Ven 5 Avr - 15:27
Préambule parce que Jud' m'a dit qu'il fallait pas être trop agressif avec les improbables lecteurs qui pourraient s'échouer ici (mais y'aura au moins un récomp', paix sur lui et que Uhr bénisse ses pas) : officiellement j'ai un perso, le petit Ryo poids plume, et une PNJ, Oboro la grande perche. Dans les faits les deux sont mes PJ et je fais même pas semblant.
Ils étaient juste devant. Une grande tour ornée de tubes et de pompes, haute de près de dix mètres, qui occupait une surface aussi large. Tout autour, trois larges bâtiments rectangulaires cerclés de tôles de fer, en préfabriqués, renforcés de briques et de ciments grisâtres, noircis par la saleté ambiante, qui n’avaient jamais vu la moindre once de peinture de toute leur vie. Ainsi que, dans un coin, une petite maison de pierre, en ruine, dépourvue de toit et de fenêtres, qui avait précédé tout le reste mais n’était clairement plus à sa place dans cet environnement.
Presque adossées à cette petite bâtisse se trouvaient deux citernes à l’aspect fatigué, avec chacune un robinet à hauteur d’homme qui les désignaient comme destinés aux véhicules. La présence d’un camion à l’arrêt non loin semblait le corroborer.
Mais surtout, le site se distinguait par l’imposante toile de tuyaux qui reliait la tour et les différents bâtiments, et plus anecdotique, par ses trois miradors et le grillage coiffé de barbelés qui encerclait son périmètre.
-Y’a des trucs qui bougent?, demanda une grande figure cagoulée à son compagnon de route.
-Néant.
-Taaaah. Top. Les gars du premier huit sont pas encore arrivés et ceux du troisième sont trop claqués pour déballer des trucs. Quartier libre, j’vais pouvoir être tranquille.
-Ce que disait Ryo, quoi.
-Ouais ‘fin ce qu’il disait après que je lui aie expliqué ce que c‘est que les trois huit et le roulement d’équipes. Au début il comprenait pas pourquoi les gens dorment pas la nuit, le zozaure.
-C’est un aramilan, oui, conclut l’homme d’un ton entendu.
Il était pas loin de cinq heures du matin : le soleil pointait tout juste à l’horizon et il faisait encore sombre, mais l’éclairage électrique illuminait avantageusement le site, au point que même à plusieurs kilomètres de distance, on discernait les sillons laborieusement tracés par les ouvriers quand ils se rendaient d’un bâtiment à un autre. A l’exception des routes de béton coulées pour permettre la circulation des véhicules, le sol était particulièrement boueux, même en l’absence de pluie. La terre était gorgé d’humidité, dans la région. A une époque, ça avait contribué à sa fertilité et le développement de cultures abondantes, ici. Maintenant, on y préférait les hydrocarbures qui avaient macéré sous le sol pendant tout ce temps.
-Un dinosaure aramilan exactement! Je savais que c’était pas la même culture mais je m’attendais pas à avoir l’impression de débarquer sur une autre planète, ils sont spé’. Pas que dans le mal, mais… eh, attends, Marek. Tu te considères pas comme aramilan, toi?
L’autre ne répondit pas tout de suite, en partie assommé par l’heure matinale et la volubilité intarissable de la portebrume, mais aussi fatigué de devoir composer avec ses questions raz de plancher qui tombaient en cascade depuis le début de la semaine. Ca ne l’intéressait pas, de faire ami-ami. Il avait juste besoin qu’elle fasse son taf.
-Je peux te faire plein de réponses, se lassa-t-il à contrecoeur. Une personnelle où je te fais l’histoire de ma famille et le résumé de mes états d’âme, ou bien je fais plus général à essayer de parler des gens de Renon en général. Je peux te faire la version officielle, ou les trucs moins sympas de la réalité. Et y’a plein de trucs à dire, même si je pense qu’avec des yeux et un cerveau tu t’épargnerais de faire chier pas mal de monde plutôt que de demander sans réfléchir. Alors, tu veux que je te dise?
-Euh…
-En vrai, ouais, je crois que ça pourrait te motiver. Et que t’as beau être chiante, t’as oublié d’être conne. Je te fais un compliment, petite. Alors… aujourd’hui? On est dans une région conquise où l’armée des vainqueurs maintient des bases en permanence pour écraser tout le monde. Est-ce qu’on vit bien? Regarde autour, c’est comme chez toi en mille fois pire. Y’a cinquante ans, qu’est-ce qui s’est passé? Le discours officiel c’est que les méchants d’épisto ont envahi la pauvre aramila, alors qu’en fait y’a eu autant d’obus que de feu grégeois qui nous sont tombés dessus. Et que de toute manière, aramila avait tellement forcé sur la conscription qu’il n’y avait plus assez de jeunes pour travailler dans les champs. Sans compter les impôts, et les réquisitions, parce qu’il fallait soutenir et équiper tout ce monde. Les cultures étaient mortes, peu importe le vainqueur. On était juste une marchandise, un gros tas de ressources, pour un camp comme pour l’autre. Alors il y a des gens qui vont se sentir d’un bord ou de l’autre, à accepter les choses et se contenter de vivre, ou à idéaliser des trucs qui n’ont jamais existé pour se monter le cerveau. Mais la vérité, c’est qu’on est clairement pas d’aramila, et qu’on est clairement pas d’épisto. Et ça, tout le monde le sent à sa manière.
