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[FB] Hé ho, hé ho, ils rentrent du boulot

[FB] Hé ho, hé ho, ils rentrent du boulot Brandw10
Mar 25 Juin - 18:33

Contrairement à ce qu'on pouvait le plus souvent penser, c'était aux petites heures du matin que les rues de la basse-ville de Xandrie étaient le plus agitées. Les maraîchers préparaient leurs échoppes, hurlant déjà des prix défiant toute concurrence aux rares passants, les artisans dressaient sous leurs tentures vieillies par le temps des objets en tous genres et les gamins des rues profitaient de la relative ébullition matinale pour se faire quelques astras, en travaillant ou en chapardant. L'avantage, c'est que les matins ne toléraient pas de crimes plus graves que ces petits larcins. La nuit emportait toujours en se couchant les gens les plus louches, les ombres les plus grandes. Après tout, la croyance populaire n'avait pas inventé la peur du noir sans aucun fondement.

Aussi Lillie se sentait plus en sécurité le matin. Les esprits s'échauffaient moins loin de l'alcool et des cris des corps brisés par une journée de travail. Il lui semblait qu'aux premières lueurs du jour, elle ne craignait presque rien. À son humble avis, la Révolution devrait avoir lieu à six heures. Elle serait aux mains d'esprits éclairés.

La gronde montait plus vite que les digues qu'elle avait pu ériger pour la contenir. Partout la rumeur de la violence s'insinuait comme un lierre mal entretenu. La Générale n'était pas jardinier pour un sou, mais elle savait que l'heure de l'action approchait, et elle voulait s'assurer de connaître les positions de chacun avant le grand dénouement. Aussi la Révolution avait-elle depuis longtemps gardé un œil et une oreille sur les doléances des miniers. La plupart des tunnels étant sous contrôle opalin, il n'était pas rare que le sujet de l'indépendance énergétique de Xandrie ne parvienne aux oreilles de Lillie. Aussi, le probable rachat d'une mine par la Guilde des miniers, soutenue par les Monétaristes, n'était pas passée inaperçue. C'était une opportunité en or pour fédérer les plus fervents défenseurs de la cause autour d'un projet commun. Du Myste xandrien, produit par eux, et pour eux. Sur le papier, c'était le projet le plus révolutionnaire de la décennie.

Aussi Lillie avait-elle arrangé une rencontre avec les miniers et les monétaristes, aux plus jeunes heures de la journée. Elle ne l'avait évidemment pas fait en son nom et avait pris toutes les précautions pour protéger son rôle et son identité. Elle était plutôt fière du système de communication qu'elle avait mis en place, son langage des oiseaux comme elle aimait y faire référence. Aux deux seuls lieutenants dans la confidence de son identité, elle transmettait l'intégralité du message. Ceux-ci avaient ensuite pour ordre de le coder et de le faire passer par au moins six messagers différents, chacun devant ajouter une clé de sécurité lui étant propre. Ce message, il devait à chaque étape supplémentaire être relu, avant de finalement être remis à Flaco, dernier oisillon de la chaîne. Un gamin des rues bavard que côtoyait chaque jour une gamine aux cheveux roses. De sa bouche, Lillie pouvait alors s'assurer que le message était passé et que personne n'avait essayé de l'altérer. Dans d'autres configurations, Flaco aurait été le pire messager possible. Mais sa naiveté enfantine et sa langue trop heureuse de remuer en faisait l'allié parfait de la Générale. Elle savait donc que son dernier message avait été transmis aux concernés en temps et en heure. Il était simple, concis.

"Xandrie évolue. Peut-on l'y aider ensemble ? Le parc Juo-Ling sera en fleurs demain matin. Avez-vous déjà vu plus beau spectacle ?"

Elle n'avait pas menti sur ce point. Le parc avait tout du symbole ultime de Xandrie ce matin-là. Chaotique, mal entretenu et foisonnant au premier abord, il n'offrait sa beauté phénoménale qu'aux curieux, capables d'admirer l'incroyable variété de crocus en fleurs au milieu des herbes hautes et des parterres délaissés. C'était ça, Xandrie. Un jardin depuis longtemps laissé à l'abandon, où poussaient encore parmi les plus belles choses de l'enclave. Lillie, 85 ans, se pencha pour ramasser une fleure mauve teintée de rouge.
Ven 5 Juil - 11:28

Jacquassez, pies espiègles

Rien ne brille plus qu’une couronne


Révolution. Petit mot pour une idée si grande - des contours si propres pour autant de passion. Il était sur tant de petites bouches, ce petit mot si doux; il tombait, ricochet mutin, passait de phrases en phrases. Un spectre invisible dont l’avidité n’avait de limite que celles du peuple, grossissant comme une rivière, s’abreuvant de la pluie de rumeurs qui jaillissaient de toutes parts dans les basses sphères. Et comme chaque rivière, nulle barrage ne pourrait jamais lui faire face.

Et des petites révolutions, il y en a partout. Un mot au-dessus de l’autre, savoir dire non, gagner quelques astras de plus… Des petits signes en cachant un autre. Dans les rues soufflait un vent chaud, un vent de révolte. Un vent de conquête. Et une mélodie toute minérale, celle des pierres que le vent pousse doucement jusqu’à la percussion. Une mélodie fàscinante.

Elle ouvrait la voie, ambassadrice de son crue - elle ne pourrait jamais se prétendre générale, colonelle ou même commandante - soldat lui allait bien mieux. Un titre sans dorure, sans broderie, mais armé: et avec toute la marge de manœuvre d'exécuter le verbe de son vrai chef - sa vraie cheffe, si on voulait jouer sur les mots. Et elle avait ses propres manigances à mener, après tout. Une famille à porter, c’était suffisant - une guilde entière? Non, non… Elle préférait sa position, plus douce, plus audacieuse. Plus féroce: elle pouvait mordre de là où elle était.
En arrivant aux abords du parc, elle la chercha du regard, la commandante des Monétariste, plus sauvage que toutes les fleurs qui tapissaient le parc coloré. Mais elle n’était encore en vue… C’était l’occasion de découvrir en avant première ce terrain de jeu.

