Ven 17 Mai - 19:47
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
Epistopoli, la cité du Savoir. Creuset du génie. Ou plutôt, bouillon de culture. Tous les vices y pullulent sous sa lumière radiante, qui oublie le voile de pollution opaque générée par ses industries lucratives à la poursuite du progrès. Un progrès ? Mais quel progrès ?! Pas celui de l’humain en tout cas.
On raconte bien souvent que les gens de la basse-ville sont des animaux, des sous-humains, tout juste bons au labeur harassant dont il est moral de les occuper pour les empêcher de s’entre-dévorer. Les investisseurs ne les sauvent-ils pas de la famine causée par leur manque de compétences? Mais que peu savoir un sapiarque oxydé d’idéologie du haut de sa tour, d’où tout semble si petit, si lointain. Il voit les lumières du futur. A en oublier que la lumière brûle, que la lumière aveugle, qu’on l’utilise parfois pour piéger insectes et papillons et les conduire à une mort certaine.
Tel le joueur de flûte, le Mandrebrume tourne autour d’Urh, il appelle les enfants dans la Brume. Ou plutôt, il appelle la brume à venir collecter les enfants. Sauver Urh. Tout cela en vaut-il la peine ? Quand on troque un fanatisme religieux, pour un fanatisme scientiste, ce n’est qu’un dogme pour un autre, un mirage derrière un mirage. Pendant ce temps, le peuple crève.
L’Alliance est comme une poudrière renaissante de ses décombres. Aiguillonnée par l’ennemi commun enfin affiché, la frénésie militaire s’épand sur les hautes cités. Bientôt un large convoi pourrait être envoyé pour ouvrir une route de ravitaillement vers Zénobie. Keshâ'rem en fera partie. C'est sûr. En attendant, un nouveau fléau, nouveau parmi tant d’autre, accable la basse-ville. Il a pour doux nom l’Esquisse. Drogue du diable, il permet aux désespérés de fuir leur effondrement et aux puissants d’exploser les frontières de leur vanité. La pauvreté protège parfois les infortunés, mais ici la drogue se veut bon marché, abordable, pour que toutes les bourses puissent se la payer.
Elle s’étend déjà hors de la ville, à Aramila, à Xandrie, parmi les exarques et les commerçants, qui au lieu de vouloir étouffer son foyer, se demandent comment ils pourraient prendre part à cette manne très demandée. Tous se battront pour sa formule. En tant que médecin, Seraphah est très préoccupé par cette crise de santé publique qui envahit le cœur même de son hôpital dans la haute cité.
Keshâ’rem s’est lui-même proposé de l’aider à remonter le fil rouge de l’Esquisse du consommateur au vendeur et du vendeur au producteur. Ses origines prolétaires lui éviteront sans doute d’éveiller les soupçons.
Revêtu de plus modestes habits qu’il a conservé un peu par sentimentalisme, pour se rappeler de ses origines, il se rend dans certains lieux familiers. Il commence par un lieu de passe sous un pont autoroutier. Inutile de dire combien l’endroit est malfamé. Il fut un temps où il redoutait d’approcher le périmètre. Pourtant, il y était bien forcé, chaque jour, pour se rendre à l’usine, lorsqu’il avait 16 ans.
-« Eyh mon joli ! T’es à croquer com’un cœur ! Viens don’là entre mes cuisses…. La bonne gisèle va t’y réchauffer la mine pour quelques sous ! … »
Il pressa le pas pour s’éloigner de la femme corpulente sous le regard pincé des macros. Une odeur forte d’urine lui assaille les narines et lui arrache un haut le cœur, alors qu’il évite des flaques d’huile. Son pieds bute contre quelques seringues laissées à terre près d’une pile de vieux pneus. Bien qu’il essayât de ne pas regarder la prostituée, il ne put manquer ses cheveux brûlés par les décolorations successives et son maquillage criard. Il jurait avec une mini-jupe en faux cuir dans laquelle ses cuisses étaient engoncée. Sa peau arborait de terribles ramures de rouille, qui rongeait peu à peu sa peau. Peut-être étaient-elles magnifique. Tout dépendait du regard que l’on portait dessus.
Non loin, un écœurant était en train de retourner une benne à ordures. Il fallait faire partie des ombres errantes en quête de leur poison pour faire abstraction de la peur qu’inspiraient les lieux. L’œil hagard, ils marchaient comme des jiangshis, en quête d’un espoir. Yshée. Ou Esquisse.
A l’époque, Keshâ était écrasé par le désespoir et l’oppression au quotidien. Nul part où se cacher. Jusque dans son dortoir. Son cerveau avait muté pour supporter le climat d’insécurité. Il gérait chaque pas indépendamment, sans regarder plus loin. Aujourd’hui, même s’il se croyait armé pour retourner dans les quartiers les moins bien fréquentés, c’était pire encore. Malgré ses totems et ses cristaux, il n’était pas invincible. Il n’avait toujours pas la faculté de tuer de sang froid. Ou même d’être bien convainquant dans ses menaces. Et tout cela le ramenait à cette version de lui, si chétive et misérable. Cette même version qui avait fait tellement de concessions avec l’indignité pour survivre.
Des palpitations dans la poitrine, il régulait son souffle. Un rien le ferait sursauter. Ce n’était pas la panique de l’esprit, mais celle du corps, en proie à toutes les marques laissées par le temps. Le corps ne faisait pas de différence entre hier et aujourd’hui. Il revivait sans cesse les coups et les menaces. Il les cumulait, même. Au point où, ainsi ravivés, ses traumas le laissaient encore moins fort de ses ressources que lorsqu’il avait investi le repère de brigands en col-blanc pour enquêter sur une usine.
-« Eh ! Ducon ! Tu peux pas faire attention ! Tu marches sur ma prothèse… » râla une voix éraillée appartenant à une clocharde en train de raffistoler ses rouages.
"Pour te faire pardonner, file-moi au moins quelques sous... je suis à court d'anti-rejet." supplia une paume noircie.
De dépit, il lui aurait donné quelques astras, mais se rembrunit. Il ne voulait pas se signaler comme un nantis à détrousser et laisser pour mort dans le caniveau.
Il n’osait pas approcher le trafiquant. C’était trop malsain pour lui. Soudain il reconnut un visage exhumé du passé.
-« Kailan, c’est toi ? »
On raconte bien souvent que les gens de la basse-ville sont des animaux, des sous-humains, tout juste bons au labeur harassant dont il est moral de les occuper pour les empêcher de s’entre-dévorer. Les investisseurs ne les sauvent-ils pas de la famine causée par leur manque de compétences? Mais que peu savoir un sapiarque oxydé d’idéologie du haut de sa tour, d’où tout semble si petit, si lointain. Il voit les lumières du futur. A en oublier que la lumière brûle, que la lumière aveugle, qu’on l’utilise parfois pour piéger insectes et papillons et les conduire à une mort certaine.
Tel le joueur de flûte, le Mandrebrume tourne autour d’Urh, il appelle les enfants dans la Brume. Ou plutôt, il appelle la brume à venir collecter les enfants. Sauver Urh. Tout cela en vaut-il la peine ? Quand on troque un fanatisme religieux, pour un fanatisme scientiste, ce n’est qu’un dogme pour un autre, un mirage derrière un mirage. Pendant ce temps, le peuple crève.
L’Alliance est comme une poudrière renaissante de ses décombres. Aiguillonnée par l’ennemi commun enfin affiché, la frénésie militaire s’épand sur les hautes cités. Bientôt un large convoi pourrait être envoyé pour ouvrir une route de ravitaillement vers Zénobie. Keshâ'rem en fera partie. C'est sûr. En attendant, un nouveau fléau, nouveau parmi tant d’autre, accable la basse-ville. Il a pour doux nom l’Esquisse. Drogue du diable, il permet aux désespérés de fuir leur effondrement et aux puissants d’exploser les frontières de leur vanité. La pauvreté protège parfois les infortunés, mais ici la drogue se veut bon marché, abordable, pour que toutes les bourses puissent se la payer.
Elle s’étend déjà hors de la ville, à Aramila, à Xandrie, parmi les exarques et les commerçants, qui au lieu de vouloir étouffer son foyer, se demandent comment ils pourraient prendre part à cette manne très demandée. Tous se battront pour sa formule. En tant que médecin, Seraphah est très préoccupé par cette crise de santé publique qui envahit le cœur même de son hôpital dans la haute cité.
Keshâ’rem s’est lui-même proposé de l’aider à remonter le fil rouge de l’Esquisse du consommateur au vendeur et du vendeur au producteur. Ses origines prolétaires lui éviteront sans doute d’éveiller les soupçons.
Revêtu de plus modestes habits qu’il a conservé un peu par sentimentalisme, pour se rappeler de ses origines, il se rend dans certains lieux familiers. Il commence par un lieu de passe sous un pont autoroutier. Inutile de dire combien l’endroit est malfamé. Il fut un temps où il redoutait d’approcher le périmètre. Pourtant, il y était bien forcé, chaque jour, pour se rendre à l’usine, lorsqu’il avait 16 ans.
-« Eyh mon joli ! T’es à croquer com’un cœur ! Viens don’là entre mes cuisses…. La bonne gisèle va t’y réchauffer la mine pour quelques sous ! … »
Il pressa le pas pour s’éloigner de la femme corpulente sous le regard pincé des macros. Une odeur forte d’urine lui assaille les narines et lui arrache un haut le cœur, alors qu’il évite des flaques d’huile. Son pieds bute contre quelques seringues laissées à terre près d’une pile de vieux pneus. Bien qu’il essayât de ne pas regarder la prostituée, il ne put manquer ses cheveux brûlés par les décolorations successives et son maquillage criard. Il jurait avec une mini-jupe en faux cuir dans laquelle ses cuisses étaient engoncée. Sa peau arborait de terribles ramures de rouille, qui rongeait peu à peu sa peau. Peut-être étaient-elles magnifique. Tout dépendait du regard que l’on portait dessus.
Non loin, un écœurant était en train de retourner une benne à ordures. Il fallait faire partie des ombres errantes en quête de leur poison pour faire abstraction de la peur qu’inspiraient les lieux. L’œil hagard, ils marchaient comme des jiangshis, en quête d’un espoir. Yshée. Ou Esquisse.
A l’époque, Keshâ était écrasé par le désespoir et l’oppression au quotidien. Nul part où se cacher. Jusque dans son dortoir. Son cerveau avait muté pour supporter le climat d’insécurité. Il gérait chaque pas indépendamment, sans regarder plus loin. Aujourd’hui, même s’il se croyait armé pour retourner dans les quartiers les moins bien fréquentés, c’était pire encore. Malgré ses totems et ses cristaux, il n’était pas invincible. Il n’avait toujours pas la faculté de tuer de sang froid. Ou même d’être bien convainquant dans ses menaces. Et tout cela le ramenait à cette version de lui, si chétive et misérable. Cette même version qui avait fait tellement de concessions avec l’indignité pour survivre.
Des palpitations dans la poitrine, il régulait son souffle. Un rien le ferait sursauter. Ce n’était pas la panique de l’esprit, mais celle du corps, en proie à toutes les marques laissées par le temps. Le corps ne faisait pas de différence entre hier et aujourd’hui. Il revivait sans cesse les coups et les menaces. Il les cumulait, même. Au point où, ainsi ravivés, ses traumas le laissaient encore moins fort de ses ressources que lorsqu’il avait investi le repère de brigands en col-blanc pour enquêter sur une usine.
-« Eh ! Ducon ! Tu peux pas faire attention ! Tu marches sur ma prothèse… » râla une voix éraillée appartenant à une clocharde en train de raffistoler ses rouages.
"Pour te faire pardonner, file-moi au moins quelques sous... je suis à court d'anti-rejet." supplia une paume noircie.
De dépit, il lui aurait donné quelques astras, mais se rembrunit. Il ne voulait pas se signaler comme un nantis à détrousser et laisser pour mort dans le caniveau.
Il n’osait pas approcher le trafiquant. C’était trop malsain pour lui. Soudain il reconnut un visage exhumé du passé.
-« Kailan, c’est toi ? »
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Jeu 17 Oct - 5:13, édité 4 fois
Mar 28 Mai - 22:08
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Dans un environnement où tout était puanteur et pauvreté, il ne restait plus que l’espoir. D’abord, celui d’une main tendue qui viendrait tirer ces âmes en proie à la maladie et la mort, tels ces preux chevaliers dans ces contes que l’on murmurait aux enfants avant qu’ils ne s’endorment dans un soupir. Quelqu’un viendrait les sauver de cette vie sans lumière, quelqu’un viendrait percer les murs de ces vies pourries et condamnées.
Mais ce mince espoir devenait un doux rêve lointain lorsqu’on comprenait que les contes n’étaient que mensonges et que les sauveurs miraculeux ne viendraient jamais, et encore moins dans un taudis au fond d’une cité qui vivait de la misère des uns pour engraisser les autres. Alors on choisissait des échappatoires. Il y avait ceux qui finissaient par fuir les lieux. Il y avait ceux qui persistaient et qui finissaient par avoir une situation plus ou moins agréable. Et il y avait ceux qui s'efforçaient d’entretenir cet espoir, quitte à s’oublier dans une spirale d’illusions, pour ne pas envier ceux qui s’en étaient sortis, ou pour ne pas se souvenir de leur propre existence.
La drogue était un doux conte que l’on infiltrait dans le sang des adultes, pour leur infuser l’espoir un temps. A l’image de la capitale Epistote, elle engraissait les plus riches tout en dépouillant les plus pauvres. Mais comme toutes les douces histoires, l’Esquisse s’était répandue dans la ville, puis dans le pays, puis au-delà, clamant ses promesses à ceux qui la consommaient comme ceux qui l’exploitaient.
Kailan voulait être de ces derniers.
Et bien que cela produisait un pincement au coeur de savoir que certaines de ses connaissances, dans la basse ville, se noyaient dans cette drogue, elle ne pouvait reculer face à l’appel de l’argent. Si elle reculait, alors elle ne tiendrait pas la promesse qu’elle avait faite à l’enfant qu’elle avait été une dizaine d’années auparavant, cette promesse de ne plus vivre dans la misère, d’être parmi les plus fortunés, et d’aider ceux qu’elle considérait comme une famille. Elle devait faire taire cette conscience, cette voix qui lui faisait la morale, pour parvenir à ses fins. Il lui fallait connaître les secrets de cette Esquisse, et l’exploiter à son tour. Et tant pis pour les âmes qui chuteraient dans la spirale d’illusions.
Kailan était comme un poisson dans l’eau – ironie quand on était un triton hors de l’eau – dans la basse ville. Au fil des années, tout le monde finissait par connaître tout le monde dans certains quartiers, et surtout ceux des commerces qui feraient rougir les plus intègres de la haute ville. Elle ne faisait que tourner dans le quartier pour faire du repérage, trouver un client, ou un vendeur à la sauvette de cette drogue. Alors qu’elle observait les passants discrètement, marchant les mains dans les poches, elle entendit la voix éraillée d’Huguette la pro du pathétique, qui passait son temps à faire semblant de se mettre au milieu du chemin des autres avec sa prothèse “défaillante” pour appâter les pigeons du coin. Elle lui aurait bien dit de fermer sa gueule tellement sa voix lui était insupportable, mais elle entendit une voix l’appeler. Elle tourna la tête vers l’homme, puis haussa les sourcils en le reconnaissant.
— Keshâ ?
De toutes les personnes qu’elle connaissait, elle ne s’attendait pas à le voir apparaître comme un spectre au milieu de ce paysage. Cela devait faire des mois, des années, qu’elle ne l’avait pas vu. Il faisait partie de ces gens qui finissaient par partir sans un regard en arrière, de ceux qui niaient leur passé, sûrement. Elle avait des souvenirs de ce jeune homme qui était le souffre douleur des autres, celui qui finissait à terre, le visage tuméfié et les poches détroussées. Encore aujourd’hui, il jurait avec le paysage et les gens autour de lui.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? lui dit-elle d’un ton incrédule. Tu traines plus avec les bourges ?