L’autre ne répondit pas, contrariée et mal à l’aise. Ne serait-ce que parce que le ton qu’il employait disait clairement “ta gueule”. D’autant plus qu’elle ne s’y attendait pas du tout.
-Si t’es encore curieuse, on en reparle après. Je serai de meilleure humeur. Si tu fais bien le boulot.
-...
-Même que je te paierai un verre, allez. Pardon, c’est juste que c’est pas le moment.
-’Kay…
Comme Ryo le leur avait dit, il n’y avait pas de chemin de fer. Logique. L’endroit était trop reculé, le terrain trop escarpé, l’exploitation trop petite pour qu’on se soit donné la peine de la raccorder à la ville. Pas assez importante, non plus. Les propriétaires étaient des intérêts privés qui ne figuraient pas dans la liste des sites de la Marche, et ne pouvait pas compter sur les forces de l’amirauté épistopolitaine pour sa sécurité.
Et puis, avec la description et les croquis qu’elle avait vu de l’intérieur, elle comprenait que l’endroit faisait aussi raffinerie, pas juste lieu de forage. Meilleure marge, mais cadence moindre, qu’elle se disait. Toutefois, elle n’y connaissait rien. Et ça n’était pas son guide qui allait l’aider. Ca n’avait pas d’importance, de toute.
-J’peux avoir les jumelles?, demanda-t-elle. Un truc que je voudrais voir tant que je peux faire tourner mon cerveau.
-Tiens. Mais tu pars pas avec. C’est du bon matos et j’en ai besoin.
-Promis, broncha-t-elle sans entrain, toujours un peu vexée, en pressant l’appareil contre ses lunettes.
De ce qu’elle voyait, le logo de l’exploitant était étonnamment peu mis en avant sur le site : sa seule occurrence extérieure était grignotée par la rouille et noircie par le Smog, à peine visible en surplomb de l’entrée principale du plus petit bâtiment. Ryo avait tenté de le reproduire, mais il n’avait pas le coup de crayon. Maintenant qu’elle la voyait, la marque de l’enseigne était d’un style qui évoquait immanquablement les chartes graphiques en vogue à Opale, bien qu’aucune inscription n’accompagne le symbole. Ca expliquait l’histoire du “petit” indépendant à l’écart de la grosse machine industrielle bien intégrée, oui.
En conséquence, ils se débrouillaient seuls, ayant recours à leur propre personnel et à des bandes louées pour se charger de la sécurité. Ils avaient mis ce qu’il fallait avec les barbelés et les trois miradors, ouais. Sur chacun d’entre eux, un homme, un fusil… et une bouilloire à café, pour s’assurer que ça tape. Ainsi qu’un chaise et un plaid pour chacun d’eux, parce que ces cons n’avaient pas pris la peine de murer les perchoirs pour se protéger du vent. Ca devait leur faire une sale gueule, à devoir surveiller le site et le grand rien du tout rabougri qui l’entourait. Pas de végétation, ni au dedans, ni au-dehors. Comme Marek le lui avait suggéré, tout était complètement mort dans ce paysage de campagne qu’on ne pouvait plus vraiment appeler comme ça.
Ca restait un moyen enviable de se faire des sous sans se fouler, imagina-t-elle. A condition d’avoir des qualifications ou un CV qui le permettait. Des anciens de l’armée, peut-être? Ils devaient savoir viser, il faudra qu’elle fasse gaffe, songea-t-elle en .
-PUTAIN!!, gueula-t-elle subitement.
-Chhhhhht! Ta gueule putain!
Et dans tout ce merdier, Oboro se retrouva à poser une botte dans un trou de vase à peine visible, ce qui l’enfonça à hauteur de genou dans un amas de glaise et d’algues jaune pisse ravi de l’accueillir. Le liquide s’infitra immédiatement sous son pantalon, visqueux et étonnamment tiède.
-Rhaaaaan. Nan mais merde. C’est craaaaaaaade.
-Besoin d’aide?, demanda le renonois en lui agrippant le bras.
-J’crois pas, répondit-elle en s’appuyant sur lui.
Délicatement, elle entreprit d’extirper sa jambe tout en relevant la plante de ses pieds à angle droit, sentant bien que la mélasse était bien assez épaisse pour engloutir sa botte si elle ne se méfiait pas. Et le jus dans sa chaussette… en espérant qu’il n’y ait pas de petites bêtes… uuugh.
-’Tain, désolée pour le respect mais ce coin est une ‘tain de parodie.
