Dim 26 Mai 2024 - 21:46
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
Sylas s’aspergea une dernière fois le visage.
L’archevêque, rafraîchi, se massa énergiquement les paupières et les tempes, alors qu’il se redressait pour contempler son faciès dans le miroir fêlé. Le décor de la salle, austère à l’envi, contrastait avec son apparence soignée en ce jour solennel. Il avait soigneusement coiffé ses cheveux poivre sel vers l’arrière, dressant toutes les mèches, d’ordinaire rebelle, jusqu’à les ranger docilement derrière ses oreilles. De surcroit, sa barbe avait bénéficié d’un soin particulier, taillée de près pour qu’elle parût uniforme et adoucisse son visage ferme. Dans le reflet de la glace, il crut apercevoir la silhouette de son éminence grise ; celui qui, depuis une décennie, partageait plus que quiconque ses tracas, bien au-delà de son mariage. Cet œil rouge semblait l’avoir fixé et, pourtant, lorsqu’il se retourna, il n’en fut rien ; si ce ne fut un prêtre qui se présenta à point nommé.
« Monseigneur… La Tribune est au complet et… Et l’assistance est…
— Pleine à craquer, termina Sylas. Ce jour est important. »
Le dévôt se confondit en une respectueuse révérence et disparut de l’embrasure de la porte aussi vite qu’il était apparu. L’archevêque s’éclaircit la gorge pour s’enhardir, et quitta à son tour son repaire. Il progressait dans un couloir sombre, encore frais, agrémenté de multiples bougies qui illuminaient la voie. À chacun de ses pas, les flammes semblaient vaciller, exécuter quelque chorégraphie méticuleuse jusqu’à se redresser. Comme si elles répondaient à l’archevêque. Ou à quelqu’un d’autre.
Au fur et à mesure que Sylas s’approchait de la sortie, de laquelle une irradiante lumière solaire se dégageait, il pouvait entendre le brouhaha dans lequel baignait la Tribune. Il adopta une démarche plus lente, plus solennelle aussi, alors qu’il se découvrit à l’auditoire, à son peuple ; au monde. S’il ne reçut pas une standing ovation digne d’un dictateur qui pratiquait le culte de la personnalité, il lui avait semblé avoir gagné un respect qui, forgé par le Temps, enjoignait les citoyennes et les citoyens présents à se lever pour accueillir l’Archevêque d’Aramila. Ceux-ci ne faisaient que, de toute façon, reproduire le comportement observé de la Tribune.
L’archevêque s’immobilisa sous le soleil de plomb. Il avait, pour l’occasion, enfilé son vêtement qui rappelait son statut ; une ample robe blanche aux bordures dorées ; très à propos pour ne pas emprisonner la chaleur ambiante et ainsi éviter de le faire suffoquer.
D’un air inquisiteur, il scruta du regard les gradins où les citoyens s’étaient dressés, comme pour jauger la présence de son auditoire. Ils étaient nombreux, si nombreux.
Il porta ensuite son attention sur la Tribune avant de conclure :
« Merci. »
Ce simple mot, qui se passait d’explication, lui suffisait à rendre le respect offert et à inviter les hôtes à s’asseoir.
Il prit ensuite la parole, veillant à ce que celle-ci porte suffisamment dans l’enceinte de la Tribune.
« Mesdames et Messieurs les Tribuns. Mes chers frères et sœurs en les Douze. Honorables membres de cette assemblée. Nous sommes réunis en cette assemblée extraordinaire pour discuter des prémices d’un projet de loi aramilane pour statuer sur la politique migratoire de notre nation. En tant qu’archevêque d’Aramila – poste que j’occupe depuis presque trente ans maintenant – c’est avec une grande humilité que je m’en remets à la Tribune, garante du vote de nos lois et de la représentation du peuple aramilan et de ses intérêts. »
Il observa un silence, soucieux d’obtenir l’approbation de ses pairs. Quelques regards, compatissants ou non, suffirent à lui faire comprendre qu’il avait effectivement la pleine attention de ses pairs.
« Avant de commencer, comme l’exige la coutume, je souhaite rendre grâce aux Douze pour leurs innombrables vertus et leurs bénédiction, sans lesquels Aramila ne saurait se dresser fièrement, aujourd’hui, en guise de rempart de l’humanité. Je souhaite inviter, un bref instant, chacune et chacun à un moment de prière, silencieux, en leur salut et leur sacrifice. »
À ces mots, l’archevêque joignit ses deux mains, ferma les yeux et se courba modestement, sans même craindre de ne pas être suivi dans sa dévotion. En son for intérieur, apaisé, il sentait son cœur contenir cette flamme, féroce qui, docile, semblait vouloir éclater et ne faire de lui qu’un immense braséro au milieu de l’assistance.
Pas cette fois.
« Merci. » dit-il à nouveau avant de relever la tête et d'ouvrir les yeux.
Son attention se porta davantage sur les Tribuns. Il crut reconnaître, parmi eux, le fameux Pietro Dalmesca dont Lady Brightwidge avait fait mention.
« Parlons sans ambages : j’ai pour projet de réformer la politique migratoire d’Aramila. Comme vous le savez, notre terre a vocation à accueillir toutes les âmes pieuses qui croient en quelque chose, dans la limite du respect et de la tolérance pour les croyances d’autrui. Je tiens à ce que cette vocation reste immuable et que notre nation ait à cœur le bonheur individuel de chacun, loin des tumultes de la guerre, de la Brume et de la Malice ; fussions-nous guidés sous l’égide des Douze ou de tout autre culte qui saurait nourrir la vie politique et spirituel de nos concitoyens… »
À nouveau, il suspendit ses oraisons, comme s’il cherchait un visage plus familier cette fois. Mais parmi l’assistance civile, ils étaient si nombreux ! Est-ce que Lady Brightwidge l’écoutait ?
« … Cependant, si la religion est la nourriture de l’esprit, elle n’a pas vocation à nourrir nos enveloppes de chair. Et même si présentement la cité survient à ses besoins grâce aux excellents rapports marchands que nous entretenons avec nos concitoyens Tritons, le Concile Œucuménique est arrivé au constat que notre nation ne pouvait prétendre à sa souveraineté alimentaire, faute d’une géographie aride et de moyens technologiques suffisants. C’est pourquoi, en vue de porter des projets d’infrastructures nécessaire au développement agricole, je souhaite instaurer une loi d’immigration qui favoriserait la venue d’ingénieurs, d’architectes, d’agronomes dont le premier critère ne serait pas la croyance, mais le curriculum vitæ prometteur pour le développement de notre nation, en leur accordant un statut privilégié le temps de leur mission. Ce statut, temporaire, expirera naturellement sauf si le candidat souhaite continuer son séjour à Aramila, auquel cas un examen secondaire lui serait proposé et orienté vers les choses de la religion et des croyances. Je souhaite, en effet, ne pas reproduire les erreurs commises par mes voisins et précipiter Aramila dans une course à l’innovation sans queue ni tête. Par ailleurs, ce projet ne se fera pas sans l’assentiment de la Tribune qui, dois-je le rappeler, doit représenter les intérêts du peuple aramilan avant tout. Mais moi archevêque, garant des valeurs religieuses qui cimentent la vie en société de notre pays, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour proposer les meilleures directions pour notre nation, et ce dans l’intérêt de nos concitoyennes et de nos concitoyens. »
Il laissa planer un autre silence, alors qu’un domestique se présenta à lui pour lui offrir un verre d’eau avec lequel il se désaltérer sans se faire prier. Il remercia discrètement son hôte avant d’ajouter.
« Merci de votre attention. La parole est à la Tribune. »
L’archevêque, rafraîchi, se massa énergiquement les paupières et les tempes, alors qu’il se redressait pour contempler son faciès dans le miroir fêlé. Le décor de la salle, austère à l’envi, contrastait avec son apparence soignée en ce jour solennel. Il avait soigneusement coiffé ses cheveux poivre sel vers l’arrière, dressant toutes les mèches, d’ordinaire rebelle, jusqu’à les ranger docilement derrière ses oreilles. De surcroit, sa barbe avait bénéficié d’un soin particulier, taillée de près pour qu’elle parût uniforme et adoucisse son visage ferme. Dans le reflet de la glace, il crut apercevoir la silhouette de son éminence grise ; celui qui, depuis une décennie, partageait plus que quiconque ses tracas, bien au-delà de son mariage. Cet œil rouge semblait l’avoir fixé et, pourtant, lorsqu’il se retourna, il n’en fut rien ; si ce ne fut un prêtre qui se présenta à point nommé.
« Monseigneur… La Tribune est au complet et… Et l’assistance est…
— Pleine à craquer, termina Sylas. Ce jour est important. »
Le dévôt se confondit en une respectueuse révérence et disparut de l’embrasure de la porte aussi vite qu’il était apparu. L’archevêque s’éclaircit la gorge pour s’enhardir, et quitta à son tour son repaire. Il progressait dans un couloir sombre, encore frais, agrémenté de multiples bougies qui illuminaient la voie. À chacun de ses pas, les flammes semblaient vaciller, exécuter quelque chorégraphie méticuleuse jusqu’à se redresser. Comme si elles répondaient à l’archevêque. Ou à quelqu’un d’autre.
Au fur et à mesure que Sylas s’approchait de la sortie, de laquelle une irradiante lumière solaire se dégageait, il pouvait entendre le brouhaha dans lequel baignait la Tribune. Il adopta une démarche plus lente, plus solennelle aussi, alors qu’il se découvrit à l’auditoire, à son peuple ; au monde. S’il ne reçut pas une standing ovation digne d’un dictateur qui pratiquait le culte de la personnalité, il lui avait semblé avoir gagné un respect qui, forgé par le Temps, enjoignait les citoyennes et les citoyens présents à se lever pour accueillir l’Archevêque d’Aramila. Ceux-ci ne faisaient que, de toute façon, reproduire le comportement observé de la Tribune.
L’archevêque s’immobilisa sous le soleil de plomb. Il avait, pour l’occasion, enfilé son vêtement qui rappelait son statut ; une ample robe blanche aux bordures dorées ; très à propos pour ne pas emprisonner la chaleur ambiante et ainsi éviter de le faire suffoquer.
D’un air inquisiteur, il scruta du regard les gradins où les citoyens s’étaient dressés, comme pour jauger la présence de son auditoire. Ils étaient nombreux, si nombreux.
Il porta ensuite son attention sur la Tribune avant de conclure :
« Merci. »
Ce simple mot, qui se passait d’explication, lui suffisait à rendre le respect offert et à inviter les hôtes à s’asseoir.
Il prit ensuite la parole, veillant à ce que celle-ci porte suffisamment dans l’enceinte de la Tribune.
« Mesdames et Messieurs les Tribuns. Mes chers frères et sœurs en les Douze. Honorables membres de cette assemblée. Nous sommes réunis en cette assemblée extraordinaire pour discuter des prémices d’un projet de loi aramilane pour statuer sur la politique migratoire de notre nation. En tant qu’archevêque d’Aramila – poste que j’occupe depuis presque trente ans maintenant – c’est avec une grande humilité que je m’en remets à la Tribune, garante du vote de nos lois et de la représentation du peuple aramilan et de ses intérêts. »
Il observa un silence, soucieux d’obtenir l’approbation de ses pairs. Quelques regards, compatissants ou non, suffirent à lui faire comprendre qu’il avait effectivement la pleine attention de ses pairs.
« Avant de commencer, comme l’exige la coutume, je souhaite rendre grâce aux Douze pour leurs innombrables vertus et leurs bénédiction, sans lesquels Aramila ne saurait se dresser fièrement, aujourd’hui, en guise de rempart de l’humanité. Je souhaite inviter, un bref instant, chacune et chacun à un moment de prière, silencieux, en leur salut et leur sacrifice. »
À ces mots, l’archevêque joignit ses deux mains, ferma les yeux et se courba modestement, sans même craindre de ne pas être suivi dans sa dévotion. En son for intérieur, apaisé, il sentait son cœur contenir cette flamme, féroce qui, docile, semblait vouloir éclater et ne faire de lui qu’un immense braséro au milieu de l’assistance.
Pas cette fois.
« Merci. » dit-il à nouveau avant de relever la tête et d'ouvrir les yeux.
Son attention se porta davantage sur les Tribuns. Il crut reconnaître, parmi eux, le fameux Pietro Dalmesca dont Lady Brightwidge avait fait mention.
« Parlons sans ambages : j’ai pour projet de réformer la politique migratoire d’Aramila. Comme vous le savez, notre terre a vocation à accueillir toutes les âmes pieuses qui croient en quelque chose, dans la limite du respect et de la tolérance pour les croyances d’autrui. Je tiens à ce que cette vocation reste immuable et que notre nation ait à cœur le bonheur individuel de chacun, loin des tumultes de la guerre, de la Brume et de la Malice ; fussions-nous guidés sous l’égide des Douze ou de tout autre culte qui saurait nourrir la vie politique et spirituel de nos concitoyens… »
À nouveau, il suspendit ses oraisons, comme s’il cherchait un visage plus familier cette fois. Mais parmi l’assistance civile, ils étaient si nombreux ! Est-ce que Lady Brightwidge l’écoutait ?
« … Cependant, si la religion est la nourriture de l’esprit, elle n’a pas vocation à nourrir nos enveloppes de chair. Et même si présentement la cité survient à ses besoins grâce aux excellents rapports marchands que nous entretenons avec nos concitoyens Tritons, le Concile Œucuménique est arrivé au constat que notre nation ne pouvait prétendre à sa souveraineté alimentaire, faute d’une géographie aride et de moyens technologiques suffisants. C’est pourquoi, en vue de porter des projets d’infrastructures nécessaire au développement agricole, je souhaite instaurer une loi d’immigration qui favoriserait la venue d’ingénieurs, d’architectes, d’agronomes dont le premier critère ne serait pas la croyance, mais le curriculum vitæ prometteur pour le développement de notre nation, en leur accordant un statut privilégié le temps de leur mission. Ce statut, temporaire, expirera naturellement sauf si le candidat souhaite continuer son séjour à Aramila, auquel cas un examen secondaire lui serait proposé et orienté vers les choses de la religion et des croyances. Je souhaite, en effet, ne pas reproduire les erreurs commises par mes voisins et précipiter Aramila dans une course à l’innovation sans queue ni tête. Par ailleurs, ce projet ne se fera pas sans l’assentiment de la Tribune qui, dois-je le rappeler, doit représenter les intérêts du peuple aramilan avant tout. Mais moi archevêque, garant des valeurs religieuses qui cimentent la vie en société de notre pays, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour proposer les meilleures directions pour notre nation, et ce dans l’intérêt de nos concitoyennes et de nos concitoyens. »
Il laissa planer un autre silence, alors qu’un domestique se présenta à lui pour lui offrir un verre d’eau avec lequel il se désaltérer sans se faire prier. Il remercia discrètement son hôte avant d’ajouter.
« Merci de votre attention. La parole est à la Tribune. »
Mer 29 Mai 2024 - 10:38
Audience extraordinaire
des yeux d'un jeune marchand
La nouvelle s’était répandue comme une traînée de cendres, comme si un volcan endormi avait menacé de se réveiller. Tout le monde voulait être aux premières loges pour voir s’il s’agirait d’une explosion ou d’une énième fausse alerte. Rares étaient les audiences qui réunissaient tout ce beau monde. Rares étaient les moments où Archevêques et Tribuns se retrouvaient publiquement.
Et votre serviteur dans tout ça ? Comme tous les petits yeux et jeunes curieux, il en était. Ce n’est pas tous les jours que les débats promettent d’être aussi animés. Quant à ma localisation, suivez les yeux du fier Tribun d’Etyr à la chevelure solaire au centre de ses pairs. Voilà, dans les hauteurs, dans les places les plus éloignées à s'accouder à une rambarde qui mériterait bien un coup de cirage. Avec les petits gens, les petits oiseaux.
Je fais mine de parler à certains, de faire partie de ce groupe qui va de théorie en élucubrations sur la teneur des discours. Certains visages sont difficiles à vraiment lire avec la distance, mais ils sont bien tous placés par la force de l’habitude. D’abord accointance géographique, le placement libre évolué souvent au cours du mandat des Tribuns pour les voir rejoindre ceux avec la même philosophie et approche théologique. Le brouhaha sourd remontait comme un bouillon incompréhensible jusqu’aux plus hautes places. Ce n’était de toute façon pas le moment de comprendre les mots. Il fallait juger des visages, des attitudes. Etait-ce un regard doré que j’avais croisé ?
Il avait déjà disparu, mais forcément que lui aussi était présent. Bien sûr que d’autres de mes confrères s’étaient mélés à l’assemblée, peut-être même que certains prendront la parole, en tout cas tous écouteront attentivement et observeront tout autant. Aujourd’hui, la Tribune se transformait en nid d’espions du pays et sans doute de l’étranger aussi. C’était le jeu auquel nous jouions, un jeu souvent déséquilibré.
A voir si je réussissais à prendre quelques pions aux équipes adverses par la même occasion.
Nouvel échange de regard avec Pietro, fugace. Nous avions discuté hier soir, réunion familiale, réunion de crise certains diront. N’empêche que sa femme avait mis un sacré coup de pied dans la fourmilière, il ne faudrait pas que notre bon chef de famille se fasse piquer par des insectes, vous comprenez ? S’il pouvait même en tirer un certain bénéfice c’était pour le mieux. Encore ne fallait-il pas que les masques tombent trop vite. Subtil équilibre à trouver.
Le son s’amplifiait, les voix cherchent à couvrir celles des voisins de plus en plus alors que l’attente se poursuit. Jusqu’où ce capharnaüm ira-t-il ? On devrait s’arrêter là car un éclat solaire vient d'apparaître d’un sombre couloir et monte au pupitre. Les voix se taisent, seul le bruissement des chaises, des bancs et des étoffes le remplace alors que l’assemblée se lève pour accueillir l’Archevêque d’Aramila. Les regards courroucés de mon groupe se tournent vers l’un des larrons qui continue à pérorer. Silence de cathédrale.
Invité à un moment de prière et de recueillement, j’ai préféré éviter. Mon regard se perdait dans le ciel clair de notre cité. Ces moments d’introspections étaient trop pour eux l’occasion de parler. J'avais déjà assez des nuits à rêver de nos vies et à essayer de nous contenir. Toute faiblesse était attaquée par l’un ou l’autre de ses roublards, même par ceux qui ne pensaient pas forcément à mal ou à étendre leur emprise. Alors, je priais moins ou seulement de façon fugace, dans la beauté de l’instant, plutôt que m’agenouiller et poser baisser la tête.
Ce n’était plus comme ça, que je trouvais la paix.
Il était temps de voir quel bois on se chauffait. Tous écoutèrent le chef d’état, car c’était ce qu’il incarnait, plus que tout autre Archevêque ou chef d’un Ordre quelconque. Sylas Edralden désirait recevoir toute l’aide possible de l’étranger, accueillir comme toujours, mais surtout sélectionner les meilleurs fruits. Il espérait que ceux-ci s’intégreraient au mieux à nos mœurs tolérantes pour que nous puissions améliorer notre agriculture ?
Nous avions déjà une belle richesse, quelques joyaux agricoles, mais toujours dans des quantités faibles. Vous ne direz pas le contraire quand vous aurez goûter les épices que nous proposons sur nos étals. Le prix de la qualité. Surtout d’une agriculture d’un autre temps et de la perte de Renon, ouais. Le fantôme de la région commençait à être murmuré dans certaines alcôves, il hanté toutes les lèvres. Notre grenier avait été volé et, depuis, on devait bien reconnaître que les temps peuvent être durs dans les coins les plus arides.
Un moment de flottement alors qu’on apporte un verre à l’Archevêque après sa longue tirade. On ne pouvait pas lui enlever son envie de faire bouger les choses et de chercher à court-circuiter un Concile attentiste. Néanmoins, ça ne se ferait pas sans heurts. Son invitation fut prise en compte par tous. La bulle de calme éclata, les débats redoublaient d’intensité dans les allées de la Tribune. Les braises couvent, la scène était en place et nos têtes d’affiches aussi.
On pouvait bien discuter autant qu’on voulait dans le public, c’était les cinquante face à nous qui décideront de la direction des échanges, pour le peuple, pour Aramila.
Et un peu pour eux-même.
Dernière édition par Arno Dalmesca le Sam 22 Juin 2024 - 16:27, édité 1 fois
Lun 3 Juin 2024 - 4:14
Parmis les tribuns, un groupe d'entre eux s'affairaient. Ils ne semblaient pas particulièrement surpris par la mesure, étrangement, lisant et consultant un bout de papier à tour de rôle, griffonant et raturant dessus, préparant leurs notes. Ce groupe était assez connu pour être silencieux, et les voir aussi actif fit lever un bon nombre de sourcils. Ces hommes étaient connus pour baser leur avis sur la lecture de l'Ahad et des ressources sacrées à leur disposition, et leurs interventions étaient particulièrement théologiques dans leur nature, se réservant donc à des discussions d'ordre plus ecclésiastique et plus obscures que ces considérations d'ordre administratives.
Et c'est pourquoi l'audience, tribuns y comprit, attendait avec appréhension que l'un d'entre eux se lève. Son regard sévère parcourait tour à tour l'archevêque, les rangs de ses confrères, puis le public. Ses yeux perçants réduisait et transformait leur appréhension en un mutisme étouffant.
Il était conscient que certains ici ne connaissaient pas le pouvoir du silence. Qu'ils le craignaient. Il était aussi conscient que son apparence sévère et son regard implacable n'était non sans rappeler toutes les figures d'autorité qu'un aramilan rencontrait dans sa vie. Du père au juge, en passant par le professeur et les forces de l'ordre.
D'un long souffle, il amena l'air sec d'Aramila dans ses poumons. Et au silence, il amena un son.
"Au nom des Esprits, que toutes nos prières, nos salutations et nos louanges soient sur eux. "
La formule était un classique des sermons orthopraxes, répétée en introduction de bien des messes panthéistes dans la ville. Certains la disent différement, d'autres la délaissaient pour une introduction plus directe aux enseignements de l'Ahad. De même, si certains appréciaient le decorum qu'elle apportait, d'autres y voyaient l'habituelle vaine gloire orthopraxique.
"Nous souhaiterions tout d'abord rappeler à l'honorable Noyon que nos pratiques religieuses ne sont pas une tradition suivie par habitude, et que la prière et la grâce rendue aux Douze n'est pas une 'coutume', mais le culte rendu aux Esprits."
Et par cette correction, le Rubicon fut franchi : le tribun était en opposition de cette mesure.
"Nous souhaiterions également rappeler à l'honorable Noyon que la difficulté d'exploitation de nos ressources n'est pas due à la religion, et que le peuple de Sancta souffre encore de la même affliction qu'il souffrait jadis : celle de l'avidité, du fanatisme sans règles, de la foi sans loi. Il nous est évident que l'honorable Noyon essaie de tracer un parallèle entre l'hérésie de celle-ci et notre situation. Or, elle ne pourrait être plus différente."
"Pour citer un passage du livre des Saints, notre exemple est celui de deux hommes :
A l’un d’eux les Esprits ont assigné deux jardins de vignes que les Esprits ont entouré de palmiers et ils mirent entre les deux jardins des champs cultivés.
Les deux jardins produisaient leur récolte sans jamais manquer.
Et Ils firent jaillir entre eux un ruisseau.
Et il avait des fruits, et il dit alors à son compagnon avec qui il conversait :
"Je possède plus de biens que toi, et je suis plus puissant que toi grâce à la faveur des Esprits célestes."
Son compagnon lui répondit, tout en conversant avec lui :
"Serais-tu mécréant envers Ceux qui t'ont insufflé la volonté, t'ont apporté le savoir, et ont érigé un rempart, emprisonnant ainsi le mal et poussant les criminels à s'entre-tuer ?"
"Il se peut que les Douze, bientôt, me donnent quelque chose de meilleur que ton jardin, qu'ils envoient sur ce dernier, du ciel, quelque calamité, et que son sol devienne impropre."
Et sa récolte fut détruite, et il se mit alors à se tordre les deux mains à cause de ce qu'il y avait dépensé, cependant que ses treilles étaient complètement ravagées.
Et il s'exclama : "Que je souhaite n'avoir méprisé les Douze !"
Honorable Noyon, lorsque la peste s'abat et la famine accable, nous ne sommes pas comme le Sanctan fou qui blâme l'injuste tout en l'étant lui-même ni l'Epistopolitain pervers qui blâme le pauvre pour sa propre pauvreté. Lorsqu'une épreuve s'abat sur nous, nous endurons et sommes récompensés pour cela. Aramila a enduré jadis, et Aramila continuera d'endurer par la volonté des Douze."
Le tribun n'avait pas fini.
"Lorsque les gens de la Colline et d'Antaqâr, opprimés par les injustes et les pervers, furent protégés par la Main de Raphalos jusqu'à arriver sain et sauf à Uhr la pure, n'était-ce pas dans la cité d'Aramila que les pieux les accueillèrent ?
Ce sont des jeunes qui croyaient en les Esprits et l'Ahad, et et à eux furent octroyés les plus grands moyens de se diriger vers la bonne voie.
Nous vénérons les Esprits, gardiens de la Terre Sacrée, jamais nous n’invoquerons de divinité en dehors d'Eux, sans quoi, nous transgresserions dans nos paroles."
Je vous demande alors, Grand Noyon, ceci : nous qui sommes ceux qui accueillent nos frères et soeurs en notre sein pour les protéger, pourquoi devrions-nous damner nos efforts et nos âmes en tenant table ouverte aux laïcards et autres persécuteurs ? S'ils veulent venir, qu'ils fassent nos prières et pratiquent nos rites. Ou mieux encore, que nos enfants, mieux guidés, pieux, aillent dans leur pays accompagnés d'un muelim et reviennent nous enseigner leur ingénierie. Et les Douze savent mieux.
Et c'est pourquoi l'audience, tribuns y comprit, attendait avec appréhension que l'un d'entre eux se lève. Son regard sévère parcourait tour à tour l'archevêque, les rangs de ses confrères, puis le public. Ses yeux perçants réduisait et transformait leur appréhension en un mutisme étouffant.
Il était conscient que certains ici ne connaissaient pas le pouvoir du silence. Qu'ils le craignaient. Il était aussi conscient que son apparence sévère et son regard implacable n'était non sans rappeler toutes les figures d'autorité qu'un aramilan rencontrait dans sa vie. Du père au juge, en passant par le professeur et les forces de l'ordre.
D'un long souffle, il amena l'air sec d'Aramila dans ses poumons. Et au silence, il amena un son.
"Au nom des Esprits, que toutes nos prières, nos salutations et nos louanges soient sur eux. "
La formule était un classique des sermons orthopraxes, répétée en introduction de bien des messes panthéistes dans la ville. Certains la disent différement, d'autres la délaissaient pour une introduction plus directe aux enseignements de l'Ahad. De même, si certains appréciaient le decorum qu'elle apportait, d'autres y voyaient l'habituelle vaine gloire orthopraxique.
"Nous souhaiterions tout d'abord rappeler à l'honorable Noyon que nos pratiques religieuses ne sont pas une tradition suivie par habitude, et que la prière et la grâce rendue aux Douze n'est pas une 'coutume', mais le culte rendu aux Esprits."
Et par cette correction, le Rubicon fut franchi : le tribun était en opposition de cette mesure.
"Nous souhaiterions également rappeler à l'honorable Noyon que la difficulté d'exploitation de nos ressources n'est pas due à la religion, et que le peuple de Sancta souffre encore de la même affliction qu'il souffrait jadis : celle de l'avidité, du fanatisme sans règles, de la foi sans loi. Il nous est évident que l'honorable Noyon essaie de tracer un parallèle entre l'hérésie de celle-ci et notre situation. Or, elle ne pourrait être plus différente."
"Pour citer un passage du livre des Saints, notre exemple est celui de deux hommes :
A l’un d’eux les Esprits ont assigné deux jardins de vignes que les Esprits ont entouré de palmiers et ils mirent entre les deux jardins des champs cultivés.
Les deux jardins produisaient leur récolte sans jamais manquer.
Et Ils firent jaillir entre eux un ruisseau.
Et il avait des fruits, et il dit alors à son compagnon avec qui il conversait :
"Je possède plus de biens que toi, et je suis plus puissant que toi grâce à la faveur des Esprits célestes."