Elle demeurait étonnée de le voir, lui qui avait toutes les raisons d’oublier la Basse Ville et de ne pas repointer dans le coin.
Mais ce mince espoir devenait un doux rêve lointain lorsqu’on comprenait que les contes n’étaient que mensonges et que les sauveurs miraculeux ne viendraient jamais, et encore moins dans un taudis au fond d’une cité qui vivait de la misère des uns pour engraisser les autres. Alors on choisissait des échappatoires. Il y avait ceux qui finissaient par fuir les lieux. Il y avait ceux qui persistaient et qui finissaient par avoir une situation plus ou moins agréable. Et il y avait ceux qui s'efforçaient d’entretenir cet espoir, quitte à s’oublier dans une spirale d’illusions, pour ne pas envier ceux qui s’en étaient sortis, ou pour ne pas se souvenir de leur propre existence.
La drogue était un doux conte que l’on infiltrait dans le sang des adultes, pour leur infuser l’espoir un temps. A l’image de la capitale Epistote, elle engraissait les plus riches tout en dépouillant les plus pauvres. Mais comme toutes les douces histoires, l’Esquisse s’était répandue dans la ville, puis dans le pays, puis au-delà, clamant ses promesses à ceux qui la consommaient comme ceux qui l’exploitaient.
Kailan voulait être de ces derniers.
Et bien que cela produisait un pincement au coeur de savoir que certaines de ses connaissances, dans la basse ville, se noyaient dans cette drogue, elle ne pouvait reculer face à l’appel de l’argent. Si elle reculait, alors elle ne tiendrait pas la promesse qu’elle avait faite à l’enfant qu’elle avait été une dizaine d’années auparavant, cette promesse de ne plus vivre dans la misère, d’être parmi les plus fortunés, et d’aider ceux qu’elle considérait comme une famille. Elle devait faire taire cette conscience, cette voix qui lui faisait la morale, pour parvenir à ses fins. Il lui fallait connaître les secrets de cette Esquisse, et l’exploiter à son tour. Et tant pis pour les âmes qui chuteraient dans la spirale d’illusions.
Kailan était comme un poisson dans l’eau – ironie quand on était un triton hors de l’eau – dans la basse ville. Au fil des années, tout le monde finissait par connaître tout le monde dans certains quartiers, et surtout ceux des commerces qui feraient rougir les plus intègres de la haute ville. Elle ne faisait que tourner dans le quartier pour faire du repérage, trouver un client, ou un vendeur à la sauvette de cette drogue. Alors qu’elle observait les passants discrètement, marchant les mains dans les poches, elle entendit la voix éraillée d’Huguette la pro du pathétique, qui passait son temps à faire semblant de se mettre au milieu du chemin des autres avec sa prothèse “défaillante” pour appâter les pigeons du coin. Elle lui aurait bien dit de fermer sa gueule tellement sa voix lui était insupportable, mais elle entendit une voix l’appeler. Elle tourna la tête vers l’homme, puis haussa les sourcils en le reconnaissant.
— Keshâ ?
De toutes les personnes qu’elle connaissait, elle ne s’attendait pas à le voir apparaître comme un spectre au milieu de ce paysage. Cela devait faire des mois, des années, qu’elle ne l’avait pas vu. Il faisait partie de ces gens qui finissaient par partir sans un regard en arrière, de ceux qui niaient leur passé, sûrement. Elle avait des souvenirs de ce jeune homme qui était le souffre douleur des autres, celui qui finissait à terre, le visage tuméfié et les poches détroussées. Encore aujourd’hui, il jurait avec le paysage et les gens autour de lui.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? lui dit-elle d’un ton incrédule. Tu traines plus avec les bourges ?
Elle demeurait étonnée de le voir, lui qui avait toutes les raisons d’oublier la Basse Ville et de ne pas repointer dans le coin.
Ven 31 Mai - 20:21
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
Peut-être que le mieux aurait été de se détourner avant qu’elle ne l’aperçoive. C’était bien le regard surpris de Kailan qui se posait sur lui. Elle le reconnaissait. Mêlé du plaisir et du soulagement de retrouver un visage non hostile et de la gêne d’avoir à justifier sa présence, il ne savait pas trop comment réagir. Enfin, il était trop tard pour faire demi-tour.
Kailan n’avait rien perdu de ses traits juvéniles. Ses joues remplies et son teint frais défiaient la grisaille des bas quartiers. Ceux qui s’essayaient à poser les mains sur la jeune fille avaient pourtant tôt fait de regretter leur geste. Elle avait plus de hargne dans le petit doigt que Keshâ dans son corps entier. Aussi était-il déjà arrivé que la cadette mette en fuite quelques bourreaux accablant le jeune homme il y a de cela quelques années. Il peinait à intégrer qu’il fallait montrer les crocs et faire preuve d’agressivité.
-« Hum… ben c’est un peu mon quartier… » bafouilla-t-il, le temps de décider de la suite de ce qu’il dirait.
« Si… si… je me demande comment tu es au courant. Ce n’est pas comme si ça se voyait quand quelqu’un quitte la ville ou finit par crever. On met le corps à la fausse commune et on passe le balai dans sa chambre avant qu’un autre prenne sa place… »
Une main maladroite passa dans ses cheveux pour les ébouriffer. Assurément, il avait toujours été bien trop délicat pour les bas-quartiers. Cela ne garantissait pas la possibilité d’y échapper.
« J’ai déménagé, c’est vrai. On peut dire que j’ai rencontré une sorte de « prince charmant"… enfin… »
Si elle savait qui il était, il perdait déjà beaucoup en discrétion. Donc c’était peut-être risqué, mais peut-être qu’il pouvait un peu l’impliquer dans sa recherche immédiate sans trop lui en dire pour le moment.
-« Pour tout te dire, j’ai un but un peu spécial. »
Son regard partit en coin pour inspecter les silhouettes sombres qui passaient au loin.
-« Je cherche à me procurer de l’Esquisse… tu sais ou je pourrais en trouver ? »
Un vague sentiment de honte empourpra ses joues à l’idée qu’elle puisse penser qu’il en soit consommateur. Après tout, n’avait-il pas toutes les raisons de vouloir échapper aux séquelles de la misère ? Sa nébula le rongeait, tout serait tellement plus facile s’il avait plus confiance en lui.
-« Ce n’est pas pour moi… ne va pas croire ça. » ajouta-t-il pour disperser les soupçons !
Il l’attrapa vers le bras pour la tirer encore un peu plus à l’écart.
-« Ecoute, je ne sais pas trop comment expliquer. Mais je voudrais savoir d’où vient cette drogue et ce qui se cache derrière. Ce n’est pas nette qu’elle soit arrivée si vite sur le marché. »
Seraphah voyait débouler des victimes de ses excès de jours comme de nuit dans son hôpital qui débordait de patients en décompensation. Certains partaient en dépression, d’autres en hystérie. Un point commun partagé par les pauvres comme par les riches était une vive agressivité lorsque l’on tentait de les détourner de leur conduite addictive. Même la noblesse commençait à redouter de voir les familles gangrenées par cette dépendance insidieuse.
-« Bref, tu connaitrais pas un dealer ?... je n’insinue rien, hein… c’est juste que je n’ai jamais vraiment eu l’air naturel dans ce genre de contact. Peut-être que tu saurais m’aider ?
Bon… Keshâ’rem n’allait pas non plus la mettre en danger dans une mission suicide. Kailan n’était pas en sucre mais elle n’avait pas non plus demandé à finir les pieds dans le ciment et jetée dans le fleuve par des trafiquants Xandriens du cartel. Elle pouvait aussi l’envoyer balader. Et ce serait bien correct de sa part. Ou alors, elle penserait juste que derrière un visage « parfait » se cachait les fondations d’un vice pour faire face à l’existence. Il ne pouvait qu’attendre de voir comment elle réagirait à sa demande.
Kailan n’avait rien perdu de ses traits juvéniles. Ses joues remplies et son teint frais défiaient la grisaille des bas quartiers. Ceux qui s’essayaient à poser les mains sur la jeune fille avaient pourtant tôt fait de regretter leur geste. Elle avait plus de hargne dans le petit doigt que Keshâ dans son corps entier. Aussi était-il déjà arrivé que la cadette mette en fuite quelques bourreaux accablant le jeune homme il y a de cela quelques années. Il peinait à intégrer qu’il fallait montrer les crocs et faire preuve d’agressivité.
-« Hum… ben c’est un peu mon quartier… » bafouilla-t-il, le temps de décider de la suite de ce qu’il dirait.
« Si… si… je me demande comment tu es au courant. Ce n’est pas comme si ça se voyait quand quelqu’un quitte la ville ou finit par crever. On met le corps à la fausse commune et on passe le balai dans sa chambre avant qu’un autre prenne sa place… »
Une main maladroite passa dans ses cheveux pour les ébouriffer. Assurément, il avait toujours été bien trop délicat pour les bas-quartiers. Cela ne garantissait pas la possibilité d’y échapper.
« J’ai déménagé, c’est vrai. On peut dire que j’ai rencontré une sorte de « prince charmant"… enfin… »
Si elle savait qui il était, il perdait déjà beaucoup en discrétion. Donc c’était peut-être risqué, mais peut-être qu’il pouvait un peu l’impliquer dans sa recherche immédiate sans trop lui en dire pour le moment.
-« Pour tout te dire, j’ai un but un peu spécial. »
Son regard partit en coin pour inspecter les silhouettes sombres qui passaient au loin.
-« Je cherche à me procurer de l’Esquisse… tu sais ou je pourrais en trouver ? »
Un vague sentiment de honte empourpra ses joues à l’idée qu’elle puisse penser qu’il en soit consommateur. Après tout, n’avait-il pas toutes les raisons de vouloir échapper aux séquelles de la misère ? Sa nébula le rongeait, tout serait tellement plus facile s’il avait plus confiance en lui.
-« Ce n’est pas pour moi… ne va pas croire ça. » ajouta-t-il pour disperser les soupçons !
Il l’attrapa vers le bras pour la tirer encore un peu plus à l’écart.
-« Ecoute, je ne sais pas trop comment expliquer. Mais je voudrais savoir d’où vient cette drogue et ce qui se cache derrière. Ce n’est pas nette qu’elle soit arrivée si vite sur le marché. »
Seraphah voyait débouler des victimes de ses excès de jours comme de nuit dans son hôpital qui débordait de patients en décompensation. Certains partaient en dépression, d’autres en hystérie. Un point commun partagé par les pauvres comme par les riches était une vive agressivité lorsque l’on tentait de les détourner de leur conduite addictive. Même la noblesse commençait à redouter de voir les familles gangrenées par cette dépendance insidieuse.
-« Bref, tu connaitrais pas un dealer ?... je n’insinue rien, hein… c’est juste que je n’ai jamais vraiment eu l’air naturel dans ce genre de contact. Peut-être que tu saurais m’aider ?
Bon… Keshâ’rem n’allait pas non plus la mettre en danger dans une mission suicide. Kailan n’était pas en sucre mais elle n’avait pas non plus demandé à finir les pieds dans le ciment et jetée dans le fleuve par des trafiquants Xandriens du cartel. Elle pouvait aussi l’envoyer balader. Et ce serait bien correct de sa part. Ou alors, elle penserait juste que derrière un visage « parfait » se cachait les fondations d’un vice pour faire face à l’existence. Il ne pouvait qu’attendre de voir comment elle réagirait à sa demande.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Jeu 17 Oct - 5:29, édité 8 fois
Sam 15 Juin - 18:31
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Keshâ parut gêné des questions qu’elle avait posées. Kailan avait oublié que le jeune homme était quelque peu délicat, du moins en comparaison de ses fréquentations régulières. C’était quelque chose de voir un visage familier qui ne soit pas trempé dans des affaires louches dans les bas fonds d’Epistopoli. Keshâ jurait avec le paysage, avec son petit air innocent constant, qui ne faisait que s’accentuer avec son embarras évident. Kailan haussa les épaules :
— Ecoute, j’ai entendu des rumeurs. Y’a des gens qui t’auraient vu dans la Haute Ville, et on te voyait plus ici, alors j’en ai conclu que…
Merde, son embarras était communicatif. Elle n’avait rien contre le jeune homme et n’appréciait pas trop de le mettre mal à l’aise. Il en avait déjà assez bavé pour plusieurs vies, elle ne voulait pas lui en rajouter une couche supplémentaire. Heureusement, il finit par lui répondre qu’il avait bien déménagé. Elle haussa les sourcils lorsqu’il lui confia qu’il était venu pour quelque chose en particulier. La raison de sa venue lui fit hausser bien plus hauts ses sourcils :
— T’es un camé ?!
Cela l’étonnait qu’il termine dans ce genre d’addictions. Peut-être que les maltraitances qu’il avait subi des autres dans la Basse Ville continuaient de le tourmenter et qu’il cherchait une échappatoire. Elle ne pouvait pas le juger sur ses choix. Il lui saisit le bras et l’attira un peu plus loin, là où les oreilles indiscrètes ne les entendraient pas.
— Justement, je cherche aussi à en savoir plus sur cette drogue, moi aussi. Je trouve ça louche.
Elle ne préféra pas lui parler de ses intentions, moins bonnes que les siennes, certainement. Si Keshâ semblait s’inquiéter de cette drogue, Kai n’en avait cure, n’y voyant qu’un moyen d’accéder à une source de gain d’argent. Sans transition, il lui demanda si elle connaissait un dealer.
— J’en connais pas, mais je pense qu’on pourrait en trouver un. Si l’Esquisse se diffuse partout aussi facilement, ça doit être trouvable facilement.
Elle considéra du regard Huguette, qui était toujours par terre quelques mètres plus loin. Elle fit signe à Keshâ de la suivre, puis elle s’approcha de la femme. Elle s’accroupit devant elle :
— Dit, Huguette, mon vieux pote et moi on voudrait passer du bon temps. Tu saurais pas où on peut se trouver de l’Esquisse ?
La femme leva la tête vers Kailan, puis se mit à gémir en reconnaissant Keshâ derrière elle :
— Ma prothèse, putain, je sens que mon corps ne veut plus d’elle…
Kailan soupira, fouilla dans sa poche pour en sortir quelques petites pièces, qu’elle mit dans la main de l’arnaqueuse. Cette dernière cessa de gémir, dévoilant ses chicots maltraitées par le manque d’hygiène et les produits chimiques dans un sourire :
— Va par là, dit-elle en désignant une rue du menton. Sur ta gauche, t’auras une porte mauve. Frappe et demande leur de quoi dessiner.
Kailan hocha la tête et se redressa pour retourner face à Keshâ.
— Bon… y’a plus qu’à y faire un tour.
Elle haussa les épaules, puis commença à marcher en direction de la rue qu’Huguette avait désignée, d’un pas tranquille pour que Keshâ la suive.
— Ecoute, j’ai entendu des rumeurs. Y’a des gens qui t’auraient vu dans la Haute Ville, et on te voyait plus ici, alors j’en ai conclu que…
Merde, son embarras était communicatif. Elle n’avait rien contre le jeune homme et n’appréciait pas trop de le mettre mal à l’aise. Il en avait déjà assez bavé pour plusieurs vies, elle ne voulait pas lui en rajouter une couche supplémentaire. Heureusement, il finit par lui répondre qu’il avait bien déménagé. Elle haussa les sourcils lorsqu’il lui confia qu’il était venu pour quelque chose en particulier. La raison de sa venue lui fit hausser bien plus hauts ses sourcils :
— T’es un camé ?!
Cela l’étonnait qu’il termine dans ce genre d’addictions. Peut-être que les maltraitances qu’il avait subi des autres dans la Basse Ville continuaient de le tourmenter et qu’il cherchait une échappatoire. Elle ne pouvait pas le juger sur ses choix. Il lui saisit le bras et l’attira un peu plus loin, là où les oreilles indiscrètes ne les entendraient pas.
