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Même un meurtier qui s'ignore revient sur les lieux de son crime...

Même un meurtier qui s'ignore revient sur les lieux de son crime... Brandw10
Lun 17 Juin - 20:12
Il est des songes tant convaincants qu’on croirait qu’ils n’en sont réellement… En cet instant, c’était plutôt la réalité qui laissait cette perturbante impression de rêve éveillé. Mais était-il seulement éveillé ?

Cette question, Khang’Haw se l’était posée, à maintes reprises, durant les dernières minutes. Et malgré la morsure du soleil sur sa peau, et le sol brûlant sous ses pieds nus, il parvenait à en douter. Tout autour de lui, une ville s’agitait, qui n’était là avant qu’il ne cligne des yeux…

Comment y était-il arrivé ? Sa mémoire se jouait de lui, et à dire vrai, il aurait souhaité occulter le peu qu’il lui en restait… Un meurtrier… Ce poids l’accablait ; il revoyait encore ce pauvre hère se débattre, empêtré dans une tenture d’un vert que les reflets de la lune tiraient au turquoise. Cet homme avait peur de lui. Tentait de se soustraire à sa présence. Et dorénavant n’était plus.

Marquant une pause dans ses errances – et à proprement parler, il ne savait la raison de sa présence en ces lieux – l’apatride glissa sa tête entre ses mains, regrettant aussitôt son geste. Une douleur, sourde, s’éveilla au contact des doigts sur sa tempe gauche, le lançant jusqu’à son front…

*C’est… La ville de Renon ?*

Assurément, il était déjà venu ici… Il connaissait les lieux, et cette rue en particulier. De savoir cela le terrifiait, car de toute évidence, l’instant précédent, il fuyait cette résidence saccagée, sous l’œil grand ouvert de la nuit.

*Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Qu’est-ce que…*

Le berger n’eut l’occasion de pousser plus loin son questionnement, que l’intérêt d’une quelconque réponse s’était évanoui. Un homme barbu, grisonnant, venait de le bousculer, délibérément, et sa tentative de lui subtiliser sa bourse avait échoué.

Sans même s’en être aperçu, Khang’Haw lui avait saisi l’index intrusif – qui s’était évertué à se glisser dans le pan de son kimono – et dû-t-il se résoudre à le lâcher, sans quoi l’aurait-il brisé…

L’indigent sembla tout aussi stupéfait que lui, et fila par une venelle adjacente, sans demander son reste.

*Comment… Laisse choir !*

Oui, il y avait plus inquiétant encore que d’avoir mis fin à ce larcin. Il y avait cette pensée, qui venait de s’imposer à lui… Qui était la sienne, sans l’avoir été.

Faisant volte-face, l’étranger s’étonna, tel s’il s’attendait à trouver une autre personne dans les environs, qui soit responsable de cette voix, péremptoire, qui résonnait encore dans les tréfonds de son esprit.

"Qui est là ?!"

Les badauds sursautèrent, dévisageant ce pouilleux en haillons, empestant la mort et la sueur, et au regard perdu dans le vague, avant de ne mieux l’ignorer. Qui savait ce qui pouvait advenir de se mêler des affaires d’un tel énergumène ?

Le premier réflexe fut de penser à fuir. Et sans s’en rendre vraiment compte, Khang’Haw s’élançait déjà à travers la foule, à grandes enjambées, et à une allure qui l’intimida lui-même. Souffrant tant de la faim que d’épuisement – et bien qu’il lui avait fallut un temps pour s’en rendre compte – il ne s’attendait à pouvoir ainsi se mouvoir, tel s’il filait comme le vent, au milieu d’un troupeau nonchalant d’inconnus.

Nul ne sut combien de temps dura sa dérobade, et surtout pas lui. Le temps avait perdu de sa consistance, l’espace se voyait criblé de failles… Le fuyard interrompit sa course, non sous l’emprise de la fatigue, à bout de souffle, mais… sans la moindre raison, exactement comme elle avait débuté.

C’était trop, pour le garçon. Plus rien n’allait… Il ne se reconnaissait plus, était devenu un étranger, un intrus à lui-même, et se sentait gagné par une profonde angoisse. Il se terrifiait… Rien au monde ne lui faisait plus peur, plus horreur en l’instant que lui-même.

*Cesse dont cela ! Tu nous fait perdre notre temps.*

Hurlant de terreur, le garçon se débattit, telle une bête aux aboies, se sentant happée par un vide implacable. Un regard extérieur aurait plaidé la démence. Khang’Haw aurait préféré qu’il en soit ainsi… Pour autant, le garçon se sentait-il incontestablement lui, comme si rien n’avait vraiment changé.

