un comble - Chāyā ne manqua pas de le détailler: un homme de passions avant d’être un ministre, il se traînait une réputation fiévreuse, un dandy Xandrien dans sa plus belle étoffe. Si il avait échappé à une descente d’un Guet sur les crocs, c’est qu’il devait être particulièrement rapide… Ou particulièrement bien déguisé.
Un seul mot d’ordre pour eux, ce soir-là: le capturer vivant, le ramener à la couronne. Mais des zones d’ombre demeuraient là encore: qui l’avait prévenu en avance? Quel réseau s’était-il confectionné pour disparaître ainsi? Espions, sbires…? Et le plus important: sur qui pouvait-il encore compter? Personne ne disparaît vraiment sans laisser de traces.

Attentive, reptile, Lan-Lan glissa son visage sur sa main, le coude  posée sur le haut du fauteuil. Si il était parti se cacher dans les dunes, ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Une botte de foin de la taille d’un pays entier. Sans pistes, ils étaient perdus. Autant retourner toutes les dunes à la main, et sans garantie de le retrouver. Il fallait bien commencer quelque part, et pour ça, mieux valer exploiter des contacts existants - tout s’achète, même l’allégeance d’anciens amis. Astras, compagnie, objet… L’information a toujours un prix. Il suffisait de trouver lequel.
Et il semblait bien que la panthère tenait dans ses mains une première corde - un fil d'Ariane pour les mener jusqu’à l’absolue vérité. Il lui semblait percevoir un léger mouvement dans la tenue impeccable de Shizo - était-ce de la contenance, de la tenue, de l’excitation? Ou alors la validation secrète qu’il s’agissait d’une première piste à explorer… Elle osa une oeillade. Non. C’était de la déception.

Capitaine, son titre était à la fois une couronne et une chaîne qui la retenait à Xandrie, alors que pour elle, ambassadrice rimait avec paire d’ailes pour l’amener jusqu’au bout du monde.

Et pourquoi pas de partager quelques plumes avec quelques oiseaux de passage qui pouvaient bien devenir monétaristes et affiliés le temps d’une visite impromptue.

Il paraît que leur dernier opéra est un vrai délice. Murmura-t-elle, se créant une légende à mesure qu’elle parlait. N’aurions-nous pas intérêt à investir dans l’art? Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas profité d’un peu de musique, après tout - une occasion parfaite pour se détendre et découvrir les lieux.

L’Envol de Sankhir faisait parlait de lui jusqu'au - delà des frontières - et qui de mieux qu’une famille de mécènes pour juger de la beauté d’une pièce? Oh, bien sûr, c’est pour mieux investir… Et infiltrer discrètement l’endroit dans l’effervescence d’une représentation.

On n’oserait pas refuser l’entrée à de grands amateurs d’arias, n’est-ce pas?
Mer 9 Oct - 15:12

Répétition générale

Avant la levée de rideau


Discrète brise fendant l’immobilisme, que voulez-vous, avoir les yeux braqués sur moi me dérangeait toujours quelque peu, même dans un espace réduit. Il fallait le remplir, complètement, pour disparaître. C’était un peu ça, la magie au final : être trop présent jusqu’à faire partie du décor. Dansons, Arno.

Je préférais m’installer dans un siège vacant ; le ballet d’Eustache m’intéressait bien peu. J’essayais de dresser un profil du strigoï avec ce que j’apprenais ici. C’était plus vif, plus vrai, que tout ce qu’on pouvait lire dans un rapport passé de main en main, raturé, réinterprété, confidentiel. Ici, on était proche de la source. “Un homme de théâtre donc, résumais-je, qui se pare de ses atours et attire les regards. Peut-être un peu trop en quête de lumière. À voir si c’est un nouveau rôle ou l’acteur lui-même que nous cherchons.

