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Nous sommes toi

Nous sommes toi Brandw10
Mar 16 Jan - 16:50

Nous sommes toi

Après la Cour des Intrigants - Le caravanier



Le retour en était-il vraiment un ? La route avait été longue, les plans changés et rechangés, mais nous étions arrivés à Aramila, pourquoi la tristesse ? Pourquoi cette ville qui m’avait vu renaître et trouver une cause, une raison d’avancée ne m’enveloppait-elle pas dans sa douce étreinte ? Pourquoi avais-je l’impression de ne plus entendre la voix des Douze ?

Parce que nous sommes là Arno.

La vision floue, je traînais plus que je n’avançais, plusieurs fois je crus reconnaître un visage dans la foule, pour qu’il disparaisse instantanément. Nous rentrions dans l’anonymat, nous séparant plus ou moins amicalement, nous qui avions réussi l’impossible, revenir des Limbes avec ce que nous pensions être une source de réponse. Je n’avais plus la force de lutter, d’entretenir les masques, d’autres devaient prendre le relais, Yodicaëlle après son passage avec l’Alliance devait être interrogée par l’Ordre.

Sinon, à quoi cela aurait-il servi de nous ramener ?

Je n’en savais rien, comme toujours, ma mission s’achevait, je devais laisser place à un autre rouage, qui laisserait sa place à un autre, qui laissera sa place à un autre. Une machine bien huilée, qu’aucun grain de sable ne viendrait enrayer. J’avais pris une initiative à Opale, qui sait ce qui découlerait de tout ça ? Pour l’instant, c’était pas mon problème, j’en avais des beaucoup plus terre à terre, des beaucoup plus personnelles. Chaque reflet que je voyais dans les verreries des marchés que j’avais toujours arpenté me renvoyait des images déformées de mon visage, ils me souriaient, j’en étais sûr. Je fuyais les allées où je vaquais habituellement, ne répondant pas aux saluts amicaux et aux invectives des autres marchands. Ce qui m’animait habituellement me parvenait troublé, comme derrière un voile.

J’étais fatigué, de tout, du bruit ambiant, du bruit dans ma tête. J’aurais donné la ferme, j’aurais donné beaucoup pour un simple lit où m’écrouler et me réveiller demain, si les Douze le voulaient bien. Mécaniquement, j’atteignais la remise qui nous servait d’entrepôt sur les quais et je me hissais dans la petite salle qui habituellement me servait à faire mes comptes, une paillasse usée était dans un coin, je n’imaginais rien de plus confortable que celle-ci. J’aimerais vous dire qu'aussitôt mes yeux fermés, je sombrais instantanément, mais il y eut cet instant, celui à la lisière de la réalité et des rêves.

Comme là-bas hein ? Oui, ça ressemblait à cet enfer, à celui où vous avez essayé de me maintenir. Vous êtes risibles à croire que nous pourrions tous vivre indépendamment, vous n’êtes que des noms, que des coquilles vides que je remplis à loisir, qui vous fait croire que vous avez votre mot à dire ? Mais, parce que nous avons à dire justement mon petit, tu ne croyais quand même pas qu’on se contenterait simplement d’être des outils ? Tu ne crois pas qu’on a vu à quel point tu apprécies le faste opalien ? Combien tu peux avoir une flamme de révolutionnaire à Renon ? À quel point tu apprécies de ne pas avoir à réfléchir lorsque tu t’occupes des bêtes ? Nous ne sommes pas des coquilles Arno… Ou plutôt laissez-moi reformuler, pourquoi Arno ne serait-il pas lui aussi une vulgaire coquille ? Pourquoi la ferme, les épices seraient plus réelles que ce que tu essayes de faire ailleurs ? Pourquoi un Caravanier compterait plus qu’un simple marchand ? Vous avez la réponse ?