-La corruption a gagné ces terres depuis que les mécaniques du Démon de la Science rejettent leur fiel dans la nature, récita simplement le guide.
-Je croyais que t’étais pas aramilan?, grogna Oboro avant de le regretter immédiatement en s’attendant à une autre saute d’humeur.
-Ca m’empêche pas d’être exposé à leur connerie et de côtoyer plein de gens qui y croient. Je sais que c’est de la pollution.
-Ouais. ’Fin là ça s’appelle plus du dégueulis d’essence chié par des mecs qu’en ont rien à branler. J’en avais entendu parler mais je m’attendais pas à ce que la région ait pris si cher.
-Dis toi qu’il y a trente ans, il y avait un bosquet, ici. Et des champs. Des étangs remplis de poissons, on y abreuvait du bétail, on y trouvait facilement du gibier. La petite maison de pierre contre les cuves, c’est tout ce qu’il en reste.
-Boh, c’est loin, trente ans.
-Non. Ca va hyper vite.
Ils se tenaient à quatre kilomètres, plus au sud. Dans un espace de lande spongieuse à peine moins décharnée que le sol de l’exploitation. Mais pratiquement invisibles aux yeux des guetteurs nichés sur leurs promontoires. En plus de l’obscurité qui les couvrait encore, la météo produisait un phénomène presque aussi dérangeant que ce que la Brume pouvait faire en dehors des frontières, quand elle ne s’excitait pas. Du smog. Des volutes de relents pollués qui produisaient une purée de pois telle qu’ils pouvaient s’y aventurer sans risque d’être repérés. Un phénomène récurrent mais qui s’intensifiait selon des cycles encore mal maîtrisés. La météo était particulièrement merdique, aujourd’hui.
Avec des masques, pourvus de filtres de fortune qui ne pouvaient pas accomplir de miracles, mais les protégeait déjà bien de l’horreur qu’ils devaient respirer. Sur le contour de ses lunettes, son guide avait la peau ornée de suie, et elle-même ne devait pas être beaucoup plus présentable. La jeune femme craignait que sous son chèche, ses cheveux noués en boule se soit gorgés de saleté, mais le vérifier aurait été la pire des conneries possibles. Avec ses mains gantées, elle n’aurait rien senti. Nan, elle se les serait pourris. Ses gants étaient crades.
Le mieux, c’était de faire vite et de se barrer de là. La pollution était pire que dans les usines d’Episto, qui étaient déjà pourraves. Ici, c’était incomparable.
-Donc tu vas le faire?
-Chuis pas venue là pour finalement dire que non.
Marek ne releva pas. Il avait déjà vu suffisamment de monde se dégonfler à la dernière minute pour ne plus être à ça prêt. Même si certes, elle était recommandée par ses contact, visiblement bien entraînée, et portebrume. Elle avait de l’expérience, aussi. Mais pas beaucoup.
-Tu sauras revenir?
-Moi, carrément pas, mec. Ryo, ouais. ‘Tout cas c’est le plan.
-Tu sais te servir d’une boussole?
-Nan.
-Est-ce que Ryo sait se servir d’une boussole?
-Chais pas. Proba pas?
-Prends au cas où, décida-t-il en lui forçant la main. Si vous êtes séparés, tu sauras retrouver la ville?
-Lol. J’ai douze chances sur dix de me gourer et de partir dans n’importe quelle direction.
-Vous m’aviez dit que vous gériez?, s’inquiéta subitement l’autre.
-Nan mais Ryo va gérer y faut pas s’inquiéter. Et moi je gère le reste. Ca va le faire.
Elle aurait normalement été aussi rassurée que l’autre au point de pester et tempêter sans fin sur ce volet débile du plan, mais le moine était fiable. La grande brune avait largement eu l’occasion de constater que son petit pote était particulièrement doué pour s’orienter et rebrousser chemin jusqu’à là d’où il venait. Raison pour laquelle l’avoir comme ticket de retour lui convenait très bien. Sans quoi il était mort. Ce qui l’avait obligé à devenir bon, forcément.
Leur guide, qui ne les connaissait pas, se sentait moins à l’aise, forcément. Ils y allaient à la hache, les novices. Mais en vrai, ça n’était pas son problème. Il avait une mission, et on lui avait fourni des ressources pour le faire. Deux portebrumes, putain. Ses contacts étaient en feu, même si c’était suspect. Dommage que ça soit des jeunes et qu’on lui aie interdit de poser des questions. Mais il avait pris, largement. D’autant plus que si la balade d’aujourd’hui se passait bien, il comptait en faire plus. Comme à la grande époque.
-Eeeh, recoucou toi!, s’exclama-t-elle sur un ton qui montrait son sourire.
Ryosuke émergea du sol, pile entre les jambes de Marek qui ne s’en rendit pas compte. Comment est-ce qu’il avait fait pour se retrouver là sans qu’ils ne l’aient vu avant?
-T’es en retard, ç’pas ton genre petit bonhomme.