Jaruk en allait de ses propres aventures. Il connaissait ses limites désormais, mais, comme toujours, ses yeux lorgnaient ce qui brillait. Je te vois bien danser à la suite du petit macaque, ton rire bas parcourir les rayonnages. Ici, beaucoup de documents feraient sans doute le bonheur de quelque opalin. Le maître paierait une fortune pour savoir ce qu’il se passe avec ces mines. Tu le sais ? On n’est pas là pour ça…

La dernière voix qui retentit, le dernier personnage à apporter sa pierre à l’édifice, me sortit de mon monologue. Ce n’était pas bon, vraiment pas. Voilà où j’allais pouvoir ajouter ma touche. Électron libre et soliste, je n’avais pas à suivre les codes des œuvres xandriennes pour m’exprimer. Je pourrais toujours retomber sur mes pattes avec une improvisation bien choisie. Ayant fini son petit tour, le Narangpé et ses senteurs revinrent vers moi. Lui qui était presque sorti de scène l’espace d’un instant revenait des coulisses avec un accessoire inattendu.

Je reposais le bougeoir, dont le toucher me fit deviner la qualité. Sans fioriture, robuste, lourd. Il souriait de toutes ses dents avant de s’apercevoir que je n’étais pas réellement impressionné. Petite caresse sous le menton et clin d'œil : bien joué quand même, petit singe. C’est la chasse qui compte, c’est l’attente et l’excitation du coup qui part, plutôt que de simplement voir la bête tomber. Mes doigts pianotèrent sur le rebord de l’épais fauteuil. Après l’orange, le cuir chaud enveloppait l’espace. Cela aurait pu être agréable si nous n’étions pas en train de parler de rattraper un acteur vedette de Xandrie, acteur qui traînait ses macabres casseroles. Il avait des ressources. Entre bijoux, armes et astras, je grimaçais quelque peu. Même si cela n’avait pas été répété, il ne voyageait pas à vide et avait largement pu troquer ses atours contre quelque nouvel artifice.

Mes yeux suivaient les mots de la Fà-ntastique, qui s’échappaient comme des lames, un rapport rapide, succinct, clinique. La voix de l’assurance et de la certitude. “Vous envisagez des alliés ou un déguisement ? Je ne doute pas du Guet, entendez-moi bien, mais cette scène macabre aurait aussi bien pu être une diversion pendant qu’il se cachait sur vos terres…” Loin de moi l’idée d’être paranoïaque, loin de moi aussi l’idée d'affirmer qu’il s’agissait d’un subterfuge déjà utilisé avec succès en d’autres occasions.

Il y avait un metteur en scène dans la pièce qui ne se serait pas laissé aller à ce genre de tour facile. Le risque était trop grand de rester sur place ; il fallait changer de décor, explorer une nouvelle scène pour retracer la piste du coupable de cet acte barbare. Von Arendt donc, le destin était joueur. Vous vous doutez bien que, depuis nos entrevues aux Pyramides, votre serviteur a fait ses recherches sur ses compagnons. Je n’avais pas prévu de le retrouver de sitôt, cet allié de circonstance… C’était quand, la dernière fois ? Opale, vieille branche, tu n’as pas oublié ? Ces tours de glace, cette sensation de confort, ce passage dans les Limbes…

On parlait d’art maintenant, ça devait te plaire aussi, n’est-ce pas ? Mon visage en miroir déformé au dessus de la Fà-buleuse… Eustache, tu aimes ce que tu entends, hein ? Je souriais en réponse, la grimace avait disparu. C’était un script à suivre, peut-être pas le bon, mais au moins l’enfer de la page blanche était derrière nous. Je passais une main dans mes cheveux pour les remettre en ordre et libérer mon front. Un peu plus sérieux, un peu moins cavalier, un peu plus xandrien aussi, dans le ton. “Un spectacle, plutôt que du vin, pour commencer donc ? Vous avez raison, il ne faut pas abuser même des bons poisons.” Envolées, les épices. Seul l’orange et les pierres précieuses demeuraient. Deux saphirs aux teintes froides du nord restaient plutôt qu’un ciel doux. Contrastant avec la chaleur de l’ambassadrice, je m’inspirais de l’attitude de sa sœur pour donner la bonne mesure ; leur duo fonctionne bien. “Ainsi soit-il, longtemps que je n’ai pas eu la chance de découvrir quelque futur chef-d'œuvre épistote… Qui sait, c’est peut-être une gemme que nous aurons la chance de trouver et une compagnie talentueuse à soutenir.

Un nouveau rôle de composition, Arno, il va falloir que tu mettes un peu de tout là-dedans, non ? Ça te changera un peu de tes habitudes.
Jeu 24 Oct - 17:03

Rotten flowers

Disparaissent aussi.