Aucune réponse ne vint à l’exception d’un cri de terreur et d’une dague sur la gorge de l’intrus. Un visage, un masque, un rire étouffé s’amusant de mes sueurs froides. Je retenais Eustache d’appuyer la lame et d’en finir avec celui qui m’avait sorti de l’Escadrille. Il était rare que l’homme se présente directement, préférant passer par d’autres de ses ouailles, notamment l’autre déchet barbare pour lequel je n’aurais peut-être pas arrêté Eustache.

“Mauvais rêve ?
- Si on veut,
grommelais-je encore sous l’effet de l’adrénaline combiné à la mauvaise humeur, ma bouche était pâteuse, j’ai dormi combien de temps ?
- Bien assez pour certains, bien trop peu j’en ai peur,
annonça-t’il avec un sourire malicieux. Le voyage s’est bien passé ? Tu es rentré bien vite d’Opale par des voies… Interlopes si j’en crois les dire de certains enfants.“

Alors il y avait déjà eu des mots échangés, des informations récupérées en attendant le plat de résistance. Le nom de Yodicaëlle me vint instantanément, il dût le comprendre dans mon regard, sa capacité à lire en moi était terrifiante et en même temps réussissait à me réconforter. Ce vieil homme sage avait été mon roc pendant des années. L’Oasis comme il aimait à se faire appeler, ne me proposait comme d’habitude que son regard doré, seule chose qui ne changeait jamais sur son visage. Aujourd’hui il était une jeune femme fringante que j’avais déjà vu arpenter le marché, était-ce lui à chaque fois ? Rien n’était moins sûr, quand on voit le cadeau qu'il m’avait fait, une copie de son pouvoir.

“Nous n’avons pas encore la main sur elle, mais elle est à Aramila ce qui est déjà une victoire, sous la surveillance de l’Alliance ce qui est... Nous savons que tu as œuvré pour ça, de façon assez habile qui plus est, bien aidé par la chance ou le destin qui vous a fait atterrir sur nos terres, dit-il en tirant le tabouret et en s'asseyant élégamment dessus comme s’il avait toujours eu l’habitude de ce svelte corps étranger. Que s’est-il passé là-bas ?”

Par où commencer ? Opale ? L’attaque ? Les Limbes ? La présence de Podrick dans ma vision périphérique sur le verre d’une bouteille ? Il m’en faudrait bien une, ou deux d’ailleurs, au contenu le plus fort possible que je pourrais boire à loisir. Je voulais m’assommer, je voulais sombrer, je voulais effacer. Il le comprit, tirant l'unique verre de la pièce dans lequel il souffla avant d’y verser le contenu translucide et frais de la bouteille de ses doigts fins. La cuite devrait attendre alors que l’eau coulait dans ma gorge à grandes rasades.

Je lui racontais tout ce que j’avais vécu, de mes yeux, j’omettais certains détails, sur Pietro, sur Ellendrine, sur les personnes qui avaient eu le malheur de m’accompagner dans les Limbes. Il me souriait en demandant des précisions. Incisif, pas dupe, des décennies certainement à jouer à ce jeu des masques pour déceler la moindre fêlure. La seule que je parvins à cacher, me semble-t-il, fut pourtant la plus importante. Sans doute un effort collectif de tout le monde pour faire en sorte que les morceaux paraissent soudés. Bravo Pod, bravo Lucas, bravo Piotr, même bravo à toi Eustache… Oh mais je t’en prie vieille branche.

“Bien... merci pour ton rapport, ne t’embête pas je me chargerai de le faire parvenir à qui de droit. Maintenant, c’est à moi de te dire des choses, donnant-donnant, pas vrai vieille branche ?” murmura-t'il, toujours avec ce sourire doux sur un visage emprunté.

Je tâchais de masquer ma déconvenue, jusqu’où avait-il lu ? J’embrayais derechef, il me fallait retrouver une contenance, appliquer un nouveau vernis, une nouvelle colle. Cachez ses fêlures que je ne saurais voir, nous avons encore du travail, il ne venait pas là uniquement pour prendre le thé et, s’il s'était déplacé en personne, ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose. L’Oasis avait quelque chose qu’il ne souhaitait donner qu’à certains de ses sbires, détruisant la chaîne d’information qu’il aimait tant à utiliser habituellement.