— Justement, je cherche aussi à en savoir plus sur cette drogue, moi aussi. Je trouve ça louche.
Elle ne préféra pas lui parler de ses intentions, moins bonnes que les siennes, certainement. Si Keshâ semblait s’inquiéter de cette drogue, Kai n’en avait cure, n’y voyant qu’un moyen d’accéder à une source de gain d’argent. Sans transition, il lui demanda si elle connaissait un dealer.
— J’en connais pas, mais je pense qu’on pourrait en trouver un. Si l’Esquisse se diffuse partout aussi facilement, ça doit être trouvable facilement.
Elle considéra du regard Huguette, qui était toujours par terre quelques mètres plus loin. Elle fit signe à Keshâ de la suivre, puis elle s’approcha de la femme. Elle s’accroupit devant elle :
— Dit, Huguette, mon vieux pote et moi on voudrait passer du bon temps. Tu saurais pas où on peut se trouver de l’Esquisse ?
La femme leva la tête vers Kailan, puis se mit à gémir en reconnaissant Keshâ derrière elle :
— Ma prothèse, putain, je sens que mon corps ne veut plus d’elle…
Kailan soupira, fouilla dans sa poche pour en sortir quelques petites pièces, qu’elle mit dans la main de l’arnaqueuse. Cette dernière cessa de gémir, dévoilant ses chicots maltraitées par le manque d’hygiène et les produits chimiques dans un sourire :
— Va par là, dit-elle en désignant une rue du menton. Sur ta gauche, t’auras une porte mauve. Frappe et demande leur de quoi dessiner.
Kailan hocha la tête et se redressa pour retourner face à Keshâ.
— Bon… y’a plus qu’à y faire un tour.
Elle haussa les épaules, puis commença à marcher en direction de la rue qu’Huguette avait désignée, d’un pas tranquille pour que Keshâ la suive.
Lun 24 Juin - 21:44
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
La mise à jour étant faite, l’orphelin se sentait quelque peu soulagé.
-« J’avoue que je ne pensais pas que les rumeurs circulaient aussi vite entre la haute et la basse-ville. A l’intérieur des deux moitiés, je veux bien, mais j’avais comme l’impression d’un rideau de fer… et j’ai un peu honte de fuir dans le confort. »
Idée ridicule. Mais bien présente. N’importe qui aurait dit oui à sa place. Il y aurait toujours des langues de vipères pour critiquer et commérer. Finalement, il ne savait pas top si Kailan croyait en son histoire ou pensait seulement qu’il cherchait des excuses pour ne pas passer pour un drogué. Ce serait peut-être la naissance d’une nouvelle rumeur dans la basse-ville. Vu que Kailan en raffolait, ça tournerait vite ! On dirait que derrière ces petits airs puritains se cache du vice. On lui donnerait les Douze sans confession, mais le petit fuyard n’est pas meilleur que les autres ! Preuve en est ! Il prend de l’Esquisse. Ce qui était triste était que ce résultat serait presque à souhaiter. Ce serait bon pour sa couverture, au contraire de l'image qu'il voudrait renvoyer.
Il se contenta d’un -« Ah bon », quand elle prétendit rechercher ce qui se cachait derrière le circuit de l’Esquisse. Du peu qu’il pouvait connaître de la personnalité actuelle de la tritonne, il ne l’aurait pas décrite comme curieuse. Encore moins altruiste. La seule question qui lui venait était « que croit-elle gagner en s’impliquant ? ».
Mais il aurait bien besoin d’une complice dégourdie pour évoluer dans les bas-fonds. La vue seule de Huguette le dégoûtait à un point ... qu’il aurait eu du mal à s’adresser à elle. S’il avait toujours été plus précieux que les autres, c’était peut-être aussi le signe que la haute-ville déteignait sur lui. On s’habitue bien vite à côtoyer des personnes avenantes au teint propre, clair et à la démarche tranquille.
Encore une fois, il ne pouvait pas en vouloir à la vieille aux dents détruites pour son arnaque. La vie n’avait pas été tendre avec elle. Ce n’était pas une sainte, mais elle faisait ce qu’elle pouvait pour continuer à vivre. Sa conscience lui interdisait de la juger. La culpabilité était déjà assez forte d’être repoussé par son allure, maintenant que lui ne pensait même plus à ses finances courantes et dansait sous une pluie de cristaux.
Kailan l’entraînait vers l’adresse indiquée par la vieille femme.
-« Merci… Huguette. »
Avec une certaine hésitation, il lui donna aussi deux astras de bronze et emboîta vivement le pas de Kailan, qui était déjà loin.
La rue était encombrée par des bennes à ordures qui débordaient de sacs éventrés. S’en écoulaient des détritus, qui macéraient dans un jus répugnant dans les rigoles obstruées. La flaque n’avait même plus de couleur identifiable, quelque part entre le gris cendres, le goudron et le marron vomi.
D’autres âmes agonisantes les faisaient tour à tour sursauter.
Une main se tendait soudain d’un carton.
De la pénombre, deux orbites blanches les regardaient fixement, sans bouger…
Un néon flingué se rallumait une fois tous les cent ans juste pour jeter son éclat blafard par surprise.
-« C’est extrêmement rassurant… on se tient prêts à courir au moindre signe de danger. »
A vrai dire, il se méfiait déjà de Kailan. Cette dernière semblait déjà bien informée sur son évolution. Elle en savait peut-être même plus. N’importe qui vendrait son cousin à Epistopoli pour améliorer sa condition. Son propre frère ne l’avait-il pas vendu sans regret ? Et puis, il fallait voir le nombre d’ennemis qu’il avait pu se faire dernièrement en se tenant aux côtés de Seraphah. Ou même, ceux de son propre cru, à commencer par certains éléments nocifs du Magistère. Il était temps d'apprendre de ses erreurs ou de mourir. Avant, il n'était personne. Si un loubard était bien luné, il avait une chance qu'on le laisse vivre avec indifférence. Désormais, il s'était mis une cible sur le dos. La détermination était son salut.
A deux, ils ne pouvaient espérer voir venir tout risque de traquenard : une portière qui s’ouvre soudainement, quelqu’un d’embusqué sous un carton, un parpaing balancé du haut du toit, une moto qui s’arrête en crissant et un conducteur qui dégaine un pistolet… mais en plus, une partie de sa vision périphérique surveillait les gestes de Kailan, pour s’assurer qu’elle ne le pousse pas d’un coup dans un piège. Le scénario le plus plausible serait qu’elle bosse elle-même pour les trafiquants de l’Esquisse et rameutent ceux qui posaient trop de questions. Si c’était ça, elle n’allait pas être déçue de sa réaction…
En remontant la ruelle malodorante, une porte claqua au loin, sur une passerelle au-dessus d’eux. Une femme s’enfuit en tenant sa joue et en serrant un gamin contre elle. Tous deux étaient pieds-nus.
-« Reviens, salope ! Si tu t’enfuis, t’as plus d’maison ! T’auras nulle part où aller ! Vous pourrez bien crever à la rue tous les deux, jm’en branle !! »
Un jour normal à Epistopoli. Le pied de Keshâ buta contre une carcasse de rat. D’une grimace de dégoût, il l’enjamba, avant que lui et Kailan ne doivent se pousser pour fuir une colonie entière, bien vivante, qui partait à vive-allure.
Alors qu’ils progressaient, ils pouvaient discerner la porte mauve, presque trop criarde au milieu de toute cette saleté. La puanteur ne faisait que s’accroître, c’était insoutenable.
-« Il faut combien de rats crevés pour donner cette odeur ?! » se plaignit-il le cœur au bord des lèvres.
D’abord, ils ne virent rien. Ils sentirent. La pestilence. Puis, ils virent, l’haleine fluorescente s’échapper entre deux cartons tremblants. Ensuite, l’œil incrédule distingua une masse effrayante, une grande queue écailleuse digne d’un monstre des marais. En proie à la méfiance, tous deux reculèrent, jambes fléchies, prêt à bondir de côté.
-« Donnez-moi… donnezzz-moi plus… l’Esquisse… il m’en faut plus…. Plus d’argennnt… Pitié. »
La voix déformée et rocailleuse partait parfois dans les aigus d’une manière étonnante. C’était dur, mais ils se doutaient justement que l’Esquisse laissait d’innombrables victimes brisées dans son sillage. Ce qui les interpella est cette queue anormale, qui ne pouvait être l’apanage que d’un zoan ou un mutant. Pour Keshâ, c’était un peu plus que cette constatation. Son poil se dressa sur ses avant-bras. Il ne reconnaissait que trop bien cette voix plaintive, dont le niveau de pitié qu’elle inspirait, était tout autre que celui de Huguette.
Du bout de sa botte, il poussa d’un coup un carton miteux, dévoilant le corps de l’effroyable créature. Son visage était une offense aux lois de la nature et à l’œuvre de Nagidir. Son corps, une chimère ridicule, à défaut d’être effarante, partageant ses traits physiques entre le crocodile et le gallinacée. Le mutant semblait être le produit d’un artiste raté, d’où perçait la démesure de la prétention. Il arborait une tête, une queue et des griffes de crocodile, mais avait les ailes, le panache et le poitrail d’un poulet géant. L’abjection ne pouvait qu’être totale, complété par le liquide sirupeux de couleur jaune qui suintait de ses yeux et de ses narines. C’était une sécrétion qu’il savait malheureusement particulièrement collante et pestilente, en plus du mucus qui dégoutait de ses plumes devenues rabougries et marron de crasse.
-« C’est croco-poulet. » décrivit-il d’une voix blanche, l’âme au bord des lèvres.
Les yeux voilés de la créature pitoyable tentèrent de percevoir les silhouettes devant elle. Une étincelle de conscience surnageait vainement de la drogue et la cachexie… mais on pouvait voir qu’il n’en avait plus pour longtemps.
-« Keshâ ? C’est toi ? … Keshâ… aide-moi à me cacher… sinon, ils vont me retrouver… Keshâ… mon fils a hurlé quand il m’a vu… il n’a pas voulu m’écouter… » geignit la créature fébrile. Sa respiration rauque avait des airs de porte grinçante.
Le malaise était lisible sur le visage de l’intéressé qui ne bougeait plus.
-« J’avoue que je ne pensais pas que les rumeurs circulaient aussi vite entre la haute et la basse-ville. A l’intérieur des deux moitiés, je veux bien, mais j’avais comme l’impression d’un rideau de fer… et j’ai un peu honte de fuir dans le confort. »
Idée ridicule. Mais bien présente. N’importe qui aurait dit oui à sa place. Il y aurait toujours des langues de vipères pour critiquer et commérer. Finalement, il ne savait pas top si Kailan croyait en son histoire ou pensait seulement qu’il cherchait des excuses pour ne pas passer pour un drogué. Ce serait peut-être la naissance d’une nouvelle rumeur dans la basse-ville. Vu que Kailan en raffolait, ça tournerait vite ! On dirait que derrière ces petits airs puritains se cache du vice. On lui donnerait les Douze sans confession, mais le petit fuyard n’est pas meilleur que les autres ! Preuve en est ! Il prend de l’Esquisse. Ce qui était triste était que ce résultat serait presque à souhaiter. Ce serait bon pour sa couverture, au contraire de l'image qu'il voudrait renvoyer.
Il se contenta d’un -« Ah bon », quand elle prétendit rechercher ce qui se cachait derrière le circuit de l’Esquisse. Du peu qu’il pouvait connaître de la personnalité actuelle de la tritonne, il ne l’aurait pas décrite comme curieuse. Encore moins altruiste. La seule question qui lui venait était « que croit-elle gagner en s’impliquant ? ».
Mais il aurait bien besoin d’une complice dégourdie pour évoluer dans les bas-fonds. La vue seule de Huguette le dégoûtait à un point ... qu’il aurait eu du mal à s’adresser à elle. S’il avait toujours été plus précieux que les autres, c’était peut-être aussi le signe que la haute-ville déteignait sur lui. On s’habitue bien vite à côtoyer des personnes avenantes au teint propre, clair et à la démarche tranquille.
Encore une fois, il ne pouvait pas en vouloir à la vieille aux dents détruites pour son arnaque. La vie n’avait pas été tendre avec elle. Ce n’était pas une sainte, mais elle faisait ce qu’elle pouvait pour continuer à vivre. Sa conscience lui interdisait de la juger. La culpabilité était déjà assez forte d’être repoussé par son allure, maintenant que lui ne pensait même plus à ses finances courantes et dansait sous une pluie de cristaux.
Kailan l’entraînait vers l’adresse indiquée par la vieille femme.
-« Merci… Huguette. »
Avec une certaine hésitation, il lui donna aussi deux astras de bronze et emboîta vivement le pas de Kailan, qui était déjà loin.
La rue était encombrée par des bennes à ordures qui débordaient de sacs éventrés. S’en écoulaient des détritus, qui macéraient dans un jus répugnant dans les rigoles obstruées. La flaque n’avait même plus de couleur identifiable, quelque part entre le gris cendres, le goudron et le marron vomi.
D’autres âmes agonisantes les faisaient tour à tour sursauter.
Une main se tendait soudain d’un carton.
De la pénombre, deux orbites blanches les regardaient fixement, sans bouger…
Un néon flingué se rallumait une fois tous les cent ans juste pour jeter son éclat blafard par surprise.
-« C’est extrêmement rassurant… on se tient prêts à courir au moindre signe de danger. »
A vrai dire, il se méfiait déjà de Kailan. Cette dernière semblait déjà bien informée sur son évolution. Elle en savait peut-être même plus. N’importe qui vendrait son cousin à Epistopoli pour améliorer sa condition. Son propre frère ne l’avait-il pas vendu sans regret ? Et puis, il fallait voir le nombre d’ennemis qu’il avait pu se faire dernièrement en se tenant aux côtés de Seraphah. Ou même, ceux de son propre cru, à commencer par certains éléments nocifs du Magistère. Il était temps d'apprendre de ses erreurs ou de mourir. Avant, il n'était personne. Si un loubard était bien luné, il avait une chance qu'on le laisse vivre avec indifférence. Désormais, il s'était mis une cible sur le dos. La détermination était son salut.
A deux, ils ne pouvaient espérer voir venir tout risque de traquenard : une portière qui s’ouvre soudainement, quelqu’un d’embusqué sous un carton, un parpaing balancé du haut du toit, une moto qui s’arrête en crissant et un conducteur qui dégaine un pistolet… mais en plus, une partie de sa vision périphérique surveillait les gestes de Kailan, pour s’assurer qu’elle ne le pousse pas d’un coup dans un piège. Le scénario le plus plausible serait qu’elle bosse elle-même pour les trafiquants de l’Esquisse et rameutent ceux qui posaient trop de questions. Si c’était ça, elle n’allait pas être déçue de sa réaction…
En remontant la ruelle malodorante, une porte claqua au loin, sur une passerelle au-dessus d’eux. Une femme s’enfuit en tenant sa joue et en serrant un gamin contre elle. Tous deux étaient pieds-nus.
-« Reviens, salope ! Si tu t’enfuis, t’as plus d’maison ! T’auras nulle part où aller ! Vous pourrez bien crever à la rue tous les deux, jm’en branle !! »
Un jour normal à Epistopoli. Le pied de Keshâ buta contre une carcasse de rat. D’une grimace de dégoût, il l’enjamba, avant que lui et Kailan ne doivent se pousser pour fuir une colonie entière, bien vivante, qui partait à vive-allure.
Alors qu’ils progressaient, ils pouvaient discerner la porte mauve, presque trop criarde au milieu de toute cette saleté. La puanteur ne faisait que s’accroître, c’était insoutenable.
-« Il faut combien de rats crevés pour donner cette odeur ?! » se plaignit-il le cœur au bord des lèvres.
