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Quand une bouffe-tout rencontre une gousse d'ail. [Ft Marika]

Quand une bouffe-tout rencontre une gousse d'ail. [Ft Marika] Brandw10
Lun 1 Juil - 14:01
Clove ne savait pas. Ni où elle allait, ni ce qu’elle ressentait, pas plus qu’elle ne comprenait ses nouvelles senteurs, pas plus qu’elle ne faisait fi de la relation, distance, et méprisante que les hommes entretenaient avec la nature. N’en faisait-il pas parti ? Ou dans un souci qu’on peut incomber à leur mémoire, l’auraient-ils oublié simplement ?
Peut-être. Et si elle pouvait se sentir peiner, elle n’était pas dans l’humeur ou même dans le moral de faire quoique ce soit à ce propos. Elle s’était décidée à vivre.
Vivre.
Drôle d’idée qu’on peut commencer à vivre après s’être contentée si longtemps d’avoir seulement respiré.
« Tu sembles distraite ? Tout va bien ? On est bientôt arrivé, repose-toi. »

Se reposer elle n’avait jamais fait que ça, et ce qu’il confondait avec de la distraction était en réalité l’exact opposé. Parce que pour être distrait il faut que quelque chose ou quelqu’un s’empare de notre attention. Dans ce cas précis, le cerveau de Clove était aussi dénué de pensée que le cul d’un babouin et de poils !

Elle ne pensait à rien. Surprenant pour elle qui n’avait eu que ça à faire pendant des siècles. Mais pour l’instant. Tandis que l’appareil qui « roulait », lui avait-on dit, continuait sa course, vers des volutes de fumées, des senteurs de gaz moutarde, et des géants d’acier et de verre, elle se contentait de ressentir. Pas des sensations, elle était suffisamment en phase avec ce qui l’entourait. Non, elle voulait ressentir quelque chose, quelque chose de nouveau et de surprenant.

Une émotion.

Elle sentait bien quelque chose, de la peur, mais elle avait déjà ressenti cela, alors qu’elle n’était qu’une gousse d’ail et que l’hiver lacérait ses flans, quand des étés lui écorchaient les mains, quand la pluie trempait ses os, non, ça, la peur, et l’impuissance elle ne connaissait que cela trop bien.

« Alastor, c’est quoi ce truc dans le ventre que je ressens ? J’ai peur ça je connais déjà, mais il y a quelque chose qui … Qui me fait m’agiter ? qui fait battre mon cœur plus vite ? »

Le scientifique se posa et réfléchit un instant. C’était quelque chose que d’être pionnier et érudit, c’était quelque chose d’autres de complétement différent que d’expliquer à une personnes centenaires, qui n’avaient pas pris une ride tandis que vous aviez dépéri, ce qu’elle ressent.

« De l’excitation ? »

« Mmh. Excitation. C’est agréable. Je suis excitée ! »

Elle le cria, bien trop fort pour que quiconque puisse échapper à une forme de malaise, « Non, Clove. Ce n’est pas un truc que les humains ne disent. Ni comme ça, ni si fort. »

Clove ne se sentit pas de rougir. Elle nota simple dans son carnet de bord mental, que les hommes n’étaient ou pas en phase avec leurs émotions, ou ils ne les criaient pas à haute-voix. Elle se retiendrait de faire le premier, et s’efforcerait de faire le deuxième.

Mais que la communication devait être dure ! Lorsque Clove voyait un oisillon manger plus que de raisons sa mère lui disait, et les choses étaient simples.

