Ven 26 Jan - 18:32
Roncier de mots
Paroles envenimées...
13 d’Urh 1900
Lettre de lady Brightwige-Dalmesca à son père, le patriarche Brightwige, famille des Sept d'Opale.
-« Cher Père,
Je ne sais comment aligner mes idées pour revenir sur les horreurs qui sont survenues ce 11 d’Urh et qui ont a jamais changé le visage et l’âme d’Opale, qui reste, n’en déplaise à Amal, ma patrie de naissance.
Vous devinez en me lisant que je suis vivante. Si je m’en suis sortie, je n’en suis pas pour autant indemne. Ma calligraphie tremble un peu car je peine encore à manier la plume sous l’effet des calmants. En effet, le bras qui me permet d'écrire est celui qui a reçu une balle perdue, de la part des terroristes du XIIIème Cercle ou de nos défenseurs dans un tir croisé. Je ne sais point.
J'emploie les services onéreux de Banshee de la Guilde des messagers de Xandrie, même si je sais combien vous honnissez leur genre, pour assurer une prompte délivrance de mes missives. Vous devez tous êtres affamés de nouvelles.
Ma gorge se serre, père. Car, en même temps que je vous annonce ce que j’espère être une bonne nouvelle à vos yeux, il m’incombe par devoir d’être la messagère qui viendra vous effondrer, vous et mère, d’un chagrin insoutenable.
Darya n’est plus.
Elle était avec moi quand tout est arrivé. Je suis restée à ses côtés jusqu’au bout sur la place alors que nos sangs se mêlaient. Pourquoi père ? Pourquoi père personne ne s’est-il retourné pour nous ? Nous avons appelé à l’aide. Mais tout le monde avait fuit. Amal le premier. Lui qui se trouvait juste à ma droite.
Ne croyez pas que je cherche à ranimer de vieilles querelles, je vous en supplie. Le papier se mouille de larmes acides que je ne peux contenir. Car Darya m’a sauvée, ce en dépit de notre passé tourmenté. Et je n’ai pu ou su faire de même. Son corps inanimé a été l’ultime rempart pour protéger le mien quand les assassins passaient entre les travées en quête de survivant à abattre. J’ai cru ma dernière heure arrivée. Et j’ai eu le temps d’en dénombrer les secondes bien plus que de raison.
Hélas, Père, cette nouvelle terrible n’est pas le seul coup que je dois porter aujourd’hui à la famille Brightwige. De grâce, ne laissez pas nos échanges parcellaires être marqués par cette pierre noire que j’abats sur votre front contre mon gré… Bien, ne peux plus différer…
Il n’y aura pas de corps à rapatrier. Pas de dépouille à enterrer. Bien que je me sois accrochée à Darya, le gouffre sans fond menant vers les Limbes nous a englouti toutes deux. Et je n’ai pu l’en sortir. J’ai bien failli m’y oublier. Cet espace chaotique n’a ni temps ni mesure. Ni chemin, ni impasse. L’esprit lui-même n'y a pas sa place et l’on ne peut, pour endurer le calvaire de la désagrégation, que se cramponner férocement à son prénom en espérant que toute trace de vie et de pensée qui fait que l’on est soi afin d'éviter d'être détricoté : fil par fil, entailles après entaille. J’oublie de vous le dire, tant je suis déboussolée, mais je me trouve actuellement dans notre demeure à la capitale d’Aramila. En seulement quelques minutes, ou peut-être quelques heures, le tunnel a débouché non loin de Doulek, au mépris de toutes les lois de la physique.
Même si je devais y retourner, je ne saurais dire où aller pour la chercher, dans cet adverbe n’a aucune substance en ce royaume maudit. J’espère revenir pour des funérailles symboliques auprès des miens à la fin du mois, quand vous aurez eu le temps de prendre des dispositions et que mon état se sera amélioré. Dites à mère combien je regrette de n’avoir pu au moins secourir dans la mort ce que je n’ai réussi à secourir dans la vie. Puisse l’âme de Darya reposer en paix. Nous nous sommes quittées dans les derniers instants en sœurs aimantes et réconciliées. Tous ici lui adressent pieusement des prières.
Et maudits soient les fils Cassandre ! Qui de leurs pieds furieux nous ont broyé dans leur fuite, nous ôtant toute chance de nous relever pour rejoindre un abri. Ce sont peut-être eux qui ont réellement rendu inévitable le décès de Darya. Je garderai contre eux une colère noire. Une part de moi vous le dit - aucune fierté ne m’habite en le confessant - dans l’espoir de les voir confondus par votre action à leur encontre.
Recevez chacun, toutes mes condoléances les plus sincères et les plus navrées.
Votre fille aînée,
Ellendrine »
Dernière édition par Ellendrine Brightwige le Ven 26 Jan - 23:06, édité 2 fois