D’abord, ils ne virent rien. Ils sentirent. La pestilence. Puis, ils virent, l’haleine fluorescente s’échapper entre deux cartons tremblants. Ensuite, l’œil incrédule distingua une masse effrayante, une grande queue écailleuse digne d’un monstre des marais. En proie à la méfiance, tous deux reculèrent, jambes fléchies, prêt à bondir de côté.
-« Donnez-moi… donnezzz-moi plus… l’Esquisse… il m’en faut plus…. Plus d’argennnt… Pitié. »
La voix déformée et rocailleuse partait parfois dans les aigus d’une manière étonnante. C’était dur, mais ils se doutaient justement que l’Esquisse laissait d’innombrables victimes brisées dans son sillage. Ce qui les interpella est cette queue anormale, qui ne pouvait être l’apanage que d’un zoan ou un mutant. Pour Keshâ, c’était un peu plus que cette constatation. Son poil se dressa sur ses avant-bras. Il ne reconnaissait que trop bien cette voix plaintive, dont le niveau de pitié qu’elle inspirait, était tout autre que celui de Huguette.
Du bout de sa botte, il poussa d’un coup un carton miteux, dévoilant le corps de l’effroyable créature. Son visage était une offense aux lois de la nature et à l’œuvre de Nagidir. Son corps, une chimère ridicule, à défaut d’être effarante, partageant ses traits physiques entre le crocodile et le gallinacée. Le mutant semblait être le produit d’un artiste raté, d’où perçait la démesure de la prétention. Il arborait une tête, une queue et des griffes de crocodile, mais avait les ailes, le panache et le poitrail d’un poulet géant. L’abjection ne pouvait qu’être totale, complété par le liquide sirupeux de couleur jaune qui suintait de ses yeux et de ses narines. C’était une sécrétion qu’il savait malheureusement particulièrement collante et pestilente, en plus du mucus qui dégoutait de ses plumes devenues rabougries et marron de crasse.
-« C’est croco-poulet. » décrivit-il d’une voix blanche, l’âme au bord des lèvres.
Les yeux voilés de la créature pitoyable tentèrent de percevoir les silhouettes devant elle. Une étincelle de conscience surnageait vainement de la drogue et la cachexie… mais on pouvait voir qu’il n’en avait plus pour longtemps.
-« Keshâ ? C’est toi ? … Keshâ… aide-moi à me cacher… sinon, ils vont me retrouver… Keshâ… mon fils a hurlé quand il m’a vu… il n’a pas voulu m’écouter… » geignit la créature fébrile. Sa respiration rauque avait des airs de porte grinçante.
Le malaise était lisible sur le visage de l’intéressé qui ne bougeait plus.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Jeu 17 Oct - 5:44, édité 4 fois
Jeu 4 Juil - 18:18
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Kailan pencha la tête en écoutant les paroles de Keshâ :
— C’est rare, mais certains se souviennent d’où ils viennent quand ils quittent la basse-ville. C’est comme ça que ceux qui restent ont des nouvelles de l’extérieur, surtout de la haute-ville.
Elle coula brièvement un regard vers le jeune homme. Elle ne lui reprochait pas, en soi, d’avoir fui vers le confort, comme il le disait lui-même si bien. Mais comme pour ceux qui partaient sans un regard en arrière, elle lui reprochait de pas avoir tendu la main à ceux qui étaient innocents et méritaient une meilleure vie.
Après avoir eu les indications d’Huguette, ils s’aventurèrent dans la rue désignée.
L’endroit était encore plus dégueulasse que les quartiers qu’elle fréquentait habituellement. Décidément, le milieu de la drogue était bien crade. Kailan avait appris au fil des années à se fermer à ce genre de scène, à enfermer ses émotions dans un coin de sa tête pour ne pas céder à ce qui était la peur, la colère, ou aux autres nuances de dégoût possibles. Aussi ignorait-elle les âmes égarées de ces quartiers les plus malfamés d’Epistopoli, contrairement à son comparse qui réagissait beaucoup trop à ce qui l’entourait. Si ça continuait, ils ne feraient pas une bonne paire. Cependant, Kailan aurait du mal à abandonner le jeune homme derrière elle s’il lui arrivait une merde. Sûrement éprouvait-elle de la pitié à l’égard du jeune homme qui se faisait encore rouer de coups il y avait de cela quelques années.
Même si certains lui provoquaient des sursauts ou des hauts le coeur, elle ne leur accordait pas plus de quelques secondes avant de poursuivre son chemin.
— Ouais, on fait comme ça, répondit-elle, même si elle n’était pas convaincue de la menace que représentait un être qui se cachait désespérément dans un carton.
Il semblait beaucoup trop tendu, à son goût. Elle entendait bien les coups de feu, la violence ambiante, cette ambiance malsaine qui polluait l’air au même titre que ces fichues usines, mais cela était devenu comme un bruit de fond à force de traîner dans ces coins-là. Seuls ceux qui n’avaient pas l’habitude de les fréquenter étaient aussi tendus que lui. Elle se demandait si cela aiderait à leur couverture, comme des clients peu habitués, ou au contraire, s’ils allaient être trop vite repérés et se faire bouffer crus à cause des sursauts de monsieur.
Au-dessus d’eux, une femme fuyait avec son enfant. Encore un type violent qui n’avait rien d’autre à faire que de s’en prendre à sa pauvre femme. Si elle avait eu le temps, elle aurait bien aider cette femme, mais elle avait des priorités. Un instant plus tard, ils durent s’arrêter pour laisser une colonie de rats passer. Cet endroit était l’un des plus écœurants de la basse-ville, à n’en point douter.
Enfin, la porte dont avait parlé Huguette. Elle jurait sur le paysage sombre et goudronné environnant, mais l’odeur était devenue insoutenable. Sentant une présence près d’eux, Kailan se recula,prête à dégainer une arme s’il le fallait. Une monstruosité se découpait de l’ombre, victime de l’Esquisse. Un zoan ? La chose était dans un si triste état qu’elle se demandait quelle était sa nature même. Le carton poussé, le corps de la créature était dévoilée, Kailan ne put s’empêcher de se reculer. Jamais elle n’avait vu une telle chose, et cela lui inspirait la peur. Elle avait entendu parler des mutants, mais n’en avait jamais vu dans la réalité. Jamais Kailan n’aurait imaginé qu’une telle horreur puisse respirer et vivre.
— Croco-poulet, répéta-t-elle machinalement, ses yeux et sa bouche ne parvenant pas encore à faire le lien avec son cerveau.
En plus de la rencontre la plus insolite de toute sa courte existence, elle devait aussi digérer que Keshâ connaissait cette chose. Entendre que cette créature avait une famille était d’autant plus une torture pour son esprit. Cette chose était en train de subir un calvaire, et elle ne voyait pas quoi faire à part… Kailan n’avait jamais donné la mort, et n’osait pas énoncer tout haut ces pensées macabres.
— Croco-poulet… pourriez-vous nous dire qui vous cherche ? Et comment… vous cacher ?
Kailan ignora sa respiration qui devenait irrégulière. Elle n’arrivait pas à réaliser ce qu’elle était en train de voir, et savait encore moins comment réagir. Devait-elle exaucer le dernier souhait d’une créature mourante, ou mettre fin plus rapidement à son supplice ? Elle glissa un regard vers Keshâ, lui demandant silencieusement ce qui devait être fait, le temps que le mutant réponde à ses questions. Après tout, il était le seul à le connaître assez pour savoir son nom.
Sam 27 Juil - 16:37
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
Il ne put s’empêcher de prendre les mots de Kailan pour une pique. Lui ne se souvenait que trop bien d’où il venait. S’il parvenait à profiter du luxe de sa baignoire sans trop culpabiliser, dès qu’il mettait le pieds parmi les nantis, il avait l’impression de porter sur son front les stigmates de la pauvreté. Un peu comme si l’on pouvait lire la souffrance ou l’incongruité de sa présence parmi les gens bien.
C’est juste qu’il n’avait jamais eu vraiment d’amis. Ni en haut, ni en bas, ni au milieu. Quelques connaissances éphémères. Quelques solidarités. C’est tout.
-« Je fais ce que je peux, aujourd’hui, à ma façon. »
Son archétype était plus celui de la courtisane vénéneuse ou du rat infiltré dans les murs que du militant enfiévré ou du bénévole à la soupe populaire. Un jour, peut-être, arrêterait-il de se sentir obligé de justifier ses actes. Il en était loin. Déjà, avait-il tout risqué pour déranger le trafic de drogue et d’organes. L’expérience avait très mal tourné et il ne s’en était sorti grâce à un allié d’envergure issus de l’armée. Val’Ihem était lui-même en infiltration, sans quoi, l’Invisible l’aurait égorgé. Sans compter les mafieux qui l’auraient planté ou atomisé au Gauss-35. Sa cheville s’était entièrement remise d’avoir été broyée grâce au miracle des potions et la médecine de la haute-ville. Mais il ressentait encore la douleur brûlante irradier jusque dans sa moelle épinière et lui cramer les globes oculaires de temps à autres. Fantôme neurologique.
L’avertissement était entendu. Keshâ’rem vibrait à la fois plus de peur et de résolution. Ses scrupules à frapper pour blesser avaient bien fondu sous sa fébrilité. Contrairement à Kailan, l’orphelin n’avait jamais su se fermer aux autres, quand bien même il les craignait. Ses émotions affleurantes les balayaient. Il ne pouvait ignorer le supplice ni le dégoût, explorant toujours mille nuances de souffrances sans cesse renouvelées.
Croco-poulet était à bout, il le sentait intimement, tout en constatant le stoïcisme de sa camarade, un brin perplexe. Peut-être parce qu’elle ne réalisait pas l’envergure de l’horreur autour de la création des mutants dans les laboratoires clandestins de R. Enfin, il sentit la peur s’insinuer en elle avec une certaine satisfaction. Membre de gang, peut-être. Mais sans doute encore une « civile » dans le monde des horreurs.
Alors qu’elle répétait le nom, blanche comme un linge, croco-poulet semblait muré dans son monde intérieur. Les mâchoires carrées, il réfléchissait intensément à la question de Kailan, sans parvenir à trouver la réponse. Alors, Keshâ’rem finit par prendre le relai et explicita:
-« Tu dois connaitre la Cour des Miracles ? »
A l’évocation de ce nom, la pathétique chimère se convulsa en recrachant de la morve bleue. Son dos s’arqua et craqua comme une chaîne de vélo rouillée coincée dans son dérailleur. Assurément, ce nom réveillait chez croco-poulet les fantômes de traumas qui l' avaient transformé en épave.
-« Ils capturent des gens normaux. Des belles filles comme toi. Peut-être contre un peu de nourriture, de drogue ou de plaisir. Avec ton accord, bien sûr, tu les suis, ils t’aident, gentiment… et puis, tu te retrouves avec des entraves, des tuyaux plein de drogues jusqu’à vomir par tous les trous du sang et des substances colorées…. Et tu deviens… ça… le martyr de croco-poulet… c’est qu’il se souvient. Ses créateurs ont confié avoir mal fini leur travail… normalement, ils volent jusqu’au souvenir de leur nom à leurs victimes. Leur ancien visage… leurs familles… tout ce qui comptait pour eux, disparu, à jamais… et tu es à leur service… un agent du chaos… »
Certes, il avait toujours eu un côté princesse et assez chochotte. Il ne s’en excusait pas. Mais s’il sursautait dans les ombres, c’est parce qu’il avait eu récemment un joli panel de ce qui pouvait s’y cacher. Et ce n’était pas toujours un gars bourré au couteau mal aiguisé. Croco-poulet était pire. Il était le tableau vivant de toute l’abomination d’Epistopoli, infligeant son mal à ses habitants. Il avait un peu brodé entre les lignes sur ce que le bougre avait subi, n'ayant pas eu la primeur d'un exposé de R. sur ses procédés. Les grandes lignes suffisaient.
-« Bien sûr, tout le monde sait. Et on laisse R. agir. »
-« R. !!! R. !!! Il est ici ?!! » glapit la carcasse en sursit dans une crispation poignante.
-« Non… il n’est pas là, Croco-poulet, soit tranquille. » tenta-t-il de l’apaiser.
-« Je ne connais même pas son vrai prénom. Il ne s’en souvient plus. C’est le nom humiliant qu’ils lui ont donné pour se moquer de l’apparence grotesque qu’ils lui ont eux-mêmes donné. Et ils appellent cela de l’Art. »
-« Je suis un raté ! C’est Vilaine qui l’a dit… mon fils ne pouvait pas me R.. RR... re--gard'er..» pleurnicha le mutant. « On ne peut plus rien pour moi. Je ne peux pas me cacher. Je peux rien… Ssuis qu’une merde ! … une grosse merde ! » hurlait-il.
Un regard en arrière, l’orphelin commençait à redouter d’attirer l’attention au fond de leur ruelle. Quelqu’un finirait éventuellement par passer. Il murmura à l’oreille de Kailan.
-« Je me sens extrêmement mal. Il n’y a rien qu’on puisse faire pour lui… on doit continuer à avancer… il n’en a plus pour longtemps… j’ai fait ce que j’ai pu pour l’aider à dire au revoir à sa famille. » trancha-t-il. La porte mauve se tenait non loin d’eux.
Dur, il détournait son regard du gisant, qui s’en retournerait bientôt à l’immondice d’une décharge. Oublié de tous. Méprisé. Jugé. Sans que personne ne connaisse son histoire. A part R., bien évidemment. Et Keshâ. Et Kailan, à présent.
-« PiIIItié ! Uhouhou… ne me laisser pas sSeEEul ! Je veux pas ! J’veu.. ; j’eu pas ! » partait sa voix des graves aux aigus, perdue entre sanglots et morve. « Tuez-moi ! Tuez-moi… s’il… vous… plaît… »
Keshâ, qui lui tournait déjà le dos, se figea. Il se sentait étrangement détaché de son corps. Son cou était pourtant contracté et son œil humide. Pris dans une forme d’impasse intérieure, il n’allait pas trancher. Dans sa boucle de trauma, il ressentait les pattes fines de Vilaine posées sur lui dans ce hangar miteux et l’œil vil de Ratamahatta le déshabiller avec convoitise pour en faire son Violon. Si minable puisse être le sort de croco-poulet, c'était par sa main qu'il avait pu s'enfuir dans les tunnels durant l'assaut des forces de police. Sans quoi, lui aussi aurait oublié son nom et son ancienne vie. Il serait aujourd'hui la créature odieuse de la Cour des Miracles... même s'il avait chuté, vu des choses qu'il n'avait pas du voir, commis des atrocités... tuer un innocent. Non! Il ne voulait pas être ce monstre. Il ne voulait pas franchir cette autre barrière.
C’était à Kailan de réagir à sa demande.
C’est juste qu’il n’avait jamais eu vraiment d’amis. Ni en haut, ni en bas, ni au milieu. Quelques connaissances éphémères. Quelques solidarités. C’est tout.
-« Je fais ce que je peux, aujourd’hui, à ma façon. »
Son archétype était plus celui de la courtisane vénéneuse ou du rat infiltré dans les murs que du militant enfiévré ou du bénévole à la soupe populaire. Un jour, peut-être, arrêterait-il de se sentir obligé de justifier ses actes. Il en était loin. Déjà, avait-il tout risqué pour déranger le trafic de drogue et d’organes. L’expérience avait très mal tourné et il ne s’en était sorti grâce à un allié d’envergure issus de l’armée. Val’Ihem était lui-même en infiltration, sans quoi, l’Invisible l’aurait égorgé. Sans compter les mafieux qui l’auraient planté ou atomisé au Gauss-35. Sa cheville s’était entièrement remise d’avoir été broyée grâce au miracle des potions et la médecine de la haute-ville. Mais il ressentait encore la douleur brûlante irradier jusque dans sa moelle épinière et lui cramer les globes oculaires de temps à autres. Fantôme neurologique.