« Ca s’appelle comment dans ce cas là ? »
« Mmh ? »
« Quand vous êtes excité, mais que vous dites pas que vous êtes excité, c’est quoi ? »
« Des bonnes manières je suppose ? »
« Mmh. J’aime pas ça ce truc, ça a l’air compliqué. »

Alastor ria d’un rire de vieillard. Si son souffle se faisait plus court avec les années, et que jambes ne le portaient plus tout à fait, pour Clove, Alastor restait ce fringant jeune homme féru de connaissance, et dénué de malveillance.
« On va arriver prépare toi à descendre. Baisse les yeux avant qu’on te trouve des vêtements plus décents. »

Elle avait remarqué ça ! Un sourire fier se grava sur son visage, elle avait remarqué que les hommes n’aimaient pas se balader nu ! Tout particulièrement en ville. Ils ont une aversion pour les belles choses se disait-elle, mais elle l’avait remarqué. Il lui enjoint de ne pas faire de vague, qu’il allait la déposer là où elle continuerait à vivre.

Elle hocha la tête.

Elle trépignait. Ses mains, ses jambes, tout chez elle semblait vibrer. L’excitation. Elle se retint de le redire au scientifique, tandis qu’il l’attrapait par la main pour la faire se presser. La rue abritait ce qu’elle apprendrait plus tard être de nombreux commerces et non pas des petites habitations où on pouvait acheter des possessions de l’occupant. Le bâtiment n’était pas particulièrement récent, sans être délabré, on pouvait sentir de la cité n’avait pas investi autant pour ce quartier que pour d’autres, mais Clove se plaisait à contempler ce qui était imparfait, et ce quartier comme ceux qui l’habitait, imparfait il l’était.

« Clove. Clove ! »

Elle fut rappelé à la réalité tandis qu’Alastor lui avait fait péniblement monter les marches de l’immeuble.

« Je te présente ma nièce. Marika. Elle te servira de … Guide. Et colocataire. »

D’autres moins, moins élogieux, tant pour Mariko que pour Clove traversa son esprit. Il les pensa tous, mais comme le fin érudit qu’il était, il trouva les mots parfait pour mettre Clove, la plus à l’aise possible. Clove eut à peine le temps de comprendre ce qu’était une colocataire, qu’il s’en était déjà allé, la laissant seule, à devoir se débrouiller. Elle détailla la personne qui partagerait son habitation.

Elle était plus jeune qu’Alastor, elle lui ressemblait un peu, il y a de ça quelques années, elle avait un visage doux. Clove, frénétiquement, faisait sauter ses yeux de sa poitrine, à son visage, de son visage à sa taille, de sa taille à ses pieds, dans un cercle fou. Et après quelques longues et pesantes secondes de silence, elle s’avança. On lui avait dit de ne pas dire qu’elle était excitée, alors, encore une fois, elle se retint pour respecter les fameuses bonnes manières – ce qui soulevait la question ceci étant dit de ce qu’était les mauvaises manières – et elle attrapa la main de Marika ; envahissante comme du lierre, elle ne sentait aucune gène que de se comporter aussi familièrement dès leur première rencontre. Et, attrapant sa main entre les siennes, les yeux pétillants, elle annonça tout fière « Je sais qu’Alastor m’a dit d’être discrète, mais je veux sortir ! Montre moi tout ce que cette ville a à me montrer ! Enchanté, moi c’est Clove ! »
Lun 22 Juil - 20:55
De la farine jusque sous les ongles, Marika soufflait avec impatience, cherchant à renvoyer une mèche rebelle dans ses buts. Sous la menace implacable de l’horloge, elle déambulait dans sa cuisine, un torchon à demi imbibé de beurre sur l’épaule. Voilà bien une heure qu’elle s’agitait ainsi, les sourcils froncés et le tablier tâché, devant son livre de recette et ses saladiers. Pépites de chocolat, zestes de citron et grains de sucre s’y donnaient la réplique dans un étang de pâte dorée rond comme le poing. Sur une plaque encore chaude traînaient des monticules rougeâtres, un cimetière de baies séchées. Rien n’y faisait : les arcanes de la pâtisserie lui demeuraient indéchiffrables. Ce n’était pourtant pas l’ambition qui la dévorait en la matière : même les enfants savaient préparer des cookies. Peut-être les gâteaux craignent-ils, s’ils venaient à monter dans le four, qu’elle ne les engloutisse à peine nés. La chercheuse poussa un soupir, cédant au désespoir que lui inspiraient ses tentatives. Elle s’installa à table, allongeant les bras devant elle et déposant la tête au creux de ses coudes. Dans une posture déconcertante, une armée d’ingrédients la tenaient à l’œil.