Son compagnon lui répondit, tout en conversant avec lui :
"Serais-tu mécréant envers Ceux qui t'ont insufflé la volonté, t'ont apporté le savoir, et ont érigé un rempart, emprisonnant ainsi le mal et poussant les criminels à s'entre-tuer ?"
"Il se peut que les Douze, bientôt, me donnent quelque chose de meilleur que ton jardin, qu'ils envoient sur ce dernier, du ciel, quelque calamité, et que son sol devienne impropre."
Et sa récolte fut détruite, et il se mit alors à se tordre les deux mains à cause de ce qu'il y avait dépensé, cependant que ses treilles étaient complètement ravagées.
Et il s'exclama : "Que je souhaite n'avoir méprisé les Douze !"
Honorable Noyon, lorsque la peste s'abat et la famine accable, nous ne sommes pas comme le Sanctan fou qui blâme l'injuste tout en l'étant lui-même ni l'Epistopolitain pervers qui blâme le pauvre pour sa propre pauvreté. Lorsqu'une épreuve s'abat sur nous, nous endurons et sommes récompensés pour cela. Aramila a enduré jadis, et Aramila continuera d'endurer par la volonté des Douze."
Le tribun n'avait pas fini.
"Lorsque les gens de la Colline et d'Antaqâr, opprimés par les injustes et les pervers, furent protégés par la Main de Raphalos jusqu'à arriver sain et sauf à Uhr la pure, n'était-ce pas dans la cité d'Aramila que les pieux les accueillèrent ?
Ce sont des jeunes qui croyaient en les Esprits et l'Ahad, et et à eux furent octroyés les plus grands moyens de se diriger vers la bonne voie.
Nous vénérons les Esprits, gardiens de la Terre Sacrée, jamais nous n’invoquerons de divinité en dehors d'Eux, sans quoi, nous transgresserions dans nos paroles."
Je vous demande alors, Grand Noyon, ceci : nous qui sommes ceux qui accueillent nos frères et soeurs en notre sein pour les protéger, pourquoi devrions-nous damner nos efforts et nos âmes en tenant table ouverte aux laïcards et autres persécuteurs ? S'ils veulent venir, qu'ils fassent nos prières et pratiquent nos rites. Ou mieux encore, que nos enfants, mieux guidés, pieux, aillent dans leur pays accompagnés d'un muelim et reviennent nous enseigner leur ingénierie. Et les Douze savent mieux.
Parmis la foule, une figure encapuchonnée, d'habitude indifférente, décida -pour la première fois depuis la chute de Sancta il y a 300 ans- d'écouter attentivement la suite de ce début de débat singulier. A coup de citations, les fondamentalistes semblaient vouloir balayer toute critique en se réfugiant derrière les textes sacrés. Bien sûr, elle savait que deux pouvaient jouer à ce jeu. Après tout, il n'était pas archevêque pour rien.
Lun 3 Juin 2024 - 7:51
Le brouhaha, naissant de la foule, eut tôt fait de faire comprendre à l’archevêque d’Aramila que son monologue introductif suscitait réflexions et questionnements sussurés aux voisins. Il comprenait, par cette situation, qu’il était suffisamment respecté pour qu’aucune objection ne se levât du peuple en lui-même. Il se rappela alors que, même si quelque personne vraisemblablement mal intentionnée venait à s’insurger contre la figure d’autorité en ces lieux, des gardes sacrés entouraient Sylas et s’étaient fait discrets dès le début.
Enfin, la première réaction ne tarda pas à se manifester. Un Tribun, parmi ceux présents, commença à livrer un discours. L’archevêque, pareil à une statue de marbre, releva le menton et, du haut de son espèce de promontoire suspendu au-dessus de la Tribune, dardait un regard étincelant sur l’interlocuteur.
« Excellence, j’apprécie votre rappel à l’ordre sur la sémantique de mes directives et la profondeur de vos connaissances sur les textes sacrés de l’Ahad. Vous rappelez à tous, ici, que les vôtres sont justement sélectionnés et que débat constructif il peut y avoir. Cependant… »
Il réprima un sourire, prenant le temps de parcourir l’assistance tout entier du regard, avant de se focaliser, de nouveau, sur le premier orateur.
« … Il semble y avoir un malentendu ici, aussi je souhaiterais clarifier ma position : je n’ai jamais proposé d’accueillir des laïques et des persécuteurs dans notre pays. Mon intention est de protéger, certes, mais aussi d’aider nos frères et sœurs, tout en veillant à la sécurité et au bien-être de notre communauté. Aussi, avant que le débat contradictoire ne prenne une tournure improductive, j’invite chacune et chacun à discuter des véritables points de divergence sans déformer mes propos. Enfin, puisque la Tribune cherche à trouver une solution autour de la religion et des textes sacrés de l’Ahad, laissez-moi ajouter ceci : mon objectif n’est pas de me vanter d’une récolte abondante ou de rivaliser avec mon voisin, mais simplement de garantir une récolte suffisante pour nourrir notre peuple, qui, vous le savez, accueille à bras ouverts tout être civilisé enceint de croyances qui prêchent la vertu. En d’autres termes : notre population augmente. La véritable mesure de notre succès réside dans notre capacité à prendre soin de ceux qui dépendent de nous, sans arrogance ni mépris pour autrui. »
Il observa un bref silence, qu’il brisa aussitôt pour ne pas perdre la parole.
« Excellence, vous parlez d’envoyer nos enfants outre-terre pour quérir “leur” ingénierie. C’est une solution abordable, en cela je souligne l’exemple de Lady Brightwidge que j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer il y a peu. Cette suggestion saurait être retenue, quand bien même je ne vois pas, au vu des arguments précédemment cités, en quoi elle peut entrer en contradiction avec la volonté d’accueillir des ingénieurs capables de nous aider à résoudre les problèmes auxquels nous faisons face, et où l’étude de l’Ahad, si elle aide à trouver des éléments de réponse, ne constitue pas à elle seule en une solution immuable. Pour le reste, sauf erreur de ma part, ceux qui quittent Aramila le font par mécontentement de prime abord, et y reviennent après avoir admis que l’herbe n’était pas plus verte chez celle du voisin. Et je sus au fait de l’intolérance de la religion au-delà de nos frontières, l’Âge Noir ayant laissé des stigmates sans précédent dans l’histoire et le cœur des hommes. Aussi je ne souhaite pas mettre mes concitoyennes et concitoyens, qui sauraient être expatriés dans le seul but d’étudier à l’étranger, dans une situation dangereuse où ils ne bénéficieraient pas de notre sécurité. »
Le débat, sous ce soleil de plomb, promettait d’être… Torride.
Enfin, la première réaction ne tarda pas à se manifester. Un Tribun, parmi ceux présents, commença à livrer un discours. L’archevêque, pareil à une statue de marbre, releva le menton et, du haut de son espèce de promontoire suspendu au-dessus de la Tribune, dardait un regard étincelant sur l’interlocuteur.
« Excellence, j’apprécie votre rappel à l’ordre sur la sémantique de mes directives et la profondeur de vos connaissances sur les textes sacrés de l’Ahad. Vous rappelez à tous, ici, que les vôtres sont justement sélectionnés et que débat constructif il peut y avoir. Cependant… »
Il réprima un sourire, prenant le temps de parcourir l’assistance tout entier du regard, avant de se focaliser, de nouveau, sur le premier orateur.
« … Il semble y avoir un malentendu ici, aussi je souhaiterais clarifier ma position : je n’ai jamais proposé d’accueillir des laïques et des persécuteurs dans notre pays. Mon intention est de protéger, certes, mais aussi d’aider nos frères et sœurs, tout en veillant à la sécurité et au bien-être de notre communauté. Aussi, avant que le débat contradictoire ne prenne une tournure improductive, j’invite chacune et chacun à discuter des véritables points de divergence sans déformer mes propos. Enfin, puisque la Tribune cherche à trouver une solution autour de la religion et des textes sacrés de l’Ahad, laissez-moi ajouter ceci : mon objectif n’est pas de me vanter d’une récolte abondante ou de rivaliser avec mon voisin, mais simplement de garantir une récolte suffisante pour nourrir notre peuple, qui, vous le savez, accueille à bras ouverts tout être civilisé enceint de croyances qui prêchent la vertu. En d’autres termes : notre population augmente. La véritable mesure de notre succès réside dans notre capacité à prendre soin de ceux qui dépendent de nous, sans arrogance ni mépris pour autrui. »
Il observa un bref silence, qu’il brisa aussitôt pour ne pas perdre la parole.
« Excellence, vous parlez d’envoyer nos enfants outre-terre pour quérir “leur” ingénierie. C’est une solution abordable, en cela je souligne l’exemple de Lady Brightwidge que j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer il y a peu. Cette suggestion saurait être retenue, quand bien même je ne vois pas, au vu des arguments précédemment cités, en quoi elle peut entrer en contradiction avec la volonté d’accueillir des ingénieurs capables de nous aider à résoudre les problèmes auxquels nous faisons face, et où l’étude de l’Ahad, si elle aide à trouver des éléments de réponse, ne constitue pas à elle seule en une solution immuable. Pour le reste, sauf erreur de ma part, ceux qui quittent Aramila le font par mécontentement de prime abord, et y reviennent après avoir admis que l’herbe n’était pas plus verte chez celle du voisin. Et je sus au fait de l’intolérance de la religion au-delà de nos frontières, l’Âge Noir ayant laissé des stigmates sans précédent dans l’histoire et le cœur des hommes. Aussi je ne souhaite pas mettre mes concitoyennes et concitoyens, qui sauraient être expatriés dans le seul but d’étudier à l’étranger, dans une situation dangereuse où ils ne bénéficieraient pas de notre sécurité. »
Le débat, sous ce soleil de plomb, promettait d’être… Torride.
Lun 3 Juin 2024 - 15:47
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
Les arcades de la tribune d’Aramila avaient tout du colisée en ce jour de liesse. Chaque gradin et chaque escalier était bourré à craquer, au point que certains curieux qui avaient emmené leurs enfants dussent en porter un sur chaque genou pour les faire tenir dans le voisinage compact. Les bourrelets de certains débordaient sur la hanche d’un autre en sueur, dans un balai d’effluves qui avait de quoi donner la nausée. Le parfum de l’humanité. Le parfum de la démocratie.
Un jour pas comme les autres. Un jour auquel Ellendrine se disait qu’elle était peut-être pour quelque chose. Suspendue au-dessus du parterre de tribuns dans une balconade où s’alignaient une rangée de fauteuils en bois scultés, elle n’était personne en particulier aujourd’hui. Femme de tribun, étrangère devenue Aramilane d’adoption. Elle avait tissé un plan et l’avait susurré à l’oreille de l’homme le plus puissant du désert à sa demande expresse. Quelques notables d’importance lui tenaient compagnie dans cette rangée réservée aux invités de marque, que pouvait exceptionnellement occuper quelque ambassadeur ou dirigeant étranger de passage.
Sa voisine était une vieille femme aux mains tordues par l’arthrite. Son visage voilé la rendait fantomatique. Elle comprit que de toute façon la pauvre dame n’y voyait plus grand-chose quand elle lui demanda si sa Sainteté avait déjà faite son entrée. Tout ce brouhaha lui donnait la migraine. Elle ne put que lui donner raison et lui offrit un peu d’eau et un mouchoir tissé de fleur imbibé d’hydrolat de menthe poivrée.
-« Vous êtes bien brave, ma fille. Raphalos vous couvre de grâce. »
-« Sa main soit sur votre cœur. » répondit-elle respectueusement.
-« Espérons que cette assemblée extraordinaire ne donne pas lieu au chaos. Plus que jamais, l’Eglise a besoin de stabilité. »
Son attention se reporta sur la foule agitée. Si les événements qui se bousculaient étaient un peu de sa faute, c’est bien Sylas Edralden qui s’était réveillé avec une soudaine envie de dynamiser Aramila. Espérons que ses concitoyens comprendraient ses motivations. Espérant ne surtout pas être associée par la plèbe à cet élan de modernité, elle était vêtue d’une tenue modeste de couleur gris perle. La véritable noblesse n’avait pas besoin de manières extravagante pour faire converger les regards. Point de couleur criardes, l’élégance et la réputation suffisaient. Aujourd’hui, elle tentait plutôt se faire toute petite.
Sa seule coquetterie tenait en un large chapeau rehaussé d’une plume, qu’elle portait légèrement de guingois. Et en un éventail bleu azur ou deux hirondelles bataillaient dans le vent. Il faisait une chaleur à crever dehors. Et toute la chaleur produite par les spectateurs moulinait dans les hauteurs jusqu’à elle. L’eau de menthe poivrée lui ferait du bien, à elle aussi.
Ellendrine reprit son ouvrage du mieux qu’elle pouvait alors qu’elle suffoquait. Au milieu de tout ce vacarme et d’une petite obscurité, elle avait amené un chevalet. Et elle dessinait des croquis de l’assemblée. Il faudrait bien cela pour graver dans le marbre ce qui allait se jouer aujourd’hui. Une nouvelle page d’Aramila s’écrivait aujourd’hui.
Si elle ne parvenait pas à distinguer Arno, elle était sûre qu’il était là, quelque part. Son beau-frère l’avait rencontré hier lors de la réunion familiale des Dalmesca. Pietro arborait toujours cette même résolution dans le regard lorsqu’il leva les yeux vers elle avant que l’archevêque d’Aramila ne fasse son entrée. Un sourire attendri l’effleura. Il fallait dire que son mari était beau à regarder dans son élément.
Au moment de la prière, Ellendrine invita le recueillement en elle. Nul besoin de savoir si les Douze régnaient pour s’en remettre à la foi dans un monde au bord d’un gouffre perpétuel.
-« Est-il toujours aussi fringuant, notre archevêque ? » demanda dans un souffle grivois la vieille dame.
Ellendrine ne put rester insensible à ce trait d’humour et sourit tout en écoutant le discours. Elle avait la vague impression que Sylas la cherchait du regard, mais avec la distance, il y avait fort à parier que tout ce qu’il discernerait serait une foule aveugle. Peut-être les tribuns, qui étaient plus proches et en lumière.
~° Pécheresse… °~ persifla une voix dans un outrage.
Lady Brightwidge-Dalmesca en laissa tomber son fusain dans un sursaut. Elle parcourut la travée d’un regard anxieux, mais ne perçut que des visages dignes buvant les paroles de l’archevêque Edralden.
-« Ma pauvre, vous tremblez… »
Alors qu’elle se penchait pour ramasser son fusain, la vielle dame lui attrapa le bras.
-« Vous savez sans doute que vous ne vous êtes pas fait que des amis avec votre fougue, ma chère… il y a les râleurs, les mécontents… et puis, il y a ceux qui comptent vraiment, les Chevaliers… »
Un frémissement la parcourut. Avant même de ruer dans les brancards par ses recherches interdites ou ses revendications écrites, une lettre de menace attendait déjà l’Opalienne à son arrivée à Aramila lors de son mariage. L’ordre réformé des Chevaliers Orthodoxes du Griffon Pourpre. Sans doute un coup des Fondamentalistes. Mais elle avait rapidement eu à redouter la ligne Progressiste de l’ordre du Griffon Pourpre à la naissance de son premier fils, Euclase. Refuser la tutelle spirituelle d’un Inquisiteur fut un affront qu’il devint de plus en plus difficile de répéter à la naissance de ses filles, Saphir et Diaphane. Cette dernière était la seule de ses enfants à avoir hérité de ses yeux verts.
-« Allez-vous bien, lady Brighwidge-Dalmesca ? »
Ses yeux regardèrent sous un jour tout à fait nouveau la vieille dame.
-« Qui êtes-vous ? »
~° Pécheresse ! °~
Le voile figé sous une rangée de perles noires resta immuable.
-« Ce n’est pas de moi que vous devriez vous méfier. Je suis moi aussi une pièce rapportée. Elle par contre a de la suite dans les idées. »
Sur le balcon juste en face d’elles, Ellendrine devina la silhouette de la Indra Kachachvili. La figure montante de l’Ordre du Griffon Pourpre s’assit comme une vierge de fer et braqua son regard impitoyable vers les orateurs. Ellendrine tenta de reprendre contenance et avala une gorgée d’eau.
Elle prenait conscience que les choses prenaient de l’ampleur. Paradoxalement, ses objectifs rejoignaient parfois ceux de certaines factions de l’ordre. C’était le cas des Radicalistes. Mais qu’en serait-il s’ils découvraient que son mari était un portebrume. Ou qu’elle s’était rapprochée de l’archevêque Edralden et pouvait possiblement jouir d’une influence sur lui ?
-« Marjolaine d’Adriane. Entre femmes mariées à des hommes de pouvoir, nous savons ce qu’il en coûte parfois de maintenir l’unité de nos familles, quitte à parfois désobéir. »
Des fils de ténèbres, des luttes de pouvoir ombrageuses se déliaient au-delà des mots. Des camps allaient s’affronter. Il y avait ce qui serait dit. Et ce qui ne serait pas dit. Au nom des Douze, l’intégrité saurait-elle triompher à l’assemblée ?
Et justement, une première opposition émanait de la Tribune. Un poil procédurière. Mais surtout rétive au projet d’immigration.
-« On dirait que vous avez une touche, ma chère. »
Ellendrine tressaillit en réalisant que Sylas venait de mentionner son nom à titre d’exemple devant les Fondamentalistes de la Tribune et les tenants de l’ordre du Griffon Pourpre. Pour un peu, elle aurait confisqué le voile de Marjolaine d’Adriane pour s’enfouir le visage dedans. A la place, elle se renfonça un peu dans son fauteuil grinçant, avant d’ajuster son chevalet dans une tentative malhabile de disparaître à l’intégralité de l’auditoire.
Au dernier moment, elle constata qu'Indra Kachachvili la dardait verteiliment…
Un jour pas comme les autres. Un jour auquel Ellendrine se disait qu’elle était peut-être pour quelque chose. Suspendue au-dessus du parterre de tribuns dans une balconade où s’alignaient une rangée de fauteuils en bois scultés, elle n’était personne en particulier aujourd’hui. Femme de tribun, étrangère devenue Aramilane d’adoption. Elle avait tissé un plan et l’avait susurré à l’oreille de l’homme le plus puissant du désert à sa demande expresse. Quelques notables d’importance lui tenaient compagnie dans cette rangée réservée aux invités de marque, que pouvait exceptionnellement occuper quelque ambassadeur ou dirigeant étranger de passage.
Sa voisine était une vieille femme aux mains tordues par l’arthrite. Son visage voilé la rendait fantomatique. Elle comprit que de toute façon la pauvre dame n’y voyait plus grand-chose quand elle lui demanda si sa Sainteté avait déjà faite son entrée. Tout ce brouhaha lui donnait la migraine. Elle ne put que lui donner raison et lui offrit un peu d’eau et un mouchoir tissé de fleur imbibé d’hydrolat de menthe poivrée.
-« Vous êtes bien brave, ma fille. Raphalos vous couvre de grâce. »
-« Sa main soit sur votre cœur. » répondit-elle respectueusement.
-« Espérons que cette assemblée extraordinaire ne donne pas lieu au chaos. Plus que jamais, l’Eglise a besoin de stabilité. »
Son attention se reporta sur la foule agitée. Si les événements qui se bousculaient étaient un peu de sa faute, c’est bien Sylas Edralden qui s’était réveillé avec une soudaine envie de dynamiser Aramila. Espérons que ses concitoyens comprendraient ses motivations. Espérant ne surtout pas être associée par la plèbe à cet élan de modernité, elle était vêtue d’une tenue modeste de couleur gris perle. La véritable noblesse n’avait pas besoin de manières extravagante pour faire converger les regards. Point de couleur criardes, l’élégance et la réputation suffisaient. Aujourd’hui, elle tentait plutôt se faire toute petite.
Sa seule coquetterie tenait en un large chapeau rehaussé d’une plume, qu’elle portait légèrement de guingois. Et en un éventail bleu azur ou deux hirondelles bataillaient dans le vent. Il faisait une chaleur à crever dehors. Et toute la chaleur produite par les spectateurs moulinait dans les hauteurs jusqu’à elle. L’eau de menthe poivrée lui ferait du bien, à elle aussi.
Ellendrine reprit son ouvrage du mieux qu’elle pouvait alors qu’elle suffoquait. Au milieu de tout ce vacarme et d’une petite obscurité, elle avait amené un chevalet. Et elle dessinait des croquis de l’assemblée. Il faudrait bien cela pour graver dans le marbre ce qui allait se jouer aujourd’hui. Une nouvelle page d’Aramila s’écrivait aujourd’hui.
Si elle ne parvenait pas à distinguer Arno, elle était sûre qu’il était là, quelque part. Son beau-frère l’avait rencontré hier lors de la réunion familiale des Dalmesca. Pietro arborait toujours cette même résolution dans le regard lorsqu’il leva les yeux vers elle avant que l’archevêque d’Aramila ne fasse son entrée. Un sourire attendri l’effleura. Il fallait dire que son mari était beau à regarder dans son élément.
Au moment de la prière, Ellendrine invita le recueillement en elle. Nul besoin de savoir si les Douze régnaient pour s’en remettre à la foi dans un monde au bord d’un gouffre perpétuel.
-« Est-il toujours aussi fringuant, notre archevêque ? » demanda dans un souffle grivois la vieille dame.
Ellendrine ne put rester insensible à ce trait d’humour et sourit tout en écoutant le discours. Elle avait la vague impression que Sylas la cherchait du regard, mais avec la distance, il y avait fort à parier que tout ce qu’il discernerait serait une foule aveugle. Peut-être les tribuns, qui étaient plus proches et en lumière.
~° Pécheresse… °~ persifla une voix dans un outrage.
Lady Brightwidge-Dalmesca en laissa tomber son fusain dans un sursaut. Elle parcourut la travée d’un regard anxieux, mais ne perçut que des visages dignes buvant les paroles de l’archevêque Edralden.
-« Ma pauvre, vous tremblez… »
Alors qu’elle se penchait pour ramasser son fusain, la vielle dame lui attrapa le bras.
-« Vous savez sans doute que vous ne vous êtes pas fait que des amis avec votre fougue, ma chère… il y a les râleurs, les mécontents… et puis, il y a ceux qui comptent vraiment, les Chevaliers… »
Un frémissement la parcourut. Avant même de ruer dans les brancards par ses recherches interdites ou ses revendications écrites, une lettre de menace attendait déjà l’Opalienne à son arrivée à Aramila lors de son mariage. L’ordre réformé des Chevaliers Orthodoxes du Griffon Pourpre. Sans doute un coup des Fondamentalistes. Mais elle avait rapidement eu à redouter la ligne Progressiste de l’ordre du Griffon Pourpre à la naissance de son premier fils, Euclase. Refuser la tutelle spirituelle d’un Inquisiteur fut un affront qu’il devint de plus en plus difficile de répéter à la naissance de ses filles, Saphir et Diaphane. Cette dernière était la seule de ses enfants à avoir hérité de ses yeux verts.
-« Allez-vous bien, lady Brighwidge-Dalmesca ? »
Ses yeux regardèrent sous un jour tout à fait nouveau la vieille dame.
-« Qui êtes-vous ? »
~° Pécheresse ! °~
Le voile figé sous une rangée de perles noires resta immuable.
-« Ce n’est pas de moi que vous devriez vous méfier. Je suis moi aussi une pièce rapportée. Elle par contre a de la suite dans les idées. »
Sur le balcon juste en face d’elles, Ellendrine devina la silhouette de la Indra Kachachvili. La figure montante de l’Ordre du Griffon Pourpre s’assit comme une vierge de fer et braqua son regard impitoyable vers les orateurs. Ellendrine tenta de reprendre contenance et avala une gorgée d’eau.
Elle prenait conscience que les choses prenaient de l’ampleur. Paradoxalement, ses objectifs rejoignaient parfois ceux de certaines factions de l’ordre. C’était le cas des Radicalistes. Mais qu’en serait-il s’ils découvraient que son mari était un portebrume. Ou qu’elle s’était rapprochée de l’archevêque Edralden et pouvait possiblement jouir d’une influence sur lui ?
-« Marjolaine d’Adriane. Entre femmes mariées à des hommes de pouvoir, nous savons ce qu’il en coûte parfois de maintenir l’unité de nos familles, quitte à parfois désobéir. »
Des fils de ténèbres, des luttes de pouvoir ombrageuses se déliaient au-delà des mots. Des camps allaient s’affronter. Il y avait ce qui serait dit. Et ce qui ne serait pas dit. Au nom des Douze, l’intégrité saurait-elle triompher à l’assemblée ?
Et justement, une première opposition émanait de la Tribune. Un poil procédurière. Mais surtout rétive au projet d’immigration.
-« On dirait que vous avez une touche, ma chère. »
Ellendrine tressaillit en réalisant que Sylas venait de mentionner son nom à titre d’exemple devant les Fondamentalistes de la Tribune et les tenants de l’ordre du Griffon Pourpre. Pour un peu, elle aurait confisqué le voile de Marjolaine d’Adriane pour s’enfouir le visage dedans. A la place, elle se renfonça un peu dans son fauteuil grinçant, avant d’ajuster son chevalet dans une tentative malhabile de disparaître à l’intégralité de l’auditoire.
Au dernier moment, elle constata qu'Indra Kachachvili la dardait verteiliment…
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Mar 11 Juin 2024 - 15:12, édité 1 fois
Mar 4 Juin 2024 - 12:16
Un petit moine sans importance. Un presque-adulte de dix-neuf ans trop jeune pour être digne de considération. A juste titre.
Il était régulièrement présent comme spectateur pendant les délibérations publiques de la tribune, depuis ses quatorze ans. Une fois par mois, il écoutait silencieusement depuis les gradins, prenait des notes, co-rapportait le détail des échanges à ses frères et soeurs restés au monastère. Ca le forçait à s’exprimer et interagir plus que ce qu’il n’appréciait, mais c’était une tâche qui lui était confiée, donc il s’en acquittait. Non pas que ce soit encore utile, maintenant qu’une des soeurs de sa communauté, anormalement curieuse et investie dans ce qui relevait du séculier, avait réussi à être nommée à la tribune l’année dernière. Il continuait quand même de venir, en plus d’assister l’autre dans sa fonction.
Officieusement, sa présence était du fait d’une vieille moniale, qui l’apprivoisait depuis ses quatre ans et le comparait encore à un petit renardeau farouche et renfermé, bien trop content de se confiner à sa retraite dans le prieuré. Elle savait bien qu’il ferait mieux d’aller traîner un peu dans la cité et se confronter au monde plutôt que de s’en couper. Et elle le lui avait craché à la figure avec la même intransigeance que quand elle lui faisait gober des décoctions amères, à l’occasion de ses fièvres infantiles.
Officiellement, c’était un sous-prieur de son monastère de proche campagne qui l’avait encouragé et contraint à le faire, au motif que cela ne pourrait que profiter à son éducation. Religieuse, à voir quelles étaient les différentes postures, applications et interprétations qui pouvaient être faîtes de l’ahad et des corpus qui l’étendaient. Politique, à voir comment ces mêmes textes pouvaient être invoqués, tordus, élargis et détournés par les différents intervenants. Tantôt pour tenter de faire coïncider les idéaux spirituels avec les contraintes du temporel. Tantôt pour servir les intérêts de tel ou tel groupement d’intérêts, quel qu’il soit. A bon ou mauvais escient, ou selon les points de vue.
Et aujourd’hui, c’était visiblement ceux qui rêvaient de puiser dans les bienfaits de la science qui venaient prendre la parole. Ca n’était pas la première fois, ça n'était plus tabou.
Au travers d’un archevêque, c’était nouveau, par contre. Mais oui, ça n’était pas n’importe qui qui pouvait requérir une audience extraordinaire. Sauf qu’il y avait quelque chose de sinistre et d’affligeant, à ce que ça vienne d’un des plus hauts chefs spirituels. Le signe que le poison était inarrêtable, et qu’ils étaient foutus. Ca finirait par venir.
Pour l’intérêt du peuple. Toujours aussi facile. Même si c’était vrai qu’il y avait de plus en plus de gens qui peinaient à se nourrir dans le pays. De ce qu’il entendait et constatait régulièrement, ils étaient toujours plus nombreux à venir requérir l’aumône, dans la capitale. Dans sa campagne à lui, où pratiquement toutes les familles pratiquaient une agriculture de subsistance en complément de leur activité, les ordres arrivaient sans peine à soulager convenablement les maux de ceux qui en avaient besoin. En cas de mauvaise récolte, c’était vite impossible, par contre. Alors, oui, c’était facile de vendre les méthodes de leurs voisins en passant par cet angle.