L’avertissement était entendu. Keshâ’rem vibrait à la fois plus de peur et de résolution. Ses scrupules à frapper pour blesser avaient bien fondu sous sa fébrilité. Contrairement à Kailan, l’orphelin n’avait jamais su se fermer aux autres, quand bien même il les craignait. Ses émotions affleurantes les balayaient. Il ne pouvait ignorer le supplice ni le dégoût, explorant toujours mille nuances de souffrances sans cesse renouvelées.
Croco-poulet était à bout, il le sentait intimement, tout en constatant le stoïcisme de sa camarade, un brin perplexe. Peut-être parce qu’elle ne réalisait pas l’envergure de l’horreur autour de la création des mutants dans les laboratoires clandestins de R. Enfin, il sentit la peur s’insinuer en elle avec une certaine satisfaction. Membre de gang, peut-être. Mais sans doute encore une « civile » dans le monde des horreurs.
Alors qu’elle répétait le nom, blanche comme un linge, croco-poulet semblait muré dans son monde intérieur. Les mâchoires carrées, il réfléchissait intensément à la question de Kailan, sans parvenir à trouver la réponse. Alors, Keshâ’rem finit par prendre le relai et explicita:
-« Tu dois connaitre la Cour des Miracles ? »
A l’évocation de ce nom, la pathétique chimère se convulsa en recrachant de la morve bleue. Son dos s’arqua et craqua comme une chaîne de vélo rouillée coincée dans son dérailleur. Assurément, ce nom réveillait chez croco-poulet les fantômes de traumas qui l' avaient transformé en épave.
-« Ils capturent des gens normaux. Des belles filles comme toi. Peut-être contre un peu de nourriture, de drogue ou de plaisir. Avec ton accord, bien sûr, tu les suis, ils t’aident, gentiment… et puis, tu te retrouves avec des entraves, des tuyaux plein de drogues jusqu’à vomir par tous les trous du sang et des substances colorées…. Et tu deviens… ça… le martyr de croco-poulet… c’est qu’il se souvient. Ses créateurs ont confié avoir mal fini leur travail… normalement, ils volent jusqu’au souvenir de leur nom à leurs victimes. Leur ancien visage… leurs familles… tout ce qui comptait pour eux, disparu, à jamais… et tu es à leur service… un agent du chaos… »
Certes, il avait toujours eu un côté princesse et assez chochotte. Il ne s’en excusait pas. Mais s’il sursautait dans les ombres, c’est parce qu’il avait eu récemment un joli panel de ce qui pouvait s’y cacher. Et ce n’était pas toujours un gars bourré au couteau mal aiguisé. Croco-poulet était pire. Il était le tableau vivant de toute l’abomination d’Epistopoli, infligeant son mal à ses habitants. Il avait un peu brodé entre les lignes sur ce que le bougre avait subi, n'ayant pas eu la primeur d'un exposé de R. sur ses procédés. Les grandes lignes suffisaient.
-« Bien sûr, tout le monde sait. Et on laisse R. agir. »
-« R. !!! R. !!! Il est ici ?!! » glapit la carcasse en sursit dans une crispation poignante.
-« Non… il n’est pas là, Croco-poulet, soit tranquille. » tenta-t-il de l’apaiser.
-« Je ne connais même pas son vrai prénom. Il ne s’en souvient plus. C’est le nom humiliant qu’ils lui ont donné pour se moquer de l’apparence grotesque qu’ils lui ont eux-mêmes donné. Et ils appellent cela de l’Art. »
-« Je suis un raté ! C’est Vilaine qui l’a dit… mon fils ne pouvait pas me R.. RR... re--gard'er..» pleurnicha le mutant. « On ne peut plus rien pour moi. Je ne peux pas me cacher. Je peux rien… Ssuis qu’une merde ! … une grosse merde ! » hurlait-il.
Un regard en arrière, l’orphelin commençait à redouter d’attirer l’attention au fond de leur ruelle. Quelqu’un finirait éventuellement par passer. Il murmura à l’oreille de Kailan.
-« Je me sens extrêmement mal. Il n’y a rien qu’on puisse faire pour lui… on doit continuer à avancer… il n’en a plus pour longtemps… j’ai fait ce que j’ai pu pour l’aider à dire au revoir à sa famille. » trancha-t-il. La porte mauve se tenait non loin d’eux.
Dur, il détournait son regard du gisant, qui s’en retournerait bientôt à l’immondice d’une décharge. Oublié de tous. Méprisé. Jugé. Sans que personne ne connaisse son histoire. A part R., bien évidemment. Et Keshâ. Et Kailan, à présent.
-« PiIIItié ! Uhouhou… ne me laisser pas sSeEEul ! Je veux pas ! J’veu.. ; j’eu pas ! » partait sa voix des graves aux aigus, perdue entre sanglots et morve. « Tuez-moi ! Tuez-moi… s’il… vous… plaît… »
Keshâ, qui lui tournait déjà le dos, se figea. Il se sentait étrangement détaché de son corps. Son cou était pourtant contracté et son œil humide. Pris dans une forme d’impasse intérieure, il n’allait pas trancher. Dans sa boucle de trauma, il ressentait les pattes fines de Vilaine posées sur lui dans ce hangar miteux et l’œil vil de Ratamahatta le déshabiller avec convoitise pour en faire son Violon. Si minable puisse être le sort de croco-poulet, c'était par sa main qu'il avait pu s'enfuir dans les tunnels durant l'assaut des forces de police. Sans quoi, lui aussi aurait oublié son nom et son ancienne vie. Il serait aujourd'hui la créature odieuse de la Cour des Miracles... même s'il avait chuté, vu des choses qu'il n'avait pas du voir, commis des atrocités... tuer un innocent. Non! Il ne voulait pas être ce monstre. Il ne voulait pas franchir cette autre barrière.
C’était à Kailan de réagir à sa demande.
Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Ven 18 Oct - 20:48, édité 8 fois
Lun 5 Aoû - 22:28
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Elle attendait une réponse de la créature, tout en attendant de connaître la décision que prendrait Keshâ sur cet ami retrouvé dans un état lamentable. Kailan haussa les sourcils en entendant le nom de cette étrange cour, mais n’eut pas le temps de répondre qu’elle se recula en voyant Croco-poulet déverser le contenu de ses tripes – un liquide bleu – par sa gueule. La voix de Keshâ’rem était comme par-dessus cette scène digne d’un cauchemar. Elle n’avait jamais vu telle créature, et aurait peut-être souhaité ne pas connaître son existence. Egoïsme ou volonté soudaine de protéger ce qu’il restait de son mental, ou peut-être les deux, après tout, cela se rejoignait… Qui étaient ces gens qui détruisaient des vies pour un terrible fantasme ? Le Mandebrume, toutes ces conneries, ça lui passait par dessus la tête, parce qu’elle était persuadée que tous ces gens qui voulaient mener le monde se foutaient des petites gens comme elle ou ceux de la basse ville. Alors en retour, elle faisait de même, en ignorant toutes ces merdes politiques, géopolitiques, peu importe le nom de ce foutoir.
Des noms défilaient dans son explication. Des initiales, des pseudonymes, mais rien de véritablement tangible. Kailan en aurait ri si on lui avait raconté ça au hasard dans une rue, en pensant que ce n’étaient que des sornettes. Mais elle devait faire face à une réalité à laquelle elle n’avait pas cru : Kesha était bien trop sérieux dans ses propos, et la créature gisante près d’eux était la preuve vivante de la véracité de ses dires. Elle en avait perdu la voix, fixant la créature sans pouvoir s’en détacher des yeux, tandis qu’elle entendait Kesha lui dire discrètement qu’ils ne pourraient rien pour lui, et qu’ils devaient poursuivre leur route. Kailan demeura immobile, les bras ballants, encore choquée de tout ce qu’elle venait d’apprendre, alors que Kesha commençait à avancer, comme il l’avait préconisé.
Soudain, la créature gémit comme un enfant, ne ressemblant plus tellement à la créature effrayante et ridicule qu’elle était. Croco-poulet apparut, l’espace d’un instant, comme un homme. Il n’avait pas son apparence d’origine, et ne la récupérera jamais, mais tout dans ses supplications, ses pleurs et ses gémissements le rendaient aussi humains que ne l’étaient Kailan et Kesha. Dans son agonie, il ne voulait pas rester seul. Ses dernières forces, il les avait utilisées pour retrouver sa famille et la voir une dernière fois. Peut-être le rejet de cette dernière avait été le coup de grâce pour cet inconnu qui était désormais nommé Croco-poulet. Aux yeux de Kailan, il n’était plus juste une créature cauchemardesque, ni une gêne sur son chemin. Il était un homme aux portes de la mort, et il leur demandait de le tuer.
Elle redressa la tête pour suivre du regard Kesha, qui s’était immobilisé, raide comme un cadavre qu’on avait abandonné au milieu de cette ruelle, à l’entente des paroles de son camarade. Kailan fronça les sourcils : elle ne comprenait pas le comportement du jeune homme, tantôt dans la fuite en avant, tantôt dans l’hésitation. Visiblement, c’était à elle de choisir, entre laisser cet homme au nom inconnu seul, pleurer et souffrir de sa condition de mourrant, dans la terreur, la douleur et le chagrin… Ou abréger ses souffrances, comme il le suppliait. Il n’y avait pas tant de choix, et aucun autre moyen d’apaiser la torture qu’était cette misérable existence.
— Écarte-toi, dit-elle à l’attention de Kesha, la voix tremblante.
Elle se pencha pour faire basculer les sangles qui retenaient une mitrailleuse et son trépied qu'elle avait attaché a son dos, qu’elle saisit fermement entre ses bras. En face d’elle, l’homme avait cessé de se lamenter et respirait difficilement en la regardant. Avec une force qui lui parut surhumaine tant son mental était à bout de force, elle régla l’arme sur son trépied et la pointa vers lui, puis appuya doucement le bout de la mitrailleuse sur le front de l’homme, entre les deux yeux.
— Fermez les yeux, ou priez… ou pensez à un truc agréable.
Elle attendit quelques longues secondes, pour le préparer, comme se préparer elle-même. Kailan avait songé qu’avec la vie qu’elle avait choisi, elle serait amenée à tuer un jour… mais jamais elle n’aurait cru que son premier meurtre serait celui d’une telle personne.
Elle inspira. Expira.
Puis appuya sur la détente.
Une série de coups de feu retentit. Puis il n’y eut que le silence. Au sol, Croco-poulet n’était plus. Libéré du fardeau de son apparence et de son agonie, l’homme qu’il avait été n’était plus de ce monde, laissant le corps inerte et noyé dans son propre sang d’une créature abominable qui n’aurait dû voir le jour. Le sang s’était répandu sur le sol, les murs, et les corps alentour. Kailan, dans un état second, les oreilles bourdonnantes après les coups de feu, rangea son arme sur son dos comme elle en était retenue.
— On avance, dit-elle d’une voix digne d’un automate à Kesha, avançant d’une démarche à la fois raide et titubante vers la porte.
Et certainement n’allait-elle pas émerger de cet état second dû aux différents chocs passés avant un certain temps.
Des noms défilaient dans son explication. Des initiales, des pseudonymes, mais rien de véritablement tangible. Kailan en aurait ri si on lui avait raconté ça au hasard dans une rue, en pensant que ce n’étaient que des sornettes. Mais elle devait faire face à une réalité à laquelle elle n’avait pas cru : Kesha était bien trop sérieux dans ses propos, et la créature gisante près d’eux était la preuve vivante de la véracité de ses dires. Elle en avait perdu la voix, fixant la créature sans pouvoir s’en détacher des yeux, tandis qu’elle entendait Kesha lui dire discrètement qu’ils ne pourraient rien pour lui, et qu’ils devaient poursuivre leur route. Kailan demeura immobile, les bras ballants, encore choquée de tout ce qu’elle venait d’apprendre, alors que Kesha commençait à avancer, comme il l’avait préconisé.
Soudain, la créature gémit comme un enfant, ne ressemblant plus tellement à la créature effrayante et ridicule qu’elle était. Croco-poulet apparut, l’espace d’un instant, comme un homme. Il n’avait pas son apparence d’origine, et ne la récupérera jamais, mais tout dans ses supplications, ses pleurs et ses gémissements le rendaient aussi humains que ne l’étaient Kailan et Kesha. Dans son agonie, il ne voulait pas rester seul. Ses dernières forces, il les avait utilisées pour retrouver sa famille et la voir une dernière fois. Peut-être le rejet de cette dernière avait été le coup de grâce pour cet inconnu qui était désormais nommé Croco-poulet. Aux yeux de Kailan, il n’était plus juste une créature cauchemardesque, ni une gêne sur son chemin. Il était un homme aux portes de la mort, et il leur demandait de le tuer.
Elle redressa la tête pour suivre du regard Kesha, qui s’était immobilisé, raide comme un cadavre qu’on avait abandonné au milieu de cette ruelle, à l’entente des paroles de son camarade. Kailan fronça les sourcils : elle ne comprenait pas le comportement du jeune homme, tantôt dans la fuite en avant, tantôt dans l’hésitation. Visiblement, c’était à elle de choisir, entre laisser cet homme au nom inconnu seul, pleurer et souffrir de sa condition de mourrant, dans la terreur, la douleur et le chagrin… Ou abréger ses souffrances, comme il le suppliait. Il n’y avait pas tant de choix, et aucun autre moyen d’apaiser la torture qu’était cette misérable existence.
— Écarte-toi, dit-elle à l’attention de Kesha, la voix tremblante.
Elle se pencha pour faire basculer les sangles qui retenaient une mitrailleuse et son trépied qu'elle avait attaché a son dos, qu’elle saisit fermement entre ses bras. En face d’elle, l’homme avait cessé de se lamenter et respirait difficilement en la regardant. Avec une force qui lui parut surhumaine tant son mental était à bout de force, elle régla l’arme sur son trépied et la pointa vers lui, puis appuya doucement le bout de la mitrailleuse sur le front de l’homme, entre les deux yeux.
— Fermez les yeux, ou priez… ou pensez à un truc agréable.
Elle attendit quelques longues secondes, pour le préparer, comme se préparer elle-même. Kailan avait songé qu’avec la vie qu’elle avait choisi, elle serait amenée à tuer un jour… mais jamais elle n’aurait cru que son premier meurtre serait celui d’une telle personne.
Elle inspira. Expira.
Puis appuya sur la détente.
Une série de coups de feu retentit. Puis il n’y eut que le silence. Au sol, Croco-poulet n’était plus. Libéré du fardeau de son apparence et de son agonie, l’homme qu’il avait été n’était plus de ce monde, laissant le corps inerte et noyé dans son propre sang d’une créature abominable qui n’aurait dû voir le jour. Le sang s’était répandu sur le sol, les murs, et les corps alentour. Kailan, dans un état second, les oreilles bourdonnantes après les coups de feu, rangea son arme sur son dos comme elle en était retenue.
— On avance, dit-elle d’une voix digne d’un automate à Kesha, avançant d’une démarche à la fois raide et titubante vers la porte.
Et certainement n’allait-elle pas émerger de cet état second dû aux différents chocs passés avant un certain temps.
Mer 4 Sep - 2:02
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
La voix de Kailan glissa sur lui, le ramenant au présent avec autorité. Il obéit et fit un pas de côté. Toujours de dos, il se retourna à demi, d’un air affligé, son regard pendant vers le sol. Ses yeux lavande délavés observèrent sans curiosité la frêle jeune femme tirer un arsenal camouflé dans un gros paquetage. Sa résolution sans équivoque le surprenait.
Tout à son anesthésie, il regarda à nouveau droit devant lui pour échapper à l’exécution. Ou plutôt l’euthanasie. La mort avait toujours le goût de la mort. Peu importe son emballage. Le soin avec lequel Kailan invitait croco-poulet au recueillement était touchant, plus qu’un simple problème à expédier, elle y mettait de l’attention. Il apprécierait cela, plus tard, quand il reviendrait à lui.