Entre rêveries et courage aux abonnés absents, la jeune femme ne trouva la force de se relever qu’à l’appel impérieux de la sonnette. Dressant un regard noir à son désastre du jour, elle envoya valser son tablier quelque part dans la pièce, attrapa une assiette où dormaient les pâtisseries les plus réussies dont elle disposait, et ferma la porte derrière elle : le temps lui manquait toujours.

À l’entrée se dessina bientôt une figure douce et ronde comme un caramel. L’œil goguenard, Alastor s’empara d’un cookie qu’il croqua du bout des dents, et s’effaça un peu trop vite au goût de la brune. Avec sa nonchalance habituelle, il lui avait rappelé que sa colocataire constituait peut-être la clef d’une nouvelle révolution biologique _ et ajouté qu’il ne fallait pas trop s’en soucier, mais elle n’écoutait déjà plus. Le monde alentour avait disparu, dissipé par une inquiétude familière, avant que la fraîcheur d’une main ne la ramenât sur terre.

« Tu ne veux pas goûter ? »

L’indignation au gosier, elle en oublia les bonnes manières. À l’idée de ne rien avaler, son instinct avait pris le dessus ; pour le meilleur et pour le pire, son estomac menait la danse de sa vie.

« Pardon. Je m’appelle Marika. Je ne pense pas que tu risques grand-chose. Dans la foule, personne ne fait attention aux autres. Enfin, faire profil bas ne coûte rien. »

Haussant les épaules, elle reposa l’assiette sur le meuble de l’entrée. Déposer de la nourriture si près de ses chaussures n’était pas très hygiénique, mais elle doutait de toute façon qu’ils fussent consommables. Il serait toujours temps de les jeter en rentrant.

« Je croyais que tu voudrais voir l’intérieur d’abord, mais allons-y. »

En vérité, elle appréciait de ne pas avoir à expliquer le chaos de la cuisine. Le reste de l’appartement luisait de propreté, devenu aussi stérile qu’un laboratoire sous ses coups de chiffon. Seules les araignées avaient échappé au grand massacre de la savonnette.

« Quand tu sors, il faut toujours fermer la porte à clef. Le quartier est plutôt sûr, mais on ne sait jamais. »

Fort heureusement, l’immeuble n’avait jamais souffert de visites inopinées, mais depuis quelques mois, la ville ne semblait plus aussi sûre. Vaggie, la petite vieille du second, membre émérite de tous les clubs du troisième âge des environs, ne passait pas une semaine sans radoter sur la montée en flèche des vols et autres délits en tout genre. La chercheuse doutait de la véracité des faits : toutefois, la prudence ne portait pas malheur. Ainsi avait-elle soigneusement dispersé une ligne de sel au ras de la porte et des fenêtres, pour éloigner les mauvaises intentions.

« Désolée. Je ne veux pas te traiter comme une gamine, mais je ne sais pas ce que tu connais d’ici. Cette vieille chouette ne m’a pas donné beaucoup d’informations. »

L’avarice d’Alastor en la matière avait manqué lui donner de l’urticaire. En descendant les escaliers, elle fit disparaître ses clefs dans une poche.

« Tu voulais voir quelque chose en premier ? Je pensais qu’on aurait pu prendre l’autobus. C’est une sorte de grosse machine sur des roues, avec du verre aux quatre coins, et qui avance beaucoup plus vite que nous. On pourrait faire un petit tour, et descendre si des endroits te font envie. »

Marika ignorait ce que signifiait découvrir de nouveaux lieux : l’idée de sortir de la ville ne lui était jamais venu à l’esprit. En dehors des boîtes de Petri et des microscopes, une certaine sérénité résidait dans son quotidien. Cela lui suffisait.