Une tradition pour Xandrie, le parc Juo-Ling - un bonbon pour les connaisseurs, un symbole pour ses habitants. En terrain familier, Lan-Lan osa finalement s’avancer, précédé par les bruits de ses bijoux qui s’entrechoquaient gaiement en créant un glas tout religieux; les cloches d’une cathédrale colorée de blasphème.
On n’avait pas entretenu le parc depuis longtemps. On ne l’entretenait jamais vraiment, d’ailleurs. Loin des parterres et des jardins de cour, c’était un vrai hymne à la nature sauvage, à ce que les mains d’Adhra font de mieux. Tout n’était que couleurs chaudes, sanguines, printemps des fleurs et des odeurs ambrées. Et au milieu de ce décors, une plus belle créature se tenait debout, usée par les âges, le front plissé de rides.

Prenez-soin de votre dos, Madame. Laissez-moi faire.

Sans bein réfléchir, Lan-Lan s’était imposée, s’agenouillant presque devant cette figure des âges. La fleur était à portée de main - les pétales veloutés à peine éclos, beauté en devenir mais déjà parfaite. Née dans la pierre, la pivoine allait exalter.
Aussi prestement, elle la tendit vers sa véritable maîtresse, détaillant un instant son visage. Le vent de la révolution allait souffler.

Les rues appartiennent aux fleurs sauvages.
Lun 22 Juil - 16:54



Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux


Crocus sauvages aux couleurs chatoyantes, se mêlent aux hautes herbes d'un parc depuis longtemps laissé au bon soin de mère nature. Quelques bonnes âmes aux mains vertes, s'essaient parfois à entretenir ce petit poumon rabougri au coeur de la cité. Volontaires, elles se fatiguent parfois, de voir leurs efforts laborieux, si chichement récompensés. Ce n'est pourtant pas pour la gloire, qu'elles s'échinent. Mais ce pays a-t-il bien conscience, de leur labeur ? Elles arrachent les mauvaises herbes, ici, à défaut de pouvoir le faire ailleurs.

Elles repoussent.
Toujours.

Combat sans fin. Épuisant. Elles s'usent, ces mains caleuses. Sur leur dos, la résignation laisse des tâches brunes, que l'âge ne fait qu'étendre. Elles ont tout donné, à ce pays. Creuser la terre pour en extirper des richesses dont elles ne gouteront que le poison. Acquiescer aux restrictions, courber l'échine devant les étrangers. Donner ses enfants. Pour perpétuer le cycle.

La brise matinale est douce, sur les pétales des crocus.

Il y a pourtant une odeur nauséabonde, que couvrent les herbes folles. Dans un buisson, quelque chose est mort. Dans l'indifférence de celles qui arpentent les chemins mal entretenus du parc. Un rat. Que dévorent les vers.

Charogne en décomposition.
Aujourd'hui un rat.
Demain un roi ?


Le peuple aurait-il, cette fois, l'occasion d'arracher les mauvaises herbes ? Ou le jardin tout entier brûlerait-il ? Il était trop tard pour l'empêcher. Fallait-il pour autant l'encourager ? Les monétaristes avaient beaucoup à perdre. Beaucoup à gagner aussi. Un pari dangereux.

Ce n'est pourtant pas le moment.

Ne savent-ils pas que le Mandebrume est en vie ? Qu'il est bien réel et qu'il pourrait menacer toute vie sur Uhr ? À quoi bon batailler pour des droits sociaux, économiques, lorsque le monde est menacé d'annihilation ? Ne savent-ils pas que la brume qui est entrée en Opale, pourrait entrer ici aussi ? Une révolution, maintenant ? Alors qu'ils devraient ne faire qu'un, s'ils voulaient sauvegarder ce qu'il restait du continent.

Sauraient-ils que cela ne changerait rien.

Le Mandebrume est une menace lointaine. Zénobie ? Où est-ce ? Combien d'uhrois sauraient l'indiquer sur une carte ? Combien de xandriens ? Mains tâchées de poussière et de myste non-purifié. L'attaque du treizième cercle sur Opale ? Ne l'avaient-ils pas chercher, ces maudits opalins ? Pour une fois que la misère passait la frontière. C'était triste pour les innocents. Combien y en avait-il à cette réunion des puissants ? Combien s'étaient soucier de leur sort à eux, innocents qui piochaient du matin au soir pour les éclairer, là bas, dans leur ville lumière ?

Rien ne saurait arrêter ce qui était déjà en marche. Pourtant, tout restait encore à faire. Cet avenir certain était encore à dessiner, pour les monétaristes. Bien sûr, ils avaient déjà donné quelques coups de pinceaux. Ils ne laisseraient pas le futur s'écrire sans eux. Mais à quel point, voulaient-ils que leur nom résonne ?

Chāyā Lelwani lève un regard sceptique vers le ciel bleu pâle au-dessus d'elle. Ses cheveux noirs attachés en queue de cheval haute caressent les épaules abritées sous un costume masculin. Elle n'approuve pas ce lieu de rendez-vous. À découvert. Plus personne ne venait ici et ce n'était pas sans raison qu'elle avait discrètement fait le tour des lieux mais la caravanière ne connaissait que trop de moyens d'infiltrer pareil environnement pour ne pas se sentir affreusement exposée.

Ce n'est qu'après s'être à nouveau assurée d'être seule, que la monétariste rejoignit sans se presser la pivoine qu'elle avait repérée près d'une mystérieuse silhouette courbée.