Pour le moment, il serrait opiniâtrement les poings à s’en faire blanchir les phalanges. Sa pupille lui donnait l’impression de trembler. Il aurait voulu pleurer. Mais trop de larmes avaient été versées. Ses yeux gorgés se refusaient à en verser une de plus. Il n’y arrivait simplement pas.
Puisse les esprits anciens t’accueillir dans leur royaume sous ton vrai visage, croco-poulet. Ton calvaire est terminé.
Les détonations explosèrent à leurs oreilles, y laissant une profonde empreinte sonore, un cri. Etait-ce celui de l’âme de croco-poulet libérée de sa prison de chair mutilée ? La méthode d’exécution pouvait paraître disproportionnée. Le crâne de la créature avait éclaté. Une vraie boucherie. Au moins, il n’aurait pas souffert. Et ce visage qui n’était pas le sien ne serait pas un outrage à sa vie après son trépas. Aucune vermine ne viendrait le ronger.
-"On avance."
Comme tirés par les fils d’une marionnette, leurs corps avancèrent vers la porte mauve. Keshâ’rem pataugeait toujours dans un brouillard mental qui lui donnait des contours indistincts. C’était bien, très bien. Tout à fait le genre d’état dont il aurait besoin pour libérer la mère-des-morts en cas de besoin. Aucun état d’âme. Carte blanche pour tuer.
Kailan avait bien fait ça. Il ne dit rien, son état ne le permettait pas. Mais il aurait voulu la remercier. S’il avait su que c’était son premier meurtre, il l’aurait aussi réconforté. Son premier sang était un sang de compassion. Le sien était celui de la bestialité quand une chance de s’en sortir n’était laissé qu’à un seul. Mathieu hantait toujours les rives de sa conscience. Et les rires des pirates. « LA LOI DU SANG ! » bourdonnaient en lui avec l’acouphène. Était-il retourné sur le Zeppelin ?
Non, il sinuait depuis un moment dans un couloir sombre mal agencé, avec Kailan. Ils devaient contourner une caisse en bois laissée en travers ou enjamber une flaque suspecte qui se voyaient dans l’obscurité en renvoyant un léger reflet argenté. Le bruit de fusillade laissait redouter un comité d’accueil bien senti. Il n’en était rien. Personne ne se trouvait à l’avant du bâtiment qui semblait abandonné. Errant comme des fantômes, ils s’enfonçèrent. Leurs oreilles bourdonnantes devinaient le bruit de baffles à distance. Un escalier suspendu en métal s’enfonçait dans les profondeurs. Ses marches étaient branlantes, manquant assurément de quelques boulons. Les contremarches ajourées laissèrent bien vite entrevoir la lumière de néons et de stroboscopes.
Froidement, la main de Keshâ’rem avait attrapé son révolver, qu’il gardait le long de son bras pendant dans la pénombre, pour ne pas attirer l’attention. Ils croisèrent un premier groupe de personnes adossées contre un mur. Une certaine mixité. Hommes, femmes. Jeunes. Dans un style décadent. Vêtements troués, corps modifiés, tatoués, cheveux colorés et maquillages noirs balafrant leurs visages comme des masques guerriers. Le parfait atour pour duper tout automate de reconnaissance faciale.
La démarche toujours lente, guindée, titubante, les regards sombres et intenses pesèrent sur eux et les suivirent jusqu’au prochain escalier. Personne ne les arrêta. Ils ressemblaient en tout point aux jeunes perdus en quête des miracles de l’Esquisse.
Ils étaient entrés. Mais rien ne disait que ce qui ressemblait à un club underground n’était pas simplement une vitrine, devant un niveau encore plus secret et torturé du donjon. Ils pourraient sans doute trouver des consommateurs, des vendeurs, des gens venus simplement pour la débauche ou toute autre sorte de propositions perverties. Cela suffirait-il à aller plus loin dans le réseau ?
En haut d’un palier, Keshâ s’arrêta. Son regard se tourna avec intention à la rencontre de celui de la jeune femme. Il cherchait à voir si sa volonté n’avait pas flanché. Aucun d’eux ne pourrait prétendre garder le contrôle de la situation si quoi que ce soit se produisait. Il avait vu qu’elle savait se défendre, mais une mitrailleuse Dexar n’était pas l’arme la plus rapide ni même la plus pratique à épauler dans un espace confiné et peuplé.
Comme Kailan lui renvoyait un regard empli de fermeté, il descendit lentement les marches vers la fosse bruyante où se déchaînaient la fête souterraine. A mi chemin de l’escalier, à peine, un homme au crâne rasé attrapa le bras de Kailan et l’attira à lui, une lueur lubrique dans ses yeux noirs.
-« Lâche-là tout de suite. » grinça Keshâ’rem d’une voix rauque.
-« Qu’est-ce’tu dis ?!... ferm’là ptite merde !... » grogna le motard en montrant un poing menaçant au jeune homme.
« C’est ta copine ?... je vais juste te l’emprunter dix minutes… elle pourra te donner quelques trucs après. » continua-t-il d’un sourire mauvais.
Le regard de Keshâ’rem le dévisageait tout en le scannant avec son hypersensibilité – un contact déplaisant s’il en est. La lie de l’humanité. Aucun amour. Aucun respect. De la pure mauvaiseté. Ses yeux parcoururent rapidement la salle en contrebas pour détecter quelques regards glissant sur eux, sans doute des amis du molosse, qui pourraient intervenir, si tant est qu’un avorton comme lui puisse représenter une menace pour une barrique aussi agressive.
Comme Keshâ se forçait à ne pas baisser les yeux, pour Kailan, la brute reprit :
« Quoi ? C’est toi qui va m’en empêcher ? »
-« Gauche ou droite ? » répliqua-t-il d’une voix tremblante, après un silence. Sa gorge s'était desséchée d'un seule coup.
-« Tu commences à ms’aouler, minus ! »
-« Je parle de tes couilles, ducon! Gauche ou droite pour la première balle ? »
D’un geste brusque du métal, il poussa le canon de son revolver contre l’entrejambe du mafieux, qui retint un sursaut de stupeur. Son expression mêlait haine et incrédulité. Il voulait le faire payer pour ça, lui arracher le bras et lui planter son canon dans le cul.
-« Ça aussi ça te fait bander?... N’essaye pas de bouger. Je le saurai si tu essayes. Rien ne me ferait plus plaisir que de tirer. »
Mélange de bluff et d’honnêteté blanche. Ses fantasmes s’imaginaient condamner la brute au hachoir, mais faire acte de violence dans le réel était toujours plus difficile. Son corps avait encore ce logiciel secret prévenant tout acte menant à faire le mal. Qu’il ne pousse pas trop loin cette barrière. La survie avait déjà démontré sa suprématie en situation de danger…
Si le motard bougeait, il ne pourrait pas hésiter et il appuierait. Sinon, il regretterait d’être en vie vu ce que son gang lui ferait.
Finalement, l’homme au crâne rasé lâcha rageusement le bras de Kailan qu’il comprimait dans son poing et redescendit l’escalier.
-« Tu es sûre de vouloir y aller ? C’est à peine la devanture. Et c’est déjà une zone de non-droit. En plus, il a des amis en bas. Ils ne vont clairement pas digérer l’humiliation que nous venons de leur infliger… si on y va, il ne faut pas se hasarder et aller droit au but sans stagner. »
Tout à son anesthésie, il regarda à nouveau droit devant lui pour échapper à l’exécution. Ou plutôt l’euthanasie. La mort avait toujours le goût de la mort. Peu importe son emballage. Le soin avec lequel Kailan invitait croco-poulet au recueillement était touchant, plus qu’un simple problème à expédier, elle y mettait de l’attention. Il apprécierait cela, plus tard, quand il reviendrait à lui.
Pour le moment, il serrait opiniâtrement les poings à s’en faire blanchir les phalanges. Sa pupille lui donnait l’impression de trembler. Il aurait voulu pleurer. Mais trop de larmes avaient été versées. Ses yeux gorgés se refusaient à en verser une de plus. Il n’y arrivait simplement pas.
Puisse les esprits anciens t’accueillir dans leur royaume sous ton vrai visage, croco-poulet. Ton calvaire est terminé.
Les détonations explosèrent à leurs oreilles, y laissant une profonde empreinte sonore, un cri. Etait-ce celui de l’âme de croco-poulet libérée de sa prison de chair mutilée ? La méthode d’exécution pouvait paraître disproportionnée. Le crâne de la créature avait éclaté. Une vraie boucherie. Au moins, il n’aurait pas souffert. Et ce visage qui n’était pas le sien ne serait pas un outrage à sa vie après son trépas. Aucune vermine ne viendrait le ronger.
-"On avance."
Comme tirés par les fils d’une marionnette, leurs corps avancèrent vers la porte mauve. Keshâ’rem pataugeait toujours dans un brouillard mental qui lui donnait des contours indistincts. C’était bien, très bien. Tout à fait le genre d’état dont il aurait besoin pour libérer la mère-des-morts en cas de besoin. Aucun état d’âme. Carte blanche pour tuer.
Kailan avait bien fait ça. Il ne dit rien, son état ne le permettait pas. Mais il aurait voulu la remercier. S’il avait su que c’était son premier meurtre, il l’aurait aussi réconforté. Son premier sang était un sang de compassion. Le sien était celui de la bestialité quand une chance de s’en sortir n’était laissé qu’à un seul. Mathieu hantait toujours les rives de sa conscience. Et les rires des pirates. « LA LOI DU SANG ! » bourdonnaient en lui avec l’acouphène. Était-il retourné sur le Zeppelin ?
Non, il sinuait depuis un moment dans un couloir sombre mal agencé, avec Kailan. Ils devaient contourner une caisse en bois laissée en travers ou enjamber une flaque suspecte qui se voyaient dans l’obscurité en renvoyant un léger reflet argenté. Le bruit de fusillade laissait redouter un comité d’accueil bien senti. Il n’en était rien. Personne ne se trouvait à l’avant du bâtiment qui semblait abandonné. Errant comme des fantômes, ils s’enfonçèrent. Leurs oreilles bourdonnantes devinaient le bruit de baffles à distance. Un escalier suspendu en métal s’enfonçait dans les profondeurs. Ses marches étaient branlantes, manquant assurément de quelques boulons. Les contremarches ajourées laissèrent bien vite entrevoir la lumière de néons et de stroboscopes.
Froidement, la main de Keshâ’rem avait attrapé son révolver, qu’il gardait le long de son bras pendant dans la pénombre, pour ne pas attirer l’attention. Ils croisèrent un premier groupe de personnes adossées contre un mur. Une certaine mixité. Hommes, femmes. Jeunes. Dans un style décadent. Vêtements troués, corps modifiés, tatoués, cheveux colorés et maquillages noirs balafrant leurs visages comme des masques guerriers. Le parfait atour pour duper tout automate de reconnaissance faciale.
La démarche toujours lente, guindée, titubante, les regards sombres et intenses pesèrent sur eux et les suivirent jusqu’au prochain escalier. Personne ne les arrêta. Ils ressemblaient en tout point aux jeunes perdus en quête des miracles de l’Esquisse.
Ils étaient entrés. Mais rien ne disait que ce qui ressemblait à un club underground n’était pas simplement une vitrine, devant un niveau encore plus secret et torturé du donjon. Ils pourraient sans doute trouver des consommateurs, des vendeurs, des gens venus simplement pour la débauche ou toute autre sorte de propositions perverties. Cela suffirait-il à aller plus loin dans le réseau ?
En haut d’un palier, Keshâ s’arrêta. Son regard se tourna avec intention à la rencontre de celui de la jeune femme. Il cherchait à voir si sa volonté n’avait pas flanché. Aucun d’eux ne pourrait prétendre garder le contrôle de la situation si quoi que ce soit se produisait. Il avait vu qu’elle savait se défendre, mais une mitrailleuse Dexar n’était pas l’arme la plus rapide ni même la plus pratique à épauler dans un espace confiné et peuplé.
Comme Kailan lui renvoyait un regard empli de fermeté, il descendit lentement les marches vers la fosse bruyante où se déchaînaient la fête souterraine. A mi chemin de l’escalier, à peine, un homme au crâne rasé attrapa le bras de Kailan et l’attira à lui, une lueur lubrique dans ses yeux noirs.
-« Lâche-là tout de suite. » grinça Keshâ’rem d’une voix rauque.
-« Qu’est-ce’tu dis ?!... ferm’là ptite merde !... » grogna le motard en montrant un poing menaçant au jeune homme.
« C’est ta copine ?... je vais juste te l’emprunter dix minutes… elle pourra te donner quelques trucs après. » continua-t-il d’un sourire mauvais.
Le regard de Keshâ’rem le dévisageait tout en le scannant avec son hypersensibilité – un contact déplaisant s’il en est. La lie de l’humanité. Aucun amour. Aucun respect. De la pure mauvaiseté. Ses yeux parcoururent rapidement la salle en contrebas pour détecter quelques regards glissant sur eux, sans doute des amis du molosse, qui pourraient intervenir, si tant est qu’un avorton comme lui puisse représenter une menace pour une barrique aussi agressive.
Comme Keshâ se forçait à ne pas baisser les yeux, pour Kailan, la brute reprit :
« Quoi ? C’est toi qui va m’en empêcher ? »
-« Gauche ou droite ? » répliqua-t-il d’une voix tremblante, après un silence. Sa gorge s'était desséchée d'un seule coup.
-« Tu commences à ms’aouler, minus ! »
-« Je parle de tes couilles, ducon! Gauche ou droite pour la première balle ? »
D’un geste brusque du métal, il poussa le canon de son revolver contre l’entrejambe du mafieux, qui retint un sursaut de stupeur. Son expression mêlait haine et incrédulité. Il voulait le faire payer pour ça, lui arracher le bras et lui planter son canon dans le cul.
-« Ça aussi ça te fait bander?... N’essaye pas de bouger. Je le saurai si tu essayes. Rien ne me ferait plus plaisir que de tirer. »
Mélange de bluff et d’honnêteté blanche. Ses fantasmes s’imaginaient condamner la brute au hachoir, mais faire acte de violence dans le réel était toujours plus difficile. Son corps avait encore ce logiciel secret prévenant tout acte menant à faire le mal. Qu’il ne pousse pas trop loin cette barrière. La survie avait déjà démontré sa suprématie en situation de danger…
Si le motard bougeait, il ne pourrait pas hésiter et il appuierait. Sinon, il regretterait d’être en vie vu ce que son gang lui ferait.
Finalement, l’homme au crâne rasé lâcha rageusement le bras de Kailan qu’il comprimait dans son poing et redescendit l’escalier.
-« Tu es sûre de vouloir y aller ? C’est à peine la devanture. Et c’est déjà une zone de non-droit. En plus, il a des amis en bas. Ils ne vont clairement pas digérer l’humiliation que nous venons de leur infliger… si on y va, il ne faut pas se hasarder et aller droit au but sans stagner. »
Mer 16 Oct - 19:05
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Quelle que soit l'issue de cette soirée, par la suite, il n'y aurait pas de retour en arrière. Kailan avait laissé derrière elle bien des pans de son innocence depuis longtemps. Le vol, les mensonges, les mauvaises rencontres, la vie dans la rue, la dur réalité qui cognait comme un coup de poing au creux du ventre. Mais jamais elle n'avait franchi la barrière du meurtre. Maintenant que ceci était chose faite, il lui faudrait par la suite faire le deuil de sa propre mort. Elle n'était pas adepte des poèmes abstraits et autres discours alambiqués, mais une partie d'elle était morte au moment où elle avait arraché l'âme de Croco-poulet. La maigre consolation à ce constat était de se répéter qu'elle n'avait fait que respecter les derniers souhaits d'un mourant.
Elle ne pouvait plus faire demi-tour. Ce serait s'être déchiré en lambeaux pour rien. On avance. Elle l'avait dit autant pour Keshâ, que pour elle-même. Le paysage autour d'eux s'assombrissait encore, devenait plus crade et plus flou, et même si elle s'y était habituée depuis de nombreuses années, Kailan se sentit salie, sans comprendre l'origine de cette émotion. Sûrement à cause de son premier meurtre.