Son acolyte désincarné, sous sa forme de petite sphère lumineuse format pomme, resta sans réagir. Aussi renchérit-elle en tendant les bras pour feindre d’applaudir, avant de lever un pouce. Elle n’avait pas les détails ni même la moindre idée de ce qu’il pouvait percevoir ou ressentir sous cette forme, mais il était devenu fort, c’était pas ça avant.
Sa nouvelle technique, c’était celle du sous-marin : il s’efforçait de passer le moins de temps possible en surface, ne jetant que des coups d’oeil sporadiques pour se repérer, et passait le plus clair de son temps enfoncé dans le sol où il était invisible. Probablement plus une question d’habitude et de prudence que quoi que ce soit. Avec le brouillard ambiant et maintenant qu’il savait assez bien estomper son éclat, aucune chance qu’on le voit dans le smog.
Dans la base, c’était sûrement plus dur. Ca ne l’avait pas empêché d’y aller en éclaireur à plusieurs reprises pendant trois jours, pour faire du repérage à l’état de fantôme. Et de leur dessiner plusieurs cartes, du site en général, de l’intérieur de chacun des bâtiments, quand il regagnait son corps. Tout ça sans jamais quitter le petit appartement de la bourgade adjacente qui leur servait de planque, à trois heures de marche de là.
Trois heures, à condition d’avoir de bonnes jambes. Ou de flotter dans les airs comme un oiseau, songea-t-elle en regardant la petite sphère de lumière. A pied, Ryo se traînait comme pas permis et demandait des pauses en permanence. Mais là, c’était beaucoup plus agréable de se le coltiner.
-On a pas de temps à perdre, vous êtes prêts à y aller?
-Il est sourd, je te rappelle, glissa la grande brune.
-Je croyais que ça n’était pas tout le temps le cas?
-Euh… bah on peut essayer. Ok, ‘tite bouboule. Tu m’entends? Oscille doucement de haut en bas si tu m’entends.
Ce qui n’engendra aucune réaction. Donc il était encore sourd. Les joies de la projection astrale. Non pas qu’elle l’ait déjà vu capable d’entendre ou de parler sous cette forme. C’était “parfois”, avec une grosse insistance. Mais tout le monde lui répétait que normalement, les gens pouvaient entendre et bien souvent parler quand ils faisaient ça.
-Bon, bah toi, alors. Tu es prête?
-Ouais.
Elle était nerveuse, surtout. Mais dans le bon. Ca n’était pas la première fois qu’elle allait mettre le zbeule quelque part. Ca remontait à plusieurs mois, par contre. Et elle n’y était jamais allée seule. Avec des copains, même si ça restait tendu, ça se faisait beaucoup plus naturellement. Mais avec des pouvoirs de portebrume et un fantôme en guise de guide, ça devait aussi se faire.
-Allez, à toute.
Elle adressa à Ryo un regard appuyé, lui désigna l’exploitation en tendant les deux bras dans sa direction, les paumes levées au ciel, pour l’inviter à s’y rendre. “Après toi, bonhomme”. Ce qui le fit enfin réagir. Parfait.
Elle marcha à sa suite, puis commença à courir. Puis à accélérer.
Sa jambe à moitié imbibée de vase la dérangeait pas mal, mais rien d’handicapant. Ca avait l’avantage de l’inciter à bien regarder où elle mettait les pieds, par contre. Une leçon bien apprise.
Elle accéléra encore un coup tout en réduisant la cadence, laissant ses pouvoirs prendre le relai sur ses muscles pour s’économiser - ce qui ne l’empêcha pas de doubler de vitesse en gardant beaucoup de marge. Ryosuke la devançait toujours, mais eut besoin d’un temps d’adaptation pour rétablir la mesure. Ils s’étaient exercés plusieurs fois, pourtant. Mais bien vite, il bifurqua et partit au devant pour aller à la tour. Parce que ce qu’elle allait faire, il ne pourrait pas suivre.
Les barbelés, ça allait la bloquer. Elle ne sautait pas assez haut, ne passerait pas au travers, et ne les renverserait pas.
Mais ça n’était pas le plan.
Au lieu de ça, une fois arrivée bien dans l’axe de l’entrée principale, elle mit tout ce qu’elle avait, c’est à dire autant que possible sans perdre l’équilibre, pour piquer une pointe qu’aucun homme et aucun animal ne pouvait égaler. Peut-être un train, à la rigueur. Elle allait tellement vite qu’elle sentait l’air devenir un filtre opaque qui l’enveloppait et se déchirait sur son chemin. Comme une toile d’araignée. En vachement plus vénère.
A cette vitesse, elle passa au travers de l’entrée principale comme un boulet de canon, sous le regard des deux gardiens qui n’eurent même pas le temps de comprendre, et encore moins de réagir.
L’un d’eux manqua de tomber à la renverse et s'écrasa contre une poutre, l'autre, assis, se retrouva immergé sous une vague de poussière et de smog.
De même pour les deux molosses campés là, des bergers aramilans, qui enfouirent leurs museaux sous leurs pattes en jappant d'inconfort.