- Je vois que nous ne sommes pas seules à apprécier ce parc de bon matin.
Sam 3 Aoû - 9:26

Il n'y avait pas tellement d'air ce matin-là. Les brins d'herbe étaient immobiles, comme figés par la moiteur de l'air de la ville. On entendait en contrebas monter les rumeurs du petit matin, ce mélange tonique d'invectives de maraichers pressés d'écouler leur stock et de marchandages à peine moins vifs de clients faussement scandalisés. L'accent de Xandrie était probablement le plus marqué de tous. Le moins élégant, disaient les gens d'Opale. Il faisait la part belle aux toniques et aux gutturales, noyant souvent les voyelles ouvertes dans un océan sec et rêche. Lillie s'y était depuis longtemps habituée. Sans doute l'avait-elle aussi fait sien. Il ne lui semblait plus si étranger. Elle arrivait même à lui trouver une certaine poésie. Pas la poésie en vers des grands Épistotes, ni même les odes aramilanes à la Gloire des Douze. Non, quelque chose de plus réel, de plus quotidien, l'essence même de l'existence, qui s'embête rarement à arrondir ses fins de phrases avec des rimes parfaites. Xandrie, son accent, le parc Luo Jing... Tout ça ne rimait pas, non. Ça vibrait. Et c'était tout aussi beau.

Maintenant rejointe par deux des plus éminents personnages de la Juste, la Générale savait qu'elle allait devoir jouer ses cartes avec précaution. Il lui fallait maintenant danser avec l'imprudence, sans jamais risquer l'impertinence. Le sort de Xandrie en dépendait. Une fleur entre les mains, elle se redressa en souriant. Quelle drôle de grand-mère, pensa-t-elle pour elle-même.

- Mesdames, je ne saurai trop vous remercier d'avoir accepté mon invitation. Elle les toisa une à une avant de désigner un banc proche de l'index. J'aime beaucoup ce parc. Je l'ai toujours beaucoup aimé. J'ai donc beaucoup de mal à accepter qu'il dépérisse de la sorte. Il mérite mieux, n'est-ce pas ?

Une fois assise sur le banc, Lillie déposa la fine veste de coton qui couvrait ses épaules. Il était important pour elle de faire comprendre qu'elle n'était pas armée, qu'elle ne voulait pas représenter une menace pour ses interlocutrices. Elles pouvaient, si elles le souhaitaient, s'assoir de part et d'autre de la grand-mère en laissant une bonne distance entre elles. Une simple invitation.

- Je ne suis pas une adepte des énigmes, mais je ne peux malheureusement pas encore vous confier mon identité. J'ai conscience que cette rétention déséquilibre notre échanges, puisque je sais moi qui vous êtes. Aussi ne vous ferrai-je pas l'affront de tourner autour du pot. Elle marqua une pause d'un sourire sincère. Le vert de ses yeux s'évanouit un instant sous la plissure de ses paupières. La Révolution a eu vent de l'excellente initiative de la Guilde des Miniers de reprendre le contrôlé d'une exploitation abandonnée. Initiative qui, et j'espère ne pas me tromper, a reçu votre soutien. Vous n'ignorez pas que la Révolution croit en la capacité du peuple de Xandrie à ouvrir les yeux et à agir sans violence. L'attente a été longue, mais nous avons de bonnes raisons de croire que Xandrie évolue enfin. Nous sommes là pour soutenir ce mouvement, pour joindre notre souffle au vent de la liberté. Mais nous ne pouvons souffler seuls. Nous pensons que la coopération nous mènera plus loin que la coercition.
Mer 14 Aoû - 18:36

Souffle enflammé

brûle avec passion, attise le feu de la révolution


Charmante personne - cette dame. Charmant lieu. Charmant ciel. Tout le décor était charmant, humble, une toile discrète et ordinaire comme s’en amourache parfois les poètes et les peintres. Ils ne se seraient sans doute pas entêtés pour elles pourtant, sans doutes un rien trop ordinaires, un brun trop banales, même coiffées d’or, d’astras, ou d’une vieillesse respectable. Ils auraient eu bien tort: peut-être que les mots qui allaient s’échanger là feraient autant l’histoire que la plus savoureuse des proses.

Chāyā les avait rejoint, prudente créature féline, charriant dans son sillage le tintement des astras. Maintenant que toutes les actrices avaient répondu présentes, voilà que la vieille dame montrait subtilement son vrai visage.

Mais n' y a-t-il pas de beauté dans sa nature sauvage? Le parc est plus beau quand on le laisse vivre, naturellement. Libérées des coups de ciseaux et des bêches, les fleurs n’en sont que plus belles.

Elle chantonnait presque sur le chemin du banc que la mystérieuse révolutionnaire avait désigné du menton. Surprenant partie prit pour une fille de la noblesse, mais Lan-Lan avait depuis longtemps assumé ses penchants pour la liberté. Enervée par les tenailles, fatiguée des menottes. Couronne comme bâillon, Xandrie était une nation définitivement enchaînée, définitivement enfermée par ses voisines, un outil plus qu’un pays alors que tout son peuple ne demandait qu’à la porter plus haut.

Jeux subtils, amies en apparence, en réalité, elles marchaient toutes sur des œufs. Les gestes signifient bien plus que ce qu’ils étaient - peut-être car les révolutionnaires portaient un manteau de rumeurs plus solides que le coton, elle remarqua que leur vénérable amie avait rapidement fait tomber sa veste, dévoilant avec humilité qu’elle n’était pas une menace.
Installant ainsi un rapport de force.

Curieuse façon de négocier - mais innocence appréciable.

Jeux subtils, Lan-Lan s’assoit, à la même hauteur, jambes croisées, tête posée sur une main curieuse, toute candide et oreille grande ouverte. Elle est le poux dans la discussion car son pied traîne encore dans les cours et la noblesse - pourtant elle œuvre discrètement avec le licorice carmin pour pousser Xandrie vers des sphères plus hautes, vers là où elle mérite de s’élever.

Mieux qu’un soutien: c’est un travail d’équipe. Minimiser l’implication des monétaristes aurait été bafoué tous les efforts de maître Huang, et de sa nouvelle dépositaire. Regardant vers la révolutionnaire, elle essaya de se détourner du regard de Chāyā, ne sachant tout à fait si il approuvait ou désapprouvait ses paroles. Il était bien une chose qu’on ne lui enlèverait pas: Lan-Lan était fière à outrance, que ce soit de leur organisation, de sa famille, ou de sa propre personne. Aussi souhaitait-elle rectifier les on-dit. Chaque coup de pioche, chaque négociation nous rapproche un peu plus de la production du premier myste Xandrien. Un grand pas pour notre nation.  