L’Esquisse ne choisissait que des mises en scène sombres pour se donner en spectacle. La porte mauve en devenait fade, et quand ils la traversèrent, ce ne fut que pour voir de la grisaille, et des silhouettes qui étaient noires aux yeux de Kailan. Tout était flou, et tout ce qui comptait était d'avancer.
Puis survint l'erreur, digne d'un bleu. Une main lui aggrippa le bras et l'attira à un corps. Dans son état normal, elle l'aurait facilement éviter. Le problème, c’était qu'elle était à côté de ses pompes. Elle sentait l'haleine fétide de l'homme, qui devait fumer comme une usine plein gaz, et peut-être embellir son existence de quelques autres substances. Elle ne savait pas ce qui serait arriver, si Keshâ n'était pas intervenu.
Il semblait avoir repris ses esprits plus tôt qu'elle – à moins que ça n'avait jamais été le cas. Le voir pointer son revolver sur les parties de l'homme qui l'avait saisi lui rappela leur situation : ils avançaient vers le danger, et la rencontre avec le mutant n'en avait été qu'un aperçu. Il allait falloir avoir bien plus de tripes que tout ce qu'elle avait pu avoir jusqu'à présent.
À force de menace, le type finit par lui lâcher le bras et descendre rejoindre les autres, au bout d'autres escaliers de métal. L'endroit était étroit, et ils n'auraient pas d'autres choix que de passer à un affrontement physique. Face à elle, Keshâ se montra clair, reflétant ses propres pensées.
— Si tu veux rentrer chez toi, j'te retiens pas. Moi, je veux continuer. Je peux plus faire demi-tour. Pas après ce que j'ai vu. Pas après ce que j'ai fait. Pour moi, ça a déjà commencé.
Elle inspira, pour se redonner de la force, et du courage. Il fallait se débarrasser de la bande d’imbéciles. Ils étaient plus nombreux que leur duo, et certainement armés. Kailan réfléchit à ce qu'elle avait emporté dans son sac. Il fallait peut-être réfléchir à une stratégie d'attaque. Elle se pencha vers Keshâ pour chuchoter :
— J’ai deux grenades aveuglantes. En jeter une pourrait nous faire gagner quelques secondes avec l'effet de surprise. J'ai la mitrailleuse et une petite bombe, mais l'environnement n'est pas assez dégagé. Il me reste qu'une barre de fer pour arme. Et toi ?
Elle espérait qu’il avait de quoi tourner la situation à leur avantage. Sinon, ils allaient devoir y aller en priant elle ne savait quelle divinité pour en sortir en un seul morceau.
Elle ne pouvait plus faire demi-tour. Ce serait s'être déchiré en lambeaux pour rien. On avance. Elle l'avait dit autant pour Keshâ, que pour elle-même. Le paysage autour d'eux s'assombrissait encore, devenait plus crade et plus flou, et même si elle s'y était habituée depuis de nombreuses années, Kailan se sentit salie, sans comprendre l'origine de cette émotion. Sûrement à cause de son premier meurtre.
L’Esquisse ne choisissait que des mises en scène sombres pour se donner en spectacle. La porte mauve en devenait fade, et quand ils la traversèrent, ce ne fut que pour voir de la grisaille, et des silhouettes qui étaient noires aux yeux de Kailan. Tout était flou, et tout ce qui comptait était d'avancer.
Puis survint l'erreur, digne d'un bleu. Une main lui aggrippa le bras et l'attira à un corps. Dans son état normal, elle l'aurait facilement éviter. Le problème, c’était qu'elle était à côté de ses pompes. Elle sentait l'haleine fétide de l'homme, qui devait fumer comme une usine plein gaz, et peut-être embellir son existence de quelques autres substances. Elle ne savait pas ce qui serait arriver, si Keshâ n'était pas intervenu.
Il semblait avoir repris ses esprits plus tôt qu'elle – à moins que ça n'avait jamais été le cas. Le voir pointer son revolver sur les parties de l'homme qui l'avait saisi lui rappela leur situation : ils avançaient vers le danger, et la rencontre avec le mutant n'en avait été qu'un aperçu. Il allait falloir avoir bien plus de tripes que tout ce qu'elle avait pu avoir jusqu'à présent.
À force de menace, le type finit par lui lâcher le bras et descendre rejoindre les autres, au bout d'autres escaliers de métal. L'endroit était étroit, et ils n'auraient pas d'autres choix que de passer à un affrontement physique. Face à elle, Keshâ se montra clair, reflétant ses propres pensées.
— Si tu veux rentrer chez toi, j'te retiens pas. Moi, je veux continuer. Je peux plus faire demi-tour. Pas après ce que j'ai vu. Pas après ce que j'ai fait. Pour moi, ça a déjà commencé.
Elle inspira, pour se redonner de la force, et du courage. Il fallait se débarrasser de la bande d’imbéciles. Ils étaient plus nombreux que leur duo, et certainement armés. Kailan réfléchit à ce qu'elle avait emporté dans son sac. Il fallait peut-être réfléchir à une stratégie d'attaque. Elle se pencha vers Keshâ pour chuchoter :
— J’ai deux grenades aveuglantes. En jeter une pourrait nous faire gagner quelques secondes avec l'effet de surprise. J'ai la mitrailleuse et une petite bombe, mais l'environnement n'est pas assez dégagé. Il me reste qu'une barre de fer pour arme. Et toi ?
Elle espérait qu’il avait de quoi tourner la situation à leur avantage. Sinon, ils allaient devoir y aller en priant elle ne savait quelle divinité pour en sortir en un seul morceau.
Ven 18 Oct - 21:33
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
Echaudé par cette altercation violente, il essayait de prendre une grande inspiration. Jusqu’ici, ils ne parcouraient que le tracé lambda d’un consommateur d’Esquisse en recherche d’un nouveau dealer. Mais comment avait-il tenu des années seul dans la basse-ville ?! Il ne se souvenait pas d’autant de danger. Mémoire sélective. Ou alors, Epistopoli allait de mal en pis.
La réaction frontale de Kailan le déstabilisa. Il se sentait fébrile, mais la jeune femme semblait hors de ses gonds. Il finit par hocher fermement de la tête.
-« Je suis avec toi. »
Non seulement ce serait criminel de la laisser toute seule après ce qu’elle venait de faire à sa place, mais en plus, vu son état, elle allait au-devant d’ennuis mortels. Et c’est lui qui lui avait mis martel en tête.
Il cligna des yeux d’incrédulité, sous le regard de feu de la tritonne. Son visage se détourna pour surveiller ce qu’il entrevoyait de la fosse. Le loubard se faisait charrier par ses camarades. Certains regardaient dans leur direction d’un air oppressant. Et il se rendit compte alors que plusieurs arboraient des prothèses et étaient des améliorés.
Une forme de panique s’empara de lui. Keshâ attrapa la jeune femme par les épaules.
-« Kai, on ne va pas partir en guerre. Nous sommes deux jeunes avec des armes, oui. J’ai aussi quelques artifices dans ma manche… mais ces types là… c’est personne. Ils vont juste nous tailler en pièce sur le paillasson de la zone de trafic… »
Il voyait qu’elle allait s’énerver. Avec le bruit, leur émotion, le choc, la tenir en place et faire passer son message était comme tenir un charbon ardent dans sa main, il avait trop envie de s’échapper hors de tout contrôle.
Aussi essaya-t-il de l’entraîner quelques marches plus haut, dans un repli de couloir, sans revenir jusqu’au groupe de jeunes.
-« Il y a plein de gens qui n’ont rien demandé au milieu de tout ça. A la base, même si ça sonne prétentieux, c’est pour aider les habitants que j’enquête. Es-tu prête à blesser des innocents ?»
Il faisait exprès d’utiliser ce mot, même s’il doutait que quiconque soit réellement innocent dans le bâtiment, y comprit eux. Pour prendre le contrepied, il se saisit de son poignet.
-« Merci. Merci pour ce que tu as fait. Je… ne pouvais pas… J’y pensais, mais c’était trop dur. Et j’ai fait peser cela sur tes épaules. Je comprends que tu m’en veuilles… »
Il voyait bien que quels que soient ses mots, elle ne pouvait pas accepter la mort de croco-poulet et retourner à sa promenade. Il fallait que ça en « vaille la peine ».
-« J’ai compris que tu irais en avant toute seule s’il le fallait… mais tu es venue pour des réponses, pas vrai ? Pas pour te battre avec un gang de motards ?... »
Il ne savait pas si elle allait lui décocher une droite une seconde à l’autre ou si elle écoutait ce qu’il disait, mais il la suppliait de se laisser raisonner.
« Si on doit faire ça bien, il ne faut pas oublier pourquoi on est là. De l’information. On doit être des consommateurs, pas des terroristes. Les armes, c’est vraiment en dernier recours, si on doit fuir. »
Pour lui, mieux valait renoncer si un obstacle insurmontable se dressait devant eux. Ou revenir plus tard. Seraphah n’aurait pas cautionné une mission suicide. Même la police ne se lançait pas dans ce genre de cascade.
-« Pour répondre à ta question de tout à l’heure, j’ai des armes blanches, cette arme à feu, même quelques potions. Et sans doute un totem dont tu ne reviendrais pas. Mais si on s’en sert, cela veut dire que nous n’avons pas su partir à temps… ou que nous sommes vraiment en danger de mort… c’est un joker qui demande beaucoup d’énergie et de force mentale… pour moi, ici, on a encore le choix d’essayer autre chose pour passer cette bande… tu as une idée ? »
La réaction frontale de Kailan le déstabilisa. Il se sentait fébrile, mais la jeune femme semblait hors de ses gonds. Il finit par hocher fermement de la tête.
-« Je suis avec toi. »
Non seulement ce serait criminel de la laisser toute seule après ce qu’elle venait de faire à sa place, mais en plus, vu son état, elle allait au-devant d’ennuis mortels. Et c’est lui qui lui avait mis martel en tête.
Il cligna des yeux d’incrédulité, sous le regard de feu de la tritonne. Son visage se détourna pour surveiller ce qu’il entrevoyait de la fosse. Le loubard se faisait charrier par ses camarades. Certains regardaient dans leur direction d’un air oppressant. Et il se rendit compte alors que plusieurs arboraient des prothèses et étaient des améliorés.
Une forme de panique s’empara de lui. Keshâ attrapa la jeune femme par les épaules.
-« Kai, on ne va pas partir en guerre. Nous sommes deux jeunes avec des armes, oui. J’ai aussi quelques artifices dans ma manche… mais ces types là… c’est personne. Ils vont juste nous tailler en pièce sur le paillasson de la zone de trafic… »
Il voyait qu’elle allait s’énerver. Avec le bruit, leur émotion, le choc, la tenir en place et faire passer son message était comme tenir un charbon ardent dans sa main, il avait trop envie de s’échapper hors de tout contrôle.
Aussi essaya-t-il de l’entraîner quelques marches plus haut, dans un repli de couloir, sans revenir jusqu’au groupe de jeunes.
-« Il y a plein de gens qui n’ont rien demandé au milieu de tout ça. A la base, même si ça sonne prétentieux, c’est pour aider les habitants que j’enquête. Es-tu prête à blesser des innocents ?»
Il faisait exprès d’utiliser ce mot, même s’il doutait que quiconque soit réellement innocent dans le bâtiment, y comprit eux. Pour prendre le contrepied, il se saisit de son poignet.
-« Merci. Merci pour ce que tu as fait. Je… ne pouvais pas… J’y pensais, mais c’était trop dur. Et j’ai fait peser cela sur tes épaules. Je comprends que tu m’en veuilles… »
Il voyait bien que quels que soient ses mots, elle ne pouvait pas accepter la mort de croco-poulet et retourner à sa promenade. Il fallait que ça en « vaille la peine ».
-« J’ai compris que tu irais en avant toute seule s’il le fallait… mais tu es venue pour des réponses, pas vrai ? Pas pour te battre avec un gang de motards ?... »
Il ne savait pas si elle allait lui décocher une droite une seconde à l’autre ou si elle écoutait ce qu’il disait, mais il la suppliait de se laisser raisonner.
« Si on doit faire ça bien, il ne faut pas oublier pourquoi on est là. De l’information. On doit être des consommateurs, pas des terroristes. Les armes, c’est vraiment en dernier recours, si on doit fuir. »
Pour lui, mieux valait renoncer si un obstacle insurmontable se dressait devant eux. Ou revenir plus tard. Seraphah n’aurait pas cautionné une mission suicide. Même la police ne se lançait pas dans ce genre de cascade.
-« Pour répondre à ta question de tout à l’heure, j’ai des armes blanches, cette arme à feu, même quelques potions. Et sans doute un totem dont tu ne reviendrais pas. Mais si on s’en sert, cela veut dire que nous n’avons pas su partir à temps… ou que nous sommes vraiment en danger de mort… c’est un joker qui demande beaucoup d’énergie et de force mentale… pour moi, ici, on a encore le choix d’essayer autre chose pour passer cette bande… tu as une idée ? »
Sam 2 Nov - 20:51
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Peut-être avait-elle trop laissé place aux émotions, plutôt qu'à la raison. La réaction de son camarade semblait lui signifier cela. Elle se raidit quand il la saisit par les épaules, mais prit le temps d'écouter son raisonnement. Peut-être Kesha avait-il raison. Kailan s'était sentie touchée dans sa fierté quand ce sale pervers l'avait pris au dépourvu. Mais il était bien entouré, d'une bande d'amis qui n'était pas mal armée. Seule, elle aurait tôt fait de finir blessée, même avec son petit attirail. Si ce n'était pire.
Quand Kesha voulut l'attirer plus loin, Kailan suivit le geste pour écouter la suite de son raisonnement. Oui, c'était prétentieux de jouer les héros pour des gens qui n'avaient certainement pas besoin de son aide. Mais il était vrai que dans la Basse Ville, bien des personnes n'avaient pas demandé à être au milieu d'une énième zone de conflit d'intérêts et de trafics illégaux.
— J'veux bien qu'il y ait des innocents, mais ils ne sont pas ici…
Il n'y avait aucun bénéfice du doute à accorder à un type qui aurait pu l'agresser, ni à un groupe qui paraissait ne pas désapprouver les actes de leur comparse.
Elle n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses réflexions que Kesha lui prit le poignet pour la remercier d'avoir tué Croco-poulet. Si elle avait un calendrier, elle pourrait cocher ce jour comme l'un des pires de sa courte vie. Au moins pouvait-elle se consoler en ayant peut-être soulagé une conscience en plus d'avoir abrégé des souffrances.
— L'essentiel, c'est qu'il ne souffre plus.
Les remerciements n'avaient aucun sens, pour un tel service rendu. Pas pour cette fois, du moins. Elle le laissa néanmoins poursuivre son discours, pour en revenir au point de départ. Elle avait été tellement secouée par ses derniers actes qu'elle en avait oublié le but de cette excursion. Et tandis que Kesha terminait son raisonnement en lui indiquant en retour les quelques artifices qu'il avait sous la manche, Kailan réalisa qu'elle s'était emportée trop rapidement. Elle finit par secouer lentement la tête :
— Excuse moi… je me suis emportée, et j'en ai perdu l'objectif. Tu as raison. On doit récupérer les informations, c'est le plus important.
Elle croisa les bras un instant pour se recentrer, puis répondit dans un soupir :
— Ma seule idée serait d'entrer dans leur jeu et de soutirer leurs informations. On n'a qu'à jouer les idiots, montrer que nous sommes les clients types. On aura peut-être le nom de leur fournisseur.
Quand Kesha voulut l'attirer plus loin, Kailan suivit le geste pour écouter la suite de son raisonnement. Oui, c'était prétentieux de jouer les héros pour des gens qui n'avaient certainement pas besoin de son aide. Mais il était vrai que dans la Basse Ville, bien des personnes n'avaient pas demandé à être au milieu d'une énième zone de conflit d'intérêts et de trafics illégaux.