Il n’y avait pas de barrière, parce qu'avec toutes les dissuasions mises en place, personne ne se serait sérieusement attendu à ce qu’il y ait une attaque. Et encore moins comme ça.
Ils étaient juste devant. Une grande tour ornée de tubes et de pompes, haute de près de dix mètres, qui occupait une surface aussi large. Tout autour, trois larges bâtiments rectangulaires cerclés de tôles de fer, en préfabriqués, renforcés de briques et de ciments grisâtres, noircis par la saleté ambiante, qui n’avaient jamais vu la moindre once de peinture de toute leur vie. Ainsi que, dans un coin, une petite maison de pierre, en ruine, dépourvue de toit et de fenêtres, qui avait précédé tout le reste mais n’était clairement plus à sa place dans cet environnement.
Presque adossées à cette petite bâtisse se trouvaient deux citernes à l’aspect fatigué, avec chacune un robinet à hauteur d’homme qui les désignaient comme destinés aux véhicules. La présence d’un camion à l’arrêt non loin semblait le corroborer.
Mais surtout, le site se distinguait par l’imposante toile de tuyaux qui reliait la tour et les différents bâtiments, et plus anecdotique, par ses trois miradors et le grillage coiffé de barbelés qui encerclait son périmètre.
-Y’a des trucs qui bougent?, demanda une grande figure cagoulée à son compagnon de route.
-Néant.
-Taaaah. Top. Les gars du premier huit sont pas encore arrivés et ceux du troisième sont trop claqués pour déballer des trucs. Quartier libre, j’vais pouvoir être tranquille.
-Ce que disait Ryo, quoi.
-Ouais ‘fin ce qu’il disait après que je lui aie expliqué ce que c‘est que les trois huit et le roulement d’équipes. Au début il comprenait pas pourquoi les gens dorment pas la nuit, le zozaure.
-C’est un aramilan, oui, conclut l’homme d’un ton entendu.
Il était pas loin de cinq heures du matin : le soleil pointait tout juste à l’horizon et il faisait encore sombre, mais l’éclairage électrique illuminait avantageusement le site, au point que même à plusieurs kilomètres de distance, on discernait les sillons laborieusement tracés par les ouvriers quand ils se rendaient d’un bâtiment à un autre. A l’exception des routes de béton coulées pour permettre la circulation des véhicules, le sol était particulièrement boueux, même en l’absence de pluie. La terre était gorgé d’humidité, dans la région. A une époque, ça avait contribué à sa fertilité et le développement de cultures abondantes, ici. Maintenant, on y préférait les hydrocarbures qui avaient macéré sous le sol pendant tout ce temps.
-Un dinosaure aramilan exactement! Je savais que c’était pas la même culture mais je m’attendais pas à avoir l’impression de débarquer sur une autre planète, ils sont spé’. Pas que dans le mal, mais… eh, attends, Marek. Tu te considères pas comme aramilan, toi?
L’autre ne répondit pas tout de suite, en partie assommé par l’heure matinale et la volubilité intarissable de la portebrume, mais aussi fatigué de devoir composer avec ses questions raz de plancher qui tombaient en cascade depuis le début de la semaine. Ca ne l’intéressait pas, de faire ami-ami. Il avait juste besoin qu’elle fasse son taf.
-Je peux te faire plein de réponses, se lassa-t-il à contrecoeur. Une personnelle où je te fais l’histoire de ma famille et le résumé de mes états d’âme, ou bien je fais plus général à essayer de parler des gens de Renon en général. Je peux te faire la version officielle, ou les trucs moins sympas de la réalité. Et y’a plein de trucs à dire, même si je pense qu’avec des yeux et un cerveau tu t’épargnerais de faire chier pas mal de monde plutôt que de demander sans réfléchir. Alors, tu veux que je te dise?
-Euh…
-En vrai, ouais, je crois que ça pourrait te motiver. Et que t’as beau être chiante, t’as oublié d’être conne. Je te fais un compliment, petite. Alors… aujourd’hui? On est dans une région conquise où l’armée des vainqueurs maintient des bases en permanence pour écraser tout le monde. Est-ce qu’on vit bien? Regarde autour, c’est comme chez toi en mille fois pire. Y’a cinquante ans, qu’est-ce qui s’est passé? Le discours officiel c’est que les méchants d’épisto ont envahi la pauvre aramila, alors qu’en fait y’a eu autant d’obus que de feu grégeois qui nous sont tombés dessus. Et que de toute manière, aramila avait tellement forcé sur la conscription qu’il n’y avait plus assez de jeunes pour travailler dans les champs. Sans compter les impôts, et les réquisitions, parce qu’il fallait soutenir et équiper tout ce monde. Les cultures étaient mortes, peu importe le vainqueur. On était juste une marchandise, un gros tas de ressources, pour un camp comme pour l’autre. Alors il y a des gens qui vont se sentir d’un bord ou de l’autre, à accepter les choses et se contenter de vivre, ou à idéaliser des trucs qui n’ont jamais existé pour se monter le cerveau. Mais la vérité, c’est qu’on est clairement pas d’aramila, et qu’on est clairement pas d’épisto. Et ça, tout le monde le sent à sa manière.