D’un autre côté, il ne se reconnaissait pas dans l’obstruction dogmatique des fondamentalistes.
Mais ce qu’il pensait n’avait pas la moindre importance, de toute manière.
Surveillant l’émulation ambiante sans y prendre part, toujours passif et impassible, le petit moine se contenta d’attendre et observer. Et de jeter un coup d’oeil dans les gradins, à tout hasard, des fois que la soeur qu’il accompagnait ait besoin de lui et lui fasse signe et…
… et oui, tiens. Ca faisait longtemps.
Il était régulièrement présent comme spectateur pendant les délibérations publiques de la tribune, depuis ses quatorze ans. Une fois par mois, il écoutait silencieusement depuis les gradins, prenait des notes, co-rapportait le détail des échanges à ses frères et soeurs restés au monastère. Ca le forçait à s’exprimer et interagir plus que ce qu’il n’appréciait, mais c’était une tâche qui lui était confiée, donc il s’en acquittait. Non pas que ce soit encore utile, maintenant qu’une des soeurs de sa communauté, anormalement curieuse et investie dans ce qui relevait du séculier, avait réussi à être nommée à la tribune l’année dernière. Il continuait quand même de venir, en plus d’assister l’autre dans sa fonction.
Officieusement, sa présence était du fait d’une vieille moniale, qui l’apprivoisait depuis ses quatre ans et le comparait encore à un petit renardeau farouche et renfermé, bien trop content de se confiner à sa retraite dans le prieuré. Elle savait bien qu’il ferait mieux d’aller traîner un peu dans la cité et se confronter au monde plutôt que de s’en couper. Et elle le lui avait craché à la figure avec la même intransigeance que quand elle lui faisait gober des décoctions amères, à l’occasion de ses fièvres infantiles.
Officiellement, c’était un sous-prieur de son monastère de proche campagne qui l’avait encouragé et contraint à le faire, au motif que cela ne pourrait que profiter à son éducation. Religieuse, à voir quelles étaient les différentes postures, applications et interprétations qui pouvaient être faîtes de l’ahad et des corpus qui l’étendaient. Politique, à voir comment ces mêmes textes pouvaient être invoqués, tordus, élargis et détournés par les différents intervenants. Tantôt pour tenter de faire coïncider les idéaux spirituels avec les contraintes du temporel. Tantôt pour servir les intérêts de tel ou tel groupement d’intérêts, quel qu’il soit. A bon ou mauvais escient, ou selon les points de vue.
Et aujourd’hui, c’était visiblement ceux qui rêvaient de puiser dans les bienfaits de la science qui venaient prendre la parole. Ca n’était pas la première fois, ça n'était plus tabou.
Au travers d’un archevêque, c’était nouveau, par contre. Mais oui, ça n’était pas n’importe qui qui pouvait requérir une audience extraordinaire. Sauf qu’il y avait quelque chose de sinistre et d’affligeant, à ce que ça vienne d’un des plus hauts chefs spirituels. Le signe que le poison était inarrêtable, et qu’ils étaient foutus. Ca finirait par venir.
Pour l’intérêt du peuple. Toujours aussi facile. Même si c’était vrai qu’il y avait de plus en plus de gens qui peinaient à se nourrir dans le pays. De ce qu’il entendait et constatait régulièrement, ils étaient toujours plus nombreux à venir requérir l’aumône, dans la capitale. Dans sa campagne à lui, où pratiquement toutes les familles pratiquaient une agriculture de subsistance en complément de leur activité, les ordres arrivaient sans peine à soulager convenablement les maux de ceux qui en avaient besoin. En cas de mauvaise récolte, c’était vite impossible, par contre. Alors, oui, c’était facile de vendre les méthodes de leurs voisins en passant par cet angle.
D’un autre côté, il ne se reconnaissait pas dans l’obstruction dogmatique des fondamentalistes.
Mais ce qu’il pensait n’avait pas la moindre importance, de toute manière.
Surveillant l’émulation ambiante sans y prendre part, toujours passif et impassible, le petit moine se contenta d’attendre et observer. Et de jeter un coup d’oeil dans les gradins, à tout hasard, des fois que la soeur qu’il accompagnait ait besoin de lui et lui fasse signe et…
… et oui, tiens. Ca faisait longtemps.
Mar 4 Juin 2024 - 16:17
C'est pas facile pour notre pauvre Vamis d'évoluer dans une telle foule, son module d'empathie s'imprègne des sentiments de tous ces excités, et dégueule des lignes et des lignes d'erreurs qui dégoulinent partout dans son système. De la colère, de la frustration, de la tristesse, toutes les nuances des passions les plus piquantes du genre humain viennent se ficher dans son âme artificielle comme des centaines d'aiguilles.
Sa silhouette chétive emmitouflée sous sa grande cape grise, on le prend pour un mendiant mutique et décharné ; c'est toujours mieux que de leur dévoiler sa nature et de risquer le démantèlement en place publique ! Il attire bien sûr la suspicion de ses voisins mais les débats sont pour l'instant plus intéressants qu'un indigent qui pue la rouille alors tout va bien.
C'est drôle comment Vamistul se retrouve dans les propos du fondamentaliste, lui qui serait vu comme un émissaire de l'ennemi s'il était découvert. Le Programme a été bricolé par Sancta, et a constaté de ses propres capteurs ce qu'Epistopoli faisait de ses ouailles. Mieux que quiconque ici, le robot sait de quoi est capable le requin à qui on tend innocemment la main,
Virgil piaille et bat des ailes sur l'épaule du robot. Cette colombe, proche pote de Vamis, semble scandalisée par le spectacle.
- Tu devrais rester discret frère colombe - je ressens la méfiance du vieil homme derrière moi - elle me titille le dos comme un poignard
- C'est mater ces pechenauds tenir de grands discours, alors qu'aucun ne saurait visser une ampoule, lui croasse Virgil à voix basse ; ça me rappelle le comportement de ces foutus corbeaux, qui se prennent pour des parangons de vertus alors qu'ils chient et baisent par le même trou...
- N'est-ce pas aussi ton cas noble ovipare ?
Vamis a rencontré Virgil durant une méditation, à l'ombre d'un palmier de son oasis préféré. Il a d'abord cru que cette colombe fantastiquement blanche était une vision, un message de paix, une douce allégorie offerte par les Dieux. En fait, non, elle est tout à fait réelle jusqu'à preuve du contraire. Le robot l'alimente généreusement en graines et en prières, alors elle lui colle aux basques et distille des sarcasmes dans ses micros.
Le pèlerin a décidé d'amener Virgil ici, avec lui, pour se sentir moins seul. La foule l'oppresse terriblement, mais l'automate tient à connaître quel funeste destin attend sa patrie de coeur, celle qu'il a vu grandir, éclore puis se faner cinq siècles durant. Il espère que l'archévêque entendra raison via les suppliques de son peuple, et qu'il ne laissera pas les bottes souillées d'Epistopoli piétiner davantage la paix de ces contrées.
La faim et la misère sont-ils réellement la seule alternative aux machines rugissantes ? N'est-ce pas une subtile instrumentalisation des peurs du peuple pour lui faire tolérer l'intolérable, la destruction de notre mode de vie, de notre faune, de notre flore ; puis de nos Dieux ? Vamistul n'en sait rien, il n'a aucun système apte à lui faire aborder la politique d'une manière saine et raisonnable ! Et il est pas trop trop concerné par la faim. En sa cervelle numérique, seule compte la volonté divine.
Le robot jette un regard en direction de la dame alpaguée par l'archêveque, assise quelque rangs derrière lui ; dont il ressent le malaise que lui inspire le théâtre aramillien. Même s'il ne la connaît pas, il connecte aisément avec ses émotions.
- Il te reste des graines ? piaille Virgil.
L'automate ouvre un nouveau paquet, qu'il lui tend mécaniquement.
- Je t'aime bien, robot, mais n'imagine pas qu'une âme artificielle puisse trouver grâce auprès des Dieux. Si le brave peuple d'Aramila vient te désosser, les limbes te réclameront et j'y serai ton guide
- je n'ai pas peur du néant - Raphalos n'est que compassion
- En es-tu bien sûr ? demande Virgil, pointant de son aile l'assemblée véhémente.
Sa silhouette chétive emmitouflée sous sa grande cape grise, on le prend pour un mendiant mutique et décharné ; c'est toujours mieux que de leur dévoiler sa nature et de risquer le démantèlement en place publique ! Il attire bien sûr la suspicion de ses voisins mais les débats sont pour l'instant plus intéressants qu'un indigent qui pue la rouille alors tout va bien.
C'est drôle comment Vamistul se retrouve dans les propos du fondamentaliste, lui qui serait vu comme un émissaire de l'ennemi s'il était découvert. Le Programme a été bricolé par Sancta, et a constaté de ses propres capteurs ce qu'Epistopoli faisait de ses ouailles. Mieux que quiconque ici, le robot sait de quoi est capable le requin à qui on tend innocemment la main,
Virgil piaille et bat des ailes sur l'épaule du robot. Cette colombe, proche pote de Vamis, semble scandalisée par le spectacle.
- Tu devrais rester discret frère colombe - je ressens la méfiance du vieil homme derrière moi - elle me titille le dos comme un poignard
- C'est mater ces pechenauds tenir de grands discours, alors qu'aucun ne saurait visser une ampoule, lui croasse Virgil à voix basse ; ça me rappelle le comportement de ces foutus corbeaux, qui se prennent pour des parangons de vertus alors qu'ils chient et baisent par le même trou...
- N'est-ce pas aussi ton cas noble ovipare ?
Vamis a rencontré Virgil durant une méditation, à l'ombre d'un palmier de son oasis préféré. Il a d'abord cru que cette colombe fantastiquement blanche était une vision, un message de paix, une douce allégorie offerte par les Dieux. En fait, non, elle est tout à fait réelle jusqu'à preuve du contraire. Le robot l'alimente généreusement en graines et en prières, alors elle lui colle aux basques et distille des sarcasmes dans ses micros.
Le pèlerin a décidé d'amener Virgil ici, avec lui, pour se sentir moins seul. La foule l'oppresse terriblement, mais l'automate tient à connaître quel funeste destin attend sa patrie de coeur, celle qu'il a vu grandir, éclore puis se faner cinq siècles durant. Il espère que l'archévêque entendra raison via les suppliques de son peuple, et qu'il ne laissera pas les bottes souillées d'Epistopoli piétiner davantage la paix de ces contrées.
La faim et la misère sont-ils réellement la seule alternative aux machines rugissantes ? N'est-ce pas une subtile instrumentalisation des peurs du peuple pour lui faire tolérer l'intolérable, la destruction de notre mode de vie, de notre faune, de notre flore ; puis de nos Dieux ? Vamistul n'en sait rien, il n'a aucun système apte à lui faire aborder la politique d'une manière saine et raisonnable ! Et il est pas trop trop concerné par la faim. En sa cervelle numérique, seule compte la volonté divine.
Le robot jette un regard en direction de la dame alpaguée par l'archêveque, assise quelque rangs derrière lui ; dont il ressent le malaise que lui inspire le théâtre aramillien. Même s'il ne la connaît pas, il connecte aisément avec ses émotions.
- Il te reste des graines ? piaille Virgil.
L'automate ouvre un nouveau paquet, qu'il lui tend mécaniquement.
- Je t'aime bien, robot, mais n'imagine pas qu'une âme artificielle puisse trouver grâce auprès des Dieux. Si le brave peuple d'Aramila vient te désosser, les limbes te réclameront et j'y serai ton guide
- je n'ai pas peur du néant - Raphalos n'est que compassion
- En es-tu bien sûr ? demande Virgil, pointant de son aile l'assemblée véhémente.
Mer 5 Juin 2024 - 10:15
Audience extraordinaire
Maitre du Jeu
L’air était lourd, autant des premiers échanges que des premiers regards posés. Les astres avaient eux aussi décidé que cette journée était importante, l'œil solaire rayonnant dans l'arène. C’est bien ce que vous observez, une arène. Sylas, fier champion en son centre, attendait les coups des autres gladiateurs. Cinquante paires d’yeux, cinquante voix importantes, mais il ne fallait pas en oublier les autres derrière.
Des Archevêques présents et ne faisant pas mine de somnoler, les discussions à voix basses allaient bon train. Couvertes par les clameurs dans la foule de la Tribune et des différents groupes qui se mettaient en ordre de bataille. Eux aussi semblent surpris par cette entreprise de l’Archevêque d’Aramila. Surprise allant crescendo entre ceux qui y voient un enfant s’amuser avec un jouet potentiellement dangereux et ceux qui devinent un homme voler trop près du soleil. À côté de la place malheureusement vacante de l’Archevêque d’Etyr, se tient celui de Renon, pas seul. Soufflant à son oreille, des yeux d’or balayant l’assemblée pour celui-ci, les lèvres de Pyros Borges bougent sans discontinuer. Conseiller précieux au nez fin en affaires, il est reconnu par ses pairs. C’est un ancien Tribun passé dans l’autre chambre qui conserve une influence certaine auprès de certains élus actuels. Si d’aucuns entendent ses mots, il est clair qu’il a toute l’attention du haut dignitaire.
Sylas, avant que les échanges s’intensifient, tu entends ces quelques bribes de la voix grave de Pyros au milieu de son échange avec ton homologue de Renon. Voix que tu as déjà entendue dans les couloirs du Concile sans forcément mettre un visage dessus. Voix qui semble porter un peu plus que d’accoutumer, est-ce involontaire ou sciemment fait ? “Oui votre Excellence, je suis d’accord, si nous avions encore Renon la question ne se poserait pas, mais malheureusement…”. Hors Archevêques et leurs délégations, tu es le seul à avoir entendu ces mots. Pour Arno, ces yeux si caractéristiques ne sauraient le tromper malgré la distance. Est-ce un clin d'œil qui lui est adressé ?
Dernière édition par Arno Dalmesca le Sam 22 Juin 2024 - 16:28, édité 2 fois
Sylas, avant que les échanges s’intensifient, tu entends ces quelques bribes de la voix grave de Pyros au milieu de son échange avec ton homologue de Renon. Voix que tu as déjà entendue dans les couloirs du Concile sans forcément mettre un visage dessus. Voix qui semble porter un peu plus que d’accoutumer, est-ce involontaire ou sciemment fait ? “Oui votre Excellence, je suis d’accord, si nous avions encore Renon la question ne se poserait pas, mais malheureusement…”. Hors Archevêques et leurs délégations, tu es le seul à avoir entendu ces mots. Pour Arno, ces yeux si caractéristiques ne sauraient le tromper malgré la distance. Est-ce un clin d'œil qui lui est adressé ?
La première lame part, affutée, préparée. Bien qu’enveloppé dans un fourreau de tempérance, il est clair que le fringant Tribun qui a osé s’exprimer le premier a bien révisé ses gammes. Beaucoup hochent la tête dans l’assemblée, se signant au début de chaque passage du livre des Saints. Hyperboles bien senties, visages durs, la tranche la plus radicale et fondamentaliste des Tribuns jette des coups d'œil à celle qui les représente habituellement. Mo’agarah approuve en hochant la tête. La vieille tritonne de Doulek a depuis longtemps gagné le respect de ses pairs. Usant de sa connaissance illimitée de la théologie panthéiste et de sa nature malheureusement toujours atypique dans cette Tribune, celle que tous appellent Mama Mo’ est devenue un pilier de la vie politique aramilanne et la fière représentante du peuple triton.
Ahavah, Vamistul (et Virgil), vous vous étiez naturellement dirigés vers le public derrière la Matriarche fondamentaliste. Public, plus nombreux que dans d’autres alcôves, même si c’était dur à définir tant il y avait de monde aujourd’hui. L’emplacement des spectateurs n’est jamais anodin, il tend à montrer un rapport de force naturel et où allait l’avis du peuple. Il était commun dans ce genre de situation où la Tribune était observée que l’influence du positionnement des spectateurs joue sur la décision finale. Il est toujours plus dur de voter contre un millier de paires d’yeux qui vous scrute que contre une petite poignée.
La première saillie avait fait l’effet d’une étincelle. Il n’en fallait parfois pas plus pour que d’autres prennent la parole. Après avoir jugé les forces en présence, une Tribun discrète se lève avec difficulté de sa place. Elle tremble et pourtant, tous les regards convergent vers cette femme entre deux âges qui respire la bonhomie. De sa voix fluette, elle parvient à capter l’attention de tous. On ne se fait pas si facilement que ça sa place au Bazar de Qadsak, ni on en devient quelqu’un d’important sans répondant. Elle s’adresse autant à Mama Mo’ par l’intermédiaire du jeune Tribun du camp d’en face qu’à Sylas lui-même.
Ahavah, Vamistul (et Virgil), vous vous étiez naturellement dirigés vers le public derrière la Matriarche fondamentaliste. Public, plus nombreux que dans d’autres alcôves, même si c’était dur à définir tant il y avait de monde aujourd’hui. L’emplacement des spectateurs n’est jamais anodin, il tend à montrer un rapport de force naturel et où allait l’avis du peuple. Il était commun dans ce genre de situation où la Tribune était observée que l’influence du positionnement des spectateurs joue sur la décision finale. Il est toujours plus dur de voter contre un millier de paires d’yeux qui vous scrute que contre une petite poignée.
La première saillie avait fait l’effet d’une étincelle. Il n’en fallait parfois pas plus pour que d’autres prennent la parole. Après avoir jugé les forces en présence, une Tribun discrète se lève avec difficulté de sa place. Elle tremble et pourtant, tous les regards convergent vers cette femme entre deux âges qui respire la bonhomie. De sa voix fluette, elle parvient à capter l’attention de tous. On ne se fait pas si facilement que ça sa place au Bazar de Qadsak, ni on en devient quelqu’un d’important sans répondant. Elle s’adresse autant à Mama Mo’ par l’intermédiaire du jeune Tribun du camp d’en face qu’à Sylas lui-même.
“Mes frères et sœurs en les Douze, vous n’imaginez pas ma joie de nous voir tous réunis ici. Il y a un peu plus de monde que d’habitude, il semblerait.” Quelques rires fusent, les regards des confrères sont pourtant très attentifs. Tous ceux qui ont l’habitude de la Tribune savent bien que la Voix du Bazar n’est en rien déphasée ou trop candide pour ces joutes verbales. “J’entends vos paroles et vos discours enflammés. Je ne vous ferai pas l’outrecuidance d’y aller de mon hyperbole personnelle. Néanmoins, je rejoins son Excellence dans son analyse, notre peuple grandit, s’enrichit de nouvelles visions, se bonifie dans l’épreuve. Il y est une épreuve, bien loin de vous en ces remparts qui est soumise à Opale, la première à avoir perdu la lumière des Esprits à cause de leurs recherches honnis. Comment disaient-ils déjà… Ah oui, à vouloir voler la lumière, on s’en brûle les ailes… Ou quelque chose comme ça !” Nouveaux rires dans les alcôves et bancs qui se remplissent derrière la native de Saleek. Elle ménage son effet, reprend d’un ton plus grave. “Néanmoins, on ne peut ignorer que la Brume avance de nouveau sur leur ville. (certains se signent et murmurent des prières à l’évocation de la Malice) Notre nation doit une nouvelle fois justifier son statut de terre d’accueil, son statut d’ultime rempart. Est-ce là une nouvelle épreuve ? Je ne saurais le dire, je ne suis personne pour comprendre Leurs intentions. Je ne suis qu’une femme et je ne peux qu’ouvrir mes bras à ces âmes en peine qui cherchent un foyer en passant par mes terres. Celles-ci… Et bien, elles ne pourront pas accueillir toute la misère du monde et elles se refusent à voir leurs enfants partir risquer la perversion à l’étranger. Si les Douze nous éprouvent, alors, Eoline Halewitt, en ses terres, leur montrera qu’elle est digne de Leurs regards. Elle cherchera le soutien dans Leurs enseignements. Elle apprendra Leurs principes à ses âmes perdues, leur rendant richesse et noblesse… Et elle est prête à apprendre de ceux qui croisent sa route en les Douze comment faire pour tous les nourrir.”
Nouvelles ruées dans les brancards, les forces en présence se révèlent et les cartes s’abattent, échanges à couteaux tirés. La Voix du Bazar et la Matriarche tritonne s’affrontent du regard pendant que les échanges continuent. Sylas, tu as peut-être trouvé une alliée de circonstance, quand bien même elle semble encore plus ouverte que toi à l’accueil étranger du fait de la situation d’Opale. Elle est foncièrement touchée par celle-ci, sa région étant la plus proche de la Contade et d’Opale par extension.
Nouvelles ruées dans les brancards, les forces en présence se révèlent et les cartes s’abattent, échanges à couteaux tirés. La Voix du Bazar et la Matriarche tritonne s’affrontent du regard pendant que les échanges continuent. Sylas, tu as peut-être trouvé une alliée de circonstance, quand bien même elle semble encore plus ouverte que toi à l’accueil étranger du fait de la situation d’Opale. Elle est foncièrement touchée par celle-ci, sa région étant la plus proche de la Contade et d’Opale par extension.
Au milieu de ce brouhaha renouvelé, un lion semble encore attendre son heure, que sa proie soit suffisamment fatiguée pour la croquer d’un seul coup. Pietro Dalmesca note tout des échanges, son esprit vagabonde un instant à l’évocation d’Opale avant de revenir à l’instant présent. Le regard enflammé d’un roi en son territoire, le Tribun d’Etyr est vu comme un jeune champion de la trempe des deux précédentes forces. Encore trop fougueux pour beaucoup, une voix trop opportuniste pour d’autres. L’évocation du nom de sa femme le pousse une nouvelle fois à regarder dans la direction de celle-ci alors que les yeux convergent tels des projecteurs vers lui. D’aucuns se moqueront de ce qu’ils imaginent être de la promiscuité entre Ellendrine Brightwidge-Dalmesca et Sylas Edralden, Pietro n’avait que faire des discussions des gazelles. Il devait seulement s’assurer que sa compagne allait bien, que les fondations tiennent. Si les regards convergent dans sa direction, il convient de donner un peu de sagesse à sa cour. Au-dessus de son terrain, Ryo et Arno sont quasiment aux premières loges.
Le Tribun aux cheveux d’or se redresse, et au milieu du brouhaha, son rugissement réussit à porter. S’il voulait avancer ses pièces, il fallait qu’il transforme les échanges de bons procédés, d’une façon ou d’une autre, et rendre le débat tangible. Il doit l'inscrire dans le réel plutôt que dans le débat théologique où il n’aurait pas sa place. “Quelles garanties donnez-vous, votre Excellence ? Êtes-vous donc prêt à parier l’avenir entier de notre nation sur votre capacité à choisir ses “émigrants” ? Comment allons-nous les accueillir ? Qu’est-ce qui vous fait croire qu’au milieu de cette masse profane, nous ne ferions pas rentrer la même engeance qui a attaqué Opale, si chère à dame Halewit… J’y étais, j’ai vu la sauvagerie et les canons, j’ai vu le chaos. Je ne suis pas prêt à pactiser ni faire rentrer le loup dans la bergerie pour ce que vous appelez progrès. Notre peuple a montré sa résilience à travers le temps, devons-nous renverser la table pour un mieux hypothétique ? N’est-ce pas là l’ennemi du bien ?” Quand bien même il connaît l’idée générale et plus de la volonté de Sylas, le modéré pragmatique attend des garanties fortes. Il ruse, ne prenant pas directement le parti des idées d’Ellendrine pour que le feu des regards courroucés épargne la mère de ses enfants. Il donne une ouverture pour que l’Archêveque consolide sa position en faisant mine de s’opposer à lui. Attention néanmoins, cette aide pourrait se transformer en piège s’il sent une faiblesse. Comme beaucoup de Tribuns plus jeunes, il voit dans les enseignements religieux des leçons apportant morale et droit. Cette nouvelle vague d’élus montre que, pour eux, la loi des Esprits prime toujours, mais qu’il convient de l'interpréter de façon plus pratique, plus dans l’action.
Le Tribun aux cheveux d’or se redresse, et au milieu du brouhaha, son rugissement réussit à porter. S’il voulait avancer ses pièces, il fallait qu’il transforme les échanges de bons procédés, d’une façon ou d’une autre, et rendre le débat tangible. Il doit l'inscrire dans le réel plutôt que dans le débat théologique où il n’aurait pas sa place. “Quelles garanties donnez-vous, votre Excellence ? Êtes-vous donc prêt à parier l’avenir entier de notre nation sur votre capacité à choisir ses “émigrants” ? Comment allons-nous les accueillir ? Qu’est-ce qui vous fait croire qu’au milieu de cette masse profane, nous ne ferions pas rentrer la même engeance qui a attaqué Opale, si chère à dame Halewit… J’y étais, j’ai vu la sauvagerie et les canons, j’ai vu le chaos. Je ne suis pas prêt à pactiser ni faire rentrer le loup dans la bergerie pour ce que vous appelez progrès. Notre peuple a montré sa résilience à travers le temps, devons-nous renverser la table pour un mieux hypothétique ? N’est-ce pas là l’ennemi du bien ?” Quand bien même il connaît l’idée générale et plus de la volonté de Sylas, le modéré pragmatique attend des garanties fortes. Il ruse, ne prenant pas directement le parti des idées d’Ellendrine pour que le feu des regards courroucés épargne la mère de ses enfants. Il donne une ouverture pour que l’Archêveque consolide sa position en faisant mine de s’opposer à lui. Attention néanmoins, cette aide pourrait se transformer en piège s’il sent une faiblesse. Comme beaucoup de Tribuns plus jeunes, il voit dans les enseignements religieux des leçons apportant morale et droit. Cette nouvelle vague d’élus montre que, pour eux, la loi des Esprits prime toujours, mais qu’il convient de l'interpréter de façon plus pratique, plus dans l’action.
Dernière édition par Arno Dalmesca le Sam 22 Juin 2024 - 16:28, édité 2 fois
Ven 7 Juin 2024 - 20:07
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
La sueur perlait sans discontinuer, sillonnant de part et d’autre du visage de Sylas qui, imperturbable, finit par éponger son front d’un revers de manche mécanique. La mine neutre, il fronça légèrement les sourcils lorsqu’il entendit des échos gutturaux par-dessus son épaule. Une voix familière, qui faisait remonter à la surface des bribes, des réminiscences peu agréables, avait percé dans le brouhaha tonnant. Mais l’Archevêque ne se laissa pas décontenancer par cette anecdote, rivant le regard sur la matriarche à la peau d’ébène qui, ingambe, se dressait elle aussi contre cette adversité naissante, laissant l’assistance profiter de son discours empreint de sagesse et ponctué d’une note d’humour qui, naturellement, arracha un sourire affable à Sylas.
Mais la mine de l’archevêque se durcit, alors qu’Eoline se rassit et que, peu après, le tribun Dalmesca, dont l’intervention semblait tant attendue, prit la parole. Immobile, toujours et encore, sous ce soleil de plomb, Sylas but patiemment les paroles d’un nouveau contradicteur.
Il prit une longue inspiration, laissant planer un silence dont l’attente semblait plus insupportable encore que la chaleur tapante du zénith.
Le front poisseux, il l’essuya à nouveau, de sa même manche humide, avant de relever le menton et prendre la parole, aussi portée que Pietro. Son regard se dirigea, de prime abord, vers Eoline.
« Excellence, vos desseins vous honorent. Je souhaite seulement tempérer ceci : Aramila n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde. S’il est vraisemblable que nos terres accueille des âmes en peine qui trouvent quelque réconfort dans la religion ou quelque croyance d’ordre supérieur, j’entends toujours refuser l’accès aux groupuscules qui ont pour seul dieu la Malice. Puisque son Excellence, notre collègue, nous a fait l’honneur de citer un précieux passage de l’Ahad et que l’on saurait saupoudrer la dialectique aramilane de versets religieux, voici ce que je rappellerai à tous : “Aimez votre prochain comme vous-mêmes.” Cela signifie que nous devons agir avec compassion, certes, mais n’implique pas de tolérer des actes de violence ou de mettre en danger la sécurité de notre communauté. »
Son regard se tourna ensuite vers Pietro.