— J'veux bien qu'il y ait des innocents, mais ils ne sont pas ici…
Il n'y avait aucun bénéfice du doute à accorder à un type qui aurait pu l'agresser, ni à un groupe qui paraissait ne pas désapprouver les actes de leur comparse.
Elle n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses réflexions que Kesha lui prit le poignet pour la remercier d'avoir tué Croco-poulet. Si elle avait un calendrier, elle pourrait cocher ce jour comme l'un des pires de sa courte vie. Au moins pouvait-elle se consoler en ayant peut-être soulagé une conscience en plus d'avoir abrégé des souffrances.
— L'essentiel, c'est qu'il ne souffre plus.
Les remerciements n'avaient aucun sens, pour un tel service rendu. Pas pour cette fois, du moins. Elle le laissa néanmoins poursuivre son discours, pour en revenir au point de départ. Elle avait été tellement secouée par ses derniers actes qu'elle en avait oublié le but de cette excursion. Et tandis que Kesha terminait son raisonnement en lui indiquant en retour les quelques artifices qu'il avait sous la manche, Kailan réalisa qu'elle s'était emportée trop rapidement. Elle finit par secouer lentement la tête :
— Excuse moi… je me suis emportée, et j'en ai perdu l'objectif. Tu as raison. On doit récupérer les informations, c'est le plus important.
Elle croisa les bras un instant pour se recentrer, puis répondit dans un soupir :
— Ma seule idée serait d'entrer dans leur jeu et de soutirer leurs informations. On n'a qu'à jouer les idiots, montrer que nous sommes les clients types. On aura peut-être le nom de leur fournisseur.
Jeu 14 Nov - 16:49
Sève Suave
Sur les traces de l'Esquisse
Kailan ne le repoussait pas. Ils pouvaient encore dialoguer. Et donc compter l’un sur l’autre. Mieux valait ne pas être seul au milieu de la basse-ville. Ils devaient se surveiller mutuellement pour éviter une erreur fatale.
-« Je comprends ton besoin de vengence, cela dit. » appuya-t-il. Il approuvait son élan, mais pas ses conséquences pour leur survie.
Kailan semblait passée en pilotage automatique, mais ils pouvaient continuer. Keshâ s’accroupit pour essayer d’entrapercevoir la salle, mais ne vit qu’un amas enfumé percé par des rayons lumineux.
Bon. En résumé. Ils avaient vu une grande fosse où dansaient pas mal de monde. Du tout venant. Fêtards, consommateurs, petits truands. Ils n’avaient pas vu l’ampleur du rassemblement. Ce qui était sûr est qu’un bar se posait frontalement en bas de l’escalier et qu’il fallait passer devant une bande qu’ils venaient de froisser. Il fallait réussir à les dépasser sans se accrocher.
-« Kailan. Ils pensent peut-être qu’on a vite rebroussé chemin. Si on attend un peu, ils vont peut-être simplement passer à autre chose, embêter quelqu’un d’autre, regarder ailleurs, se saouler un peu plus… ils nous ont vu de loin. C’est surtout celui qui t’a embêté dont il faut fuir le regard. On peut attendre quelques minutes, tu en penses quoi ? … si jamais on nous interpelle verbalement, continue et fond-toi dans la foule… j’utiliserai mon joker pour leur échapper de manière peu discrète s’il le faut et j’essayerai de te retrouver. »
Le jeune homme comptait sur l’embrouille facile dans ces endroits malfamés. S’il retombait directement sur l’agresseur de Kailan, celui-ci allait certainement le prendre à partie pour jouer les gros bras devant son cercle de hyènes. Mais sinon, il passerait vite à d’autres malversations. Le lieu était achalandé. Avec les vapeurs et les lumières stroboscopiques, ils pouvaient espérer passer inaperçus ou se noyer rapidement dans la masse. Comme elle avait l'air d'adhérer à son idée, ils patientèrent cinq minutes.
Une certaine appréhension guide leur pas au moment où ils descendent les grilles ajourées faisant office d’escaliers. Le groupe est attablé à picoler gaillardement. La plupart des motards leur tournent le dos. Sans se précipiter, Kailan et Keshâ les contournent en glissant vers le parterre de danse qui est noir de monde. Du coin de l’œil, le serveur les a entraperçus. Reste à voir s’il fera usage ou non de cette information en fonction de sa personnalité.
La musique électro vibre sur des baffles de mauvaises qualité. C’est saccadé et presque démoniaque. Le jeune homme sent le son vibrer dans son plexus et en a presque des palpitations. Autour de lui, les danseurs ont l’air plutôt allumé, sans doute sous l’effet d’un combo explosif de substances. Il essaye de rester prêt de Kailan et d’avoir l’air plus ou moins naturel en évoluant entre les grunges et gothiques serrés les uns aux autres.
Ils finissent par passer au travers et arriver dans des alcôves toujours aussi bruyantes, mais plus « calmes » et moins occupées. Les regards restent louchent. Se concertant avec Kailan du regard, il se demande quoi faire.
A cause du bruit, il se penche vers un type portant un manteau de cuir trop large et au crâne rasé. Le peu de cheveux qui lui restent sont décolorés. Malgré sa jeunesse, on voit qu’il a l’habitude de la violence et la ligne des sourcils qu’il leur présente est dure.
-« Bonjour… moi et mon amie, on cherchait… de quoi s’amuser… » commence-t-il, pas du tout à l’aise, sans parler du vouvoiement.
-« Vous savez qui peut me vendre de l’Esquisse ? »
Le message paraît plutôt censé. Appeler un chat un chat. Mais avec son air d’enfant de chœur pas du tout convaincu, on dirait qu’il a perdu un pari et vient pour vivre le grand frisson. Il doit bien s’en trouver qui ont commencé par là.
Le gars le toise avec des scrutateurs. Ses sourcils butés lui donnent automatiquement l’air mauvais. Ils ne peuvent pas vraiment savoir comment il va réagir. Et c’est assez effrayant. Keshâ’rem surveille qu’il ne sorte pas de sa veste un couteau ou une arme à feu, les muscles bandés.
Finalement, il leur fait signe de le suivre d’un geste de deux doigts, et tourne nonchalamment le dos et part d’une démarche chaloupée dans un recoin moins visible. Acheter de la drogue, c’est bien. Un point de pureté en moins. Un point en plus pour leur couverture. Par contre, ça ne dit rien de sa provenance ni de l’organisation du réseau de revente. C’est pourquoi, Keshâ espère que Kailan a peaufiné une accroche pour en savoir plus.
- Dieu des dés décide:
- Kailan et Keshâ attendent et redescendent dans la fosse, obligés de passer devant le bar où se trouvait le gang du gars qui a agressé Kailan.
1-15 : ils sont grillés tout de suite, on les attendait. Kailan aura du mal à esquiver. Gang au complet sur les dents pour le spectacle.
16-29 : Ils sont pris à partis, mais il y a une possibilité pour Kailan de contourner rapidement et de se glisser dans la foule de danseurs si Keshâ les ralentit un peu.
30-44 : Il passent, le groupe entier a bougé. Il faudra se montrer très vigilant, au risque de se retrouver par surprise nez-à-nez avec un groupe hostile dans un espace confiné et surpeuplé de badauds.
45-59 : Ils passent sans encombre. Par contre, l'agresseur de Kailan n'est plus parmi eux, ce qui signifie qu'il peut être, n'importe où ailleurs dans la foule. gare.
60-65 : Ils passent inaperçus, mais le serveur les a vu.
65-100 : ils sont là en train de prendre des shooter en braillant, on ne les remarque absolument pas.
Le membre 'Keshâ'rem Evangelisto' a effectué l'action suivante : Lancer de dés
'Dé à 100 faces' : 64
Mar 19 Nov - 18:14
Sève Suave
Ft. Keshâ’rem
Ils avaient trouvé un terrain d'entente – à nouveau. Kailan avait retrouvé son sang froid, de quoi pouvoir poursuivre la mission qu'elle s'était fixée. Keshâ avait su choisir les bons mots pour ne pas qu'elle cède à sa colère.
Maintenant qu'elle regardait un peu plus clairement autour d'elle, le vit, au bas des marches, le bar un peu délabré, où tout un groupement de personnes de tout genre s'adonnait à dances, boissons, et d'autres délices que pouvait leur apporter cet endroit. Le groupe d'amis auquel appartenait l'homme qui l'avait accroché s'était noyé dans cette foule. Keshâ lui proposa d'attendre quelques minutes, le temps de se faire oublier. La suite de son plan ne lui plaisait pas tellement, mais elle ne voyait pas d'autres alternatives.
— Ok, je te suis. Mais si on est repérés et qu'on se sépare, tu prends pas de risques. J'en ai assez vu pour l'instant, te rajoute pas dans mes cauchemars.
Elle n'espérait pas voir blessé, ni voir la mort d'un visage familier. Croco-poulet avait déjà été une lourde étape franchie. Ils patientèrent un moment dans le recoin des marches, avant de se décider à s'aventurer dans la fosse. Le bar était plein de monde, plein de bruits, d'odeurs de sueurs et des différentes substances consommées. Kailan s'en sentit agressée, en plus des subir ses sens en alerte. Dans la foule et la fumée, elle aperçut un serveur qui les suivait des yeux, le regard appuyé. Un frisson lui parcourut l'échine, mais ce n'était pas là leur priorité.
Ils continuèrent de passer à travers la foule jusqu'à rejoindre une alcôve et un homme au crâne rasé. Là, Keshâ lui demanda sans détour s'il savait comment se procurer de l'Esquisse. L'homme les dévisagea de son visage dur, la mine imperturbable. Au bout d'un instant qui parut durer une éternité, il leur fit signe de les suivre dans un autre coin, plus reculé, de ce bar.
L'homme passa la porte des toilettes. Elles étaient en mauvais état, et certainement peu entretenues. Dans un repli de sa veste, l'homme avait des doses de la drogue, sous forme de petites fioles liquides, avec un couvercle qui permettait de glisser l'aiguille d'une seringue aisément. Il annonça son prix :
— Vous en voulez combien ?
Kailan avança pour s'adresser à l'homme, espérant que son idée porte ses fruits.
— Deux doses pour moi, une pour mon pote. Mais tu sais, la dernière fois, j'avais envoyé un pote m'en acheter cinq. Franchement, je sais pas ce qui s'est passé, mais ton Esquisse était merdique. J'ai pas plané comme la dernière fois. Et me parle pas d'augmenter la dose, j'avais doublé par rapport à la fois dernière. J'veux des explications ou un remboursement.
Les traits de l'homme se durcissent un instant, le temps de jauger son interlocutrice du regard.
— T'as cru que j'étais ton père ? Il n'y a aucun remboursement. Si tu n'es pas contente, gamine, il y en a d'autres qui en vendent, tu peux aller chercher ailleurs.
Pourtant, son visage ne se ferma pas entièrement. L'homme semblait continuer de jauger Kailan du regard, tout en attendant une réaction de la part d'elle, ou de Kesha. Il ne désirait pas rater une occasion de vendre un peu plus de sa merde, ce soir.
Kailan interrogea du regard Kesha. Il y avait toujours une possibilité d'insister auprès du dealer, malgré son irritation assez évidente. Après tout, il était vendeur et faisait son travail, il semblait avoir un peu de patience et de sens de la clientèle.
Maintenant qu'elle regardait un peu plus clairement autour d'elle, le vit, au bas des marches, le bar un peu délabré, où tout un groupement de personnes de tout genre s'adonnait à dances, boissons, et d'autres délices que pouvait leur apporter cet endroit. Le groupe d'amis auquel appartenait l'homme qui l'avait accroché s'était noyé dans cette foule. Keshâ lui proposa d'attendre quelques minutes, le temps de se faire oublier. La suite de son plan ne lui plaisait pas tellement, mais elle ne voyait pas d'autres alternatives.
— Ok, je te suis. Mais si on est repérés et qu'on se sépare, tu prends pas de risques. J'en ai assez vu pour l'instant, te rajoute pas dans mes cauchemars.
Elle n'espérait pas voir blessé, ni voir la mort d'un visage familier. Croco-poulet avait déjà été une lourde étape franchie. Ils patientèrent un moment dans le recoin des marches, avant de se décider à s'aventurer dans la fosse. Le bar était plein de monde, plein de bruits, d'odeurs de sueurs et des différentes substances consommées. Kailan s'en sentit agressée, en plus des subir ses sens en alerte. Dans la foule et la fumée, elle aperçut un serveur qui les suivait des yeux, le regard appuyé. Un frisson lui parcourut l'échine, mais ce n'était pas là leur priorité.
Ils continuèrent de passer à travers la foule jusqu'à rejoindre une alcôve et un homme au crâne rasé. Là, Keshâ lui demanda sans détour s'il savait comment se procurer de l'Esquisse. L'homme les dévisagea de son visage dur, la mine imperturbable. Au bout d'un instant qui parut durer une éternité, il leur fit signe de les suivre dans un autre coin, plus reculé, de ce bar.
L'homme passa la porte des toilettes. Elles étaient en mauvais état, et certainement peu entretenues. Dans un repli de sa veste, l'homme avait des doses de la drogue, sous forme de petites fioles liquides, avec un couvercle qui permettait de glisser l'aiguille d'une seringue aisément. Il annonça son prix :
— Vous en voulez combien ?
Kailan avança pour s'adresser à l'homme, espérant que son idée porte ses fruits.
— Deux doses pour moi, une pour mon pote. Mais tu sais, la dernière fois, j'avais envoyé un pote m'en acheter cinq. Franchement, je sais pas ce qui s'est passé, mais ton Esquisse était merdique. J'ai pas plané comme la dernière fois. Et me parle pas d'augmenter la dose, j'avais doublé par rapport à la fois dernière. J'veux des explications ou un remboursement.
Les traits de l'homme se durcissent un instant, le temps de jauger son interlocutrice du regard.
— T'as cru que j'étais ton père ? Il n'y a aucun remboursement. Si tu n'es pas contente, gamine, il y en a d'autres qui en vendent, tu peux aller chercher ailleurs.
Pourtant, son visage ne se ferma pas entièrement. L'homme semblait continuer de jauger Kailan du regard, tout en attendant une réaction de la part d'elle, ou de Kesha. Il ne désirait pas rater une occasion de vendre un peu plus de sa merde, ce soir.
Kailan interrogea du regard Kesha. Il y avait toujours une possibilité d'insister auprès du dealer, malgré son irritation assez évidente. Après tout, il était vendeur et faisait son travail, il semblait avoir un peu de patience et de sens de la clientèle.
- Les dés ont choisi !:
Kailan joue la droguée qui fait une réclamation client auprès d'un dealer et demande à avoir des explications/voir la hiérarchie.
1-15 : le dealer est pas content, il prend mal la réclame de Kailan et ça part en bagarre, super bruyant. Kai et Kesha ne réagissent pas vite et se prennent des coups. Ça attire l'attention du groupe de loubards de tout à l'heure et ils s'invitent dans la bagarre.
16-29 : Le dealer est pas content, ça part en bagarre, plutôt bruyant. Avec de gros efforts, Kai et Kesha peuvent fuir les lieux, mais ça va attirer l'attention. Possible que les loubards les voient et que ça part en bagarre.
30-44 : Le dealer est pas content, mais la bagarre bruyante est évitée (insultes et coups sans grosse incidence). Kai et Kesha peuvent partir sans dommages mais ils seront grillés.
45-59 : Le dealer est pas content, plutôt agacé, mais pas de bagarre ni d'insultes. Il demande à Kai et Kesha de se barrer chercher un autre dealer ailleurs. Possibilité de retenter de lui parler pour soutirer des infos.
60-65 : le dealer est plutôt compréhensif et indique à Kai et Kesha le pseudo de celui/celle qui lui fournit les doses à vendre.
65-100 : le dealer est vraiment trop gentil, il décide de les conduire à son supérieur fournisseur.
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