L’autre ne répondit pas, contrariée et mal à l’aise. Ne serait-ce que parce que le ton qu’il employait disait clairement “ta gueule”. D’autant plus qu’elle ne s’y attendait pas du tout.
-Si t’es encore curieuse, on en reparle après. Je serai de meilleure humeur. Si tu fais bien le boulot.
-...
-Même que je te paierai un verre, allez. Pardon, c’est juste que c’est pas le moment.
-’Kay…
Comme Ryo le leur avait dit, il n’y avait pas de chemin de fer. Logique. L’endroit était trop reculé, le terrain trop escarpé, l’exploitation trop petite pour qu’on se soit donné la peine de la raccorder à la ville. Pas assez importante, non plus. Les propriétaires étaient des intérêts privés qui ne figuraient pas dans la liste des sites de la Marche, et ne pouvait pas compter sur les forces de l’amirauté épistopolitaine pour sa sécurité.
Et puis, avec la description et les croquis qu’elle avait vu de l’intérieur, elle comprenait que l’endroit faisait aussi raffinerie, pas juste lieu de forage. Meilleure marge, mais cadence moindre, qu’elle se disait. Toutefois, elle n’y connaissait rien. Et ça n’était pas son guide qui allait l’aider. Ca n’avait pas d’importance, de toute.
-J’peux avoir les jumelles?, demanda-t-elle. Un truc que je voudrais voir tant que je peux faire tourner mon cerveau.
-Tiens. Mais tu pars pas avec. C’est du bon matos et j’en ai besoin.
-Promis, broncha-t-elle sans entrain, toujours un peu vexée, en pressant l’appareil contre ses lunettes.
De ce qu’elle voyait, le logo de l’exploitant était étonnamment peu mis en avant sur le site : sa seule occurrence extérieure était grignotée par la rouille et noircie par le Smog, à peine visible en surplomb de l’entrée principale du plus petit bâtiment. Ryo avait tenté de le reproduire, mais il n’avait pas le coup de crayon. Maintenant qu’elle la voyait, la marque de l’enseigne était d’un style qui évoquait immanquablement les chartes graphiques en vogue à Opale, bien qu’aucune inscription n’accompagne le symbole. Ca expliquait l’histoire du “petit” indépendant à l’écart de la grosse machine industrielle bien intégrée, oui.
En conséquence, ils se débrouillaient seuls, ayant recours à leur propre personnel et à des bandes louées pour se charger de la sécurité. Ils avaient mis ce qu’il fallait avec les barbelés et les trois miradors, ouais. Sur chacun d’entre eux, un homme, un fusil… et une bouilloire à café, pour s’assurer que ça tape. Ainsi qu’un chaise et un plaid pour chacun d’eux, parce que ces cons n’avaient pas pris la peine de murer les perchoirs pour se protéger du vent. Ca devait leur faire une sale gueule, à devoir surveiller le site et le grand rien du tout rabougri qui l’entourait. Pas de végétation, ni au dedans, ni au-dehors. Comme Marek le lui avait suggéré, tout était complètement mort dans ce paysage de campagne qu’on ne pouvait plus vraiment appeler comme ça.
Ca restait un moyen enviable de se faire des sous sans se fouler, imagina-t-elle. A condition d’avoir des qualifications ou un CV qui le permettait. Des anciens de l’armée, peut-être? Ils devaient savoir viser, il faudra qu’elle fasse gaffe, songea-t-elle en .
-PUTAIN!!, gueula-t-elle subitement.
-Chhhhhht! Ta gueule putain!
Et dans tout ce merdier, Oboro se retrouva à poser une botte dans un trou de vase à peine visible, ce qui l’enfonça à hauteur de genou dans un amas de glaise et d’algues jaune pisse ravi de l’accueillir. Le liquide s’infitra immédiatement sous son pantalon, visqueux et étonnamment tiède.
-Rhaaaaan. Nan mais merde. C’est craaaaaaaade.
-Besoin d’aide?, demanda le renonois en lui agrippant le bras.
-J’crois pas, répondit-elle en s’appuyant sur lui.
Délicatement, elle entreprit d’extirper sa jambe tout en relevant la plante de ses pieds à angle droit, sentant bien que la mélasse était bien assez épaisse pour engloutir sa botte si elle ne se méfiait pas. Et le jus dans sa chaussette… en espérant qu’il n’y ait pas de petites bêtes… uuugh.
-’Tain, désolée pour le respect mais ce coin est une ‘tain de parodie.
-La corruption a gagné ces terres depuis que les mécaniques du Démon de la Science rejettent leur fiel dans la nature, récita simplement le guide.
-Je croyais que t’étais pas aramilan?, grogna Oboro avant de le regretter immédiatement en s’attendant à une autre saute d’humeur.