« En ce sens, Excellence, je comprends votre peur, à laquelle je répondrai ceci : je parie l’avenir entier de notre nation sur ma capacité à choisir ses immigrants, certes. Comme je dirige, accompagné du Concile Œucuménique, la même nation depuis bientôt trente ans. Et lorsque je vous dis que la population aramilane augmente et que nous devons avoir des moyens suffisants pour préserver notre paix sociale, c’est parce que refuser l’accès à notre patrie ou, pis encore, expulser des citoyens n’est pas la solution. Pour ce qui est de les accueillir, sachez dores et déjà qu’ils seront en comité réduit ; une dizaine tout au plus. Là est ma garantie, car il est plus simple d’encadrer les travaux d’une dizane de personnes que d’exercer un contrôle sur mille âmes. Vous savez autant que moi que le corps prime sur l’esprit, aussi, si les pyramides de Saleek ont été construites par une myriade de mains, ont-elles été conçues par cette même myriade ? »
La question demeura en suspens, mais l’archevêque reprit incontinent.
« Pour le reste, Excellence, cette résilience dont il est question risquerait factuellement de trouver ses limites si rien n’est fait. Je conclurai en ces propos : la volonté de la conduite de la nation revient au vote de la Tribune, qui se doit de représenter la volonté du peuple. Mais moi Archevêque, moi vivant, comptez sur mon concours le plus sincère pour envisager les meilleures options et déconstruire toute tentative de tromperie. Et j’invite chacune et chacun à ne pas se laisser tromper par quelque appel à l’émotion pour prendre des décisions qui impacteront notre salut à tous ! »
Mais la mine de l’archevêque se durcit, alors qu’Eoline se rassit et que, peu après, le tribun Dalmesca, dont l’intervention semblait tant attendue, prit la parole. Immobile, toujours et encore, sous ce soleil de plomb, Sylas but patiemment les paroles d’un nouveau contradicteur.
Il prit une longue inspiration, laissant planer un silence dont l’attente semblait plus insupportable encore que la chaleur tapante du zénith.
Le front poisseux, il l’essuya à nouveau, de sa même manche humide, avant de relever le menton et prendre la parole, aussi portée que Pietro. Son regard se dirigea, de prime abord, vers Eoline.
« Excellence, vos desseins vous honorent. Je souhaite seulement tempérer ceci : Aramila n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde. S’il est vraisemblable que nos terres accueille des âmes en peine qui trouvent quelque réconfort dans la religion ou quelque croyance d’ordre supérieur, j’entends toujours refuser l’accès aux groupuscules qui ont pour seul dieu la Malice. Puisque son Excellence, notre collègue, nous a fait l’honneur de citer un précieux passage de l’Ahad et que l’on saurait saupoudrer la dialectique aramilane de versets religieux, voici ce que je rappellerai à tous : “Aimez votre prochain comme vous-mêmes.” Cela signifie que nous devons agir avec compassion, certes, mais n’implique pas de tolérer des actes de violence ou de mettre en danger la sécurité de notre communauté. »
Son regard se tourna ensuite vers Pietro.
« En ce sens, Excellence, je comprends votre peur, à laquelle je répondrai ceci : je parie l’avenir entier de notre nation sur ma capacité à choisir ses immigrants, certes. Comme je dirige, accompagné du Concile Œucuménique, la même nation depuis bientôt trente ans. Et lorsque je vous dis que la population aramilane augmente et que nous devons avoir des moyens suffisants pour préserver notre paix sociale, c’est parce que refuser l’accès à notre patrie ou, pis encore, expulser des citoyens n’est pas la solution. Pour ce qui est de les accueillir, sachez dores et déjà qu’ils seront en comité réduit ; une dizaine tout au plus. Là est ma garantie, car il est plus simple d’encadrer les travaux d’une dizane de personnes que d’exercer un contrôle sur mille âmes. Vous savez autant que moi que le corps prime sur l’esprit, aussi, si les pyramides de Saleek ont été construites par une myriade de mains, ont-elles été conçues par cette même myriade ? »
La question demeura en suspens, mais l’archevêque reprit incontinent.
« Pour le reste, Excellence, cette résilience dont il est question risquerait factuellement de trouver ses limites si rien n’est fait. Je conclurai en ces propos : la volonté de la conduite de la nation revient au vote de la Tribune, qui se doit de représenter la volonté du peuple. Mais moi Archevêque, moi vivant, comptez sur mon concours le plus sincère pour envisager les meilleures options et déconstruire toute tentative de tromperie. Et j’invite chacune et chacun à ne pas se laisser tromper par quelque appel à l’émotion pour prendre des décisions qui impacteront notre salut à tous ! »
Mar 11 Juin 2024 - 15:38
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
Les intervenants commençaient à s’avancer dans la lumière. L’équilibre des forces en présence serait bientôt révélé. Tout dépendrait de l’agilité de Sylas pour laisser glisser les accusations et dénouer les points de désaccord sans les laisser l’affaiblir ou étrangler ses arguments. En cela, il aurait besoin de la force du totem de l’anguille pour sinuer. S’il semblait débonnaire, Ellendrine constatait que sa pondération n’en faisait pas un moins bon orateur. Dans un premier temps, il semblait ployer comme le roseau, avant de revenir en portant la raison comme compromis.
Histoire de ne as rester inactive – et aussi de ne plus se sentir passivement observée par des coups d’œils répétés de l’assemblée telle une bête curieuse – elle délaissa son chevalet. A la place, elle installa au-dessus de ses genoux le plateau articulé d’une tablette que Farouk l’avait aidé à monter avant l’arrivée des tribuns. Une mallette compact y fut déposée. Et ses doigts firent glisser le zip de la fermeture éclair – merveilleuse invention ! – pour découvrir une machine à écrire.
Hérésie pour certains, innovation pour d’autres, l’instrument était néanmoins assez artisanal et dénué d’électronique ou de myste. La machine n’avait pas son pareil pour dactylographier en vitesse réelle les discours des différents intervenants. C’est ce qu’elle s’employa à faire. Après un « RAC » pour installer sa feuille et faire glisser le plateau sur la gauche, elle enfonça fermement les touches et les petits maillaient entrechoquèrent le papier avec vélocité.
Les Aramilans étaient sans doute des gens d’émotions, qui voyaient ce que leur cœur retenait une fois la poussière des débats retombée. Mais Ellendrine se voulait plus factuelle et exhaustive. On devait pouvoir donner crédit à certains et rappeler à d’autres qu’ils étaient comptables de leurs promesses ou accusations proférées en telles circonstances à une date donnée. Elle savait quoi faire de son rapport par la suite pour ne pas être mystifiée par la fièvre du débat.
Quand Pietro prit la parole, elle fut surprise parce son scepticisme apparent. Habile stratège, elle était rompu aux manœuvres de l’ombre, mais pas aux jeux ouverts des discussions démocratiques. Promenait-il l’archevêque d’Aramila vers la gauche pour ensuite le ramener de l’autre main vers la droite ? Elle ne saurait le dire. Le fait qu’il prévoit de protéger Aramila des terroristes infiltrés lui convenait. Sa réticence au progrès beaucoup moins, compte tenu des ambitions débordantes qu’elle espérait apporter à ce pays endormi. Elle les pensait pourtant plus ou moins en accord sur le futur d'Aramila.
Il ne lui échappa pas que Farouk se déplaça. De sa grande carrure, il bouscula de manière organique ses voisins, dont Vamistul, pour se déplacer de derrière Mo'garah et se ranger derrière la Voix du Bazar. Elle se rappelait bien que son ami était natif de Qadsak, où ils s'étaient rencontrés la première fois.
RAC! Nouvelle feuille de papier prestement enroulée. Ses doigts continuaient à danser de manière incessante avec agilité sur les touches de la machine à écrire. Les petits martèlements monotones étaient audibles depuis le parterre, quoique noyés sous le poids des ténors de l’assemblée et des cris d’approbation. Quant à Sylas, il semblait fondre comme neige au soleil. Elle ne comprendrait jamais l’absence de toit, ou au moins de tonnelle pour procurer de l’ombre à celui qui parlait au cœur de l’assemblée. Pour mériter la charge d’Aramila, il semblait nécessaire d’endurer les dards de son soleil cuisant.
La femme de lettres secoua négligemment de la tête en apprenant de sa Sainteté Edralden que le projet d’immigration ne concernait que dix personnes. Cela lui rendrait la tâche plus facile d’inviter seulement dix ingénieurs. Sur les centaines de propositions directes qu’elle avait émises jusqu’ici, bien peu s’étaient laissés convaincre. Mieux valait donc dix que cent. Même accompagnés de leurs familles, les chances étaient faibles qu’ils disséminent l’hérésie en Aramila ! Donc, pourquoi tant de grabuge ?
Histoire de ne as rester inactive – et aussi de ne plus se sentir passivement observée par des coups d’œils répétés de l’assemblée telle une bête curieuse – elle délaissa son chevalet. A la place, elle installa au-dessus de ses genoux le plateau articulé d’une tablette que Farouk l’avait aidé à monter avant l’arrivée des tribuns. Une mallette compact y fut déposée. Et ses doigts firent glisser le zip de la fermeture éclair – merveilleuse invention ! – pour découvrir une machine à écrire.
Hérésie pour certains, innovation pour d’autres, l’instrument était néanmoins assez artisanal et dénué d’électronique ou de myste. La machine n’avait pas son pareil pour dactylographier en vitesse réelle les discours des différents intervenants. C’est ce qu’elle s’employa à faire. Après un « RAC » pour installer sa feuille et faire glisser le plateau sur la gauche, elle enfonça fermement les touches et les petits maillaient entrechoquèrent le papier avec vélocité.
Les Aramilans étaient sans doute des gens d’émotions, qui voyaient ce que leur cœur retenait une fois la poussière des débats retombée. Mais Ellendrine se voulait plus factuelle et exhaustive. On devait pouvoir donner crédit à certains et rappeler à d’autres qu’ils étaient comptables de leurs promesses ou accusations proférées en telles circonstances à une date donnée. Elle savait quoi faire de son rapport par la suite pour ne pas être mystifiée par la fièvre du débat.
Quand Pietro prit la parole, elle fut surprise parce son scepticisme apparent. Habile stratège, elle était rompu aux manœuvres de l’ombre, mais pas aux jeux ouverts des discussions démocratiques. Promenait-il l’archevêque d’Aramila vers la gauche pour ensuite le ramener de l’autre main vers la droite ? Elle ne saurait le dire. Le fait qu’il prévoit de protéger Aramila des terroristes infiltrés lui convenait. Sa réticence au progrès beaucoup moins, compte tenu des ambitions débordantes qu’elle espérait apporter à ce pays endormi. Elle les pensait pourtant plus ou moins en accord sur le futur d'Aramila.
Il ne lui échappa pas que Farouk se déplaça. De sa grande carrure, il bouscula de manière organique ses voisins, dont Vamistul, pour se déplacer de derrière Mo'garah et se ranger derrière la Voix du Bazar. Elle se rappelait bien que son ami était natif de Qadsak, où ils s'étaient rencontrés la première fois.
RAC! Nouvelle feuille de papier prestement enroulée. Ses doigts continuaient à danser de manière incessante avec agilité sur les touches de la machine à écrire. Les petits martèlements monotones étaient audibles depuis le parterre, quoique noyés sous le poids des ténors de l’assemblée et des cris d’approbation. Quant à Sylas, il semblait fondre comme neige au soleil. Elle ne comprendrait jamais l’absence de toit, ou au moins de tonnelle pour procurer de l’ombre à celui qui parlait au cœur de l’assemblée. Pour mériter la charge d’Aramila, il semblait nécessaire d’endurer les dards de son soleil cuisant.
La femme de lettres secoua négligemment de la tête en apprenant de sa Sainteté Edralden que le projet d’immigration ne concernait que dix personnes. Cela lui rendrait la tâche plus facile d’inviter seulement dix ingénieurs. Sur les centaines de propositions directes qu’elle avait émises jusqu’ici, bien peu s’étaient laissés convaincre. Mieux valait donc dix que cent. Même accompagnés de leurs familles, les chances étaient faibles qu’ils disséminent l’hérésie en Aramila ! Donc, pourquoi tant de grabuge ?
Jeu 13 Juin 2024 - 22:11
Le tapage autour de Vamis s'amplifie. Sylas semble peiner à contenir les esprits frustrés des radicaux, qui se frictionnent et s'échauffent. Mais mettons nous à sa place, pourquoi devrait-il écouter ces paysans arriérés à la fourche facile ?
- DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! crie le voisin de gauche du robot. Le souci de Vamis c'est qu'il est peu au fait des gants qu'il convient d'enfiler lorsqu'on manipule de si délicats sujets. Il enregistre les protestations de la foule, les laisse pénétrer son cerveau, elles deviennent les siennes. Vamistul n'est qu'un esclave au service du Programme, et le Programme bout de rage, une rage bête et mécanique. C'est à cause du module d'empathie, qui a engrangé une quantité colossale de colère et de consternation, puisque ce sont les sentiments majoritaires des fondamentalistes peinés par les discours de l'archêvéque. Ceux-ci forment un véritable petit marais de haine dans lequel le robot sensible patauge.
En surcharge critique, le module impose une libération immédiate, sans quoi la tête de notre malheureux vagabond peut -littéralement- prendre feu d'une seconde à l'autre, ce qui n'aiderait pas à refroidir l'ardeur des débats.
- DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! DÉGAGE SYLAS ! TOCARD !, qu'il déclame, diffusant en boucle l'enregistrement du brave homme à sa gauche, dans une version altérée de sa voix, dégradée par les micros du vieux robot.
- Ferme là, abruti ! peste Virgil car c'est à son tour d'avoir un petit oiseau coléreux qui lui crache dans les oreilles.
Quand une armoire à glace vient le bousculer, le robot coupe ses micros aussitôt ; persuadé que ça y est, ils savent, ils vont lui ôter sa cape et taper très fort dans sa carcasse, et lui cabosser jusqu'à son âme. Chance, il s'agit simplement d'un gros rustre pressé qui aura eu le mérite de ramener Vamistul à la réalité.
- Comment vas-tu ?
- mieux - Aramila est ma mère adoptive douce et aimante - l'imaginer se faire envahir par ce monde cruel me rend tout chose
- La politique ne te réussit guère, mon ami, commente Virgil en fendant son bec d'un sourire tordu. Puis-je te suggérer de changer de place ?
Les regards pantois de ses voisins de rang ne laissent que peu de doute, ils aimeraient savoir qui est ce perroquet éraillé, ce n'est qu'une question de temps avant que l'un d'entre eux ne décide de regarder sous la jupe de Vamis. Et pourquoi il papote à voix basse avec son pigeon ? Bah ça commence à puer l'hérésie par ici et on sait tous qui a pété.
Le robot s'éclipse en vitesse, profitant du chemin dégagé dans la foule par le gros type durant son passage. Il s'agit de se dénicher un coin pépère davantage en hauteur, dos à un mur, blotti dans des gradins moins excités. Quelques péons tirent sur le voile de Vamistul, mais celui-ci s'agrippe trop fermement à sa couverture, son assurance-vie, pour la laisser filer si facilement.
La surcharge du module d'empathie se poursuit, et elle se poursuivra tant que les débats ne s'apaiseront pas. C'était surement une sottise monumentale de venir, mais lorsque le Programme ordonne, Vamistul obéit. Il suit aveuglément son chemin de lumière, dut-il le conduire à la décharge, au bûcher ou dans les limbes.
Et qu'en pense Virgil ? Rien de particulier, la colombe gratifie le robot de son mesquin sourire de piaf.
- DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! crie le voisin de gauche du robot. Le souci de Vamis c'est qu'il est peu au fait des gants qu'il convient d'enfiler lorsqu'on manipule de si délicats sujets. Il enregistre les protestations de la foule, les laisse pénétrer son cerveau, elles deviennent les siennes. Vamistul n'est qu'un esclave au service du Programme, et le Programme bout de rage, une rage bête et mécanique. C'est à cause du module d'empathie, qui a engrangé une quantité colossale de colère et de consternation, puisque ce sont les sentiments majoritaires des fondamentalistes peinés par les discours de l'archêvéque. Ceux-ci forment un véritable petit marais de haine dans lequel le robot sensible patauge.
En surcharge critique, le module impose une libération immédiate, sans quoi la tête de notre malheureux vagabond peut -littéralement- prendre feu d'une seconde à l'autre, ce qui n'aiderait pas à refroidir l'ardeur des débats.
- DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! DÉGAGE SYLAS ! TOCARD ! DÉGAGE SYLAS ! TOCARD !, qu'il déclame, diffusant en boucle l'enregistrement du brave homme à sa gauche, dans une version altérée de sa voix, dégradée par les micros du vieux robot.
- Ferme là, abruti ! peste Virgil car c'est à son tour d'avoir un petit oiseau coléreux qui lui crache dans les oreilles.
Quand une armoire à glace vient le bousculer, le robot coupe ses micros aussitôt ; persuadé que ça y est, ils savent, ils vont lui ôter sa cape et taper très fort dans sa carcasse, et lui cabosser jusqu'à son âme. Chance, il s'agit simplement d'un gros rustre pressé qui aura eu le mérite de ramener Vamistul à la réalité.
- Comment vas-tu ?
- mieux - Aramila est ma mère adoptive douce et aimante - l'imaginer se faire envahir par ce monde cruel me rend tout chose
- La politique ne te réussit guère, mon ami, commente Virgil en fendant son bec d'un sourire tordu. Puis-je te suggérer de changer de place ?
Les regards pantois de ses voisins de rang ne laissent que peu de doute, ils aimeraient savoir qui est ce perroquet éraillé, ce n'est qu'une question de temps avant que l'un d'entre eux ne décide de regarder sous la jupe de Vamis. Et pourquoi il papote à voix basse avec son pigeon ? Bah ça commence à puer l'hérésie par ici et on sait tous qui a pété.
Le robot s'éclipse en vitesse, profitant du chemin dégagé dans la foule par le gros type durant son passage. Il s'agit de se dénicher un coin pépère davantage en hauteur, dos à un mur, blotti dans des gradins moins excités. Quelques péons tirent sur le voile de Vamistul, mais celui-ci s'agrippe trop fermement à sa couverture, son assurance-vie, pour la laisser filer si facilement.
La surcharge du module d'empathie se poursuit, et elle se poursuivra tant que les débats ne s'apaiseront pas. C'était surement une sottise monumentale de venir, mais lorsque le Programme ordonne, Vamistul obéit. Il suit aveuglément son chemin de lumière, dut-il le conduire à la décharge, au bûcher ou dans les limbes.
Et qu'en pense Virgil ? Rien de particulier, la colombe gratifie le robot de son mesquin sourire de piaf.
Ven 14 Juin 2024 - 2:56
"Mo'agarah craché, ça." observa Ariel Selimevna Vorobeva. A ses côtés, son interlocutrice, dotée d'une tenue complexe et massive couvrant son corps et voilant son visage, tourna sa tête autant que faire se peut.
"La correction, où la contre-proposition ?" Fit cette dernière. Ariel n'était pas sûr si son intérêt était feint.
"Les deux."
"Certes. Mais c'est une bonne chose. Le decorum nous viens des Esprits, et à raison."
Ariel hocha la tête, essaya de dévisager à son tour la femme voilée. Et malgré le fait qu'elle était son arrière-grand-mère, elle savait que derrière ce voile se cachait le visage d'une femme qui n'avait pas l'air d'avoir vécu plus d'une trentaine d'hivers. Pourtant, Ariel n'avait pas de mal à concevoir que chaque personne siégeant à la tribune avait été éduqué par elle directement, ou par un de ces anciens élèves, ou même par un de ses nombreux descendants. Et que cette multitude ait créé, à son tour, la multitude d'opinions siégeant actuellement à l'assemblée.
"C'est le decorum qui t'importe ? On parle de ramener des épistopolitains à Aramila, et c'est ça qui te préoccupe ?" lâcha Ariel en grossissant le trait, espérant une réaction un peu plus animée d'Ahavah, mais sans trop d'espoir. La Veilleuse Aramilane était peut-être l'un des premiers fondamentalistes orthopraxes, elle n'en était pas moins de ceux qui étaient quiétiste, prônant l'éducation et la purification par la pédagogie, non pas la politique. Et c'est d'ailleurs pour ça que lorsque certains hurlèrent dans l'assemblée, Ahavah lâcha un "Pthelios vous guide" de désapprobation. Voyant son agacement visible devant un drôle qui, à quelque mètres d'eux, scandait ses insultes à tue-tête, Ariel prit l'initiative d'essayer de le confronter.
Dans un univers parallèle, Ariel aurait probablement soulevé la capuche de l'agitateur pour attirer son attention et le calmer, ce qui aurait probablement fini avec Vamistul dévoilé puis condamné au supplice de l'ouvre-boîte. Mais cet univers parallèle aux nombreux ouvre-boîtes de toutes tailles n'était pas celui en question dans le cadre de notre histoire; dans celui-ci, un homme imposant s'interpose et calme l'insurgé. Une autre fois, peut-être...
Dans tous les cas, Ariel considérait en avoir vu assez. D'un signe de la main, elle annonça à Ahavah qu'elle rentrait à la maison. L'ange ne réagissait pas, voulant sans doute regarder la suite de l'événement. Si les discussions internes du gouvernement étaient probablement ce qui faisait avancer les choses à Aramila -lorsqu'elles avançaient, chose extrêmement rare- les audiences étaient un très bon moyen d'établir le degré de confiance du peuple envers ses dirigeant. Ahavah en était consciente de l'objectif d'une telle manoeuvre, et était très curieuse de ce qu'il en résulterait. Les réactions visibles en tout cas, laissaient à penser au moins une frange n'était pas du tout convaincue.
"La correction, où la contre-proposition ?" Fit cette dernière. Ariel n'était pas sûr si son intérêt était feint.
"Les deux."
"Certes. Mais c'est une bonne chose. Le decorum nous viens des Esprits, et à raison."
Ariel hocha la tête, essaya de dévisager à son tour la femme voilée. Et malgré le fait qu'elle était son arrière-grand-mère, elle savait que derrière ce voile se cachait le visage d'une femme qui n'avait pas l'air d'avoir vécu plus d'une trentaine d'hivers. Pourtant, Ariel n'avait pas de mal à concevoir que chaque personne siégeant à la tribune avait été éduqué par elle directement, ou par un de ces anciens élèves, ou même par un de ses nombreux descendants. Et que cette multitude ait créé, à son tour, la multitude d'opinions siégeant actuellement à l'assemblée.
"C'est le decorum qui t'importe ? On parle de ramener des épistopolitains à Aramila, et c'est ça qui te préoccupe ?" lâcha Ariel en grossissant le trait, espérant une réaction un peu plus animée d'Ahavah, mais sans trop d'espoir. La Veilleuse Aramilane était peut-être l'un des premiers fondamentalistes orthopraxes, elle n'en était pas moins de ceux qui étaient quiétiste, prônant l'éducation et la purification par la pédagogie, non pas la politique. Et c'est d'ailleurs pour ça que lorsque certains hurlèrent dans l'assemblée, Ahavah lâcha un "Pthelios vous guide" de désapprobation. Voyant son agacement visible devant un drôle qui, à quelque mètres d'eux, scandait ses insultes à tue-tête, Ariel prit l'initiative d'essayer de le confronter.
Dans un univers parallèle, Ariel aurait probablement soulevé la capuche de l'agitateur pour attirer son attention et le calmer, ce qui aurait probablement fini avec Vamistul dévoilé puis condamné au supplice de l'ouvre-boîte. Mais cet univers parallèle aux nombreux ouvre-boîtes de toutes tailles n'était pas celui en question dans le cadre de notre histoire; dans celui-ci, un homme imposant s'interpose et calme l'insurgé. Une autre fois, peut-être...
Dans tous les cas, Ariel considérait en avoir vu assez. D'un signe de la main, elle annonça à Ahavah qu'elle rentrait à la maison. L'ange ne réagissait pas, voulant sans doute regarder la suite de l'événement. Si les discussions internes du gouvernement étaient probablement ce qui faisait avancer les choses à Aramila -lorsqu'elles avançaient, chose extrêmement rare- les audiences étaient un très bon moyen d'établir le degré de confiance du peuple envers ses dirigeant. Ahavah en était consciente de l'objectif d'une telle manoeuvre, et était très curieuse de ce qu'il en résulterait. Les réactions visibles en tout cas, laissaient à penser au moins une frange n'était pas du tout convaincue.
Ven 14 Juin 2024 - 10:22
Le moinillon s’était laborieusement glissé au travers de la foule pour s’extraire des gradins, avec pour seul avantage d’aller à contrecourant du mouvement général. Les autres spectateurs étaient ravis de le laisser passer, et s’emparer de sa place.
Contrairement aux membres de la garde sacrée, qui se tendirent aussitôt qu’il approcha des accès réservés aux tribuns. Mais il se contenta d’attendre à neuf distances de bras d’eux pendant quelques minutes, sans croiser leurs regards. Jusqu’à ce que Madèle, sa coreligionnaire, traverse au pas de course le point de contrôle, l’attrape par le bras et le tracte à sa suite en direction des coulisses de la tribune. Adressant pour toute explication un sourire resplendissant aux deux soldats.
-Madame?, réagit l’une des gardes.
-C’est mon assistant ♡, justifia-t-elle de son ton le plus charmeur.
-........., renchérit l’autre sur son ton le plus charmeur.
Ce qui suffit toutefois à apaiser les vigiles. Ca arrivait tout le temps, que les tribuns laissent leurs aides dans le public, pour finalement leur demander de venir. Les gardes imposèrent toutefois de le fouiller et prirent soin de mémoriser son nom et son visage, en l’astreignant à revenir se manifester auprès d’eux au moins une fois par heure, ainsi qu’au moment où il quitterait les lieux.
Et une fois libres, Ryosuke se retrouva tiré à grandes enjambées au travers de couloirs mêlant faste et solennité religieuse, sans chercher à poser son regard sur quoi que ce soit d’autre que l’épaule de son aînée.
-Hm…?, demanda-t-il.
-Besoin d’un avis neutre. Les gens se sont tous enflammés un peu vite sur le sujet, ils commencent déjà à se la jouer tas de factions plutôt que de discuter. Et je voudrais du froid. Faire venir des opales et des pistos pour améliorer l’agriculture, ça t’évoque quoi?
-... qu’est-ce que tu veux voter?
La question lui vint naturellement. Si elle avait besoin d’un interlocuteur pour lui permettre de faire des aller-retours en questions et raisonnements, l’aider à affiner son avis, étayer ses propos, alors il pouvait l’aider, oui.
-Nonon, dis moi juste ce que tu penses. Je ne veux pas t’orienter.
A chaud, la moniale penchait naturellement en faveur de la requête, ne serait-ce que pour sa finalité. Mais le moyen qui était proposé lui évoquait un quelque chose de dérangeant qui devenait d’autant plus désagréable que la proposition venait d’un archevêque. Alors, elle voulait l’avis de quelqu’un qui voyait le mal partout en s’attachant au pire, afin de lui fournir une base crue, à défaut d’être saine, qu’elle pouvait filtrer à sa guise pour la réorienter. Et son petit compagnon le faisait très bien, pour peu qu’on arrive à le faire parler. Et elle avait quinze ans de pratique sur le sujet. Bien qu’elle ait neuf ans de plus que lui, ils avaient grandi ensemble, et elle aussi avait réussi à l’apprivoiser, à force de patience et de bonne volonté. Il n’était pas méchant.
Malheureusement, il resta silencieux, à la suivre sans réagir. Le petit moine était d’un genre cadenassé qui ne voyait pas le moindre intérêt à s’exprimer, d’ordinaire. Ce qu’il pouvait avoir à dire n’avait pas de valeur : il n’était ni acteur, ni sachant, ni expert, ni levier de quoi que ce soit. Ca n’était pas son rôle. Et discourir, débattre, c’était un jeu inutile. Une corvée fastidieuse ou un jeu de mauvaise foi pour les intéressés qui y avaient de l’intérêt. Il ne se fatiguait pas.