Une révolution, sans doute, et avant tout: un doigt levé vers leurs oppresseurs. Mais dans toute cette histoire, elle demeurait légèrement… Sceptique.

A titre personnel, mais également en tant qu’ambassadrice, je partage votre point de vue, notre belle nation mérite ce qu’il y a de mieux: la liberté, le respect. La dignité de vivre avec la tête haute. Mais je suis curieuse de ce que nous pourrions faire pour vous. Et… Ce que vous pourriez faire pour nous.

Sourire vorace, l’améthyste au fond de ses yeux s’illumine. Elle a peut-être fait un pas de trop, débordant sur le territoire de la cheffe couronnée à son côté. Mais plutôt que la déposséder, elle aimait à croire qu’elle la précédait, pour un instant; qu’elle lui avait déroulé le tapis rouge. Mais avec grande incertitude, elle ravala sa fierté en cherchant, cette fois-ci, son regard si sanguin. Jeux subtils… Quelle serait la position de la panthère dans cette jungle sauvage?

Jeu 22 Aoû - 16:24



Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux


Idéalistes. Jeunes sots. Ambitieux. Têtes brûlées. Rebelles. Quand les nobles cherchaient à s'épargner un langage grossier, ces mots là venaient, sans grande simplicité puisque la diplomatie n'est pas toujours le fort des puissants. Ces cailloux dans leur chaussure, n'étaient que des cailloux mais, à force, ils commençaient à avoir sérieusement mal aux pieds. La révolution n'était pas tendre avec les biens nés, ceux qui profitaient de la situation et des opportunités offertes, morales ou moins. Il est plus aisé de toucher les classes qui ne le sont pas. Plus simple d'embarquer les éprouvés. Et quoi de mieux que de se trouver un ennemi commun pour rallier les forces disparates ? Un ennemi tentaculaire, évidemment monstrueux puisque dotés de multiples visages. Les nobles. Opale. Le Roi.

Sur ce tableau, les Monétaristes se tenaient sur un fil ténu. Il pourrait être aisé de mettre les banquiers dans le même panier que leurs fortunés clients. Ne font-ils pas de l'argent grâce à la confiance des nobles ? Et à ses opportunités, pas toujours morales, qu'offre Opale. N'ont-ils pas joué le jeu de la royauté en s'emparant de ce marché ? La Révolution aurait tôt fait de monter tous ces éléments en épingle et présenter aux déçus une nouvelle poupée vaudou. Mais cela n'avait pas été leur stratégie.

Parce que l'argent ne fait pas le bonheur mais, il fait le pouvoir. Hypothèse raisonnable mais trop peu idéaliste pour tout à fait correspondre au mouvement. Du moins, à son image. La vénérable laissait entendre une autre hypothèse. Celle de l'information dument collectée. Les Monétaristes jouaient volontiers le rôle de banquiers pour ces nobles damoiseaux mais, l'argent ne dormait pas en ronflant dans leurs caisses. Il roulait, parfois sans trop de bruit, jusqu'au coeur de Xandrie et de ces petites mains qui s’efforçaient de bâtir de nouvelles choses. L'économie xandrienne tenait après tout sur les guildes et les Monétaristes jouaient, là aussi, un rôle. Était-ce simplement une partie de ce rôle qui les faisaient être si proche de la guilde des mineurs ? Un calcul pragmatique pour placement rentable ou autre chose. Autre chose qui confinerait à une forme de moralité, de conviction ?

Voilà certainement ce que la Révolution cherchait à savoir. Y avait-il une âme derrière ces astras ? Ou peut-être moins philosophiquement, un accord envisageable. C'était très justement les termes de cet accord que cherchait à connaître Lan-Lan. Esprit vif sous les dorures de l'orgueil. Voilà peut-être le défis décisif qu'aura à relever la Révolution, convaincre non plus seulement les égarés et les éprouvés mais aussi ces quelques nobles et intellectuels qui observent, attendent. Espèrent, peut-être aussi. Peut-être autant, que les malmenés.

Assise au côté de leur nouvelle amie, la banquière en chef a, elle aussi, des attentes. Ce n'est après tout pas si souvent qu'elle a l'occasion de parler avec une révolutionnaire. Il était peut-être temps d'en savoir plus. Elles ne pourraient pas rester à flâner dans ce parc pour des heures et la révolutionnaire semblait encline à ne pas mâcher ses mots, quand bien même elle se pliait à une diligence diplomatique, prudente. La caravanière n'irait pas par quatre chemins, elle devait savoir ce que cette révolution avait dans le ventre.

- Quels sont vos objectifs ? Entendez que nous avons différents son de cloche suivant les rapporteurs. Pour certains votre révolte ne vise que le chaos, pour d'autre une nouvelle forme d'état et pour d'autres encore, ce n'est qu'un mouvement de pensée, philosophique, incapable de réellement agir.

Qu'en était-il ? À quel point la Révolution était-elle prête à agir ? Et jusqu'à où ? La rue était facile à prendre mais qu'en était-il des bas-fonds soumis à la loi de la pègre et des hauts quartiers observant parfois tout cela de loin ? Les révoltés marcheraient-ils indéfiniment sur les mêmes pavés jusqu'à épuiser leurs derniers soutiens ou finiraient-ils par regarder.. plus loin. Plus haut.
Mar 10 Sep - 14:02

Les rares badauds qui s'aventuraient encore dans ce parc n'y passait généralement que quelques minutes. La plupart le traversaient pour gagner quelques minutes sur leur trajet, ou pour substituer au tumulte de la ville un tumulte végétal non moins dense mais plus silencieux. Lillie suivait le parcours de chacun de ces rares promeneurs, ramenant régulièrement ses petits yeux plissés sur ses interlocutrices. Elle les avait laissé parler, tour à tour, sans les interrompre ni sans se départir d'un sourire poli. Quelques hochements de tête simples accompagnaient les propos des deux monétaristes.