-Ca m’empêche pas d’être exposé à leur connerie et de côtoyer plein de gens qui y croient. Je sais que c’est de la pollution.
-Ouais. ’Fin là ça s’appelle plus du dégueulis d’essence chié par des mecs qu’en ont rien à branler. J’en avais entendu parler mais je m’attendais pas à ce que la région ait pris si cher.
-Dis toi qu’il y a trente ans, il y avait un bosquet, ici. Et des champs. Des étangs remplis de poissons, on y abreuvait du bétail, on y trouvait facilement du gibier. La petite maison de pierre contre les cuves, c’est tout ce qu’il en reste.
-Boh, c’est loin, trente ans.
-Non. Ca va hyper vite.
Ils se tenaient à quatre kilomètres, plus au sud. Dans un espace de lande spongieuse à peine moins décharnée que le sol de l’exploitation. Mais pratiquement invisibles aux yeux des guetteurs nichés sur leurs promontoires. En plus de l’obscurité qui les couvrait encore, la météo produisait un phénomène presque aussi dérangeant que ce que la Brume pouvait faire en dehors des frontières, quand elle ne s’excitait pas. Du smog. Des volutes de relents pollués qui produisaient une purée de pois telle qu’ils pouvaient s’y aventurer sans risque d’être repérés. Un phénomène récurrent mais qui s’intensifiait selon des cycles encore mal maîtrisés. La météo était particulièrement merdique, aujourd’hui.
Avec des masques, pourvus de filtres de fortune qui ne pouvaient pas accomplir de miracles, mais les protégeait déjà bien de l’horreur qu’ils devaient respirer. Sur le contour de ses lunettes, son guide avait la peau ornée de suie, et elle-même ne devait pas être beaucoup plus présentable. La jeune femme craignait que sous son chèche, ses cheveux noués en boule se soit gorgés de saleté, mais le vérifier aurait été la pire des conneries possibles. Avec ses mains gantées, elle n’aurait rien senti. Nan, elle se les serait pourris. Ses gants étaient crades.
Le mieux, c’était de faire vite et de se barrer de là. La pollution était pire que dans les usines d’Episto, qui étaient déjà pourraves. Ici, c’était incomparable.
-Donc tu vas le faire?
-Chuis pas venue là pour finalement dire que non.
Marek ne releva pas. Il avait déjà vu suffisamment de monde se dégonfler à la dernière minute pour ne plus être à ça prêt. Même si certes, elle était recommandée par ses contact, visiblement bien entraînée, et portebrume. Elle avait de l’expérience, aussi. Mais pas beaucoup.
-Tu sauras revenir?
-Moi, carrément pas, mec. Ryo, ouais. ‘Tout cas c’est le plan.
-Tu sais te servir d’une boussole?
-Nan.
-Est-ce que Ryo sait se servir d’une boussole?
-Chais pas. Proba pas?
-Prends au cas où, décida-t-il en lui forçant la main. Si vous êtes séparés, tu sauras retrouver la ville?
-Lol. J’ai douze chances sur dix de me gourer et de partir dans n’importe quelle direction.
-Vous m’aviez dit que vous gériez?, s’inquiéta subitement l’autre.
-Nan mais Ryo va gérer y faut pas s’inquiéter. Et moi je gère le reste. Ca va le faire.
Elle aurait normalement été aussi rassurée que l’autre au point de pester et tempêter sans fin sur ce volet débile du plan, mais le moine était fiable. La grande brune avait largement eu l’occasion de constater que son petit pote était particulièrement doué pour s’orienter et rebrousser chemin jusqu’à là d’où il venait. Raison pour laquelle l’avoir comme ticket de retour lui convenait très bien. Sans quoi il était mort. Ce qui l’avait obligé à devenir bon, forcément.
Leur guide, qui ne les connaissait pas, se sentait moins à l’aise, forcément. Ils y allaient à la hache, les novices. Mais en vrai, ça n’était pas son problème. Il avait une mission, et on lui avait fourni des ressources pour le faire. Deux portebrumes, putain. Ses contacts étaient en feu, même si c’était suspect. Dommage que ça soit des jeunes et qu’on lui aie interdit de poser des questions. Mais il avait pris, largement. D’autant plus que si la balade d’aujourd’hui se passait bien, il comptait en faire plus. Comme à la grande époque.
-Eeeh, recoucou toi!, s’exclama-t-elle sur un ton qui montrait son sourire.
Ryosuke émergea du sol, pile entre les jambes de Marek qui ne s’en rendit pas compte. Comment est-ce qu’il avait fait pour se retrouver là sans qu’ils ne l’aient vu avant?
-T’es en retard, ç’pas ton genre petit bonhomme.
Son acolyte désincarné, sous sa forme de petite sphère lumineuse format pomme, resta sans réagir. Aussi renchérit-elle en tendant les bras pour feindre d’applaudir, avant de lever un pouce. Elle n’avait pas les détails ni même la moindre idée de ce qu’il pouvait percevoir ou ressentir sous cette forme, mais il était devenu fort, c’était pas ça avant.