Je ne t’apprends rien sur le lien entre Yodicaëlle Sarnegrave et Doulek, nous avons déjà envoyé quelqu’un là-bas, il est en route. Peut-être pourrais-tu y retourner aussi ? Quelqu’un qui a été au cœur de l’action ne serait-il pas à même de mieux réussir que ceux qui ont eu des propos rapportés ? De plus… Il marqua une pause, entretenant son effet, je pense que la compagne de votre frère est intéressée pour retourner là-bas. Surveille la s’il te plaît, tant qu’elle s’amuse avec ses recherches ce n’est pas dramatique, mais il ne s’agirait pas qu’elle découvre quelque chose de trop compromettant. Ensuite…

Il me faisait languir avec ses pauses, mais pour une fois, c’est moi qui décelais une fêlure, l’ombre d’un doute dans son regard habituellement brillant. Il avait attendu autant que possible et, encore maintenant, il ne savait pas s’il devait me faire cette confidence ou pas. Finalement il décida de tenter sa chance, un air peiné et solennel que je ne lui avais connu sous aucunes faces.

“... Démephor est mort…”

Mon monde vacilla, mon esprit ne comprenait pas ces mots. Comment l’un des Douze pouvait-il être mort ? Comment avait-il pu vivre avant ça ? J’eus un haut-le-cœur, malheureusement pour moi je n’avais rien à régurgiter alors que ma tête tournait face au trop-plein de possibilités. C’était la deuxième fois en quelques jours que mes fondations étaient attaquées, d’abord les Limbes, maintenant les Dieux ? Quelle était cette comédie ? Qui se payait ma tête ? Nous le savions bien sûr, au diable toutes ces histoires de Dieux, rentrons à Opale, nous y serons tranquilles, plus à se soucier de ça, plus à se soucier de l’Histoire ou des religions, avançons bon sang. La claque partit dans mon visage, remettant tant que faire se peut mes idées en place. L’Oasis ne broncha pas, chacun accueillait la nouvelle comme il pouvait, mais il avait besoin de moi, besoin de nous, lucide.

Et maintenant, dis-je d’une voix encore tremblante, le goût du sang dans la bouche, qu’est-ce qu’on fait ?
- Ce que nous avons toujours fait Grain de Sable, on avance, on joue nos cartes... aussi mauvaise que soit notre main.”



Dernière édition par Arno Dalmesca le Lun 1 Avr - 18:03, édité 1 fois
Dim 17 Mar - 21:00

Nous sommes toi

Après la Cour des Intrigants - Le révolutionnaire



L’Oasis était parti, laissant votre serviteur dans sa solitude. J’avais vu juste en pensant qu’il me faudrait quelque chose de plus fort que de l’eau qui me permettrait de sombrer définitivement dans un lourd sommeil de soiffard. Me tourner et retourner dans mon lit n’avait aucun effet, c’était la tempête dans mon crâne. Comme si nous devions tous tenir un colloque pour savoir la marche à suivre. Il fallait taper du poing sur la table, qu’ils comprennent qui était aux commandes.

Mon mentor avait mentionné les cartes, les chemins de l’esprit faisait je me retrouvais en route vers un tripot quelconque d’une petite bourgade. Encore heureux que je ne voyais pas mon reflet dans une glace, mais je devais faire peine à voir. Des plaques de duvet noirâtres qui poussaient aléatoirement sur mes joues, des cheveux gras plaqués sur le crâne et retenus dans un lacet de cuir, un regard cerné mais toujours alerte. Le quidam moyen dans ce genre de maison d’hôte.