Il se souvenait de l’entièreté de sa vie, d’aussi loin que sa mémoire pouvait remonter… Jusqu’à ce breuvage

"Kamÿ… Kamÿ Hylas..."

Une force invisible le projeta alors au sol avec fureur, soulevant la poussière de cette allée désertée, dans la pénombre de ses murs décrépis.

*Oublie ! Ce nom n’EXISTE PAS !*

A bout de force, couché sur le dos, le vagabond commença à rire… D’un rire sonore et convulsif, explosant et s’imposant à lui, le débordant, comme un geyser arrachant du sol une colonne d’eau fumante. Et presque aussitôt, se voyait-il étranglé dans sa gorge, étouffé, se muant tout aussi subitement en sanglots incontrôlables.

"NOOoon ! … NooOOOooOoN ! … AAAaaaAH-aa… LAI-ai… LAISSE-MOooOoi ! …"
Mer 19 Juin - 17:19
Le doux vrombissement de ma moto se mêlait au brouhaha des passants, alors qu’en cette fin d’après-midi, je passais les portes de la ville de renom. Les cheveux virevoltants dans le vent, je ralentis, m'insinuant au milieu des piétons qui se faisais de plus en plus nombreux alors que je m'approchais de l’ambassade de la guilde. J'avais fait la route depuis Epistopoli, grisé par la vitesse que me procurer Gladys, j’avais roulé des heures durant, l’esprit libre de tout problème. Mais à présent que je posais le pied au sol, les yeux sur mon objectif, la réalité reprenait ses droits : Il me fallait gagner quelques astra.
Mes créanciers étaient venus réclamer leur dû la vieille, et voilà que je me retrouvais les poches presque vides… Une patrouille m’attendait pour résoudre ce problème, cependant, il me fallait commencer par me procurer des vivres. Rien n’étant gratuit, je parcourais déjà les quelques mètres qui me séparaient de l’ambassade.
Il était facile de constater la déchéance de la guilde, face à la vision de la petite maisonnette faisant office d'avant-poste dans la région. Je campa quelques instants devant le panneau d’affichage à l’entrer, mes yeux scrutant une à une les différentes annonces. Un chat perdu ? Rapporte pas assez. Une caravane à raccompagner à Epistopoli ? J’en reviens. Un meurtrier en cavale ? Il faudrait vraiment qu’il soit bête pour être rester dans le coin. Enquêter sur un cambriolage ? Trop long. Soupirant face à mon indécision, je resta de longues minutes à attendre une illumination. Sans doute étais-je restée plus longtemps que ce dont j’aurais cru, une petite voix nasillarde me fit bientôt sursauter.

- Je peux vous aider ?

Je baissa les yeux sur la vieille femme qui s’était présenté à moi, petite et toute ratatiné, qui me fixait, amusée par ma réaction. Ma première pensée fut de lui demander de s’occuper de ses fesses, mais le blason de la guilde brodé sur sa chemise me fit avaler mes propos. Sans doute s’agissait-il là d’une gratte-papier en poste à l’ambassade, même si l’idée de la voir patrouiller dans la brume aurait pu me faire bien rire. Mon regard jonglant entre elle et le panneau, je lui rendis son sourire.

- Ne vous en faite pas pour moi, je n’arrive juste pas à me décider.
- Non ? Je n’aurais pas cru, me dit-elle pleine d’humour, si je peux vous aider…

Arrachant du panneau l’une des affiches, elle me l’agita sous le nez. Sur celle-ci figurer le portrait-robot d’un homme avec la mention « A ramener vivant », juste au-dessus des mentions « ATTENTION : meurtrier rechercher ». J’avais déjà envisagé cette option, la prime étant des plus intéressantes, c’est vrai, mais si je l’avais déjà rejeté, c’était pour de bonnes raisons. Je me contenta de repousser la proposition d’un hochement d’épaule, les yeux glissant de nouveau sur les boulots restant.

- Trois personnes sont venues nous voir ce matin, et tous disent avoir vu un homme correspondant à la description.

La curiosité piquée au vif, je lui pris le papier des mains. Le dessin représentait un homme plutôt jeune au premier regard et dont les cheveux auraient bien eu besoin d’être coupé : Rien que dans la basse-ville d’Epistopoli, je pouvais trouver une trentaine de personnes correspondant à la description. C’est avec un certain scepticisme que je m’adressa à l’ancienne :

- Et je peux savoir où ?
- Plus loin, me dit-elle en pointant sa main ridée de l'autre côté de la rue, prés de l'avenue commerçante. D’après les racontars, il semblait marcher sans but précis, peut-être retourne-t-il sur les lieux du crime.

Je peinais à croire qu’un individu s’étant rendu coupable d’un tel méfait puisse se montrer aussi stupide. L’envie de refuser fut la première à se manifester, bientôt remplacer par l’appât du gain.