Sa nouvelle technique, c’était celle du sous-marin : il s’efforçait de passer le moins de temps possible en surface, ne jetant que des coups d’oeil sporadiques pour se repérer, et passait le plus clair de son temps enfoncé dans le sol où il était invisible. Probablement plus une question d’habitude et de prudence que quoi que ce soit. Avec le brouillard ambiant et maintenant qu’il savait assez bien estomper son éclat, aucune chance qu’on le voit dans le smog.
Dans la base, c’était sûrement plus dur. Ca ne l’avait pas empêché d’y aller en éclaireur à plusieurs reprises pendant trois jours, pour faire du repérage à l’état de fantôme. Et de leur dessiner plusieurs cartes, du site en général, de l’intérieur de chacun des bâtiments, quand il regagnait son corps. Tout ça sans jamais quitter le petit appartement de la bourgade adjacente qui leur servait de planque, à trois heures de marche de là.
Trois heures, à condition d’avoir de bonnes jambes. Ou de flotter dans les airs comme un oiseau, songea-t-elle en regardant la petite sphère de lumière. A pied, Ryo se traînait comme pas permis et demandait des pauses en permanence. Mais là, c’était beaucoup plus agréable de se le coltiner.
-On a pas de temps à perdre, vous êtes prêts à y aller?
-Il est sourd, je te rappelle, glissa la grande brune.
-Je croyais que ça n’était pas tout le temps le cas?
-Euh… bah on peut essayer. Ok, ‘tite bouboule. Tu m’entends? Oscille doucement de haut en bas si tu m’entends.
Ce qui n’engendra aucune réaction. Donc il était encore sourd. Les joies de la projection astrale. Non pas qu’elle l’ait déjà vu capable d’entendre ou de parler sous cette forme. C’était “parfois”, avec une grosse insistance. Mais tout le monde lui répétait que normalement, les gens pouvaient entendre et bien souvent parler quand ils faisaient ça.
-Bon, bah toi, alors. Tu es prête?
-Ouais.
Elle était nerveuse, surtout. Mais dans le bon. Ca n’était pas la première fois qu’elle allait mettre le zbeule quelque part. Ca remontait à plusieurs mois, par contre. Et elle n’y était jamais allée seule. Avec des copains, même si ça restait tendu, ça se faisait beaucoup plus naturellement. Mais avec des pouvoirs de portebrume et un fantôme en guise de guide, ça devait aussi se faire.
-Allez, à toute.
Elle adressa à Ryo un regard appuyé, lui désigna l’exploitation en tendant les deux bras dans sa direction, les paumes levées au ciel, pour l’inviter à s’y rendre. “Après toi, bonhomme”. Ce qui le fit enfin réagir. Parfait.
Elle marcha à sa suite, puis commença à courir. Puis à accélérer.
Sa jambe à moitié imbibée de vase la dérangeait pas mal, mais rien d’handicapant. Ca avait l’avantage de l’inciter à bien regarder où elle mettait les pieds, par contre. Une leçon bien apprise.
Elle accéléra encore un coup tout en réduisant la cadence, laissant ses pouvoirs prendre le relai sur ses muscles pour s’économiser - ce qui ne l’empêcha pas de doubler de vitesse en gardant beaucoup de marge. Ryosuke la devançait toujours, mais eut besoin d’un temps d’adaptation pour rétablir la mesure. Ils s’étaient exercés plusieurs fois, pourtant. Mais bien vite, il bifurqua et partit au devant pour aller à la tour. Parce que ce qu’elle allait faire, il ne pourrait pas suivre.
Les barbelés, ça allait la bloquer. Elle ne sautait pas assez haut, ne passerait pas au travers, et ne les renverserait pas.
Mais ça n’était pas le plan.
Au lieu de ça, une fois arrivée bien dans l’axe de l’entrée principale, elle mit tout ce qu’elle avait, c’est à dire autant que possible sans perdre l’équilibre, pour piquer une pointe qu’aucun homme et aucun animal ne pouvait égaler. Peut-être un train, à la rigueur. Elle allait tellement vite qu’elle sentait l’air devenir un filtre opaque qui l’enveloppait et se déchirait sur son chemin. Comme une toile d’araignée. En vachement plus vénère.
A cette vitesse, elle passa au travers de l’entrée principale comme un boulet de canon, sous le regard des deux gardiens qui n’eurent même pas le temps de comprendre, et encore moins de réagir.
L’un d’eux manqua de tomber à la renverse et s'écrasa contre une poutre, l'autre, assis, se retrouva immergé sous une vague de poussière et de smog.
De même pour les deux molosses campés là, des bergers aramilans, qui enfouirent leurs museaux sous leurs pattes en jappant d'inconfort.
Il n’y avait pas de barrière, parce qu'avec toutes les dissuasions mises en place, personne ne se serait sérieusement attendu à ce qu’il y ait une attaque. Et encore moins comme ça.