-... ah oui, la question paralysante, j’avais oublié. On va essayer autre chose, je détaille un peu plus. Tu étais en pèlerinage à Renon il n’y a pas longtemps, tu es avec Oboro tous les jours, elle parle tout le temps de comment c’est ici par rapport à ‘pisto. Tu as déjà assisté à plusieurs sermons sur le thème de la science et de nos voisins, tu en as donnés plusieurs. Ca n’est pas mon domaine. Tu peux m’apprendre des choses que je ne sais pas, en t’appuyant sur ça?
Il remua légèrement. Et ses yeux s’animèrent, encore teintés de vitreux, mais errant maintenant d’un élément de plafond à un autre tandis qu’il préparait ses phrases. Oui, elle savait le manier.
-C’est une fausse bonne idée, commença-t-il. Mais vu comment il la présente…
Il ne continua pas. Il n’était pas vraiment sûr. Est-ce qu’il devait vraiment dire ce qu’il pensait? Peu importe? Mais elle le lui avait demandé, et elle avait l’air de croire que ça pourrait lui servir. Parce qu’elle était du genre à oeuvrer à la tribune en y croyant vraiment, et que ce qu’elle faisait ici avait un sens et une utilité. Ce à quoi il ne croyait pas du tout. Mais si elle lui demandait…
-... je pense qu’il est complètement con et que c’est très dangereux.
Madèle esquissa un sourire, mais jeta regard aux alentours, histoire de s’assurer qu’il n’y avait pas d’oreilles sensibles dans les parages et qu’ils étaient bien seuls. D’autant plus que Ryo ne prenait pas spécialement soin de baisser le ton. Ou de mâcher ses mots. Aussi pour ça qu’elle voulait l’écouter. Par précaution, elle l’amena dans un coin isolé, pas trop loin de son accès à la tribune, mais suffisamment quand même.
-Vas-y?
-Qu’est-ce qu’il propose? Il n’a rien détaillé. Les sorciers d’opale et d’epistopoli ne font pas des miracles, ils seront incapables de faire autre chose que de conseiller les techniques d’opale et d’epistopoli. C’est ce qu’ils ont fait à renon, et que tout le monde sait des autres cités. Il parle d’infrastructures, il ne dit jamais ce que c’est. Si c’est des techniques d’agriculture, ça voudra dire des engrais chiniques, des machines, des paisticides. C’est ce qu’ils utilisent. Donc des usines pour fabriquer les trois, des mines pour récolter ce qu’il faut pour les fabriquer, et des hybrotarbures pour nourrir les machines. Et des gens pour y travailler. Et des infrastructures pour transporter toutes les quantités de tout ça qui seront fabriquées. Et du ciment et de l’acier pour construire ces usines. Donc des usines pour fabriquer du ciment et de l’acier, et des mines pour les alimenter. Du fer et je ne sais pas quoi. Et encore plus de personnes pour y travailler. C’est autant de gens qui ne vivront plus normalement, et autant de lieux qu’on va complètement transformer pour le permettre. Parce qu’on ne peut pas changer juste une chose sans toucher au reste. On a déjà des mines et des manufactures, mais les proportions ne sont pas du tout les mêmes, il faudra davantage.
Et tout ça, ils ne pourraient pas l’acheter depuis les autres pays, parce que ça leur coûterait beaucoup plus cher que ce qu’ils pouvaient se permettre. En plus de les mettre dans une situation de dépendance dont les autres abuseraient volontiers. Madèle ne posa pas la question, connaissant déjà la réponse. Au lieu de ça, elle se contenta de tirer une plume, un pot d’encre et une feuille de papier de la sacoche de son ancien novice, et s’installa sur un coin de table destiné aux délibérations privatives des tribuns. En se calant bien profondément sur la banquette qui faisait toute la longueur du mur adjacent, assez large pour également servir de lit de fortune étonnamment confortable aux tribuns qui restaient trop longtemps en ces lieux.
-Donc creuser le détail, anticiper ce qu’ils pourraient proposer et mettre tout de suite des limites sur ce qu’on veut refuser. Mais si on restreint tout ça à une zone restreinte qui devrait faire des excédents alimentaires pour le reste du pays, comme Renon avant, ça devrait globalement le faire, non? Ca ne va pas déborder.
-Ca, c’est le deuxième point qui manque dans ce qu’il dit. Soit il ment à ce sujet, soit il le cache. Soit il n’en a pas conscience, mais ça serait surprenant.
-De quoi tu parles?
-Mettons qu’on accepte la science d’épistopoli pour aider aux cultures. Parce que les gens doivent manger, c’est un besoin vital. Il faudrait être un crétin ou un monstre réfractaire et dangereux pour s’opposer à ça. Un fondamentaliste qui pousse à l’immobilisme le respect des traditions avant les réalités matérielles. Demain, on pourra aussi affirmer que ça serait aussi une bonne chose d’accepter la science d’épistopoli pour pouvoir se soigner. Parce que les gens ont besoin de se soigner, c’est aussi important que de manger si on veut pouvoir vivre. Là encore, il n’y aurait qu’un monstre pour plaider de laisser la nature et les dieux décider du sort des malades et des blessés quand on peut les soigner. Alors on fera encore des usines, des cultures, des mines, des infrastructures pour pouvoir permettre ça. Et après, ça sera autre chose. Ca pourrait être les armes. Le pays a besoin de se défendre contre ses voisins qui inventent toujours de meilleures armes, et qui n’hésiteront pas à nous envahir s’ils y trouvent soudain un intérêt et une occasion. On peut regarder renon, là où c’est très flagrant. Ou bien xandrie, ou ça prend une autre forme.
En effet, il y avait déjà plusieurs voix dans la tribune qui voulaient qu’on fasse ça, avant même de se soucier des cultures. Mettre l’armée à la page, pour se défendre de ‘pisto, ou reprendre Renon. Et ces voix n’étaient que l’écho d’une volonté populaire aux proportions difficiles à cerner. Plusieurs officiels de la garde sacrée étaient connus pour être de ce bord, sans pour autant s’être exprimés officiellement à l’encontre de la position officielle de l’armée.
-Alors il faudra se mettre au niveau, et faire encore des usines pour avoir toutes ces armes, des mines pour avoir les matériaux, et construire tout ce qu’il faut par dessus pour supporter ces nouveaux travailleurs, ces nouvelles marchandises, ces nouveaux modes de vie. Et ça ne sera que le début. L’archevêque a plaidé que le pays ne parvient déjà pas à nourrir sa population actuelle, mais il faut aussi lui permettre de vivre. Les gens ont besoin d’habitations, de meubles, d’outils, de vêtements. Mais un ouvrier a moins de temps qu’un aramilan pour se fabriquer un meuble, tricoter un vêtement, réparer le toit de sa maison. Les manufactures et les petits artisans ne pourront pas suivre, tout sera plus difficile à obtenir, les prix vont monter. Donc on fera des usines pour qu’ils puissent acheter tout ça.
C’est vrai que la seule spécimen d’épistote qu’ils connaissaient étaient une jeune femme qui savait tout juste coudre pour rafistoler ses vêtements, rien de plus. Elle était de bonne volonté, pouvait lire et écrire, connaissait beaucoup de choses liées aux usines et aux machines, mais… un enfant savait mieux s’y prendre qu’elle pour faire vivre une maison sans avoir besoin d’aller acheter quoi que ce soit. Et pourtant, à la voir et la côtoyer, ça n’était pas qu’elle était empotée. Juste qu’elle n’avait pas la même vie.
-Mais pour faire des meubles, il faudra beaucoup de bois, donc des scieries, et encore plus d’outils. Et ça tombe bien, parce que la science d’epistopoli propose des techniques qui permettent de raser les forêts assez rapidement pour nourrir leurs machines et satisfaire les besoins de tout le monde.
-D’accord d’accord, j’ai compris l’idée. Et ça fera comme Renon, à la louche. On ravage la campagne en multipliant les mines et rasant les forêts… d’autant plus qu’il y aura encore plus de monde si on est soudain capables de nourrir et de soigner les gens. Ca se voit chez les voisins. Et ça continuera pour encore d’autres choses, parce que ça sera nécessaire.
-Et même si ça n’est pas strictement nécessaire, on pourra venir faire un beau débat avec de beaux discours à la tribune pour justifier tout ça. Comme on le fait aujourd’hui. On s’habituera au confort, on en voudra toujours plus, et on sera toujours capable de le justifier. On dira peut-être que c’est pour le bien du peuple, si on ne parvient pas à travestir les interprétations religieuses pour en faire l’argument principal. C’est peut-être ça que veulent les kobols, et qu’ils ont été plantés dans le paysage religieux en sortant de nul part. Forcer la théologie à s’adapter pour dégager de la place pour le progrès et le confort.
-Mais du coup, ça ne serait pas une bonne chose si tous les gens vivaient mieux parce qu’on ferait comme les autres? Des usines et des ouvriers?
Il ne répondit pas, parce qu’il n’avait pas la réponse. Mais elle-même cernait le sentiment général qui entourait cette question. Les “autres” ne vivaient pas vraiment mieux que les aramilans. Ca n’était pas comme si opale et épistopoli avaient enrayé la misère et la pauvreté. Et leurs structures sociales étaient devenues encore plus folles qu’elles ne l’étaient avant, comme si la technologie avait accentué leurs travers. Chez opale, ils avaient juste décidé qu’ils allaient devenir encore plus riches et puissants qu’avant. Lire : “arrogants et cupides”, avec une oligarchie de bourgeois exploitant tous les autres. Chez epistopoli, c’était une oligarchie de savants qui sacrifiaient absolument tout pour pousser leur culte du démon de la science, avec une ferveur encore plus irrationnelle et fanatique que ce qu’ils avaient rejeté à la chute de Sancta. Ils n’avaient pas changé d’attitude, simplement changé de cap. En se donnant les moyens de faire pire.
Mais les deux étaient devenus complètement fous, à toujours vouloir plus, et Aramila était Aramila parce qu’elle n’avait pas mis le pied dans ce bain. Certainement par respect pour les vertus panthéistes. Aussi Madèle formula elle-même sa réponse, sans chercher de réaction.
-Le moment où on ne fait pas comme les autres, c’est maintenant, pas après. Croire qu’on pourra faire comme eux sans se corrompre nous aussi, parce que nous resterons attentifs à bien respecter les enseignements des douze. Est-ce que c’est pêcher par arrogance, prendre un risque stupide? Ou est-ce que c’est possible?
-...
-Ca doit être la question que se posent beaucoup de gens avant de faire des choses stupides. “S’il y a un doute, c’est qu’il est déjà trop tard.” Ah, attends, non ça pour les retards de règles.
-...
-Eh, je voulais faire une blague.
-...
-Bon ok, mauvais client. D’accord. Mais si on recule, Opale a toujours été mercantiliste, Sancta a toujours été radicale-extrémiste. Nous, notre travers dans le grand ordre des choses, c’est qu’on est trop prudents. C’est pas bon signe?
-...
-S.O.S., ping-pong pour réfléchir, une réaction s’il te plaît.
-..., souffla-t-il finalement. Je pense que c’est plus dangereux que ça. Un peu comme de l’opium. On se dit qu’on va être prudent ou pragmatique en voulant s’en servir, juste pour soulager un blessé le temps de l’opérer, et on devient dépendant. C’est une drogue. Si on met un premier pied dans le bassin, on goûte le poison et on ne résistera pas. “Juste une bouchée”. C’est ce que dit l'archevêque. C’est aussi ce que dit un enfant qui approche d’un tas de sucreries. Mais si on regarde ses victimes, la science n’empoisonne pas juste les âmes et les sociétés, elle empoisonne aussi les terres. Il suffit de voir renon. Ils produisaient des excédents agricoles pour tout le pays il y a quarante ans, maintenant ils en seraient incapables. La terre y est morte, l’air est toxique. Les usines d’hybrotarbures rejettent des brouillards aussi denses que la brume, ils appellent ça le smog. Quand le temps est mauvais, on y voit pas mieux que dans une tempête de sable. Et ça empoisonne les gens, petit à petit.
-Renon ça marche pas. Ca leur a été imposé, objecta la tribune.
-Mais ça montre ce que la science et la technologie réclament comme sacrifices. Epistopoli a arbitré que les terres de renon étaient mieux employées à miner des hybrotarbures et du paitrol plutôt qu’à faire pousser des céréales, parce que ça s’insérait mieux dans son organisation générale.
-Du paitrol, c’est quoi?
-Une sorte de vase toxique qui leur sert à nourrir leurs machines. Comme les hybrotarbures, mais pas exactement.
Lui-même ne savait pas. Il avait essayé d’interroger sa novice et d’autres personnes, à renon, mais personne n’avait été capable de lui formuler une réponse qui voulait dire quelque chose. “De l’aissence”. “Du masoute”. “Du bainesaine”. “De l’or noir”. C’était juste des noms ou des périphrases, pas des explications. Comme si personne ne savait réellement ce que c’était, même ceux qui s’en servaient au quotidien.
-Et avec son paitrol, reprit-il, epistopoli peut mieux faire partout sur le reste, grâce à ses machines. Au point qu’elle y a mis le gros de son armée. Tant pis pour la région. Et c’est le genre d’arbitrages qu’ils ont fait des milliers de fois.
-Et si ça se trouve, c’est un arbitrage qu’Edralden vient de faire. Sans vraiment le formuler.
-...
Ca la ramenait à son tout premier point : le fait qu’une proposition de ce genre vienne d’un archevêque. Ca n’était pas normal.
-Ou alors il accepte de prendre le risque, pourvu qu’il y ait le résultat.
-...
-Ou alors il n’a pas poussé la réflexion jusque là parce qu’on psychote dans le vent et veut juste voir ce que ses invités pourraient proposer avant de réfléchir.
-...
-Ouais, non.
-...
-Ou alors il fait exprès, et a décidé qu’Aramila se porterait mieux si jamais elle aussi elle sautait à pieds joints dans la science. Ou alors c’est devenu un de ces fous qui veulent propager la science pour elle-même, comme les pistos. Sous couvert de progrès et d’amélioration, de pragmatisme, de bonne volonté, de prudence… et d’innocence. Comme tu as dit, personne ne dira non au fait qu’il faut prévenir les famines. La question, c’est où on met la ligne rouge. En sachant que si même on en met une, on aura toujours quelqu’un pour essayer de la repousser.
-...
-Mais à court terme, ça n'a pas d'importance. D’accord, merci. Merci beaucoup.
La nouvelle question devenait… auprès de qui plaider ça? Elle n’interrogea pas son cadet, sachant pertinemment qu’il serait incapable de proposer qui que ce soit. Ou plutôt, qu’il renierait tous les choix, pessimiste sur tous, ne voyant que le pire dans chacun.
Les fondamentalistes allaient faire obstruction pour des raisons qui leurs étaient propres en étant imperméables à tout ce qu’il venait de dire : pas la peine d’espérer qu’ils délaissent leur ahad débité avec aplomb pour relayer des arguments rationnels. Mais Madèle savait qu’un grand nombre de leurs membres étaient beaucoup plus raisonnables et habiles que ce qu’il leur prêtait, faisant preuve d'un sincère attachement aux vertus panthéistes.
L’archevêque de Renon pousserait en faveur de la science appliquée dans l’armée pour récupérer son diocèse coûte que coûte, quand bien même il était perdu et défiguré à jamais : l’arrivée d’ingénieurs dans le pays constituerait un développement favorable à ses plans, peu importe leur emploi. Mais la moniale estimait qu’il était aussi le mieux placé, et celui qui aurait le plus de poids, pour avoir conscience et témoigner des ravages de l’industrialisation sur ses terres.
La voix du bazar s’était déjà exprimée en faveur de la charité et de l’aumône au détriment de la prudence, prête à embrasser la science si c’était le prix à payer pour pouvoir aider le peuple : sa position était claire, Ryosuke ne la voyait pas se rétracter, peu importe ce qu’on pourrait lui dire. Mais son aînée la connaissait et l’appréciait énormément, les deux étaient régulièrement animées par les mêmes intentions. Si elle parvenait à ce qu’elle conditionne son soutien à des réserves strictes sur ce qu’ils feraient de la science, ce serait déjà mieux. Ou l’inciter à trouver une autre solution à ce problème, et retirer son appui à l’archevêque.
Quant au tribun d’Etyr, qui avait précisément fait preuve de scepticisme et publiquement exigé des explications à l’archevêque… on aurait pu s’attendre à ce que le petit moine lui accorde davantage de crédit. Mais Ryo se contentait de le rejeter mentalement lui aussi, par principe, parce qu’il n’avait pas besoin de s’appuyer sur quoi que ce soit de rationnel pour être méfiant. Une impression générale qu'il retournerait sa veste à la seconde où il réaliserait l'étendue des bienfaits de la science, peut-être. Pourtant, son intervention avait été des mieux placées, il était raisonnable.
Non, Ryosuke n’était pas encore assez mature et avait trop de muscles atrophiés sur sa fibre sociale, ça ne servirait à rien de lui demander son avis. Il l’avait déjà assez aidée. Ca serait à elle de choisir de qui se rapprocher. C’était elle, la tribune. Aussi se leva-t-elle, le regard perdu sur les fresques du plafond comme pour mieux réfléchir, à tendre la main vers son ancien oblat, toujours assis, pour lui caresser distraitement le crâne. Avant de se souvenir qu'il n'avait plus huit ans, et qu'ils faisaient la même taille, maintenant. Il n'avait pas bronché, pourtant. Ni eu la moindre réaction.
-Oki, j'y retourne. Tu veux bien rester là s'il te plaît? Si jamais je reveux faire du ping-pong. Tu devrais en profiter pour visiter, c'est vraiment très sympa. Même les toilettes sont folles.
Et à la réflexion, son choix se porta finalement sur…
Contrairement aux membres de la garde sacrée, qui se tendirent aussitôt qu’il approcha des accès réservés aux tribuns. Mais il se contenta d’attendre à neuf distances de bras d’eux pendant quelques minutes, sans croiser leurs regards. Jusqu’à ce que Madèle, sa coreligionnaire, traverse au pas de course le point de contrôle, l’attrape par le bras et le tracte à sa suite en direction des coulisses de la tribune. Adressant pour toute explication un sourire resplendissant aux deux soldats.
-Madame?, réagit l’une des gardes.
-C’est mon assistant ♡, justifia-t-elle de son ton le plus charmeur.
-........., renchérit l’autre sur son ton le plus charmeur.
Ce qui suffit toutefois à apaiser les vigiles. Ca arrivait tout le temps, que les tribuns laissent leurs aides dans le public, pour finalement leur demander de venir. Les gardes imposèrent toutefois de le fouiller et prirent soin de mémoriser son nom et son visage, en l’astreignant à revenir se manifester auprès d’eux au moins une fois par heure, ainsi qu’au moment où il quitterait les lieux.
Et une fois libres, Ryosuke se retrouva tiré à grandes enjambées au travers de couloirs mêlant faste et solennité religieuse, sans chercher à poser son regard sur quoi que ce soit d’autre que l’épaule de son aînée.
-Hm…?, demanda-t-il.
-Besoin d’un avis neutre. Les gens se sont tous enflammés un peu vite sur le sujet, ils commencent déjà à se la jouer tas de factions plutôt que de discuter. Et je voudrais du froid. Faire venir des opales et des pistos pour améliorer l’agriculture, ça t’évoque quoi?
-... qu’est-ce que tu veux voter?
La question lui vint naturellement. Si elle avait besoin d’un interlocuteur pour lui permettre de faire des aller-retours en questions et raisonnements, l’aider à affiner son avis, étayer ses propos, alors il pouvait l’aider, oui.
-Nonon, dis moi juste ce que tu penses. Je ne veux pas t’orienter.
A chaud, la moniale penchait naturellement en faveur de la requête, ne serait-ce que pour sa finalité. Mais le moyen qui était proposé lui évoquait un quelque chose de dérangeant qui devenait d’autant plus désagréable que la proposition venait d’un archevêque. Alors, elle voulait l’avis de quelqu’un qui voyait le mal partout en s’attachant au pire, afin de lui fournir une base crue, à défaut d’être saine, qu’elle pouvait filtrer à sa guise pour la réorienter. Et son petit compagnon le faisait très bien, pour peu qu’on arrive à le faire parler. Et elle avait quinze ans de pratique sur le sujet. Bien qu’elle ait neuf ans de plus que lui, ils avaient grandi ensemble, et elle aussi avait réussi à l’apprivoiser, à force de patience et de bonne volonté. Il n’était pas méchant.
Malheureusement, il resta silencieux, à la suivre sans réagir. Le petit moine était d’un genre cadenassé qui ne voyait pas le moindre intérêt à s’exprimer, d’ordinaire. Ce qu’il pouvait avoir à dire n’avait pas de valeur : il n’était ni acteur, ni sachant, ni expert, ni levier de quoi que ce soit. Ca n’était pas son rôle. Et discourir, débattre, c’était un jeu inutile. Une corvée fastidieuse ou un jeu de mauvaise foi pour les intéressés qui y avaient de l’intérêt. Il ne se fatiguait pas.
-... ah oui, la question paralysante, j’avais oublié. On va essayer autre chose, je détaille un peu plus. Tu étais en pèlerinage à Renon il n’y a pas longtemps, tu es avec Oboro tous les jours, elle parle tout le temps de comment c’est ici par rapport à ‘pisto. Tu as déjà assisté à plusieurs sermons sur le thème de la science et de nos voisins, tu en as donnés plusieurs. Ca n’est pas mon domaine. Tu peux m’apprendre des choses que je ne sais pas, en t’appuyant sur ça?
Il remua légèrement. Et ses yeux s’animèrent, encore teintés de vitreux, mais errant maintenant d’un élément de plafond à un autre tandis qu’il préparait ses phrases. Oui, elle savait le manier.
-C’est une fausse bonne idée, commença-t-il. Mais vu comment il la présente…
Il ne continua pas. Il n’était pas vraiment sûr. Est-ce qu’il devait vraiment dire ce qu’il pensait? Peu importe? Mais elle le lui avait demandé, et elle avait l’air de croire que ça pourrait lui servir. Parce qu’elle était du genre à oeuvrer à la tribune en y croyant vraiment, et que ce qu’elle faisait ici avait un sens et une utilité. Ce à quoi il ne croyait pas du tout. Mais si elle lui demandait…
-... je pense qu’il est complètement con et que c’est très dangereux.
Madèle esquissa un sourire, mais jeta regard aux alentours, histoire de s’assurer qu’il n’y avait pas d’oreilles sensibles dans les parages et qu’ils étaient bien seuls. D’autant plus que Ryo ne prenait pas spécialement soin de baisser le ton. Ou de mâcher ses mots. Aussi pour ça qu’elle voulait l’écouter. Par précaution, elle l’amena dans un coin isolé, pas trop loin de son accès à la tribune, mais suffisamment quand même.
-Vas-y?
-Qu’est-ce qu’il propose? Il n’a rien détaillé. Les sorciers d’opale et d’epistopoli ne font pas des miracles, ils seront incapables de faire autre chose que de conseiller les techniques d’opale et d’epistopoli. C’est ce qu’ils ont fait à renon, et que tout le monde sait des autres cités. Il parle d’infrastructures, il ne dit jamais ce que c’est. Si c’est des techniques d’agriculture, ça voudra dire des engrais chiniques, des machines, des paisticides. C’est ce qu’ils utilisent. Donc des usines pour fabriquer les trois, des mines pour récolter ce qu’il faut pour les fabriquer, et des hybrotarbures pour nourrir les machines. Et des gens pour y travailler. Et des infrastructures pour transporter toutes les quantités de tout ça qui seront fabriquées. Et du ciment et de l’acier pour construire ces usines. Donc des usines pour fabriquer du ciment et de l’acier, et des mines pour les alimenter. Du fer et je ne sais pas quoi. Et encore plus de personnes pour y travailler. C’est autant de gens qui ne vivront plus normalement, et autant de lieux qu’on va complètement transformer pour le permettre. Parce qu’on ne peut pas changer juste une chose sans toucher au reste. On a déjà des mines et des manufactures, mais les proportions ne sont pas du tout les mêmes, il faudra davantage.
Et tout ça, ils ne pourraient pas l’acheter depuis les autres pays, parce que ça leur coûterait beaucoup plus cher que ce qu’ils pouvaient se permettre. En plus de les mettre dans une situation de dépendance dont les autres abuseraient volontiers. Madèle ne posa pas la question, connaissant déjà la réponse. Au lieu de ça, elle se contenta de tirer une plume, un pot d’encre et une feuille de papier de la sacoche de son ancien novice, et s’installa sur un coin de table destiné aux délibérations privatives des tribuns. En se calant bien profondément sur la banquette qui faisait toute la longueur du mur adjacent, assez large pour également servir de lit de fortune étonnamment confortable aux tribuns qui restaient trop longtemps en ces lieux.
-Donc creuser le détail, anticiper ce qu’ils pourraient proposer et mettre tout de suite des limites sur ce qu’on veut refuser. Mais si on restreint tout ça à une zone restreinte qui devrait faire des excédents alimentaires pour le reste du pays, comme Renon avant, ça devrait globalement le faire, non? Ca ne va pas déborder.
-Ca, c’est le deuxième point qui manque dans ce qu’il dit. Soit il ment à ce sujet, soit il le cache. Soit il n’en a pas conscience, mais ça serait surprenant.
-De quoi tu parles?
-Mettons qu’on accepte la science d’épistopoli pour aider aux cultures. Parce que les gens doivent manger, c’est un besoin vital. Il faudrait être un crétin ou un monstre réfractaire et dangereux pour s’opposer à ça. Un fondamentaliste qui pousse à l’immobilisme le respect des traditions avant les réalités matérielles. Demain, on pourra aussi affirmer que ça serait aussi une bonne chose d’accepter la science d’épistopoli pour pouvoir se soigner. Parce que les gens ont besoin de se soigner, c’est aussi important que de manger si on veut pouvoir vivre. Là encore, il n’y aurait qu’un monstre pour plaider de laisser la nature et les dieux décider du sort des malades et des blessés quand on peut les soigner. Alors on fera encore des usines, des cultures, des mines, des infrastructures pour pouvoir permettre ça. Et après, ça sera autre chose. Ca pourrait être les armes. Le pays a besoin de se défendre contre ses voisins qui inventent toujours de meilleures armes, et qui n’hésiteront pas à nous envahir s’ils y trouvent soudain un intérêt et une occasion. On peut regarder renon, là où c’est très flagrant. Ou bien xandrie, ou ça prend une autre forme.
En effet, il y avait déjà plusieurs voix dans la tribune qui voulaient qu’on fasse ça, avant même de se soucier des cultures. Mettre l’armée à la page, pour se défendre de ‘pisto, ou reprendre Renon. Et ces voix n’étaient que l’écho d’une volonté populaire aux proportions difficiles à cerner. Plusieurs officiels de la garde sacrée étaient connus pour être de ce bord, sans pour autant s’être exprimés officiellement à l’encontre de la position officielle de l’armée.
-Alors il faudra se mettre au niveau, et faire encore des usines pour avoir toutes ces armes, des mines pour avoir les matériaux, et construire tout ce qu’il faut par dessus pour supporter ces nouveaux travailleurs, ces nouvelles marchandises, ces nouveaux modes de vie. Et ça ne sera que le début. L’archevêque a plaidé que le pays ne parvient déjà pas à nourrir sa population actuelle, mais il faut aussi lui permettre de vivre. Les gens ont besoin d’habitations, de meubles, d’outils, de vêtements. Mais un ouvrier a moins de temps qu’un aramilan pour se fabriquer un meuble, tricoter un vêtement, réparer le toit de sa maison. Les manufactures et les petits artisans ne pourront pas suivre, tout sera plus difficile à obtenir, les prix vont monter. Donc on fera des usines pour qu’ils puissent acheter tout ça.
C’est vrai que la seule spécimen d’épistote qu’ils connaissaient étaient une jeune femme qui savait tout juste coudre pour rafistoler ses vêtements, rien de plus. Elle était de bonne volonté, pouvait lire et écrire, connaissait beaucoup de choses liées aux usines et aux machines, mais… un enfant savait mieux s’y prendre qu’elle pour faire vivre une maison sans avoir besoin d’aller acheter quoi que ce soit. Et pourtant, à la voir et la côtoyer, ça n’était pas qu’elle était empotée. Juste qu’elle n’avait pas la même vie.
-Mais pour faire des meubles, il faudra beaucoup de bois, donc des scieries, et encore plus d’outils. Et ça tombe bien, parce que la science d’epistopoli propose des techniques qui permettent de raser les forêts assez rapidement pour nourrir leurs machines et satisfaire les besoins de tout le monde.