Bien sûr, Lillie ne s'attendait pas à gagner leur confiance en un claquement de doigts. La Révolution n'avait pas toujours eu bonne presse au sein de la Juste, malgré les efforts constants de la Général de cadrer ses troupes. La partie d'échec en cours était loin d'être terminée, et chacun devait avancer ses pions avec la plus grande prudence. Tout le monde sauf Elles, qui savait qu'il était temps de mettre le roi en échec.

- Nos objectifs n'ont jamais réellement évolué. Nous ne vivons que pour le bien commun du peuple de Xandrie. Une notion un tant soit peu délaissée par notre cher monarque. Il semblerait qu'il échangé la vie de son peuple contre le mode de vie fastueux de nos voisins opalins. Elle se tourna vers Lan-Lan. À titre personnel, je ne peux rien vous offrir sinon la garantie que la Révolution ne bougera pas le petit doigt sans l'aval de ses partenaires. Le maximum sera fait pour éviter les débordements violents, comme je m'y efforce depuis maintenant de nombreuses années.

Elle savait que cette promesse ne lui garantirait rien. Ses efforts, bien qu'existants, n'avaient pas empêché les branches les plus réactionnaires de la basse ville d'agir contre les intérêts du mouvement. Escarmouches, cambriolages et agressions en haute ville avaient été légions, qu'ils soient revendiqués par des membres de la Révolution ou par des gens pensant y appartenir. Les Guildes ne l'ignoraient pas. Et la chef des Monétaristes non plus.

- Nous sommes un peu tout ça à la fois. Un mouvement de pensée ? Assurément. Mais cette pensée habite un corps. Un corps dévoué aux paroles de la princesse en exil. Si tôt l'équilibre ramené en Xandrie, ce corps s'endormira. Nous n'avons aucun contrôle sur l'avenir. Nous ne contrôlons que le présent. Demain n'existe pas, écrivait Juo Ling. Il s'enfuit éternellement quand se lève le jour. Si un jour nouveau se lève sur la Juste, la Révolution s'enfuira avec lui. Et le peuple décidera seul de son avenir.
Jeu 26 Sep - 15:29

Souffle enflammé

brûle avec passion, attise le feu de la révolution


La paix. Déposée sur un plateau. Une plume. Aussi légère et évanescente qu’une plume.

Lan-Lan écoutait patiemment cette figure des âges avancer ses mots, ses phrases, avec une force tranquille qu’elle devinait redoutable. Elle n’était ni là pour jouer de ses couleuvres, ni pour s’imposer. La simplicité d’une discussion franche et sans détours, sans artifices, sans miel. Quelle curieuse sensation que de revenir à la simplicité.

Pourtant, Lan-Lan toisait cela avec une distance toute nouvelle. Il était doux de rêver changement. Mais une fois le monde retourné, Xandrie libérée du joug royal, quoi? Le soleil se lèverait éternellement sur Xandrie. Mais la nation survivrait-elle sans couronne?

La révolution souhaite le changement - et je crois pouvoir m’avancer sans trop prendre de risque que nous le souhaitons tous. Le poumon de Xandrie, son souffle, c’est son peuple. Il est grand temps qu’il reprenne son destin en main.

Elle laissait tomber les mots sur la surface de ce grand lac lisse, pétal de cérisier sur le lac de la gronde. Ils flottaient doucement, sereinement, mais finissaient par tomber, aspirer par ce gouffre infini depuis trop longtemps érodé. Xandrie tenait en surface, seuls tenaient les murs, seul tenait le moral. La Xandrie était une rose magnifique dont le tronc était flétri.
Le roi tenait dans sa main des rênes usées et la Révolution n’aurait aucun mal à les lui reprendre. Il était davantage un empaffé gras qu’un guerrier, et sa force ne tenait qu’à sa couronne. Il n’était ni fort, ni aimé. Il n’y aurait que ceux qu’il a le plus engraissé pour lutter un peu, pour essayer de garder encore un temps la poule aux oeufs d’or sur son trône. Mais ça ne durerait pas. Quand ils trouveront leur intérêt ailleurs, eux aussi changerait leur allégeance. Tout passe…

Mais quid de l’après? Debout face au lac, Lan-Lan voyait sa surface s’assombrir, les eaux se retirer, laisser derrière elle une ruine, un creux, un trou. Il n’y aurait plus rien que des clans et des guildes - vraie richesse de la nation, mais organes indépendants, ambitieux. Avides.

Les guildes se mangeraient rapidement entre elles si elles ne parviennent pas à cohabiter. Retirer le roi, c’est également retirer un ciment - certes précaire et poreux. Murmura-t-elle doucement. Si la Révolution accomplit sa tâche et retourne aussitôt au sommeil, avec quoi nous laissera-t-elle? Une telle entreprise mérite des garanties, ne croyez-vous pas?

Action, réaction. Ambition, responsabilité. Sans bien le percevoir, une certaine hostilité naissait dans l'améthyste de son regard. Ainsi, le but premier de la révolution était de s’éteindre. Noble dessein - mais qui risquait l’avenir de la nation. Elle ne s’imaginait pas soutenir un mouvement qui visait à changer le pays sans garantie d’un futur meilleur. Méfait accompli, le rideau tombe. Et derrière le rideau, des guildes s’entre-dévorant pour un pouvoir volatile, renforçant l’aura d’Opale qui n’aurait plus qu’à ouvrir la bouche en grand pour les avaler tout cru.

Le Magistère n’aura plus qu’à nous engloutir… Sauf si votre princesse en exile à ce qu’il faut pour assumer la lutte intestine qu’est Xandrie.


