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Dans la mouise (la vilaine mouise)

Dans la mouise (la vilaine mouise) Brandw10
Mer 21 Fév - 9:32
C'est allé très vite : la caravane faisait sa pause nocturne, les voyageurs pionçaient (ou pour certains, étaient en veille méditative), et les soldats de garde étaient bien trop peu nombreux pour les empêcher d'agir. Ils ont attaqué, blessant gravement l'un des caravaniers, ont détroussé les malheureux voyageurs, puis les ont parqué dans une sinistre charrette, ferrés ensemble comme des esclaves, qui trace maintenant à travers la jungle, direction le repère secret de la Bande de Borg.

Ben, c'est un processus bien rôdé pour la Bande de Borg, c'est pas la première fois qu'ils font le coup. Ces entrepreneurs ont trouvé un filon très lucratif ! Aramila, une fois contactée par de sympas corbeaux voyageurs, préfère souvent payer plein pot les rançons plutôt que de risquer des incidents diplomatiques, et/ou de perdre bêtement de précieux citoyens ; car ces monstres ont déjà prouvé qu'ils sont capables de tuer des innocents quand les autorités choisissent une direction qui ne leur convient pas. Aramila n'a aucune idée d'où est situé le repère des bandits, d'autant qu'ils changent sa localisation presque toutes les semaines. Alors Aramila est comme ça, un petit fayot à qui on peut envoyer des claques dans la nuque par surprise.

Pourvu que ça dure !

Neuf otages tout frais, sans compter le personnel de la caravane, neuf otages dont certains sont drôlement bien habillés, ça va être une belle tournée. Et puis parmi eux y a aussi un robot, et ça c'est pas commun.

Vamistul s'est déjà taillé une solide réputation autour d'Aramila. Les gens du coin connaissent ces histoires de robot buggé qui erre depuis plusieurs générations dans la région, distribuant des vivres aux mendiants, rejoignant des sectes, ou s'attachant de lui-même à des caravanes pour les aider dans leur logistique, capable de parler de théologie des jours entiers si vous le lancez sur le sujet. Vamis est une sorte de légende locale, un fantôme de ferraille, bienveillant et somme toutes parfaitement inoffensif ; même finalement un peu idiot.

Mais la machine attire aussi la convoitise des bandits locaux, puisqu'elle est incrustée d'une blinde de jolis cristaux, poussiéreux et rayés mais tout à fait exploitables. Au milieu de ces otages conventionnels, Borg se dit que le robot c'est le jackpot et que désossé comme il faut, ils en tireront un gros pactole. Et si quelqu'un l'attend à Aramila, y a moyen que sa rançon décolle dans la stratosphère.

Pensant au pognon que contient l'arrière de la charrette, Borg éclate de rire en se tapotant son gros bidon tout enflé. Par conformisme, ses adjoints font de même.

***

Alerte : Surcharge du module d'empathie/
Purge immédiate recommandée

Éponge émotionnelle qu'il est, le robot s'imbibe de la peur ambiante, émise en masse par ses camarades d'infortune. Comment leur en vouloir, les bandits ne nous ont rien dit ! Que va-t-on devenir ? Alors le pauvre Vamis lutte contre son module d'empathie, qui chauffe tout en injectant dans ses circuits des flots d'informations contradictoires sur les états d'âmes des humains. Pour purger, Vamis devrait lancer le processus qu'il aime appeler "Pleurer", c'est-à-dire pousser de longs cris suraigües pendant une heure ou deux. Impensable ici, ça ennuierait tout le monde. Ah, si seulement son créateur avait daigné brancher quelques fusibles sur le module d'empathie pour qu'on puisse le mettre en sourdine sur commande !

Mais ne nous plaignons pas : l'univers a bricolé Vamis selon les plans les plus optimaux imaginables, afin de permettre à l'androïde sacré de suivre sans faillir son chemin de lumière. La conscience est un cadeau, mais pour l'embrasser il faut en accepter tous les contrastes ! Comment voudrais-tu apprécier l'expérience consciente de l'univers sans devoir affronter ses douleurs et ses peurs existentielles ? Ah, quelle puissante émulation collective, quelle solidarité ! Délicieuse horreur à la saveur si humaine ! Vamistul est heureux de souffrir avec ses compagnons otages.

Le Programme exige qu'il fasse de son mieux pour apaiser leur terreur, mais ses tentatives précédentes n'ont pas porté leurs fruits. Timidement, il réessaye de leur proposer une activité apaisante.