- Ça ne coûte rien d’aller jeter un coup d’œil…

Mon interlocutrice m’adressa un rictus satisfait en guise de simple réponse, avant de doucement se diriger vers le petit bâtiment. La regardait marcher me fit me demander si l’âge ne l’emporterait pas avant qu’elle ne regagne son poste… Enfin bon, moi, j’avais du boulot ! Glissant l’affiche dans ma poche, je jeta un dernier regard à Gladys comme pour avoir son consentement avant de finalement m’en éloigner : Si quelqu’un désirait me la voler, il lui faudrait m’arracher la prothèse afin de la démarrer. L’heure qui suivit, je remonta l’avenue principale, arrêtant parfois un passant pour lui coller l’affiche sous le nez, avant de repartir. Maudissant la vieille femme, je songeais à retourner à l’ambassade, quand, enfin, un homme fut interloqué par le dessin.

- Oui, je crois que je l’ai vue. Il n’y a pas si longtemps, juste là, devant cette boutique. Il portait un kimono et je suis presque sûr de l’avoir vue baragouiner tout seul…

La piste ne semblant plus si froide que ça, je remercia l’individu en vitesse avant d’accélérer le pas. Mes prothèses oculaires scrutèrent chaque passant, alors que je m’approchais du centre-ville. Quelques minutes, plus tard, je l’avais trouvé ! Enfin, je crois. Cheveux longs avec un kimono. De dos, il pouvait correspondre au portrait-robot en tout cas. Ma cible en vue, du moins je l’espérais, j’entrepris de le suivre entre les passants. Je le perdis de vue plusieurs fois au milieu de la foule, me forçant à accélérer le pas pour ne pas qu’il me sème. On avait presque atteint le centre-ville que seulement quatre petits mètres me séparaient de lui. Je m'interrogeais déjà sur la marche à suivre : devais-je lui saisir l’épaule pour le forcer à se retourner ? Le questionner peut-être ? Si ce dont on l'accusait s’avérait exact, il pourrait sans doute se montrer violent, je devais me montrer prudente. Une fois encore, mon indécision décida à ma place… L’homme fit volte-face en hurlant :

- Qui est là ?!

Je me figea, stupéfait. M’avait-il repéré ? Par réflexe, je leva les yeux au ciel, fouillant le ciel à la recherche d’un oiseau imaginaire. Je me sermonnais intérieurement pour cette réaction puérile, quand soudainement, ma cible s’élança au travers de la foule. Il m’avait vue ! J’en étais sûr à présent que je le poursuivais en zigzaguant au travers de la populace. Je n’avais plus de temps à perdre à essayer d’être discrète, et déjà, j’employais mes prothèses de jambe à prendre de la vitesse, frappant le sol avec force à chacun de mes pas. Plusieurs passant se jetèrent sur le côté en me voyant déboulait à une vitesse folle, vociférant et m’insultant, tandis que je m’apprêtais à bondir pour plaquer le fuyard. Quand soudain…

- Et merde ! Crachais-je en dégringolant sur le sol.

Je me relevais au milieu des fruits éventrés, une carriole ayant surgi d’une rue perpendiculaire pour s’interposer sur mon chemin. Le petit monsieur propriétaire du véhicule chargé à ras bord se mit à me hurler après des propos injurieux, la plupart remettant en question mon intelligence. Couverts de jus de fruit en tout genre, mon regard s’agitait déjà à la recherche du criminel, ne prêtant que peu d’attention au marchand.

- Désolé, dis-je en m’éloignant sous les cris de l’homme qui tenait à un remboursement.

Craignant d’avoir perdu ma cible, et de devoir utiliser mes derniers sous pour payer toute une cargaison de fruit éclaté, je m’insinua dans une petite ruelle. La chance finissait par me sourire ! Me dis-je face au spectacle qui m’attendait, arrachant une fraise encore intacte de mes cheveux pour la porter à ma bouche. Devant moi, le meurtrier présumait sembler m’attendre sur le sol. Prit de spasme, le pauvre diable était pris d’un fou rire qui se changea bientôt en une cacophonie de cris bestiaux. Décidément, en voilà un qui n’avait pas la lumière à tous les étages.
Bénissant ma bonne étoile, je vins me poster à côté de lui, quelque peu désarçonné par l’étrange spectacle qu’il m’offrait.

-Allez, fini de courir, lui lançais-je en le saisissant sous le bras pour le lever à quelques centimètres du sol, grâce à toi vais pouvoir bouffer ce soir.

L’homme visiblement instable ainsi suspendu ne semblait pas représenter une menace, me laissant le loisir de rêvasser en pensant au repas que sa prime aller me permettre de m’offrir.