Esprits vifs déguisés en humble serviteur et nobles dames. Un délice pour les rubis qui les couve avec bienveillance. Et cette tendresse presque mélancolique. Ils échangent informations et suppositions, de premières hypothèses se dessinent, un premier chemin à suivre. Et une couverture toute trouvée. Amateurs d'arts, les monétaristes l'étaient depuis un certain temps déjà, un investissement étonnement stable qui résistait fort bien même aux tempêtes sociales.

- Parfait, emportez quelques holographes. Des enregistrements, même courts, pourraient faire le bonheur de certains de nos clients et les inciter à faire le déplacement. Et si sire Von Arendt est disposé à enregistrer son Opéra en entier, nous aurons là l'occasion de mêler l'utile aux astras.

Un sourire convenu, monétariste ne saurait totalement oublier la couleur des astras. Pas davantage qu'elle ne quitterait tout à fait du regard ce charmant petit chapardeur maintenant réapparu, son précieux trésor entre les mains. Voilà un compagnon malicieux. Là où Maahes, félidé de son état, dormait en boule dans coin d'étagère depuis le début de leur entretien. Il n'avait pas remué une oreille depuis vingt minutes et ressemblait plus à une peluche ou à sa version empaillée, qu'à un redoutable représentant de la nature sauvage.

Les laissant converser entre eux un instant, Chaya en profitait pour fouiller dans les tiroirs de son bureau. Elle en sortait une broche dorée, tendue en direction d'Arno. Le symbole des monétaristes, deux plumes croisées sur un disque d’or, brillait avec éclat sur la paume offerte.

- Un prêt, disons, jusqu'à ce que vous soyez prêt à nous rejoindre.

L'insigne devait lui éviter des questions inutiles, Chaya ignorait qu'il pouvait tout au contraire, en attirer de nouvelles. Libre au caravanier d'en faire usage ou non. La conversation se poursuivit encore quelques minutes, le temps pour que tous les engrenages s'alignent, puis, il fut temps pour les enquêteurs de quitter leur commanditaire.  

Temps de dire au revoir.
Adieu.
Peut-être aussi.

Elle ne doutait pourtant pas qu'ils reviendraient si ce n'est victorieux, en vie. L'ambassadrice avait maintes fois prouvée ses capacités à survivre, même lorsque la chance jouait définitivement en sa défaveur. Sa soeur à ses côtés, Chaya les pensait bien capable de traverser tempêtes et marées houleuses. Arno n'en était pas à sa première mission périlleuse, elle savait ce qu'il avait dans les tripes, elle l'avait mis à l'épreuve.

Il pouvait avoir changé.

Les soeurs Fà guident le pas, vers ce petit salon où ils pourront trouver rafraichissements et mignardises. Qu'on ne dise pas que les Monétaristes laissent leurs visiteurs la gorge sèche ! Spinelles fuchsia et bleu azur, disparaissent. Rubis accroché à leur dos, ne peut retenir un frémissement. Et si c'était la dernière fois ? Qu'elle voyait partir ceux qu'elle considérait comme..

Des outils ?
Des alibis ?
Des pions ?

Des amis.

Un tremblement qui ébranle son âme, alors que sa main se tend. Doigts désespérés, fébriles. Si désireux de se raccrocher à quelque chose. D'avoir encore la force, de ne pas douter, d'Eux comme de tout le reste. Une faiblesse passagère, qui effleure la manche du caravanier. Pas assez pour le retenir.

À peine assez, pour l'arrêter.

Sa posture pivote, il se retourne. Et les cils noirs tentent d'effacer, d'une caresse forcée, l’appel à l’aide qui fracture le rubis. Une vérité engloutie, difficilement. Doigts élégants se rétractent, un peu trop lentement.

- À ton retour.. Si je suis encore là. ..nous aurons à parler.

Redresse le menton, docile marionnette,
Et dessine sur tes lèvres, un sourire qui n'est pas le tiens.

- Nous avons toujours besoin de bon vin.

Un signe de bon voyage et elle referme la porte derrière ces précieuses âmes. Celles qu'elle ne veut pas perdre. Celles qu'elle ne veut pas blesser. Celles qu'elle envoyait au loin. Pour les protéger. Pour se protéger. Ses doigts blanchissent sur le bois de son bureau.

Resteront esseulées,
les fissures, sur ce masque.

Solitaire, est la prière des âmes damnées.