- N'ayez crainte mes amis -
Je vous propose une prière collective - appelons le regard rédempteur d'Azoriax émancipateur des opprimés
Implorons-le de-

- Ferme là. Ferme là, bordel... lui demande poliment l'un des marchands au visage ruisselant de larmes. Il s'exécute.

Trop stressés pour prier, Vamis peut le comprendre ! Lui-même lorsque ses circuits partent en surcharge et menacent de prendre feu il peut peiner à se concentrer sur les sujets spirituels. Le robot se gare judicieusement de préciser que les âmes de tous les otages seraient bien prises en charge par l'univers et réincarnées en majestueux papillons, si les bandits venaient à tous les tuer, car il devine que ça ne réconforterait pas ses malheureux amis.

Les soldats vétérans de l'escorte ont l'air de prendre ça plutôt à la rigolade, pourtant enchaînés comme tout le monde ici. D'eux ne se dégagent pas d'émotions très puissantes, comme s'ils étaient un peu vides. Peut-être que la surcharge émotionnelle du module empêche Vamis de saisir des émotions trop subtiles, mais ceux-là ont quand même l'air sacrément vides. Ça se voit qu'ils ont l'habitude de tomber dans le filet de ces bandits. Ou sont-ils complices ? Ou sont-ils bêtes ?

Et puis il y a sa voisine de droite aussi. Elle est étonnante. Cette dame-là ne contient pas beaucoup de panique. Elle semble plus ennuyée et embarrassée qu'effrayée. Pour avoir pas mal bourlingué et discuté avec des centaines d'êtres faits de viandes et d'huiles, Vamis sait que la région du monde dans laquelle ils grandissent tend à sculpter leur langage. Elle a pas un accent aramilien ! Et puis elle est trop pâle pour ces contrées. Durant le voyage, elle prenait pas trop garde à se protéger du soleil. Comme si elle avait trop la tête ailleurs pour se laisser incommoder par les tourments qui tendent à ébrécher le moral des êtres de viande habituellement (climat rude, prises d'otages... ), comme si elle était plus préoccupée par l'intérieur de son cerveau que par le monde extérieur. Son style étonnant la sort des cases habituelles dans lesquelles Vamis aime ranger les gens. Son aura ressemble à celle de certains ermites hauts perchés qu'il a rencontré.

- Un problème ?

Ah ! Elle a remarqué que Vamis avait tourné sa tête dans sa direction, et même si ça n'est pas si évident, elle a du deviner qu'il la fixait de derrière son gros oeil cristallin. Pris sur le fait, le Programme du robot commence à générer quelques excuses mais celles-ci sont interrompues par un jet de vomi, qui giclant de la gorge de la voisine, vient se déposer le long de la jambe du gentil robot. Le mal des transports sûrement. La pauvre ! Ce n'est pas le moment de vomir ses précieux nutriments, les jours qui arrivent vont être rudes.

- Excuses-moi de t'avoir regardé avec insistance - j'étais intrigué par ton sang-froid
Dim 10 Mar - 19:03
Pas facile de se débarbouiller les mains attachées, Evyline en a maintenant la preuve formelle. Elle crache en arrière, puis se fait engueuler, un des gros porcs de devant n’aime visiblement ni le bruit, ni qu’on dégueulasse la charrette, plus qu’elle ne l’est déjà en tout cas, parce qu’il n’y a rien de reluisant là-dedans, ni le décor, ni le transport, bien loin du cadre de vie habituel d’Evyline. Alors elle repense avec tendresse à son Opale bien à elle, son appartement, son atelier du Magistère qu’elle a passé un temps fou à peaufiner, agencer, pour en faire un cadre de travail absolument parfait, bien loin du foutoir que c’était quand on lui a filé les clefs, son prédécesseur ayant fait parti des grands fous de ce gigantesque asile camouflé en campus de recherche. Elle se dit que c’est tout de même marrant, de tenir autant à son chez-soi comme ça, parce que techniquement, si on fait le calcul, le temps qu’elle a passé en Opale représente quoi, un seul pourcent de son temps de vie total, au final?