J’éloignais de façon un peu rustre la première douce qui vint tenter de me tirer quelques astras de la bourse. J’étais pas là pour ça et puis il y avait cette règle immuable, ne jamais dire oui à la première. On savait pas à quoi s’attendre une fois les jupons relevés. Elle continuait à tenter d’user de ses charmes. Un grognement et la main sur le couteau à ma ceinture finirent par lui faire comprendre le sous-texte. La maquerelle finit par venir me voir. Elle avait dû être belle fût un temps. Les yeux bleus vifs aux rides rilleuses, les cheveux blonds et bouclés qui tiraient aujourd’hui sur le gris. Un sourire aux lèvres qui cachait des dents que je savais manquantes. Une vie à se dissoudre et à subir avant de gagner un peu de pouvoir sur les hommes.
Lucas mon doux, quel bon vent t’amène ?” Elle me gratifiait d’une bise qui n’effleura pas ma joue. Si elle sentait l’odeur de rat crevé que je me traînais, elle ne le montrait nullement. Elle profita par contre de l’occasion dans la brève seconde où l’échange dura pour m’informer. “Ils sont là, fais tes preuves.” me susurra-t-elle. Il ne m’en fallait pas plus pour me mettre en tension, après avoir crapahuté dans la Jungle et fait des aller-retours dans tout Renon, j’avais enfin ma chance. J’allais être observé. Tout n’est qu’affaire de rouage. Même les plus petites actions peuvent entraîner un mécanisme fou. Qui sait ? Peut-être que les événements de ce soir nous permettront enfin de botter le cul de ces envahisseurs hors de chez nous. C’est comme ça que j’ai finis par me retrouver à leur table. Sans demander la permission, sans attendre rien en retour quand je récupère les cartes posées. Leur accent n’y trompait pas, pas plus que leur accoutrement. Viens-y donc là pérorer, une fois hors de ton zeppelin vous restez des péquenauds comme nous autres qui marchent dans le purins. “M’segnieurs.” me fendis-je enfin pour commencer la partie. Ils me regardèrent tour à tour. Rien d’inquiétant j’imagine à voir un paysan à la mine assez jeune venu jouer quelques parties après avoir vendu l’une de ses bêtes. Les regards épistotes se croisèrent et la partie débuta. La machinerie se mettait en route.
Faut accepter de perdre certaines manches, d’entendre les railleries, de baisser la tête en serrant le poing. Ils étaient heureux de se faire de l’argent facile. Arrive ce qui devait être la fin, je sortais la main parfaite, raflant la totalité de la mise. Mon voisin m’attrapa le poignet. La chance, ça tourne pas d'un coup. Voir des cartes tombés de ma manche finit par le convaincre de m’inviter dans la ruelle. L’air était vif. Le vent soufflait. ça ne changeait pas que l’endroit sentait l’urine. Les trois énergumènes me poussèrent sans ménagement au sol. Je me laissais à moitié à faire. Ce n’était pas encore le moment.. Même manœuvre qu’au jeu de carte, on subit juste assez avant de faire un coup décisif. Les coups pleuvent, mais les mecs sont des soiffards, y a aucune force là-dedans. Y en a même un qui manque de se rétamer en voulant me mettre un genou dans les côtes. C’est le moment que je choisis pour abattre. Première chose, on chope la jambe du gazier sous le bras, on frappe du coude de l’autre. Calcul facile: une jambe en moins. On le pousse sur son compère pour en mettre deux hors jeu juste le temps de s’occuper du troisième avec ses lunettes de bigleux. Jolie jarre placée là comme par hasard, je lui explose sur la tronche. Il se reçoit en bonus le liquide odorant de plusieurs collègues qui venaient ici faire la vidange. Il lui en fallait pas plus que le choc pour rester au sol. Ses deux copains se relevaient déjà, celui à la jambe ankylosée était mal assuré. La menace c’était l’autre, c’était aussi celui qui semblait le plus aviné des trois qui s’était tiré une balle dans le pied tout seul. J’avais bien fait de le laisser boire dans ma chope, cul sec camarade. Il prend de l’élan, mais le lourdaud me rate, dommage. Un coup de tête sur son nez lui fait monter les larmes. On commence à s'essouffler, faut faire vite maintenant. Le dernier larron se relève enfin. Non content d’avoir déjà dégommé une jambe, je balaye l’autre. Je viens avec toi mon gaillard, voyons comment tu résistes. Je tape de tout mon saoul. Un coup vint me cueillir à la tempe, me faisait voir trente six chandelles. Avant de sombrer j’entends juste un glaviot de sang tomber dans la boue et quelques mots chuchotés. “Bien joué, t’y as pas été de main morte gamin…” Le plan avait fonctionné, mon allié dans ce coup c’était révélé en buvant dans ma bière. J’aurais presque été désolé de lui avoir pété le nez, mais il avait eu la main lourde aussi. Aller on se serre la main et on en parle plus. Il avait pu récupérer les plans de vol du zeppelin que le gars à lunette avait sur lui sans paraître suspect et c’est tout ce qui importait au mouvement. Le bruit n’avait pas tardé à faire venir les curieux aux fenêtres. Il grogna en partant dans la nuit. Mission accomplie alors que je me retrouve affalé contre un muret avec mes deux nouveaux copains. Faudrait juste que je me réveille avant eux.