-D’accord d’accord, j’ai compris l’idée. Et ça fera comme Renon, à la louche. On ravage la campagne en multipliant les mines et rasant les forêts… d’autant plus qu’il y aura encore plus de monde si on est soudain capables de nourrir et de soigner les gens. Ca se voit chez les voisins. Et ça continuera pour encore d’autres choses, parce que ça sera nécessaire.
-Et même si ça n’est pas strictement nécessaire, on pourra venir faire un beau débat avec de beaux discours à la tribune pour justifier tout ça. Comme on le fait aujourd’hui. On s’habituera au confort, on en voudra toujours plus, et on sera toujours capable de le justifier. On dira peut-être que c’est pour le bien du peuple, si on ne parvient pas à travestir les interprétations religieuses pour en faire l’argument principal. C’est peut-être ça que veulent les kobols, et qu’ils ont été plantés dans le paysage religieux en sortant de nul part. Forcer la théologie à s’adapter pour dégager de la place pour le progrès et le confort.
-Mais du coup, ça ne serait pas une bonne chose si tous les gens vivaient mieux parce qu’on ferait comme les autres? Des usines et des ouvriers?
Il ne répondit pas, parce qu’il n’avait pas la réponse. Mais elle-même cernait le sentiment général qui entourait cette question. Les “autres” ne vivaient pas vraiment mieux que les aramilans. Ca n’était pas comme si opale et épistopoli avaient enrayé la misère et la pauvreté. Et leurs structures sociales étaient devenues encore plus folles qu’elles ne l’étaient avant, comme si la technologie avait accentué leurs travers. Chez opale, ils avaient juste décidé qu’ils allaient devenir encore plus riches et puissants qu’avant. Lire : “arrogants et cupides”, avec une oligarchie de bourgeois exploitant tous les autres. Chez epistopoli, c’était une oligarchie de savants qui sacrifiaient absolument tout pour pousser leur culte du démon de la science, avec une ferveur encore plus irrationnelle et fanatique que ce qu’ils avaient rejeté à la chute de Sancta. Ils n’avaient pas changé d’attitude, simplement changé de cap. En se donnant les moyens de faire pire.
Mais les deux étaient devenus complètement fous, à toujours vouloir plus, et Aramila était Aramila parce qu’elle n’avait pas mis le pied dans ce bain. Certainement par respect pour les vertus panthéistes. Aussi Madèle formula elle-même sa réponse, sans chercher de réaction.
-Le moment où on ne fait pas comme les autres, c’est maintenant, pas après. Croire qu’on pourra faire comme eux sans se corrompre nous aussi, parce que nous resterons attentifs à bien respecter les enseignements des douze. Est-ce que c’est pêcher par arrogance, prendre un risque stupide? Ou est-ce que c’est possible?
-...
-Ca doit être la question que se posent beaucoup de gens avant de faire des choses stupides. “S’il y a un doute, c’est qu’il est déjà trop tard.” Ah, attends, non ça pour les retards de règles.
-...
-Eh, je voulais faire une blague.
-...
-Bon ok, mauvais client. D’accord. Mais si on recule, Opale a toujours été mercantiliste, Sancta a toujours été radicale-extrémiste. Nous, notre travers dans le grand ordre des choses, c’est qu’on est trop prudents. C’est pas bon signe?
-...
-S.O.S., ping-pong pour réfléchir, une réaction s’il te plaît.
-..., souffla-t-il finalement. Je pense que c’est plus dangereux que ça. Un peu comme de l’opium. On se dit qu’on va être prudent ou pragmatique en voulant s’en servir, juste pour soulager un blessé le temps de l’opérer, et on devient dépendant. C’est une drogue. Si on met un premier pied dans le bassin, on goûte le poison et on ne résistera pas. “Juste une bouchée”. C’est ce que dit l'archevêque. C’est aussi ce que dit un enfant qui approche d’un tas de sucreries. Mais si on regarde ses victimes, la science n’empoisonne pas juste les âmes et les sociétés, elle empoisonne aussi les terres. Il suffit de voir renon. Ils produisaient des excédents agricoles pour tout le pays il y a quarante ans, maintenant ils en seraient incapables. La terre y est morte, l’air est toxique. Les usines d’hybrotarbures rejettent des brouillards aussi denses que la brume, ils appellent ça le smog. Quand le temps est mauvais, on y voit pas mieux que dans une tempête de sable. Et ça empoisonne les gens, petit à petit.
-Renon ça marche pas. Ca leur a été imposé, objecta la tribune.
-Mais ça montre ce que la science et la technologie réclament comme sacrifices. Epistopoli a arbitré que les terres de renon étaient mieux employées à miner des hybrotarbures et du paitrol plutôt qu’à faire pousser des céréales, parce que ça s’insérait mieux dans son organisation générale.
-Du paitrol, c’est quoi?
-Une sorte de vase toxique qui leur sert à nourrir leurs machines. Comme les hybrotarbures, mais pas exactement.
Lui-même ne savait pas. Il avait essayé d’interroger sa novice et d’autres personnes, à renon, mais personne n’avait été capable de lui formuler une réponse qui voulait dire quelque chose. “De l’aissence”. “Du masoute”. “Du bainesaine”. “De l’or noir”. C’était juste des noms ou des périphrases, pas des explications. Comme si personne ne savait réellement ce que c’était, même ceux qui s’en servaient au quotidien.
-Et avec son paitrol, reprit-il, epistopoli peut mieux faire partout sur le reste, grâce à ses machines. Au point qu’elle y a mis le gros de son armée. Tant pis pour la région. Et c’est le genre d’arbitrages qu’ils ont fait des milliers de fois.
-Et si ça se trouve, c’est un arbitrage qu’Edralden vient de faire. Sans vraiment le formuler.
-...
Ca la ramenait à son tout premier point : le fait qu’une proposition de ce genre vienne d’un archevêque. Ca n’était pas normal.
-Ou alors il accepte de prendre le risque, pourvu qu’il y ait le résultat.
-...
-Ou alors il n’a pas poussé la réflexion jusque là parce qu’on psychote dans le vent et veut juste voir ce que ses invités pourraient proposer avant de réfléchir.
-...
-Ouais, non.
-...
-Ou alors il fait exprès, et a décidé qu’Aramila se porterait mieux si jamais elle aussi elle sautait à pieds joints dans la science. Ou alors c’est devenu un de ces fous qui veulent propager la science pour elle-même, comme les pistos. Sous couvert de progrès et d’amélioration, de pragmatisme, de bonne volonté, de prudence… et d’innocence. Comme tu as dit, personne ne dira non au fait qu’il faut prévenir les famines. La question, c’est où on met la ligne rouge. En sachant que si même on en met une, on aura toujours quelqu’un pour essayer de la repousser.
-...
-Mais à court terme, ça n'a pas d'importance. D’accord, merci. Merci beaucoup.
La nouvelle question devenait… auprès de qui plaider ça? Elle n’interrogea pas son cadet, sachant pertinemment qu’il serait incapable de proposer qui que ce soit. Ou plutôt, qu’il renierait tous les choix, pessimiste sur tous, ne voyant que le pire dans chacun.
Les fondamentalistes allaient faire obstruction pour des raisons qui leurs étaient propres en étant imperméables à tout ce qu’il venait de dire : pas la peine d’espérer qu’ils délaissent leur ahad débité avec aplomb pour relayer des arguments rationnels. Mais Madèle savait qu’un grand nombre de leurs membres étaient beaucoup plus raisonnables et habiles que ce qu’il leur prêtait, faisant preuve d'un sincère attachement aux vertus panthéistes.
L’archevêque de Renon pousserait en faveur de la science appliquée dans l’armée pour récupérer son diocèse coûte que coûte, quand bien même il était perdu et défiguré à jamais : l’arrivée d’ingénieurs dans le pays constituerait un développement favorable à ses plans, peu importe leur emploi. Mais la moniale estimait qu’il était aussi le mieux placé, et celui qui aurait le plus de poids, pour avoir conscience et témoigner des ravages de l’industrialisation sur ses terres.
La voix du bazar s’était déjà exprimée en faveur de la charité et de l’aumône au détriment de la prudence, prête à embrasser la science si c’était le prix à payer pour pouvoir aider le peuple : sa position était claire, Ryosuke ne la voyait pas se rétracter, peu importe ce qu’on pourrait lui dire. Mais son aînée la connaissait et l’appréciait énormément, les deux étaient régulièrement animées par les mêmes intentions. Si elle parvenait à ce qu’elle conditionne son soutien à des réserves strictes sur ce qu’ils feraient de la science, ce serait déjà mieux. Ou l’inciter à trouver une autre solution à ce problème, et retirer son appui à l’archevêque.
Quant au tribun d’Etyr, qui avait précisément fait preuve de scepticisme et publiquement exigé des explications à l’archevêque… on aurait pu s’attendre à ce que le petit moine lui accorde davantage de crédit. Mais Ryo se contentait de le rejeter mentalement lui aussi, par principe, parce qu’il n’avait pas besoin de s’appuyer sur quoi que ce soit de rationnel pour être méfiant. Une impression générale qu'il retournerait sa veste à la seconde où il réaliserait l'étendue des bienfaits de la science, peut-être. Pourtant, son intervention avait été des mieux placées, il était raisonnable.
Non, Ryosuke n’était pas encore assez mature et avait trop de muscles atrophiés sur sa fibre sociale, ça ne servirait à rien de lui demander son avis. Il l’avait déjà assez aidée. Ca serait à elle de choisir de qui se rapprocher. C’était elle, la tribune. Aussi se leva-t-elle, le regard perdu sur les fresques du plafond comme pour mieux réfléchir, à tendre la main vers son ancien oblat, toujours assis, pour lui caresser distraitement le crâne. Avant de se souvenir qu'il n'avait plus huit ans, et qu'ils faisaient la même taille, maintenant. Il n'avait pas bronché, pourtant. Ni eu la moindre réaction.
-Oki, j'y retourne. Tu veux bien rester là s'il te plaît? Si jamais je reveux faire du ping-pong. Tu devrais en profiter pour visiter, c'est vraiment très sympa. Même les toilettes sont folles.
Et à la réflexion, son choix se porta finalement sur…
Ven 14 Juin 2024 - 16:19
Audience extraordinaire
Maitre du Jeu
Les échanges n’allaient pas en se tarissant. Quelle belle machinerie que de voir les voix du peuple en action s’écharper sur les sujets les plus importants pour eux et pour les leurs. Si chaque voix compte, chaque voie n’est pas celle qu’il convient d’emprunter. Bien sûr, jamais la Tribune ne sera d’accord, il y avait toujours un rappel discordant. Jamais la Tribune n’aura totalement raison, mais jamais non plus leur conscience collective n’aura tort. On peut leur retourner au visage, leur relatif immobilisme, l’incursion du profit de leur petite personne parfois au détriment du plus grand nombre.
Échanges aussi bien verbeux que plus physiques, les Tribuns se déplacent, certains pour se désaltérer, chercher un coin d’ombre ou aller discuter avec des conseillers et autres aides. C’est ainsi que Madèle, comme d’autres, revient se placer dans le groupe autour d’Eoline. Hasard ou place chipée, elle se retrouvait plus proche du groupe de Dalmesca. N’y avait-il pas une jonction à faire entre ses deux groupes ? Qu’une ouverture prudente permettrait d’éviter une catastrophe à venir ? Ses sourcils froncés ressassent ce que tu lui as dit Ryo, quelle limite faudrait-il poser si décision il y avait ? N’était-ce pas dans tous les cas croquer dans le fruit défendu ou mettre la main dans un engrenage qui vous l’arrachera ? La digue devait tenir, peut-être faire passer de l’eau, mais réussir à faire barrage tout de même.
Elle tendit les notes griffonnées à un pragmatique qui fit passer le message jusqu’à Pietro. Lisant rapidement la missive dont l’encre venait de sécher. Le tribun d’Etyr jeta un coup d'œil à sa jeune collègue avant que son regard ne se perde dans les gradins en direction d’Arno. Il avait besoin d’encore plus de matière, un rapport complet sur la situation de Renon serait parfait, autant pour connaitre en profondeur la scarification qu’avait connu ses vertes terres que pour avoir un historique plus complet et ainsi savoir où la machine s’était emballée. L’enfer est pavé de bonnes intentions après tout.
Échanges aussi bien verbeux que plus physiques, les Tribuns se déplacent, certains pour se désaltérer, chercher un coin d’ombre ou aller discuter avec des conseillers et autres aides. C’est ainsi que Madèle, comme d’autres, revient se placer dans le groupe autour d’Eoline. Hasard ou place chipée, elle se retrouvait plus proche du groupe de Dalmesca. N’y avait-il pas une jonction à faire entre ses deux groupes ? Qu’une ouverture prudente permettrait d’éviter une catastrophe à venir ? Ses sourcils froncés ressassent ce que tu lui as dit Ryo, quelle limite faudrait-il poser si décision il y avait ? N’était-ce pas dans tous les cas croquer dans le fruit défendu ou mettre la main dans un engrenage qui vous l’arrachera ? La digue devait tenir, peut-être faire passer de l’eau, mais réussir à faire barrage tout de même.
Elle tendit les notes griffonnées à un pragmatique qui fit passer le message jusqu’à Pietro. Lisant rapidement la missive dont l’encre venait de sécher. Le tribun d’Etyr jeta un coup d'œil à sa jeune collègue avant que son regard ne se perde dans les gradins en direction d’Arno. Il avait besoin d’encore plus de matière, un rapport complet sur la situation de Renon serait parfait, autant pour connaitre en profondeur la scarification qu’avait connu ses vertes terres que pour avoir un historique plus complet et ainsi savoir où la machine s’était emballée. L’enfer est pavé de bonnes intentions après tout.
Ce rapport, Pyros Borges, pouvait le fournir. Le conseiller avait néanmoins quitté l’oreille de l’Archevêque de Renon, sans doute à la recherche d’un peu d’ombre lui aussi. Les débats semi-stériles n’intéressent que peu celui qui s’asseyait il y a encore quelques années sur ces bancs. Dans une antichambre, il se concentre sur la lecture de différents documents. Il prend des notes, rature, souligne, est-ce un énième discours pour son Archevêque pour Renon et pour Aramila? Il lève seulement la tête quand, surpris, il n’entend plus aucun son de l’autre côté, sur la scène politique.
Il était des fois où la Tribune pouvait être unanime, pour diverses raisons, l’hydre politique pouvait faire front dans une même direction. Que ce soit pour l’idée de ramener dix individus, seulement dix diront certains alors que la crise menace, que dix qui pourraient faire un meilleur travail que toute la sagesse accumulée au fil des siècles des aramilans ou dix de trop qui risqueraient d’effriter le mur du rempart. Il n’y aurait pas de consensus.
Dernière édition par Arno Dalmesca le Lun 24 Juin 2024 - 13:18, édité 2 fois
Il était des fois où la Tribune pouvait être unanime, pour diverses raisons, l’hydre politique pouvait faire front dans une même direction. Que ce soit pour l’idée de ramener dix individus, seulement dix diront certains alors que la crise menace, que dix qui pourraient faire un meilleur travail que toute la sagesse accumulée au fil des siècles des aramilans ou dix de trop qui risqueraient d’effriter le mur du rempart. Il n’y aurait pas de consensus.
“Vous nous avez fait mander, tous sans exception… Pour dix personnes ? J’espère que plus qu’hommes et femmes de science, ils sont des faiseurs de miracles…” tonna le jeune lion d’Etyr, cherchant le bon mot, encore interloqué et pour briser les secondes de silence. C’était clairement une information qu’il n’avait pas eue de la part d’Ellendrine, il soupçonnait un nombre volontairement réduit lancé par l’Archevêque pour éviter le feu des critiques ou pour assurer qu’il aura la capacité de les surveiller. Loin de ce qu’il faudrait en réalité sur le terrain si le Chef d’État voulait impulser un réel changement.
Faisant une moue attristée, la Voix du Bazar restait silencieuse. Tout ce remue-ménage pour dix personnes ? Elle était d’accord avec le jeune Tribun, surtout que, pour elle et les siens, un accord devait être trouvé. Ils ne pourraient pas endiguer l’exode opalin. Bien sûr, beaucoup de ceux-ci migreront vers leur chère nation alliée, ou vassale selon comme on le voyait, de Xandrie, mais pour les autres… Fallait-il les livrer au désert s’ils venaient chercher la protection ? Il faudrait plus, bien plus.
Mo’agarah et sa suite semblent contents de la tournure que prennent les choses. Même pour dix ingénieurs, ça serait trop pour eux. Alors, voir la Tribune faire front permettait au moins de faire rejeter l’idée globale. Au moins un temps. Les fondamentalistes savent que celui-ci joue en leur faveur, plus on leur laisse de marge de manœuvre et plus ils pourront rappeler leurs préceptes. Ils ne le diront pas ouvertement, mais pouvoir jouer sur la peur de cette ombre étrangère leur assure que le Rempart peut tenir, recroquevillé sur lui-même, hermétique aux influences étrangères, mais ouvert aux enseignements des Douze. Les réponses existent déjà, ce ne sont pas les autres nations qui les ont.
Comme un bouchon qui aurait sauté sous la pression. Le brouhaha redouble d’intensité, cette fois, c’est le public qui s’y mêle. On entend des vociférations, des petits malins qui pensent pouvoir invectiver l’Archevêque. Vamistul, tes modules s’affolent à nouveau. Après avoir réussi à faire illusion et disparaître des radars grâce à Farouk, tu sens bien que des regards se sont tournés vers toi ou continues à t’observer du coin de l'œil.
Dans cette rage, personne n’entend le cliquetis régulier de la machine à écrire d’Ellendrine qui ne s’arrête pas de prendre des notes, là où les plumes des scribes se cassent et les bouteilles d’encre se renversent sur le papier. Ça ne va définitivement pas en s’améliorant. Les Tribuns sont aussi pris à parti directement par la foule. Relais naturels ou cordons de sécurité qu’on imagine entre le peuple et les Archevêques.
Une suspension de séance est demandée. Certains espèrent que ça permettra à certains de retrouver leurs nerfs, d’autres au contraire chercheront à attiser les braises pour que les échanges aillent dans leur sens… Ou pour que la situation se retrouve dans une impasse. Le soleil continue sa course dans le ciel, lui qui avait jusque là était un observateur attentif s'habillait de quelque nuages bienvenus.
Comme un bouchon qui aurait sauté sous la pression. Le brouhaha redouble d’intensité, cette fois, c’est le public qui s’y mêle. On entend des vociférations, des petits malins qui pensent pouvoir invectiver l’Archevêque. Vamistul, tes modules s’affolent à nouveau. Après avoir réussi à faire illusion et disparaître des radars grâce à Farouk, tu sens bien que des regards se sont tournés vers toi ou continues à t’observer du coin de l'œil.
Dans cette rage, personne n’entend le cliquetis régulier de la machine à écrire d’Ellendrine qui ne s’arrête pas de prendre des notes, là où les plumes des scribes se cassent et les bouteilles d’encre se renversent sur le papier. Ça ne va définitivement pas en s’améliorant. Les Tribuns sont aussi pris à parti directement par la foule. Relais naturels ou cordons de sécurité qu’on imagine entre le peuple et les Archevêques.
Une suspension de séance est demandée. Certains espèrent que ça permettra à certains de retrouver leurs nerfs, d’autres au contraire chercheront à attiser les braises pour que les échanges aillent dans leur sens… Ou pour que la situation se retrouve dans une impasse. Le soleil continue sa course dans le ciel, lui qui avait jusque là était un observateur attentif s'habillait de quelque nuages bienvenus.
Dernière édition par Arno Dalmesca le Lun 24 Juin 2024 - 13:18, édité 2 fois
Ven 14 Juin 2024 - 18:33
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
L’effervescence était à son comble. Après les oraisons de l’archevêque succédaient un brouhaha qui s’élevait, crescendo, dans l’arène. Mais, tout naturellement, ce n’était pas la chose qui réussit à momentanément décontenancer l’archevêque. Lui avait tenu, durant ces trentes dernières années – ou presque, puisque la sémantique semble avoir une importance capitale aujourd’hui – à se dresser au contact de la tribune et du peuple pareil à une cible facile. Mais il existait un troisième élément auprès duquel il voulait se mettre à l’épreuve : le temps. Et le soleil, s’il avait continué sa couche, dont la silhouette disparaissait de temps à autre derrière un nuage bien peu épais pour offrir un réconfort véritable, continuait de le faire transpirer. Alors, pour remédier temporairement à ce problème, il leva une main comme pour demander assistance ; assistance qui ne tarda pas à se manifester, alors qu’une âme, discrète, s’approchait pour lui tendre un gobelet d’eau – tiède, mais hydratante – et un morceau de tissus propre, chiffonné tout de même, pour qu’il reprît quelque prestance digne de son rang.
Alors qu’il s’attendait à un échange digne du logos qu’on connaissait à la tribune, il crut entendre une cacophonie s’extraire du tumulte ambiant de la foule de citoyens. Oui, ultimement, son oreille n’entendait plus que des jurons adressés à sa non-éminente attention. De quoi esquisser un sourire jaune, perceptible ou non.
« Il faut bien des idiots du village partout. Les Douze les protègent. » dit-il en buvant une gorgée pour se désaltérer.
Mais son sourire devint plus sincère alors qu’il observait les gens aller et venir, peiner à supporter autant qu’il eût pu la météo ou la situation. Demander conseil là où, lui, avait pris la peine de construire son argumentation, aussi frêle fût-elle. Il avait, jusque-là, paré deux assauts sertis de sophismes répandus. Ce qui devait justifier l’agitation, les aller-retour entre la tribune et le peuple. Mais à quelles fins ?
Et puis, une délivrance, soudaine, salvatrice. La Tribune demandait une suspension d’audience. La question divisait suffisamment le peuple pour que la meilleure décision fût prise, et au point qu’on voulût y réfléchir davantage. Fort heureusement, l’audience était extraordinaire, et celle-ci ne devait pas trancher en temps et en heure. Alors, Sylas, du haut de son perchoir sans protection, haussa les épaules et se déroba momentanément de son rôle de Maître de Cérémonie.
Il se dirigea, de prime abord, dans l’antichambre où se trouvaient les Tribuns avec qui il avait eu des premiers échanges. Sans surprise, il essuya des regards incrédules, trahissant une frustration certaine, un soupçon de colère peut-être ou une once de tristesse qui eût pu émaner de la mine déconfite d’Eoline.
Il toisa tour à tour ses interlocuteurs, s'assurant d’être correctement écouté. Aussi, il planta un regard ferme dans celui de Pietro.
« Ce n’est pas parce que je dis que j’entends vos peurs que je les partage et je n’aime guère votre comédie, Excellence. Si le peuple décide de ne pas solliciter le concours d’un petit comité pour nous faire conseiller sur le développement durable de notre pays, alors je respecterai la volonté des Aramilans. Mais je me battrai pour que cette décision ne soit pas prise sous l’empire de la peur et de la crainte ! »
Son attention se porta alors sur la petite assemblée.
« Dix personnes. Ou Cinq ? Quinze ? Mais point cinquante ! Il faut être plusieurs pour prendre des décisions politiques, mais les inventions qui ont secoué l’histoire de l’humanité proviennent majoritairement d’un comité réduit. Et nos créateurs, ah ! Combien y a-t-il d’esprits qui ont façonné ce que nous sommes dans notre chair ? Douze ! Alors, par souci de je ne sais quelle cohérence religieuse, c’est douze ingénieurs que vous voulez ? Bien sûr que non, cet argument frise le ridicule ! Et il est aussi ridicule que votre intervention faussement larmoyante à la vue de tous ! »
Naturellement, son regard s’était porté à nouveau sur le Tribun à la longue chevelure dorée.
« Nous n’en avons pas fini. Je répète que moi vivant et archevêque, je ne tolérerai aucune supercherie manipulatoire dans mon assemblée. Si l’idée de dix consultants vous déplaît, trouvez des solutions de votre côté et soumettez-les au Concile. C’est aujourd’hui qu’il faut se préoccuper de l’inertie dans laquelle nous sommes empêtrés, car si rien n’est fait, je peux vous garantir que nous n’aurons plus le loisir de déclamer je ne sais quelle rhétorique pour le petit plaisir d’un peuple que nous devons, corps et âme, guider vers son salut, à une époque où nos rapports avec nos voisins sont de plus en plus incertains, où les tensions frontalières et intestines s’accentuent et où les inégalités se creusent. Je n’ai personnellement pas connu la disette, mais j’ai vu suffisamment de gens en souffrir pour admettre que ce n’est pas dans ces conditions qu’Aramila pourra continuer à se dresser, à prospérer, tant par elle-même que sous l’égide des Douze. »
Alors qu’il s’attendait à un échange digne du logos qu’on connaissait à la tribune, il crut entendre une cacophonie s’extraire du tumulte ambiant de la foule de citoyens. Oui, ultimement, son oreille n’entendait plus que des jurons adressés à sa non-éminente attention. De quoi esquisser un sourire jaune, perceptible ou non.
« Il faut bien des idiots du village partout. Les Douze les protègent. » dit-il en buvant une gorgée pour se désaltérer.
Mais son sourire devint plus sincère alors qu’il observait les gens aller et venir, peiner à supporter autant qu’il eût pu la météo ou la situation. Demander conseil là où, lui, avait pris la peine de construire son argumentation, aussi frêle fût-elle. Il avait, jusque-là, paré deux assauts sertis de sophismes répandus. Ce qui devait justifier l’agitation, les aller-retour entre la tribune et le peuple. Mais à quelles fins ?
Et puis, une délivrance, soudaine, salvatrice. La Tribune demandait une suspension d’audience. La question divisait suffisamment le peuple pour que la meilleure décision fût prise, et au point qu’on voulût y réfléchir davantage. Fort heureusement, l’audience était extraordinaire, et celle-ci ne devait pas trancher en temps et en heure. Alors, Sylas, du haut de son perchoir sans protection, haussa les épaules et se déroba momentanément de son rôle de Maître de Cérémonie.
Il se dirigea, de prime abord, dans l’antichambre où se trouvaient les Tribuns avec qui il avait eu des premiers échanges. Sans surprise, il essuya des regards incrédules, trahissant une frustration certaine, un soupçon de colère peut-être ou une once de tristesse qui eût pu émaner de la mine déconfite d’Eoline.
Il toisa tour à tour ses interlocuteurs, s'assurant d’être correctement écouté. Aussi, il planta un regard ferme dans celui de Pietro.
« Ce n’est pas parce que je dis que j’entends vos peurs que je les partage et je n’aime guère votre comédie, Excellence. Si le peuple décide de ne pas solliciter le concours d’un petit comité pour nous faire conseiller sur le développement durable de notre pays, alors je respecterai la volonté des Aramilans. Mais je me battrai pour que cette décision ne soit pas prise sous l’empire de la peur et de la crainte ! »
Son attention se porta alors sur la petite assemblée.
« Dix personnes. Ou Cinq ? Quinze ? Mais point cinquante ! Il faut être plusieurs pour prendre des décisions politiques, mais les inventions qui ont secoué l’histoire de l’humanité proviennent majoritairement d’un comité réduit. Et nos créateurs, ah ! Combien y a-t-il d’esprits qui ont façonné ce que nous sommes dans notre chair ? Douze ! Alors, par souci de je ne sais quelle cohérence religieuse, c’est douze ingénieurs que vous voulez ? Bien sûr que non, cet argument frise le ridicule ! Et il est aussi ridicule que votre intervention faussement larmoyante à la vue de tous ! »
Naturellement, son regard s’était porté à nouveau sur le Tribun à la longue chevelure dorée.