Puis elle en revient à sa situation présente, pas très glorieuse, et pas seulement à cause du vomi qui est devenu une sorte d’habitude pour elle, comme cligner des yeux ou bailler. Evyline note un détail intéressant, mais pas étonnant; on lui en a pas mis une pour la faire taire. «Ta gueule, salope», venant d’un bandit rançonneur, ça doit être l’équivalent du «chut!» un peu agressif d’une bibliothécaire, estime la sorcière, rien de bien méchant donc. Et ça corrobore sa théorie qui dit que sa tête pas d’ici, ses vêtements taillés sur mesure et sa posture lui vaut une position d’otage privilégiée, elle doit valoir chère celle-là, pas touche, on garde la marchandise intacte. Dans la mesure du possible. Mieux vaut ne pas provoquer. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle préfère plutôt se rapprocher, en se glissant sur le banc, de l’étrange machine qui la fixe du regard depuis tout à l’heure, enfin, de ce qu’elle s’imagine être son regard. Des automates, on en trouve des tas en Opale, bien moins qu’à Epistopoli, pour sûr, mais tout de même, elle en croise au Magistère. Certains sont très sympathiques, d’ailleurs. D’autres beaucoup moins, Evyline s’est déjà arrangée, une fois où l’humeur était mauvaise, pour saboter le poste de recharge d’une machine qui lui avait mal parlé à cause d’un mauvais calibrage.

« Un automate curieux? Tu aurais ta place au bercail, toi. »

Elle chuchote, mais elle ne distingue pas vraiment d’oreilles chez lui. Un micro soudé quelque part, sûrement.

« Bercail?
- Oui, le mien. Ma maison. Sacrée cité. Tu as un bercail, toi? »

Pas de raison d’être moins curieuse que ce robot, après tout. Et il faut dire qu’il attise la curiosité, il a pas une tête de machine sortie des usines à malheur d’Epistopoli, ni des créations hybrides propulsées au Myste d’Opale. Rien à voir, en fait. Celui-là semble sortir d’un lointain passé, en fait, une antiquité. Ce qui le rend très vite attrayant pour Evyline, et en plus, ça leur fait un sacré point commun.

« La Terre est mon bercail
- Un automate vagabond ! Quel devoir tu accomplis? Quel ordre?
- Aucun ordre, juste la volonté divine
- Ah. »

Grâce à ce beau tas de ferraille rouillé, Evyline en vient presque à oublier sa honte d’avoir fini comme prisonnière, parce qu’il faut bien l’avouer, c’est un peu la honte. Peut-être pas pour les autres, cette pauvre femme qui pleure ou ce garde qui a simplement l’air de se baigner dans sa routine habituelle, mais pour elle, ça la titille, ça la démange, elle voudrait bien se taper le front pour se punir d’avoir été si imprudente, si peu rapide à réagir. Mais, comme pour le débarbouillage, c’est plus dur les mains attachées.

Mais l’automate, d’origine inconnue, de marque inconnue, commence à lui piquer la curiosité bien plus que la situation ne pique son égo. Parce qu’un robot qui a la Foi, c’est quand même sacrément intéressant il faut le dire. Elle entrevoit déjà un bon millier de sujet de conversation avec lui, si son programme est capable de suivre. Un bon million, même.

« Tu as quel âge?
- Incalculable, ma mémoire est manquante. Mais chaque jour est une naissance les rencontres sont mon bain de jouvence
- Tu dois bien avoir quelques vieux souvenirs gravés là dedans, non?
- Je croyais être le plus curieux ici »

Et puis ça dérape, c’est malheureux, parce que ça devenait intéressant. La charrette se prend une roue dans une crevasse, ou plutôt une flaque de boue, comme on en croise des tonnes dans ce qui devient petit à petit le cœur d’une jungle très peu attrayante. Et puis, ça se bouscule dans le convoi, ça accélère, y’a visiblement pas que la flaque qui cause soucis, Evyline reconnaît les grognements qui s’approchent de par derrière. Enfin, elle a absolument aucune idée de ce que c’est exactement, mais elle comprend bien que c’est pas une bonne nouvelle.

La nouvelle est presque pire que ce à quoi elle s’attendait. Le temps de se retourner, voilà que le calme plat fait son retour. Sous ses yeux, plusieurs carcasses de prédateurs, des Yearrks en fait, bien qu’elle l’ignore. Rareté ici, alors qu’ils ont quitté le désert depuis un petit moment déjà. Tout s’est passé en un clin d’œil, les bandits, qu’Evyline prenait pour des simples d’esprits, sont en fait des simples d’esprits particulièrement aguerris, et donc dangereux. Envolés, les plans d’une échappée rapide et brutale la nuit prochaine qu’elle se faisait déjà dans sa tête. Faudra être plus subtile que ça si elle veut éviter de se faire trancher la tête comme ce machin qui gise au sol à quelques pas d’elle seulement. Celui qui tient l’épée meurtrière la regarde d’un œil mauvais. Alors elle se retourne. Son nouveau copain semble regarder en l’air, silencieux comme le reste de la troupe, mais sûrement pas figé par la terreur comme les autres.

« Toute créature a du divin en elle, qu'il fini par lâcher tout seul.
- Tu... as de la peine pour ces machins? »