J’avais finalement réussi à fermer les yeux on dirait, mais le souvenir du coup se rappela fort à mes tempes alors que j’étais au chaud sur ma paillasse. Une petite sieste tout au plus pour que notre révolutionnaire se rappelle à mon bon souvenir. C’est comme ça que Lucas avait commencé à faire ses preuves parmi les révolutionnaires de Renon. Finalement, peut-être qu’un peu d’eau ne ferait pas de mal alors que je sentais la fièvre et la lutte reprendre pour savoir qui parlerait après Lucas. ça n’allait définitivement pas être une bonne nuit, mais je devais les laisser parler. Je le devais pour qu’enfin derrière, ils se taisent un peu.
Lun 1 Avr - 19:43

Nous sommes toi

Après la Cour des Intrigants - Le bâtisseur


J’vous y vois bien dans ces tunnels, vous savez, pas voir la lumière du jour, respirer un air vicié sinon chargé de Myste. Heureusement, c’est sur un bien bel ouvrage qu’on travaille. La fierté de la nation qu’ils disent, une laisse encore plus serrée tenue par Opale sur nos chers concitoyens. Il ne faut pas s’y tromper, ce chemin de fer est un aller simple pour nombre d’entre nous. Ça  veut aussi dire que c’est une aubaine pour les gens comme moi de se faire quelques pièces à la tâche.

On a pas encore eu l’occasion de se présenter, je crois ? En même temps, j’ai toujours été le laissé pour compte, celui qu’on oublie et qui réapparaît comme une fleur quand on en a besoin, un fantôme parmi les ombres. Un anonyme de plus dans la foule des ouvriers du chemin de fer. On en aurait presque la larme. Appelez-moi Piotr, c’est le nom que j’ai donné la dernière fois qu’on m’a mis une pioche dans les mains, une tape dans le dos et un encouragement à aller creuser comme un damné. Ils sont pas très regardants tant qu’on a deux bras. Par choix ou par paresse, ce pays et ce lieu en devenaient un véritable nid d’espions. Les tractations discrètes se font à couvert du bruit des outils. Tous nous avons nos objectifs ici, bien souvent bien opposés.

Un bien beau jeu du chat et de la souris. Aujourd’hui, je suis celle-ci donc, à couiner, à creuser, à gratter de mes petites griffes dans le noir pour retarder autant que possible l’ouverture officielle de cette ligne. La fin est inévitable, on ne peut lutter continuellement contre Opale et son envie furieuse d’enserrer encore plus Xandrie dans son emprise. Tout du mieux, on peut repousser l’échéance. Peut-être qu’enfin les révolutionnaires du coin se mettraient en marche. C’est pas Lucas qui vous dira le contraire. Vous l’avez rencontré ? Chouette type, les autres l’aiment pas trop, trop brutal alors qu’on partage un corps lâche. Il nous carbonise.