Mer 9 Oct - 13:33



Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux


Nous ne vivons que pour le bien commun du peuple de Xandrie. Discret est le cillement sur ces paupières nues. Le bien commun, qu'était-ce ? Quel bien partageaient encore les ouvriers aux poumons attaqués par le myste, les mineurs aux mains calleuses, les employés des guildes, les nobles barricadés dans leurs villas verticales ? Ou bien, fallait-il décider, ce qu'était le peuple de Xandrie ? Les pauvres, les riches, ceux qui arrivent à joindre les deux bouts. Ceux qui se battaient pour la Révolution ? Ceux qui préféraient attendre que l'orage passe ? Ceux qui, ayant déjà tout, craignaient de tout perdre ?

Elles se ferment, paupières lourdes. Envolé le parc laissé à l'abandon par le Royaume, laborieusement entretenu par des mains lasses.

La Révolution était une étincelle, elle n'attendait qu'un souffle pour s'embraser. Le souffle du peuple ? Attendre une union des nantis et des démunis était évidemment vain. La Révolution se construisait sur les épaules les plus abimées, nombreuses en Xandrie. Pourtant, elle ne s'enflammait pas encore. Attendait-elle de réunir davantage de ces pauvres âmes à bout ?

Les cils se redressent. Pupilles agressées par la luminosité, iris en expansion, rouge sang contemple le ciel incertain.

La Révolution était là, vieille femme assise au milieu des Monétaristes. Elle n'attendait plus le peuple, elle renonçait certainement à le réunir tout entier sous sa bannière, vœu irréaliste, elle savait déjà pouvoir compter sur une grande partie de la population. Ce qui lui restait à accomplir avant de s'enflammer, était juste ici.

Si tôt l'équilibre ramené en Xandrie, ce corps s'endormira. Point de plan pour l'avenir. Il serait la responsabilité du peuple, pas celui de la Révolution. Des mots effrayants que soulevait la noble pivoine. On ne pouvait déclencher un incendie sans penser aux conséquences. Faire brûler le royaume était une chose, le reconstruire en était une autre.

Mais la Révolution n'était pas si insouciante. Sinon, elle ne serait pas assise ici. Elle avait convaincu bien assez de bras pour répandre le chaos, si cela avait été l'objectif, sans lendemain, il serait déjà accompli. Pour que ce chaos ne signifie pas la fin de Xandrie, elle avait besoin de l'appui des guildes. À moins que ce ralliement ne soit là que pour éviter un faux départ catastrophique. Même le Roi ne pouvait se passer des guildes, il aurait été étonnant que cela échappe à la Révolution. Elle n'avait pourtant pas que des amis parmi les organisations xandriennes.

La pègre et les maraudeurs, semblaient voir d'un mauvais oeil leur soeur rebelle, elle leur volait ces pauvres âmes enchainées aux bas fonds, leur faisait relever la tête, aspirer à un avenir meilleur. La pègre se nourrissait de désespoir et de pauvreté, la Révolution ne promettait pas la richesse mais faisait miroiter un espoir d'équilibre. Les idéaux n'étaient pas affaire de mafia. Quant aux maraudeurs, le cas était étrangement similaire. L'équilibre était mauvais pour leur fond de commerce, pourtant, cette promesse était bien incertaine. Ils auraient pu profiter de la situation.. Peut-être le feraient-ils. En se ralliant au Roi ? Ou à Opale.

Et le peuple décidera seul de son avenir. Laisser des révolutionnaires majoritairement extraits des milieux défavorisés, régler la question de l'avenir de tout Xandrie, de ces institutions qui les ont délaissés, de ces nobles qui ont profité d'eux, de ces silencieux effrayés qui ont préféré ne pas prendre parti ? La Révolution souhaitait-elle une guerre civile ?

Elle ne serait pas là, à parler avec les représentantes d'une guilde aux mains teintées d'astras.

Étaient-elle prêtes à se teinter de sang ?

Le peuple décidera.


- Pensez-vous organiser des élections ?

Le rubis se tourne vers la sage silhouette. Était-ce cela, la solution de la Révolution à ce futur qu'elle ne voulait étreindre mais seulement permettre ? La Monétariste refusait de croire que la Révolution n'avait aucun plan pour permettre le retour à une situation stable après sa prise de pouvoir. La question était donc de savoir ce qu'elle avait dans le ventre. Si l'objectif était d'installer un nouveau système royaliste, pyramidal, autoritaire même si mené par des révolutionnaires, la caravanière aviserait de plus près cette nouvelle tête couronnée. La princesse en exile rêvait-elle d'égalité, d'équité, ou d'une couronne à voler à son père ? Caprice de princesse.
Sam 26 Oct - 10:35

Lillie écouta attentivement les deux monétaristes la questionner plus en avant. Elle ne leur opposait rien, sinon un maigre sourire, à peine suffisant à soulever les rides de son visage. Après tant d'années à se battre contre tout et tout le monde, c'est sans doute sous cette allure de vieillarde qu'elle préférait se montrer. Il lui semblait qu'elle était capable de ressentir le poids des années sur ces épaules, sous ses yeux et au-dessus de ses sourcils. Elle était lasse, mais elle ne pouvait pas encore l'admettre. Pas avant la fin de la partie. Le tumulte de la ville se faisait plus pressant, en contrebas du parc où s'étaient réunies leur petite assemblée. Il était drôle, ce triumvirat féminin, loin du patriarcat très en vogue à Xandrie comme partout ailleurs dans l'enclave. Derrière chaque grand homme se cache une grande femme, disait-on. En Uhr, il devait bien y en avoir trois ou quatre pour un seul dirigeant.

La dernière question de Chaya prit Lillie au dépourvu. Elle fit de son mieux pour masquer sa surprise, mais ne put s'empêcher de toussoter légèrement. Elle ne doutait pas des intentions de la princesse en exil, mais elle réalisa qu'elle n'avait jamais eu le loisir de parler de l'après avec elle. Ses messages avaient été clairs néanmoins : le pouvoir reviendrait au peuple. Quoi de mieux que des élections pour le lui donner ? Lillie se rassura au mieux. Jamais Elsbeth ne reviendrait sur ses engagements. C'était une femme de paroles.