« Nous n’en avons pas fini. Je répète que moi vivant et archevêque, je ne tolérerai aucune supercherie manipulatoire dans mon assemblée. Si l’idée de dix consultants vous déplaît, trouvez des solutions de votre côté et soumettez-les au Concile. C’est aujourd’hui qu’il faut se préoccuper de l’inertie dans laquelle nous sommes empêtrés, car si rien n’est fait, je peux vous garantir que nous n’aurons plus le loisir de déclamer je ne sais quelle rhétorique pour le petit plaisir d’un peuple que nous devons, corps et âme, guider vers son salut, à une époque où nos rapports avec nos voisins sont de plus en plus incertains, où les tensions frontalières et intestines s’accentuent et où les inégalités se creusent. Je n’ai personnellement pas connu la disette, mais j’ai vu suffisamment de gens en souffrir pour admettre que ce n’est pas dans ces conditions qu’Aramila pourra continuer à se dresser, à prospérer, tant par elle-même que sous l’égide des Douze. »
Sam 22 Juin 2024 - 11:38
Audience extraordinaire
des yeux d'un jeune marchand
Plus que d’accoutumée, il y avait ici une ferveur renouvelée. Était-ce de se trouver face à la figure de notre saint pays ou bien sur ce qu’il proposait ? Je n’étais pas un assidu de la Tribune, le plus souvent on pouvait m’y trouver quand il fallait que certains élus tiennent leur parole faite à d’autres. La caravane ne saurait tolérer retard ou changement de direction après tout. C’était quand même grisant de voir une telle machinerie… et encore plus quand elle s’emballe.
C’était l’une des premières fois que je les voyais comme ça aussi étincelants et dans leurs éléments. Nos deux aînées plaçant leurs pions, comme à leur habitude, c’était encore plus savoureux de voir Pietro venir renverser la table. Beaucoup de ses questions avaient déjà eu des réponses dans les discussions avec Ellendrine, beaucoup de choses que j’avais apprises des plans de ma belle-sœur pour ce qu’elle appelait progrès. On ne pouvait pas lui enlever son envie de bien faire, mais ça ne se ferait pas en un jour ni en cent.
Ici, au mieux, c’est une première pierre. Beaucoup la trouve instable pour une fondation.
Pietro n’est jamais meilleur que quand il peut s’offrir un duel, ça se voit bien que c’est ce qu’il cherche à faire. L’important est ailleurs, l'aîné à toutes les armes dont il a besoin. On tourne en rond et, surtout, on tourne en rond pour 10 personnes qui ne connaissent rien de notre culture. Au mieux, c’est un projet d’étude, au pire, c’est faire le jeu d’une incursion étrangère. Alors comme ça nous ne serions pas capables, nous, aramilans, de faire mieux que dix éminences grises étrangères ?
Ce n’était pas l’envergure que Ellendrine souhaitait, j’aurais à discuter ça avec elle pour avoir son avis. C’est elle, la femme de science. Autour le public aussi commence aussi à vouloir se mêler à la fête. Dans les jeunes autour de moi, le jeune moine avait déjà disparu, les autres cherchaient à profiter de l'effervescence pour encore plus attiser les braises. C’est là que la suspension de séance se fit salutaire. Le reflet d’or dans un regard là où se tiennent les Archevêques, reflet qui finit par disparaître alors que les échanges se tarissent.
Nos gladiateurs doivent profiter d’une petite pause bienvenue, le soleil avait déjà entamé une belle parabole et nous devions bien approcher le milieu de la séance, si ce n’était l’avoir dépassé.
Il était temps de ruser si je voulais être à l’heure pour mon entretien.
En effet, le lieu était clair, la façon d’y accéder moins, surtout quand je continuais de voir certains regards de la Garde Sacrée se poser sur moi. C’était il y a quelques mois maintenant, du sable avait glissé sur les dunes, mais ils l’avaient toujours mauvaise que quelque badaud ait tenté de pénétrer le Concile. Échec cuisant vous me direz, mais j’étais pas le plus à plaindre. En plus, c’est une autre histoire, une vieille histoire. Du genre qui réveille des petits fourmillements dans un doigt où l’ongle avait été prélevé.
La matriarche tritone avait l’habitude de laisser ses poissons dans le petit bassin pendant qu’elle allait nager avec les autres requins. C’était des proies faciles, même pas besoin de leurre. J’approchais d’un coin où trois Tribuns discutaient avec leurs administrés ou en tout cas prendre la température et voir où en était l'ébullition. Je fondais sur eux, remontant le courant de la foule qui allait chercher l’ombre ou quelque collation. Arrivée à hauteur, ma main frôle celle de l’un d’entre eux. Contact subtil, il est hameçonné.
Je continue ma route, avec un nouveau visage qui se dessine. Je réajuste les vêtements que j’avais volontairement laissés négliger. Personne ne fait vraiment attention à moi, après tout, il y a bien d’autres distractions, comme cet encapuchonné qui attire les regards. Merci à toi, dure diversion. J’approche d’un escalier qui descend dans les tréfonds de la Tribune. Le regard sûr, j’avance sans m’arrêter, sans qu’on m’arrête non plus. J’ai encore pas mal de temps et je tombe dans une ruche bruyante. Dehors, ce n’était qu’un bourdonnement. Ici l’architecture faisait que toutes les paroles se répercutent, il ne pouvait y avoir de réels secrets dans un lieu placé sous la protection des Douze et leurs oreilles attentives. C’est ainsi que j’entends quelques échanges de bons mots de notre bon Archevêque, il sait se montrer fort avec les forts apparemment, mais préfère le faire en comité plus restreint que devant son peuple.
Il y a pourtant un lieu, une alcôve, erreur architecturale ou volontaire où le son ne sort pas. Curieusement, c’est là que j’y trouve mon rendez-vous, regard d’or que mon déguisement ne saurait tromper. Le conseiller m’invite à m’asseoir en rangeant tranquillement ses plans. Je n’aurais de toute façon rien compris à son écriture illisible sauf pour lui, un code indéchiffrable rare que maîtrisait Pyros Borges.
“Bonjour Arno, ça fait longtemps. Comment allez-vous ? Et comment va la ferme ?
- Écoutez, pas trop mal honnêtement, j’ai réarrangé les plantations selon vos recommandations. Merci encore pour ça. Vous travaillez sur quelque chose de particulier ? lui dis-je, un sourire entendu sur le visage.
- Si on veut, c’est toujours la même histoire… lâcha-t-il dans une moue que ce visage n’avait pas l’habitude de tirer. Ravi que ça ait fonctionné chez vous, j’ai rarement vu des sols aussi riches être aussi mal gérés. On a ça que dans quelques endroits à Renon et on les couve précieusement. Votre père n’avait vraiment pas la main verte.
- On peut parler franchement ?
- Bien sûr, baina kontuz ibili, hormek belarriak dituzte eta.
- Benetan gustatzen zaizkizu kode zahar horiek hein? embrayais-je peu sûr de moi. Ce n’était pas ma langue de prédilection. Il le savait. Gutxiegi gustatzen zait. Oso gustu gutxi dago hamar pertsona bakarrik ekartzeko.
- Esango nuke hamar galderen arabera dela, pertsona batek ere balantza makurraraz dezake. Garrantzitsuena ideiak dira, garrantzitsuena da mugimendua Grain de Sable haizearen zentzuan joatea.
- Mais là, c’est pas une rafale, c’est une simple brise.
- Et alors ? Elle peut toujours se changer en tempête. Renongo Artxetxiko maitea, bera eserita dagoen urrezko meategia erosten ari da. Epistorekin gehiegi akzidentatzen bada, zentzutasuna galtzen du. Aurpegi ona du errekonkistaren aldeko militante gisa, baina hondamendi eremu bat da. Badaki. Nahi duen guztia ziurtatu da eguzki artifizialean. Lehentasuna eman behar zaio, eta Sylasek bere ideiarekin, bere bultzadarekin, lagundu ahal digu horretan.”
À mon tour de faire la moue, mais on n’apprenait pas au vieux Narangpé à faire la grimace. L’homme avait eu le temps d’assembler les pièces, de contrer des adversaires, de trouver des alliés et de faire avec les aléas. La situation actuelle n’était qu’une énième pièce qu’il allait falloir intégrer, racornir ou mettre de côté dans la vision du conseiller de l’Archevêque de Renon.
Il tapota la couverture du carnet qui ne le quittait pas. Signe que mon temps était écoulé ici et que si les oreilles indiscrètes n’étaient pas possibles, les yeux baladeurs eux pourraient commencer à être surpris de voir un Tribun novice discuté avec l’homme aux yeux d’or. Je me levais donc, cherchant dans les paroles vagues de Borges comment je pourrais apporter ma pierre à l’édifice. J'avais une pièce que je pouvais tailler ou a minima faire esquisser une nouvelle forme. Son nom était le mien.
Dim 23 Juin 2024 - 10:14
“Dix personnes.”
“Juste dix personnes.”
“Seulement dix personnes.”
“Tout ça pour dix personnes.”
Ces mots, répétés en boucle à d’innombrables reprises, avaient hérissé le poil du petit moine et raclé ses tympans dans un crissement glacial qui s’amplifiait à chaque fois que quelqu’un les reprenait sur un ton dédaigneux. En y laissant au début un petit quelque chose d’irritant et de pénible, qui s’était finalement frayé un chemin jusqu’à ses veines pour y distiller plusieurs gouttes de consternation dépitée. Son petit coeur se chargea de les diffuser dans son corps. Ca brûlait.
Il n’avait pas montré de grands égards pour l’archevêque et sa proposition, mais là maintenant, les grands noms, les petits tribuns, les membres de l’assemblée : tous lui donnaient l’impression de n’être qu’un effarant amas de clowns mystificateurs, des crétins incapables qui ne demandaient qu’à boire tous les mensonges qu’on pourrait leur servir. En fait, l’archevêque s’y prenait à merveille. Il flattait leur égo, et ils adoraient ça. Ils s’en chargeaient eux-mêmes.
Ca n’était pas dix personnes, et encore moins juste dix. C’était dix savants qui auraient l’oreille de l’archevêque d’aramila, et se verraient mis à disposition autant de ressources et de bras qu’il l’estimerait nécessaire. Et de la même façon qu’il suffisait d’un seul architecte pour construire une cathédrale, pourvu qu’on le finance, un seul d’entre eux pourrait porter un chantier d’envergure à son terme. En l’occurrence, ils pourraient lever jusqu’à dix projets distincts, en simultané. Avec les conséquences qu’il devinait très bien. Et comme leur présence serait légitime, n’importe quel gros bonnet au statut établi pourrait y recourir, si ce n’était Edralden. Et les dieux savaient bien que les hautes sphères pullulaient de génies enthousiastes aux idées prodigieuses, à mener coûte que coûte. Les puissants n’étaient jamais les plus sages, ni les plus vertueux.
C’était probablement pour ça que personne ici n’objecta quoi que ce soit. Ils préféraient rire de lui et se conforter dans leur arrogance naturelle, ce trait de politique, rabaisser publiquement leur rival et se sentir supérieurs.
Et pourtant, il lui semblait impossible que lui, petit moine de nul part, discerne quoi que ce soit que personne d’autre ne voyait. Ca n’avait pas de sens. L’humilité exigeait qu’il se remette en question. Ses travers jouaient contre lui, certainement? Il connaissait ses tendances misanthropes. A moins qu’il n’y ait un monde entre ce qu’ils déclaraient et ce qu’ils comptaient faire? Ca n’avait pas de sens de ne rien dire en public, pourtant.
A moins que le tout ne soit qu’une grande comédie et que tout le monde oeuvre de concert pour faire passer l’idée? Ce serait complètement fou.
Mais la ville était complètement folle, et le microcosme des hautes sphères l’était mille fois plus. C’était pour ça, qu’il appréciait pleinement sa vie simple au sein du prieuré. Venir ici ne faisait que le conforter dans ce sens, à chaque fois.
Pourtant, contre son habitude, Ryosuke se leva, mû par une impulsion qu’il n’avait jamais eue en dehors de son petit monastère, et qui ne l’animait guère que pour se charger des corvées quotidiennes. Avec la raideur d’un spectre, il arpenta les couloirs jusqu’à atteindre l’antichambre du groupement dont Madèle faisait partie. Mais sa coreligionnaire n’était nulle part en vue, étrangement. Peut-être dans d’autres salons?
On ne le laissa pas accéder aux antichambres des autres groupes. Et le peu qu’il pu entrevoir de ceux-ci, en épiant les salons par-dessus l’épaule des vigiles, ne put le satisfaire. Il ne la voyait pas.
Il rebroussa chemin jusqu’au cabinet de la voix du bazar, mais ne l’y vit pas non plus. Elle n’y était pas revenue en son absence.
Et à aucun moment ne lui vint l’envie de demander quoi que ce soit à qui que ce soit.
Au lieu de ça, il s’en retourna jusqu’au point de contrôle qui délimitait l’espace des tribuns de celui du public, précisa aux gardes qu’il reviendrait rapidement, puis continua au delà, espérant apercevoir son aînée dans les gradins, ou depuis les gradins. Il n’était pas le seul qu’elle aimait interroger pour mettre les choses en relief, après tout. Et parfois, elle questionnait des personnes au hasard.
Mais il ne la vit pas.
Au lieu de ça, par contre…
-Rouh, rouh!
Le roucoulement d’un pigeon. Ryosuke l’ignora, sans savoir que ce simple petit cri pouvait se retranscrire par “Dis-moi tas de boulons, tu peux demander à la crevette efféminée de dégager rapido? C’est bien gentil de jouer au suricate qui a perdu sa mère, mais il attire l’attention et on essaie d’être discrets”.
-Yo man! - Cher ami pédéraste au faciès juvénile - tu me bouches la vue Giselle, bouge ton fion! - S’il te plaît mon bouboule.
En temps normal, il ne se serait pas retourné. Les insultes lui glissaient au travers aussi sûrement que le vent. Mais c’était l’intonation, le timbre, la voix qui prononçait ces mots qui le fit pivoter malgré lui tant celle-ci n’était pas naturelle. Et face à lui se trouvait… un mendiant à l’aspect particulièrement louche, ses traits complètement indiscernables sous sa grande cape grise et salie qui le drapait des pieds à la tête. Littéralement. Au point qu’on ne distinguait pas un grain de peau de cette personne. Sa silhouette, pourtant, était tellement maigre qu’elle virait au rachitique et malade. Alors, instinctivement, Ryosuke porta une main à sa besace pour empoigner quelques astras afin de les lui donner : l’aumône lui était naturel, il avait bien assez en tant que moine et cette personne, clairement pas suffisamment. Il ne finit pourtant pas son mouvement, intrigué par la colombe blanche qui nichait sur l’épaule du miséreux.
Miséreux qui esquissa un violent mouvement de recul en le voyant mettre la main à son sac, comme s’il y tenait une arme et qu’il s’apprêtait à tirer.
- Non non non - je plaide non coupable pour l’accusé - chérie je peux tout t’expliquer ça n’est pas ce que tu crois - m’embarquez pas m’sieur l’agent - je suis un humble croyant.
-Oh putain, t’es surtout un gros blaireau, Vam’, roucoula l’oiseau que seul Vamis pouvait comprendre.
Ce qui acheva de figer Ryosuke, évidemment.
La réaction de l’oiseau était trop bien amenée, comme s’il parlait vraiment.
Mais le mendiant lui-même, en fait. Dont la voix changeait à chaque morceau de phrase.
A son tour, le petit moine recula, inquiet pour sa survie.
Et percuta une petite vieille qui bascula contre un autre gaillard qui…
-Non mais ça va pas de pousser les mémés, eh!?
-OH EH TA GUEULE IL A PAS FAIT EXPRES CA SE VOIT NON?
C’était le mendiant, qui venait de gueuler avec une force prodigieuse. Et une voix… complètement différente encore des cinq autres utilisées jusque là. Les cinq autres étaient humaines, quoi que toutes différentes. Mais celle-là… ne l’était pas.
Ryosuke se contenta de s’incliner prestement face au malabar et ce qui semblait être sa mère. Qui n’insistèrent pas, voyant qu’ils avaient affaire à un servant des douze qui officiait pour leurs âmes à chaque heure de sa vie. Les moines étaient respectés. A moins que ça ne soit le mendiant ultra chelou et sûrement porteur d’une saloperie contagieuse qui les firent battre en retraite, allez savoir. Mais Ryo ne chercha pas à partir, lui. Il était portebrume et en côtoyait d’autres, la magie ne lui était pas étrangère. Il avait déjà participé à quelques expéditions dans la brume, et ceci n’était rien par rapport à ce qu’il avait pu y voir. Et puis, il avait déjà obtenu des entrevues avec une déesse baleine triton dans un temple à plusieurs occasions, ce qui coiffait tout le reste. Alors, la personne qu’il avait devant lui était peut-être bizarre et à surveiller, mais…
-Merci pour votre aide.
… elle venait de prendre sa défense, oui.
-Je ne voulais pas vous faire peur, je voulais vous faire l’aumone de quelques astras. Si vous acceptez la charité panthéiste. A moins que je ne me trompe et que vous n’en ayez pas besoin.
- T’es chou tu sais - ça ira t’inquiètes mon frèèè
-Ca fera toujours des graines en plus, moi je dis prends, non?, roucoula la colombe.
Virgil avait compris que ça ne faisait plus à rien de faire semblant : il était évident que le gringalet l’avait grillé, mais aussi qu’il ne le grillerait pas face au public. Et en effet, comme s’il l’avait compris, il tendit une pièce au bec de l’oiseau qui l’accepta volontiers. Eh, il avait déjà vu pire. Le plus étrange pour lui restait la voix du miséreux, un amalgame de voix d’hommes et de femmes qui se succédaient de façon chaotique de la part d’une seule personne. Comme un ventriloque devenu fou.
Mais ce qui l’avait retenu, c’était la voix que cet homme avait quand il a hurlé contre l’autre. Il la reconnaissait. C’était la même qui avait percé la tribune toute entière pour insulter Edralden un peu plus tôt, interrompant les orateurs le temps de ses invectives.
-Vous aimez insulter les tribuns?
-Aie aie aie!
-Je ne vous dénoncerai pas.
- Non non non - il s’agit d’un besoin naturel - mon âme en peine ne supporte pas la cruauté du monde - vous allez chier aux latrines comme des porcs dans la fange - moi aussi je dois vider mon sac meuf tu sais - j’ai de gros problèmes de vessie en ce moment, monsieur le docteur - tout ce que je vois en ces lieux me rend triste et m’accable.
-Donc vous allez encore crier?
-L’ange noir de la nuit répond toujours à l’appel - autant que les douze pour répondre aux suppliques de leurs enfants - ça me titille le nez!
Il connaissait son ahad, nota le moine. Ainsi que d’autres choses qui n’étaient… clairement pas du sacré. Le plus intriguant, c’était qu’il semblait s’exprimer par succession de bouts de phrases, rapiécées les unes avec les autres en patchwork. Mais ça n’avait pas de sens? Il avait déjà vu des vétérans de la brume qui en étaient ressortis transformés avec des symptômes similaires à cet homme, cela dit. Voire pire, pour plusieurs.
Mh. Peu importe. Une chose à la fois. Il avait une idée.
-Si vous voulez des idées… c’est dommage de se contenter d'un “Tocard”. Il y a beaucoup mieux.
“Juste dix personnes.”
“Seulement dix personnes.”
“Tout ça pour dix personnes.”
Ces mots, répétés en boucle à d’innombrables reprises, avaient hérissé le poil du petit moine et raclé ses tympans dans un crissement glacial qui s’amplifiait à chaque fois que quelqu’un les reprenait sur un ton dédaigneux. En y laissant au début un petit quelque chose d’irritant et de pénible, qui s’était finalement frayé un chemin jusqu’à ses veines pour y distiller plusieurs gouttes de consternation dépitée. Son petit coeur se chargea de les diffuser dans son corps. Ca brûlait.
Il n’avait pas montré de grands égards pour l’archevêque et sa proposition, mais là maintenant, les grands noms, les petits tribuns, les membres de l’assemblée : tous lui donnaient l’impression de n’être qu’un effarant amas de clowns mystificateurs, des crétins incapables qui ne demandaient qu’à boire tous les mensonges qu’on pourrait leur servir. En fait, l’archevêque s’y prenait à merveille. Il flattait leur égo, et ils adoraient ça. Ils s’en chargeaient eux-mêmes.
Ca n’était pas dix personnes, et encore moins juste dix. C’était dix savants qui auraient l’oreille de l’archevêque d’aramila, et se verraient mis à disposition autant de ressources et de bras qu’il l’estimerait nécessaire. Et de la même façon qu’il suffisait d’un seul architecte pour construire une cathédrale, pourvu qu’on le finance, un seul d’entre eux pourrait porter un chantier d’envergure à son terme. En l’occurrence, ils pourraient lever jusqu’à dix projets distincts, en simultané. Avec les conséquences qu’il devinait très bien. Et comme leur présence serait légitime, n’importe quel gros bonnet au statut établi pourrait y recourir, si ce n’était Edralden. Et les dieux savaient bien que les hautes sphères pullulaient de génies enthousiastes aux idées prodigieuses, à mener coûte que coûte. Les puissants n’étaient jamais les plus sages, ni les plus vertueux.
C’était probablement pour ça que personne ici n’objecta quoi que ce soit. Ils préféraient rire de lui et se conforter dans leur arrogance naturelle, ce trait de politique, rabaisser publiquement leur rival et se sentir supérieurs.
Et pourtant, il lui semblait impossible que lui, petit moine de nul part, discerne quoi que ce soit que personne d’autre ne voyait. Ca n’avait pas de sens. L’humilité exigeait qu’il se remette en question. Ses travers jouaient contre lui, certainement? Il connaissait ses tendances misanthropes. A moins qu’il n’y ait un monde entre ce qu’ils déclaraient et ce qu’ils comptaient faire? Ca n’avait pas de sens de ne rien dire en public, pourtant.
A moins que le tout ne soit qu’une grande comédie et que tout le monde oeuvre de concert pour faire passer l’idée? Ce serait complètement fou.
Mais la ville était complètement folle, et le microcosme des hautes sphères l’était mille fois plus. C’était pour ça, qu’il appréciait pleinement sa vie simple au sein du prieuré. Venir ici ne faisait que le conforter dans ce sens, à chaque fois.
Pourtant, contre son habitude, Ryosuke se leva, mû par une impulsion qu’il n’avait jamais eue en dehors de son petit monastère, et qui ne l’animait guère que pour se charger des corvées quotidiennes. Avec la raideur d’un spectre, il arpenta les couloirs jusqu’à atteindre l’antichambre du groupement dont Madèle faisait partie. Mais sa coreligionnaire n’était nulle part en vue, étrangement. Peut-être dans d’autres salons?
On ne le laissa pas accéder aux antichambres des autres groupes. Et le peu qu’il pu entrevoir de ceux-ci, en épiant les salons par-dessus l’épaule des vigiles, ne put le satisfaire. Il ne la voyait pas.
Il rebroussa chemin jusqu’au cabinet de la voix du bazar, mais ne l’y vit pas non plus. Elle n’y était pas revenue en son absence.
Et à aucun moment ne lui vint l’envie de demander quoi que ce soit à qui que ce soit.
Au lieu de ça, il s’en retourna jusqu’au point de contrôle qui délimitait l’espace des tribuns de celui du public, précisa aux gardes qu’il reviendrait rapidement, puis continua au delà, espérant apercevoir son aînée dans les gradins, ou depuis les gradins. Il n’était pas le seul qu’elle aimait interroger pour mettre les choses en relief, après tout. Et parfois, elle questionnait des personnes au hasard.
Mais il ne la vit pas.
Au lieu de ça, par contre…
-Rouh, rouh!
Le roucoulement d’un pigeon. Ryosuke l’ignora, sans savoir que ce simple petit cri pouvait se retranscrire par “Dis-moi tas de boulons, tu peux demander à la crevette efféminée de dégager rapido? C’est bien gentil de jouer au suricate qui a perdu sa mère, mais il attire l’attention et on essaie d’être discrets”.
-Yo man! - Cher ami pédéraste au faciès juvénile - tu me bouches la vue Giselle, bouge ton fion! - S’il te plaît mon bouboule.
En temps normal, il ne se serait pas retourné. Les insultes lui glissaient au travers aussi sûrement que le vent. Mais c’était l’intonation, le timbre, la voix qui prononçait ces mots qui le fit pivoter malgré lui tant celle-ci n’était pas naturelle. Et face à lui se trouvait… un mendiant à l’aspect particulièrement louche, ses traits complètement indiscernables sous sa grande cape grise et salie qui le drapait des pieds à la tête. Littéralement. Au point qu’on ne distinguait pas un grain de peau de cette personne. Sa silhouette, pourtant, était tellement maigre qu’elle virait au rachitique et malade. Alors, instinctivement, Ryosuke porta une main à sa besace pour empoigner quelques astras afin de les lui donner : l’aumône lui était naturel, il avait bien assez en tant que moine et cette personne, clairement pas suffisamment. Il ne finit pourtant pas son mouvement, intrigué par la colombe blanche qui nichait sur l’épaule du miséreux.
Miséreux qui esquissa un violent mouvement de recul en le voyant mettre la main à son sac, comme s’il y tenait une arme et qu’il s’apprêtait à tirer.
- Non non non - je plaide non coupable pour l’accusé - chérie je peux tout t’expliquer ça n’est pas ce que tu crois - m’embarquez pas m’sieur l’agent - je suis un humble croyant.
-Oh putain, t’es surtout un gros blaireau, Vam’, roucoula l’oiseau que seul Vamis pouvait comprendre.
Ce qui acheva de figer Ryosuke, évidemment.
La réaction de l’oiseau était trop bien amenée, comme s’il parlait vraiment.
Mais le mendiant lui-même, en fait. Dont la voix changeait à chaque morceau de phrase.
A son tour, le petit moine recula, inquiet pour sa survie.
Et percuta une petite vieille qui bascula contre un autre gaillard qui…
-Non mais ça va pas de pousser les mémés, eh!?
-OH EH TA GUEULE IL A PAS FAIT EXPRES CA SE VOIT NON?
C’était le mendiant, qui venait de gueuler avec une force prodigieuse. Et une voix… complètement différente encore des cinq autres utilisées jusque là. Les cinq autres étaient humaines, quoi que toutes différentes. Mais celle-là… ne l’était pas.
Ryosuke se contenta de s’incliner prestement face au malabar et ce qui semblait être sa mère. Qui n’insistèrent pas, voyant qu’ils avaient affaire à un servant des douze qui officiait pour leurs âmes à chaque heure de sa vie. Les moines étaient respectés. A moins que ça ne soit le mendiant ultra chelou et sûrement porteur d’une saloperie contagieuse qui les firent battre en retraite, allez savoir. Mais Ryo ne chercha pas à partir, lui. Il était portebrume et en côtoyait d’autres, la magie ne lui était pas étrangère. Il avait déjà participé à quelques expéditions dans la brume, et ceci n’était rien par rapport à ce qu’il avait pu y voir. Et puis, il avait déjà obtenu des entrevues avec une déesse baleine triton dans un temple à plusieurs occasions, ce qui coiffait tout le reste. Alors, la personne qu’il avait devant lui était peut-être bizarre et à surveiller, mais…
-Merci pour votre aide.
… elle venait de prendre sa défense, oui.
-Je ne voulais pas vous faire peur, je voulais vous faire l’aumone de quelques astras. Si vous acceptez la charité panthéiste. A moins que je ne me trompe et que vous n’en ayez pas besoin.
- T’es chou tu sais - ça ira t’inquiètes mon frèèè
-Ca fera toujours des graines en plus, moi je dis prends, non?, roucoula la colombe.
Virgil avait compris que ça ne faisait plus à rien de faire semblant : il était évident que le gringalet l’avait grillé, mais aussi qu’il ne le grillerait pas face au public. Et en effet, comme s’il l’avait compris, il tendit une pièce au bec de l’oiseau qui l’accepta volontiers. Eh, il avait déjà vu pire. Le plus étrange pour lui restait la voix du miséreux, un amalgame de voix d’hommes et de femmes qui se succédaient de façon chaotique de la part d’une seule personne. Comme un ventriloque devenu fou.
Mais ce qui l’avait retenu, c’était la voix que cet homme avait quand il a hurlé contre l’autre. Il la reconnaissait. C’était la même qui avait percé la tribune toute entière pour insulter Edralden un peu plus tôt, interrompant les orateurs le temps de ses invectives.
-Vous aimez insulter les tribuns?
-Aie aie aie!
-Je ne vous dénoncerai pas.
- Non non non - il s’agit d’un besoin naturel - mon âme en peine ne supporte pas la cruauté du monde - vous allez chier aux latrines comme des porcs dans la fange - moi aussi je dois vider mon sac meuf tu sais - j’ai de gros problèmes de vessie en ce moment, monsieur le docteur - tout ce que je vois en ces lieux me rend triste et m’accable.