Ce n’est pas qu’on ne l’aime pas, disons qu’il est… un peu brut de décoffrage.
- Ouvrez bien vos esgourdes les têtes à claque, si vous tenez encore debout c’est grâce à bibi. C’est pas l’autre pécore d’opalien qui allait nous sortir les miches des Limbes.
- Pourquoi toujours s’en prendre à moi ? J’aurais beaucoup donné si j’avais été utile, mais… j’aurais préféré rester en surface, c’est évident. Vous allez me dire que vous non ?


J’y vais pas trop dans la dentelle non plus, mais je mesure mon effort, juste assez de coups pour pas me faire remarquer et passer pour un fainéant. Un lambda quoi. Pas ma faute si parfois ça ripe et ça touche les rails. Pas de mon fait non plus si des rivets se desserrent ou que des freins lâchent. Je suis qu’un dans la multitude à essayer de pas me faire cramer. Parfois je pense deviner des comportements suspects alors que les gars vont juste se soulager. D’autres fois je passe à côté de gars du Guet qui auraient été ravis de mettre la main sur quelque gredin comme moi. Certains diront par chance, je dis plus que je me débrouille. Pas si lambda que ça votre petit Piotr quand il prend la poudre d’escampette, qu’il fait mine de se faire appeler ailleurs au moment critique en laissant les choses en plan. Peut-être même que je viendrais vous quémander une petite rasade d’eau, la chaleur monte et les rations sont faméliques. Je suis déjà bien pâle, c’est pas le coin qui va peaufiner mon bronzage, vous savez ?

Il ne fallait pas faire de vague ou juste assez pour qu’un autre puisse avancer son coup. Une belle danse qu’on vous propose là, une sorte de valse à trois temps, deux pas en arrière et un pas en avant. Je vous laisse deviner qui recule. Tout ça au bruit sourd des machines qui creusent encore et encore. Au son répétitif des hommes et femmes qui s’échinent toujours pour élargir la voie vers le Far East.

C’est un jour comme un autre, travail à la chaîne, laisse ton esprit vagabonder avant de pourrir sur place. Faut pas que la cadence t’endorme camarade. Une deux, une deux, serre, desserre, serre, desserre. Y en a même qui commencent à siffloter, j’essaye de faire abstraction du message codé. Quand je commence à voir des boulons là où il n’y en a pas, c’est l’heure d’une pause.

Y a de la tension plus que musculaire. Essayez-y de deviner qui joue un rôle, qui porte un masque dans l’affaire. Je veux vous y voir j’vous dit. J'fais pas attention aux regards que je croise, erreur bête.


“Si ce n’est pas Eustache, dites donc… Comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu fais là ?”


Mar 16 Avr - 11:15

Nous sommes toi

Après la Cour des Intrigants - Le valet



Acte I

Scène III. - Eustache habillé en Piotr, Gastufo


Eustache, fuyant - Mon bon Gastufo, quelle surprise de te trouver ici ! Que fais-tu là ? Philomène va bien ? Tu embrasseras tes parents pour moi.

Gastufo, le rattrapant - Allons, ne… ne presse pas le pas comme ça. A… attends-moi..

Eustache - Désolé, j’ai à faire, tu suis ou tu restes là. (bas, à part.) maudit grassouillet, quel tour me joue le destin à le mettre sur ma route ici. (haut). Mais ravis de t’avoir vu !

Gastufo, revenant à hauteur - Pfiou, tu sais que j’ai failli pas te reconnaitre mon petit père ? Dans ton accoutrement tout crasseux. Tu joues un rôle ? Tu viens t’inspirer ou le docteur a enfin compris que t’étais pas le couteau le plus affûté du tiroir.

Eustache - Audacieux pour un laquais dont le maitre pourrait assurer la rente d’un affuteur et sa famille pour deux générations vu la suite qu'il se trimballe.

Gastufo - Comme tu y vas, mais tu réponds toujours pas à ma question.

Eustache - Je te ferais signaler que toi non plus mon cochon. Cocasse de te trouver par ici plutôt que dans les jupes de ton maitre.

Gastufo - Da ! Et bien dans ce cas, retire ta question et je retire la mienne.