- Le combat tout entier de la Révolution a été de préserver le désir de la princesse de rendre le pouvoir au peuple. Nous ne sommes qu'une extension de ce vœu qui est le sien, celui de rendre au peuple de Xandrie sa capacité à se gouverner lui-même. Rien ne pourrait mieux lui offrir ce pouvoir que des élections organisées une fois le pouvoir en place destitué. Et pour les organiser, nous aurons besoin du concours de toutes les Guildes. Y compris de la vôtre.

De petites volutes de fumée s'élevaient des contreforts du parc surélevé. Les fragrances qui les accompagnaient portaient en elles des notes d'épices et de charbon. Les premiers marchands ambulants avaient commencé à faire griller les quān bǐng aux coins des rues. Un seul de ces beignets suffisaient à vous nourrir pour la journée. Et Lillie ne pensait désormais plus qu'à la sensation de chaleur qui lui picoterait les mains sitôt qu'elle en aurait acheté un. Elle se brûlerait sans doute le bout de la langue en mordant dedans sans attendre. Son ventre grogna un peu.

- La seule garantie que je peux vous offrir, madame l'Ambassadrice, c'est ma vie. Je l'ai offerte à la princesse. Et toutes mes dernières années ont été consumées à faire vivre son rêve. Le pouvoir ne m'intéresse pas, seule la justice compte. Une fois Xandrie libérée, une fois un pouvoir nouveau en place, je me contenterai de manger des quān bǐng sur ce banc. L'esprit tranquille. En votre compagnie, peut-être ?
Dim 3 Nov - 20:08

Les mots de verre

Forgés par le feu, tiendront-ils la chute?


Mesurée, Chāyā semblait avoir vu dans le prolongement de ses pensées, et même au-delà. Dans cet imbroglio politique, dans la houle, dans la tempête, dans le peuple entier qui se soulève pour se synthétiser en une question.
Des élections. Donner la voie au peuple. Sans arrière-pensées, sans s'imposer. Pouvoir être des libérateurs sans demander plus.

Bien assise sur le fond du banc, elle redoutait pourtant la réponse. Peut-être même plus que sa supérieure qui semblait pouvoir se contenir avec le calme et la patience d’une cheffe de guilde. Quant à elle… Elle n’avait pas les nerfs assez accrochés pour pleinement lisser son visage, empêcher le rictus nerveux de tordre le coin de sa lèvre et trahir le vent tempétueux qui soufflait sur son coeur. Pourquoi tant d’inquiétudes? Elles parlaient pourtant d’un avenir radieux.

Mais le meilleur scénario n’existe pas. Peut-être n’existerait-il jamais.

Lan-Lan bu la réponse avec une certaine appréhension, écoutant, de prime abord, avec un certain scepticisme, mais plus les mots s’enchaînaient, plus l’ambassadrice voyait ses épaules se détendre lentement, son souffle retrouver une contenance. Savoir que la révolution était partisane d’une élection en bon et dû forme avait de quoi rassurer, même elle.
Il fallait dire qu’elle avait une position clivante, à cheval entre plusieurs pouvoirs, plusieurs cercles, choisissant le sien avec prudence en fonction de la situation. Guilde, noblesse, patrie? Elle était tout et rien. Mais sa seule certitude était la liberté.

Quand la vieille femme au nom effacée termina sa première tirade, Lan-Lan étendit son regard jusqu’à Chāyā, cherchant les changements discrets de son expression. Elle n’était pas décisionnaire, ici. Seulement témoin, et peut-être, l’espérait-elle, le soutien discret des grandes décisions. Mais il ne lui appartenait pas d’offrir quoique ce soit de plus.
Seulement, elle devait admettre que cette figure était attachante, bien malgré ses rides nobles et son front tassé. Il y avait dans son attitude et son port quelque chose de royal, une force discrète. Et ce qui la séduisait le plus, c’était sans doute…

Je ne pense pas que nous ayons connu pareil désintérêt sous toute la dernière dynastie. Murmura-t-elle. Il n’y avait aucune animosité dans ses mots, seuls le respect que l’on doit à ses pairs, et une admiration qu’elle ne prenait la peine de cacher. J’aimerai croire que tous ceux qui marchent avec vous font preuve du même altruisme, tout comme celle que vous servez. Elle comprenait bien qu’elle ne pourrait s’exprimer par elle-même, que la princesse bâtarde n’était pas dans la position de revenir de son exil pour lui dire, en personne, qu’elle était de confiance. Mais elle avait choisi une bien belle ambassadrice pour porter son message. Peut-être la meilleure d’entre eux. Votre honnêteté vous honore. Mais je ne peux m’empêcher de douter… Cependant, Xandrie est solide, et vaillante. Et dans les temps de doute, elle peut compter sur ses guildes pour montrer le chemin.

Une nouvelle-fois, Lan-Lan chercha Chāyā des yeux pour lui faire voir ce qu’elle pressentait - si le Roi tombait et que se les égos les plus démesurés se révélaient, ce serait à eux, guildes de Xandrie, d’ouvrir la voie vers une paix durable. Trouver des alliés était essentiel, maintenant plus que toujours.

En parlant de quān bǐng… Connaissez-vous ceux de Xiao Lee? Il parait qu’ils sont tout bonnement délicieux.

Mer 6 Nov - 17:46



Et le ciel regardait la carcasse superbe,

Comme une fleur s’épanouir.


Sceptiques. Les oreilles de la monétaristes ne pouvaient que l'être à l'écoute de ces déclarations désintéressées. Et vagues. Rendre le pouvoir au peuple, suivre les idéaux de la princesse, corps et âme se dédier à Elle.. La caravanière aurait aimé posséder un détecteur de mensonges. Elle avait pourtant l'habitude de côtoyer des comédiens de toutes sortes, des beaux parleurs et des fins négociateurs, mais cette vieille dame n'était rien de tout cela. Elle respirait l'honnêteté et c'était certainement ce qui était le plus troublant. Les monétaristes savaient manœuvrer avec les requins, que faire face à une colombe ?