-Donc vous allez encore crier?
-L’ange noir de la nuit répond toujours à l’appel - autant que les douze pour répondre aux suppliques de leurs enfants - ça me titille le nez!
Il connaissait son ahad, nota le moine. Ainsi que d’autres choses qui n’étaient… clairement pas du sacré. Le plus intriguant, c’était qu’il semblait s’exprimer par succession de bouts de phrases, rapiécées les unes avec les autres en patchwork. Mais ça n’avait pas de sens? Il avait déjà vu des vétérans de la brume qui en étaient ressortis transformés avec des symptômes similaires à cet homme, cela dit. Voire pire, pour plusieurs.
Mh. Peu importe. Une chose à la fois. Il avait une idée.
-Si vous voulez des idées… c’est dommage de se contenter d'un “Tocard”. Il y a beaucoup mieux.
Lun 24 Juin 2024 - 14:28
Audience extraordinaire
Maître du Jeu
C’est souvent en coulisse que les grandes décisions se prennent. Si la Tribune offre une scène délicieuse où nos acteurs jouent le jeu pour un public plus ou moins attentif, la réalité avance dans les loges.Le temps d’Arno dans les coulisses est presque révolu. Il va falloir retrouver sa place de simple spectateur sauf à vouloir que la Garde soit plus suspicieuse. Le Tribun mimé ne tardera pas à revenir et il n’a ni jumeau ni doublure. Plutôt que rebrousser chemin et risquer de le croiser, il est possible d’assister à cette dernière scène de l’autre côté du rideau. Celle où s’opposent deux lions.
Si un entracte est normalement un moment de repos où on change de décor, l’intrigue peut continuer d’y avancer. Sylas, tu n’es pas en terrain conquis ici, d’autant plus que la Tribune a dû mal à bien cerner tes intentions, public peut-être même plus hostile que celui qui vous attend là-haut. Si ça doit évoluer, alors voyons ça comme une joute verbale, l’adversaire que tu t’es désigné et tout indiqué. Il te regarde calmement pendant que le feu semble couver en toi. Un regard prédateur, des yeux grands ouverts, tout ouïe. Autour ça marmonne, ça chuchote, ça observe. Il boit une dernière gorgée fraîche, qu’il fait volontairement durer. Il faut savoir installer son atmosphère.
Si un entracte est normalement un moment de repos où on change de décor, l’intrigue peut continuer d’y avancer. Sylas, tu n’es pas en terrain conquis ici, d’autant plus que la Tribune a dû mal à bien cerner tes intentions, public peut-être même plus hostile que celui qui vous attend là-haut. Si ça doit évoluer, alors voyons ça comme une joute verbale, l’adversaire que tu t’es désigné et tout indiqué. Il te regarde calmement pendant que le feu semble couver en toi. Un regard prédateur, des yeux grands ouverts, tout ouïe. Autour ça marmonne, ça chuchote, ça observe. Il boit une dernière gorgée fraîche, qu’il fait volontairement durer. Il faut savoir installer son atmosphère.
“Votre excellence, comme vous le dites, n’oubliez pas qui représente le peuple que vous tenez tant à faire changer, annonça d’une voix verveuse le Tribun d’Etyr. Que croyez-vous donc, que ça nous amuse de voir les nôtres avoir des difficultés pour se nourrir ? Vous nous prenez pour des agneaux apeurés ? Un peu de sérieux, ce n’est pas nous contre vous, mais votre solution… Quel intérêt ?”. À son tour de planter son regard dans le tien, Sylas, l’échauffement est terminé. “Si on doit proposer quelque chose, il faut aussi que vous revoyiez votre copie. ce n’est pas le nombre le vrai problème c’est leur place. Qui écoutera leurs suggestions, qui définira la limite ? Comment nous assurerons-nous que les investissements nécessaires seront utilisés de bonne façon. Qui se retrouvera sur les grands chantiers à suer sang et eau pour la gloire de ce petit nombre de sauveurs messianiques ? C’est ce que je demandais en parlant de garanties. Nous protégerons les nôtres et on ne les laissera pas se faire pervertir par quelque solution magique d’ailleurs. Il y a toujours un prix à payer.”
“C’est donc ça que vous voulez ? entonna une petite voix fluette qui perdait peu à peu espoir. Votre solution ne résoudra rien en un claquement de doigts, il faudra du temps et… nous allons en manquer. L’exode opalin menace, j’en vois les premières traces. Oh ils iront vers leur Xandrie adorée pour beaucoup c’est certain, mais les autres qui viendront vers nous… Ce n’est pas dans dix ans quand vous aurez lancé vos machines avec vos dix cerveaux,, c’est demain.”
Le blond observait aussi son ainée du Bazar s'exprimer, il connaissait trop peu cette région, il connaissait trop peu le Renon également, repensant à la note qu'on lui avait transmise. Son monde se résumait à Aramila et Etyr dans une moindre mesure. La solution pourrait venir de cette inconnue.
Le blond observait aussi son ainée du Bazar s'exprimer, il connaissait trop peu cette région, il connaissait trop peu le Renon également, repensant à la note qu'on lui avait transmise. Son monde se résumait à Aramila et Etyr dans une moindre mesure. La solution pourrait venir de cette inconnue.
“Il y a une solution plus court-termiste, conclut-il, une solution qui ne nous obligera pas à pervertir nos valeurs, une solution qui nous remettra à notre place et nous donnera le temps pour réfléchir de façon moins alarmiste. Si vous voulez dix personnes, demandez-les leurs projets et on les étudiera. Après tout, ils doivent bien réfléchir à des solutions dans leurs tours d’ivoire rafraîchies pour un pays dont ils ne connaissent rien. J’ai hâte de voir ça.” Gouailleuse, cette façon de faire pouvait tendre certaines parties de la Tribune, mais il fallait avouer que ça avait l’astuce pour mettre ce petit monde en mouvement. “Il y en a déjà une ici, vous la connaissez, vous avez même mentionné son nom pendant votre discours. Vous lui avez fait une publicité dont je ne suis pas sûr qu’elle voulait. Ça peut être dangereux d’être en haut de l’affiche.” Du regard, il voit le fantôme des yeux d’Arno dans ceux d’un Tribun de pacotille.
Sylas, une petite mélodie résonne dans ta tête, revoir sa copie, donner des garanties, ne pas se pervertir. Et si la solution était plus proche que prévu ? Après tout, tu es à la tête d'une nation qui a fait le choix de la simplicité pour mode de vie.
Tous les acteurs n’ont pas à être présents en tout temps, il faut savoir ménager ses effets. Certains partent, d’autres apparaissent et passent sous le feu des projecteurs. Des seconds rôles pour beaucoup me direz-vous, mais il n’empêche qu’ils doivent tous avoir leur utilité, tous ont leur petite gloire éphémère irremplaçable. Elle danse dans la foule, un service à thé sur la tête posé dans un équilibre précaire pour beaucoup. Elle arrive à la hauteur de ton balcon Ellendrine, vous êtes des notables et avez donc la chance de ne pas avoir à vous mêler au peuple pour vous rafraîchir.
La servante apporte une collation, rompant momentanément la pression imposée par les regards inquisiteurs. Si une tasse de thé est posée sur la tablette en face de toi, un faux mouvement et la voilà qui se renverse sur les notes que tu as prises. Se confondant en excuse, la novice cherche à éponger un mal déjà fait. Couverte de honte, elle quitte la scène. Quand tu regardes l’étendue du désastre, tu aperçois néanmoins des feuilles qui n’avaient pas à être là, une écriture manuscrite fine mêlant calculs ésotériques et structures d’un genre nouveau, de verre et d’acier, de volets et de filets, des serres autosuffisantes qui n’existeraient que dans les imaginaires les plus fous. Vraiment fous ?
Encore tremblante de son erreur, la mine basse, cette servante anonyme ne voit même pas l’échange entre Ryo, Vamis et son noble oiseau. Sans doute que si ce dernier avait vu la scène plus tôt, il se serait empressé d’en rire.
Sylas, une petite mélodie résonne dans ta tête, revoir sa copie, donner des garanties, ne pas se pervertir. Et si la solution était plus proche que prévu ? Après tout, tu es à la tête d'une nation qui a fait le choix de la simplicité pour mode de vie.
Tous les acteurs n’ont pas à être présents en tout temps, il faut savoir ménager ses effets. Certains partent, d’autres apparaissent et passent sous le feu des projecteurs. Des seconds rôles pour beaucoup me direz-vous, mais il n’empêche qu’ils doivent tous avoir leur utilité, tous ont leur petite gloire éphémère irremplaçable. Elle danse dans la foule, un service à thé sur la tête posé dans un équilibre précaire pour beaucoup. Elle arrive à la hauteur de ton balcon Ellendrine, vous êtes des notables et avez donc la chance de ne pas avoir à vous mêler au peuple pour vous rafraîchir.
La servante apporte une collation, rompant momentanément la pression imposée par les regards inquisiteurs. Si une tasse de thé est posée sur la tablette en face de toi, un faux mouvement et la voilà qui se renverse sur les notes que tu as prises. Se confondant en excuse, la novice cherche à éponger un mal déjà fait. Couverte de honte, elle quitte la scène. Quand tu regardes l’étendue du désastre, tu aperçois néanmoins des feuilles qui n’avaient pas à être là, une écriture manuscrite fine mêlant calculs ésotériques et structures d’un genre nouveau, de verre et d’acier, de volets et de filets, des serres autosuffisantes qui n’existeraient que dans les imaginaires les plus fous. Vraiment fous ?
Encore tremblante de son erreur, la mine basse, cette servante anonyme ne voit même pas l’échange entre Ryo, Vamis et son noble oiseau. Sans doute que si ce dernier avait vu la scène plus tôt, il se serait empressé d’en rire.
Lun 24 Juin 2024 - 15:27
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
Les regards voisins, nombreux se posaient sur Sylas. Ils étaient pareils à des pierres qui lestaient les épaules de l’archevêque ; oui, il sentait un poids peser sur sa carrure, outre ses responsabilités : le poids du peuple, de l’adversité. Mais fort heureusement pour lui – ou non – le presque quinquagénaire à la tête de l’audience se voulait être un point d’appui solide. Aussi, s’il sentit une douleur fugace poindre dans sa poitrine, sa posture ne trahit aucun affront, aucune déstabilisation.
« Excellence, commença-t-il en rehaussant le menton et suspendant sa réponse. Je ne tiens ni à changer mon peuple – il change de lui-même, orienté par ses propres croyances avec le carcan le moins oppressif qu’il nous est donné d’imposer – ni ne crois que vous vous languissez de voir les nôtres souffrir. Pour le reste, n’oubliez pas à qui vous vous adressez. Je peux très bien demander qu’un autre Tribun prenne votre place ; et je préfère vous le dire de suite : vous vous enfoncez dans le ridicule à me parler ainsi. »
Il suspendit ses invectives, invitant tout un chacun à maintenir un bref contact visuel avec sa personne. Dans son regard semblait scintiller cette espèce de lueur, ineffable, dont on n’expliquait pas correctement la source. Il tourna ensuite la tête vers Eoline.
« Les Pyramides de Saleek ne se sont pas construites en un jour, Excellence. Chaque projet conséquent n’aboutit pas du jour au lendemain. Et je partage votre inquiétude quant aux flux migratoires qui arrivent chez nous. Je vous invite à discuter ultérieurement de ces préoccupations et de solutions court-terme pour ne pas nous retrouver incapables d’accueillir d’autres âmes en peine qui ont souffert le stigmate de nos voisins. »
Il esquissa un sourire pincé, affable, essayant d’estomper la tristesse naissante qu’il put ressentir à l’idée qu’il lui fallait supporter un peu plus la souffrance d’autrui alors qu’il était pris entre deux feux, au colisée.
Il tourna la tête vers Pietro, les sourcils froncés.
« J’attends des excuses de votre part, Excellence. Je ne… »
« … Si vous voulez bien vous donner la peine de pardonner ce nouvel écart. »
La mine sombre, il tourna promptement les talons et s’éloigna de ses interlocuteurs, alors qu’il sentait darder, à répétition, une espèce de comptine, suggestive, assertive dans sa tête. Des bribes de la veille lui revenaient : il se voyait presque s’évanouir sur ses notes éparses, feuilleter sans fléchir les ouvrages qui contenaient quelque sagesse du passé, les confronter aux grands principes de l’orthopraxie. Il n’avait vu aucune faille.
« Je déconstruirai et reconstruirai tout. » murmura-t-il dans sa barbe avant de s’en retourner à son occupation primaire.
Reprendre du poil de la bête avant le second tour.
« Excellence, commença-t-il en rehaussant le menton et suspendant sa réponse. Je ne tiens ni à changer mon peuple – il change de lui-même, orienté par ses propres croyances avec le carcan le moins oppressif qu’il nous est donné d’imposer – ni ne crois que vous vous languissez de voir les nôtres souffrir. Pour le reste, n’oubliez pas à qui vous vous adressez. Je peux très bien demander qu’un autre Tribun prenne votre place ; et je préfère vous le dire de suite : vous vous enfoncez dans le ridicule à me parler ainsi. »
Il suspendit ses invectives, invitant tout un chacun à maintenir un bref contact visuel avec sa personne. Dans son regard semblait scintiller cette espèce de lueur, ineffable, dont on n’expliquait pas correctement la source. Il tourna ensuite la tête vers Eoline.
« Les Pyramides de Saleek ne se sont pas construites en un jour, Excellence. Chaque projet conséquent n’aboutit pas du jour au lendemain. Et je partage votre inquiétude quant aux flux migratoires qui arrivent chez nous. Je vous invite à discuter ultérieurement de ces préoccupations et de solutions court-terme pour ne pas nous retrouver incapables d’accueillir d’autres âmes en peine qui ont souffert le stigmate de nos voisins. »
Il esquissa un sourire pincé, affable, essayant d’estomper la tristesse naissante qu’il put ressentir à l’idée qu’il lui fallait supporter un peu plus la souffrance d’autrui alors qu’il était pris entre deux feux, au colisée.
Il tourna la tête vers Pietro, les sourcils froncés.
« J’attends des excuses de votre part, Excellence. Je ne… »
Revoir sa copie. Donner des garanties. Ne pas se pervertir.
« … Si vous voulez bien vous donner la peine de pardonner ce nouvel écart. »
La mine sombre, il tourna promptement les talons et s’éloigna de ses interlocuteurs, alors qu’il sentait darder, à répétition, une espèce de comptine, suggestive, assertive dans sa tête. Des bribes de la veille lui revenaient : il se voyait presque s’évanouir sur ses notes éparses, feuilleter sans fléchir les ouvrages qui contenaient quelque sagesse du passé, les confronter aux grands principes de l’orthopraxie. Il n’avait vu aucune faille.
« Je déconstruirai et reconstruirai tout. » murmura-t-il dans sa barbe avant de s’en retourner à son occupation primaire.
Reprendre du poil de la bête avant le second tour.
Mer 26 Juin 2024 - 3:14
[REQUÊTE] Audience extraordinaire à la Tribune
Citoyennes et citoyens d’Aramila — Ellendrine Brightwidge — Arno Dalmesca — Sylas Edralden
Toute progressiste qu’elle pensait être, Ellendrine se trouvait à observer l’exercice de la démocratie Aramilane d’un œil anthropologique. Elle devait en déduire une chose entre les deux options suivantes, ou bien elle était plus influencée qu’elle ne le croyait par un système aristocratique autoritaire à l’Opalienne, ou bien les Aramilans aimaient un peut trop l’emphase et les tournures verbeuses des grands discours. A l’affirmative, elle admettait qu’il devait y avoir un mélange des deux, mais ne démordait pas du fait qu’ils se noyaient parfois dans un verre d’eau. Quels trésors de patience Pietro devait trouver pour évoluer dans ce milieu. C’était à l’évidence un grand passionné de politique. Ce n’était pas son cas.
Dans son monde à elle, les choix n’étaient pas évidents, mais il existait un problème et des solutions. Bien peu d’accent était mis sur les tergiversations de forme. En tout cas, elle devait éviter de se plaindre, sans quoi il était facile de la renvoyer au fait qu'elle n’aurait eu qu’à reprendre la maison Brightwidge, manigancer au Conseil et avec les gougnafiers du Magistérium pour plier le monde à sa volonté. On ne pouvait nourrir à la fois les voies du savoir et de l'influence. Pas à égalité en tout cas.
Son front commençait à transpirer. Une pause bienheureuse sonna sur le ring. Elle put enfin éponger délicatement son front à l’aide d’un mouchoir brodé et prendre un rafraîchissement. Les discussions se poursuivaient avec animation mais lui étaient bien plus inaudibles dans la mêlée. Une certaine inquiétude grandissait en elle. Au-delà des arguments religieux, la pensée Aramilane lui semblait assez clivante. Si tous s’écoutaient avec une relative bonhommie, elle constatait qu’on en arrivait vite à la caricature, entre les pires excès de la science, qui tenaient plus d’un modèle économique ou de valeurs et une rigueur ascétique visant une Aramila éternelle. Sylas allait avoir du travail pour bâtir la voie médiane du pragmatisme.
Quand les échanges reprirent, l’archevêque d’Aramila reprit le supplice du soleil. Ellendrine se demandait avec une certaine distance si le choix de faire frire le personnel politique était un geste calculé. Pour ne pas vouloir brûler au soleil, les dirigeants étaient encouragés à l’avènement d’un accord sincère au lieu de tourner en rond. En attendant, elle regardait le pauvre Sylas fondre comme un glaçon. Vous pouvez être sûrs qu’à sa place Ellendrine aurait fait installer un trône sur un promontoire, surmonté de voilage et d’ombrelles, pour que jamais sa peau de lait ne souffre des flèches enflammées. En tout cas, le réalisme dont étaient imprégnées ses paroles allait avec le dénuement de sa peau sous le cagnard.
Rien qu’à les regarder tous, la dame commençait à fatiguer. De ses jumelles à mains, elle note le déplacement d’Arno d’un bord à l’autre des alcôves secrètes. Une vraie petite abeille pollinisatrice passant par les loges – les loges ! Mais oui pardi, voilà où elle aimerait bien être, à murmurer dans la pénombre telle une Bene Gesserit.
Les rafraîchissements sont accueillis dans un plébiscite sur le balcon. Ellendrine admire le jeu d’équilibriste de la porteuse sur sa tête. Sa voisine reste silencieuse, pour avoir trouvé le sommeil depuis longtemps contre son accoudoir… Soudain, ses notes sont souillées. C’est trop bête ! Mais pas irrattrapable. Heureusement qu’elle n’utilise pas de l’encre à plume mais des maillets, ses écrits pourront être sauvés, enfin, pour ce qui en est dit. Son jeune mari est encore celui qui aborde le plus les vraies questions. La voilà toute détrempée, sans vraiment de quoi nettoyer. Alors qu’elle se demande qu’elle allocution sacrifier pour éponger ce qui dégoutte, elle se rend compte que certains feuillets lui sont complètements étrangers.
Le papier n’est pas le même ! On dirait des gribouillis, des chiffres, des esquisses… de l’architecture. Elle chausse de petites lunettes rondes à la monture dorée et découvre que tout ceci n’a rien d’un hasard. Elle tient sous ses yeux les plans d’une magnifique serre à captation de brouillard. Au-delà d’un aspect fonctionnel qu’elle serait en mal de juger seule, la démarche esthétique est patente, dans le plus pur respect de l’esprit Aramilan. Un quelque chose d’authentique et de raffiné, comme si cette construction avait toujours fait partie du paysage. En voilà un projet du cru qui pourrait plaire à Pietro.
Intéressant ! Désennuyée, l’aristocrate se demande comment envoyer ce merveilleux dessin par avion à papier interposé jusqu’à Pietro ou Sylas. Mais il faudra se résoudre à endurer la fin de la session pour transmettre cet étrange présent. Qui peut l’avoir véhiculé ? Un génie qui n’ose affronter le courroux de l’orthopraxie ? Dans son rôle d’énergumène, à défaut de voir les gens tenir leurs positions, elle catalyse au moins les talents en jouant les boîte à idées !
Profitant d’un retrait temporaire de Sylas, elle se leva. Une dame pouvait avoir besoin de quiétude. Farouk mit un moment à remarquer son départ. Elle avait déjà rassemblé ses papiers et remis sa machine à écrire dans son étui, avant de batailler avec le chevalet. Il arriva pour l’aider à descendre l’escalier et frayer jusqu’à l’entrée du bâtiment.
-« Je vois que tu te passionnes, Farouk. Reste. Je vais demander à des jeunes gens de m’aider à porter mon matériel jusqu’à notre demeure pour quelques sous. J’y attendrai Pietro. La chaleur me fatigue et j’ai quelques idées à examiner. Sois mes yeux et mes oreilles.»
En réalité, Ellendrine était pressée de préparer un bulletin d'information politique. Elle espérait que faire de la pédagogie auprès des citoyens sur des projets simples qui relevaient plus de l'intelligence que de la "technologie" lourde, saperait les critiques acerbes des fondamentalistes. Elle imaginait déjà un rassemblement devant la tribune pour réclamer des travaux immédiats, au delà des envolées lyriques déconnectées. Son rendez-vous avec l'imprimeur était prévu dans la soirée. Bien qu'elle ne connaisse pas les conclusion des débats, elle avait à présent une idée de leur orientation générale et des forces en présence. Seules ses conclusions seraient à compléter. Ayant fait venir une vieille presse opalienne de plus de 400 livres et retravaillé certains moules en plomb avec des orfèvres, elle espérait sortir un nombre important de tirages dans la nuit.
Si d'autres bulletins étaient renouvelés, elle se demandait si la petite entreprise de presse pourrait se développer et devenir pérenne afin de faire émerger un nouveau corps professionnel tout en donnant de l'emploi aux petites gens de la capitale. A l'heure actuelle, on en était encore à la criée pour transmettre les informations essentielles. Alors qu'elle se demandait s'il ne serait pas trop osé d'inclure des caricatures à ses parutions, l'image de la serre qu'on lui avait transmis en secret attirait son regard. Et si elle la publiait?
Dans son monde à elle, les choix n’étaient pas évidents, mais il existait un problème et des solutions. Bien peu d’accent était mis sur les tergiversations de forme. En tout cas, elle devait éviter de se plaindre, sans quoi il était facile de la renvoyer au fait qu'elle n’aurait eu qu’à reprendre la maison Brightwidge, manigancer au Conseil et avec les gougnafiers du Magistérium pour plier le monde à sa volonté. On ne pouvait nourrir à la fois les voies du savoir et de l'influence. Pas à égalité en tout cas.
Son front commençait à transpirer. Une pause bienheureuse sonna sur le ring. Elle put enfin éponger délicatement son front à l’aide d’un mouchoir brodé et prendre un rafraîchissement. Les discussions se poursuivaient avec animation mais lui étaient bien plus inaudibles dans la mêlée. Une certaine inquiétude grandissait en elle. Au-delà des arguments religieux, la pensée Aramilane lui semblait assez clivante. Si tous s’écoutaient avec une relative bonhommie, elle constatait qu’on en arrivait vite à la caricature, entre les pires excès de la science, qui tenaient plus d’un modèle économique ou de valeurs et une rigueur ascétique visant une Aramila éternelle. Sylas allait avoir du travail pour bâtir la voie médiane du pragmatisme.
Quand les échanges reprirent, l’archevêque d’Aramila reprit le supplice du soleil. Ellendrine se demandait avec une certaine distance si le choix de faire frire le personnel politique était un geste calculé. Pour ne pas vouloir brûler au soleil, les dirigeants étaient encouragés à l’avènement d’un accord sincère au lieu de tourner en rond. En attendant, elle regardait le pauvre Sylas fondre comme un glaçon. Vous pouvez être sûrs qu’à sa place Ellendrine aurait fait installer un trône sur un promontoire, surmonté de voilage et d’ombrelles, pour que jamais sa peau de lait ne souffre des flèches enflammées. En tout cas, le réalisme dont étaient imprégnées ses paroles allait avec le dénuement de sa peau sous le cagnard.
Rien qu’à les regarder tous, la dame commençait à fatiguer. De ses jumelles à mains, elle note le déplacement d’Arno d’un bord à l’autre des alcôves secrètes. Une vraie petite abeille pollinisatrice passant par les loges – les loges ! Mais oui pardi, voilà où elle aimerait bien être, à murmurer dans la pénombre telle une Bene Gesserit.
Les rafraîchissements sont accueillis dans un plébiscite sur le balcon. Ellendrine admire le jeu d’équilibriste de la porteuse sur sa tête. Sa voisine reste silencieuse, pour avoir trouvé le sommeil depuis longtemps contre son accoudoir… Soudain, ses notes sont souillées. C’est trop bête ! Mais pas irrattrapable. Heureusement qu’elle n’utilise pas de l’encre à plume mais des maillets, ses écrits pourront être sauvés, enfin, pour ce qui en est dit. Son jeune mari est encore celui qui aborde le plus les vraies questions. La voilà toute détrempée, sans vraiment de quoi nettoyer. Alors qu’elle se demande qu’elle allocution sacrifier pour éponger ce qui dégoutte, elle se rend compte que certains feuillets lui sont complètements étrangers.
Le papier n’est pas le même ! On dirait des gribouillis, des chiffres, des esquisses… de l’architecture. Elle chausse de petites lunettes rondes à la monture dorée et découvre que tout ceci n’a rien d’un hasard. Elle tient sous ses yeux les plans d’une magnifique serre à captation de brouillard. Au-delà d’un aspect fonctionnel qu’elle serait en mal de juger seule, la démarche esthétique est patente, dans le plus pur respect de l’esprit Aramilan. Un quelque chose d’authentique et de raffiné, comme si cette construction avait toujours fait partie du paysage. En voilà un projet du cru qui pourrait plaire à Pietro.
Intéressant ! Désennuyée, l’aristocrate se demande comment envoyer ce merveilleux dessin par avion à papier interposé jusqu’à Pietro ou Sylas. Mais il faudra se résoudre à endurer la fin de la session pour transmettre cet étrange présent. Qui peut l’avoir véhiculé ? Un génie qui n’ose affronter le courroux de l’orthopraxie ? Dans son rôle d’énergumène, à défaut de voir les gens tenir leurs positions, elle catalyse au moins les talents en jouant les boîte à idées !
Profitant d’un retrait temporaire de Sylas, elle se leva. Une dame pouvait avoir besoin de quiétude. Farouk mit un moment à remarquer son départ. Elle avait déjà rassemblé ses papiers et remis sa machine à écrire dans son étui, avant de batailler avec le chevalet. Il arriva pour l’aider à descendre l’escalier et frayer jusqu’à l’entrée du bâtiment.
-« Je vois que tu te passionnes, Farouk. Reste. Je vais demander à des jeunes gens de m’aider à porter mon matériel jusqu’à notre demeure pour quelques sous. J’y attendrai Pietro. La chaleur me fatigue et j’ai quelques idées à examiner. Sois mes yeux et mes oreilles.»
En réalité, Ellendrine était pressée de préparer un bulletin d'information politique. Elle espérait que faire de la pédagogie auprès des citoyens sur des projets simples qui relevaient plus de l'intelligence que de la "technologie" lourde, saperait les critiques acerbes des fondamentalistes. Elle imaginait déjà un rassemblement devant la tribune pour réclamer des travaux immédiats, au delà des envolées lyriques déconnectées. Son rendez-vous avec l'imprimeur était prévu dans la soirée. Bien qu'elle ne connaisse pas les conclusion des débats, elle avait à présent une idée de leur orientation générale et des forces en présence. Seules ses conclusions seraient à compléter. Ayant fait venir une vieille presse opalienne de plus de 400 livres et retravaillé certains moules en plomb avec des orfèvres, elle espérait sortir un nombre important de tirages dans la nuit.
Si d'autres bulletins étaient renouvelés, elle se demandait si la petite entreprise de presse pourrait se développer et devenir pérenne afin de faire émerger un nouveau corps professionnel tout en donnant de l'emploi aux petites gens de la capitale. A l'heure actuelle, on en était encore à la criée pour transmettre les informations essentielles. Alors qu'elle se demandait s'il ne serait pas trop osé d'inclure des caricatures à ses parutions, l'image de la serre qu'on lui avait transmis en secret attirait son regard. Et si elle la publiait?
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