Eustache, reprenant sa route - Très bien.

Gasttufo, continuant de le suivre - À la bonne heure !

Eustache - (silence) Comment tu veux faire ça si tu continues à me suivre comme un toutou ? T’as flairé une piste ou quoi ? Allez, va chercher plus loin.

Gastufo - C’est pas en noyant de plus de questions que ça va se faire. On était bien à juste marcher là tous les deux et t'en remets une couche. Plus de questions, ça amène plus de mystère et plus de questions encore. Quand je vais raconter que je t’ai vu ici….

Eustache, le saisissant - (bas) Ecoute-moi bien, que j’apprenne pas t’as mouchardé, entre valets on s’entraide. (haut) J’arrondis mes fins de mois ici. C’est bête, mais le plus tôt la ligne est officiellement ouverte, le plus tôt la famille pourra venir faire du tourisme à Xandrie.

Gastufo - Et quel tourisme !

Eustache - Je te le fais pas dire, quel cloaque quand même. Et encore, l’image est toujours mieux que l’odeur. J'en parlais avec le Chauve, Budois et Dulcio, heureusement qu'ils ont mis un système de recyclage de l'air dans le machin sur rail.

Gastufo - Je te le fais pas dire. ça renifle. Comment ils vont ?

Eustache - Pas si mal, Budois toujours à faire feu de tout bois, tu sais comment il est... Les autres, je sais pas sur quoi ils bossent, mais ils font mine de bosser en tout cas. Peut-être qu'avec tous l'air qu'ils brassent c'est eux qui se chargent de rendre l'air des wagons respirable.

Gastufo - Je te le fais pas dire. Dernière fois que j'ai vu le Chauve, il avait l'air vachement pressé.

Eustache - T'es vachement dans la répétition.

Gastufo - J'apprends des meilleurs, mon cochon.

Eustache, regardant autour - Lonnêtementhatte, t’es là pour lellequem laisonrem? Ne me laifoques pas loirecric que tu m'as louvétrem larpoc lasarhoc.

Gastufo - T'as l'oeillic lifvem. Non, j'ai léférépré loupécas lourcas, y a des lengems sur ta listepuche. Il laufic que tu lécampedés litevuche.

Eustache - T’es liembem lurbainem. C'était loutem laimentvroque? Une letitepem liversiondem pour que je luissepoc lendrepratte la loudrepem l’escampettedem? ça va me loutéquem lombiencoque cette laffairepuche?

Gastufo, offrant un sourire carnassier - Lerchoque.

Eustache - Serre-moi la main, vieux frère. Ça m’a fait plaisir de te voir. Et j’insiste, passe le bonjour à tes parents. On ira boire un godet ensemble un de ces jours.

Gastufo - On dit semaine prochaine ? Au coin habituel ?

Eustache - Semaine prochaine. Coin habituel.

Gasttufo - Semaine prochaine ! Coin habituel alors !


Gastufo quitte la scène après la poignée de main. Eustache en aparté.


Eustache - Pouah, longtemps que j’avais pas pratiqué. Normal que vous ayez pas capté grand chose, faut bien que les petites gens puissent discuter peinard quand les oreilles trainent. ça peut faire un petit choc par rapport à mon phrasé à Opale, j’entends. C’est aussi ça la liberté. Finalement, peut-être un coup de chance que ce lardon m’ait trouvé. J’aurais eu l’air fin si c’était une autre connaissance qui m’avait approché. (se racle la gorge) Il ne faudrait pas que les différents mondes se chevauchent, vous comprenez bien ?  Chacun à sa place et les moutons seront bien gardés. Palsambleu, il va quand même falloir régler ce problème en revenant à la capitale. Même si j’apprécie l’homme, je sais bien que, comme toujours, ça va parler, ça va intriguer. Heureusement, j’ai quelques alcools plutôt méchants à lui proposer lors de notre rendez-vous. La menace à peine voilée sur ses proches devrait lui faire tenir sa langue au moins jusque là.


Le bruit des bottes de contremaitre se fait entendre.