Althéa sagace, l'ambassadrice s'ouvrait des doutes que couvaient encore sa comparse, ce désintérêt louable était déstabilisant. Cette dévotion à la princesse l'était tout autant. Entre loyauté et vénération, il n'y avait que quelques pas, que d'autres franchissaient allégrement à coup de culte de la personnalité. Epistopoli ne s'en remettait que bien mal. Pas question de laisser Xandrie suivre ce genre d'exemple.

- Il est regrettable que nous n'ayons pas encore eu le plaisir de rencontrer votre cheffe en personne. Laissait-elle filer un ton plus bas.

On leur demandait leur soutien, sans garanti et sans leur faire la grâce de rencontrer la princesse en personne. Enfin, que leur demandait-on vraiment ? La chose n'était pas claire. De quoi cette collaboration pouvait-elle être faite ? Il n'avait pas -peut-être pas encore- été question d'astras, seulement de souffler dans le même sens. Un accord tacite donc, pour ne pas entraver la marche révolutionnaire. Et leur concours pour l'après. Ce dernier aspect ne pouvait être considéré comme une demande, les guildes seraient là, qu'elles soient ou non en faveur de la révolution. Chāyā acquiesçait doucement en direction de Lan-Lan lorsque leur regards se croisèrent. Que le Roi ou la Révolution tombe, les guildes resteraient les piliers indispensables de ce pays.

- Vous pouvez compter sur nous pour faire respecter cet engagement. Voix de velours, bienveillante, pour mots à double tranchants. Les Monétaristes s'engageaient à faire respecter ce désir de rendre au peuple son pouvoir, que cela soit en convainquant les autres guildes ou en rappelant à l'ordre la Révolution si cette dernière devait se détourner de ce bel idéal pour ériger sa précieuse Princesse en dirigeante. La finalité serait peut-être la même, si le Roi tombait et que des élections étaient bien organisées, la Princesse serait certainement en bonne position pour emporter le vote du peuple. Mais qui avait dit que ces élections devaient élire un seul dirigeant ? N'était-il pas devenu évident avec le triste exemple d'Epistopoli et celui de la royauté qu'un système politique donnant tous les pouvoirs à un seul homme était en définitive toujours délétère pour le peuple ?

N'était-ce pas le moment idéal pour trouver un modèle plus saint ? Tourner son regard vers d'autres exemples, d'autres frontières.. Là où brillait le soleil.
Ven 15 Nov - 10:14

Le parc s'animait doucement. Quelques personnes pressées par le temps traversaient à la hâte ses allées aux plates bandes mal entretenues. Personne ne regardait les trois femmes assises là. Le quotidien a ceci d'intéressant qu'il a tôt fait de nous persuader que nous sommes seul au monde, que nous sommes au centre de tout, et que tout le reste n'existe que dans notre lointaine vision périphérique. Un biais qui avait servi Lillie pendant toute sa vie de Générale. Si le Roi avait été un peu plus attentif, nul doute qu'elle aurait été découverte bien plus tôt.

Le murmure en contrebas s'apaisait maintenant, laissant la part belle au chant des oiseaux. Le travail occupait sûrement une partie de la haute ville, et les marchands de quān bǐng ne réapparaitraient qu'à midi. Lillie se laissa aller à un long soupir. Elle était lasse, réellement épuisée de cette vie aussi dévote qu'absurde. Elle n'avait rien voulu de tout ça, de ce drôle de gris en elle, de ce père qui l'avait entretenu, de cette douleur inhérente à ceux qui essayent, malgré tout, de vivre. À bien y réfléchir, elle n'avait pas voulu de cette Révolution non plus. De ce régime déséquilibré, de cette misère grossière. Elle n'avait pas voulu entendre Elsbeth. Elle l'avait entendue, c'est tout. Dès lors, comment aurait-elle pu ne pas au moins essayer d'offrir un futur un tableau un peu moins sombre ? Sa vie n'avait aucun sens, autant essayer d'en trouver un à celles des autres.

Un jeune rouge gorge se posa devant elles. Il picotait quelques brins de mauvaises herbes entre les graviers de l'allée. Lillie le contempla un moment. Elle rêvait de pouvoir abandonner son corps de vieillarde.

- Considérez-moi comme le reflet de la princesse, dans ce cas. Dit-elle à la monétariste. En réalité, elle aussi aurait aimé revoir Elsbeth en ces moments troubles. Je n'espère pas vous convaincre de ma vertu en un rendez-vous, aussi charmant fût-il. Seulement, pensez-y ainsi : ce n'est pas un second que je vous ai envoyé, et vous savez maintenant bien plus sur moi que beaucoup de partisans de la Révolution. Si je venais à trahir ma parole ou celle de la princesse, je ne doute pas que vous me retrouveriez facilement. Après tout, je ne peux pas me passer de quān bǐng plus de quelques jours. Elle sourit à leur adresse. Le rouge-gorge s'était envolé.

Quelques enfants couraient sur un parterre fleuri, sous la surveillance toute relative d'une nourrice peu concernée. Lillie savait qu'elle outrepassait déjà ses prérogatives. Mais les occasions de faire la conversation étaient pour elle aussi rares que pour un prisonnier. Elle voulait en profiter. Et si ça pouvait l'aider à assoir sa vision des choses, elle n'y perdrait rien.

- Où vous voyez-vous dans cinq ans, mesdames ? Si tout se passe bien, j'aimerais pouvoir faire de ce parc quelque chose d'un peu plus accueillant. Je crois que j'aime les fleurs. Je devrais apprendre à m'en occuper. Quand tout ça sera derrière nous, je reviendrai ici. Appelons ceci une promesse. À moi-même, et à vous. Ne m'oubliez pas ! Une fois confortées par le nouveau régime, j'ose espérer que vous subventionnerez grassement le département des parcs et espaces verts. Les gens de la basse ville étouffent de tout ce gris, moi la première, dit-elle en se tenant le ventre. Ils ont besoin de lumière. Et de beignets !

Elle se leva péniblement, sans faire de pas en avant. Elle se sentait un peu plus légère. Elle avait rendez-vous avec le futur.