Eustache - Je vous laisse, il faut que je file. Je finis de desserrer ce machin et je trace.


Dernière édition par Arno Dalmesca le Mer 17 Avr - 9:27, édité 4 fois
Mar 16 Avr - 11:32

Nous sommes toi

Après la Cour des Intrigants - Le palefrenier



Qu’est-ce que tu dis Pod ? Tu veux qu’on te présente aussi, mais t’es trop timide pour le faire ? Allons allons, nos amis ont déjà eu la chance de te côtoyer, laisses-en un peu aux autres aussi. Il fait le timide, mais il est toujours à vouloir se faire bien voir, s’en est risible tellement c’est innocent. D’ailleurs, tu as des nouvelles de ton amie ? Dire que tu l’as abandonnée pour rentrer avec nous. On aurait compris que tu restes derrière.


Vous savez où est Lö?


Allons Podrick, du calme on t’a dit, on n’est pas là pour parler du présent ou imaginer le futur. Comme toujours, on n’est à rien de te laisser une ouverture et tout ce que tu penses à faire s’est posé des questions sur les autres. Pense à toi à la fin, un peu d'égoïsme, c’est comme avec les bêtes après tout. Tu fais mine de les comprendre, en même temps vous êtes si proche. On a créé une coquille vide, pour aller d’un point A à un point B sans se faire remarquer. Palefrenier qu’ils disent, conducteur de caravane. Et tu penses qu’on va te laisser plus d’espace que ça ? Non, à toi de le prendre l’espace Podrick, montre qu’il y a quelque chose derrière cette simplicité et cette pureté.

Toi aussi, le désert t’a forcément pris, toi qui l’arpentes à la moindre occasion, qui quitte la ville pour faire corps avec le sable et avec les hommes qui arpentent. Qu’es-tu vraiment à la fin ? Une pièce rapportée, la dernière roue du carrosse.


Non, Podrick est.


Si tu es vraiment, alors remplis moi cette coquille Podrick, ne soit plus juste un palefrenier pour qui rien ne compte si ce n’est s’assurer que les animaux ou la marchandise sous sa charge aillent bien. Fais plus que simplement libérer un Narangpé au bazar de Qadsak, fait plus qu’une vulgaire impulsion. Prends cette étincelle, doucement, souffle dessus, allume les braises, vit de la flamme naissante. Chauffe, bouge, brûle, voilà.

Personne ne s’intéressera à savoir pourquoi on t’a créé, que l’opportunité était là de proposer un nouveau masque, un nouveau vernis facile, du genre où les actions machinales permettent à nos psychés de se reposer. Le désert fait peur, le désert fait corps violent, tu nous protèges parce que tu es compatissant. Parce que tu as fait de cette toile de vide ta maison plus que nous tous. Tu as appris à discerner chaque chanson du vent, chaque peinture du ciel et chaque sculpture du sable. Finalement, n’es-tu pas la genèse la plus pure d’un caravanier ? D’un transporteur de biens et de savoirs ? Ne voudrais-tu pas ta part ?


Non, je veux la paix.


Silence total, un bruit blanc dans l’oreille après ce capharnaüm de pensée, cette mêlée sauvage où chacun essayait de récupérer son bout de gras, de montrer que sa vie ou ce qu’il faisait était plus important que les autres. Seul Podrick sortait de cette mêlée, dans sa contemplation douce où Piotr, Lucas et Eustache se battaient comme des chiens. Je vins me poser près de lui, Arno ou Grain de Sable, qui sait. Nous étions tous des coquilles, notre addition semblait donner de la profondeur, de l’épaisseur, de la complexité. Mais au centre, il ne devait rester qu’un vide froid, que nous tenterions de combler ensemble, ou chacun à sa manière.  On était tous dans le même bateau après tout. Un corps lâche qu’il convenait d’animer, qu’il fallait faire accepter.

Brûlez, jusqu’à être une flamme assez forte pour que les autres vous appellent foyer.

Le jour se lève, rallumons les braises.


Bon réveil Arno.