Astrebrume

Sans doute les griffures sur les parois rocheuses auraient-elles du les mettre en garde. Sans doute cette ouverture béante, là où ils ne l'avaient pas vu un instant plus tôt, aurait du leur faire faire demi-tour. Sans doute les rues désertes, les écritures sanglantes, les fantômes, les murmures...

Ah.. sans doute.

Pourtant ils se trouvaient là. Face à Elle. Clair-obscur sur leur futur épitaphe. La mère et ses petits, ne feraient qu'une bouchée des égarés. C'est qu'ils n'avaient été que de dociles proies, suivant le chemin qu'on dessinait devant eux sans imaginer la gueule du loup qui le concluait. La caravanière peut les voir à présent. Fascinantes créatures qu'elle n'aurait pas aimé croiser, ni ici, ni ailleurs.. Mais que voulez-vous, la Mort aussi, a ses favorites.

Une ouverture derrière la charmante famille en décomposition, ils pourraient peut-être s'y faufiler sans se faire repérer.. Un regard à leur métallique compagnon.. Hm. La discrétion ne devait pas être sa spécialité. Mais les morts-vivants avaient-ils quelque appétit que ce soit pour la ferraille ? Ou bien ils pourraient tenter une petite course, la "sortie", si c'en était une, n'était pas si loin et ces bestioles, peut-être pas aussi vivaces et désireuses de survivre qu'eux ?

Mais la spinelle sort de ses délicieux secrets un canon rutilant et le rubis s'éclaire de curiosité. Pour l'arme en question ? Moins que pour cette facette inattendue de son ambassadrice. Davantage encline à l'affrontement qu'à la fuite. A bien y réfléchir, était-ce si étonnant ? Voilà la chef des Monétaristes un index sur le menton à se remémorer leurs dernières aventures.

En réalité, la rose était rebelle.

Aujourd'hui, elle serait belliqueuse. Entre ses doigts, le monde se suspend, comme toujours, à un geste. Un déclic. La détonation fait vibrer l'air et intime un violent recul au bras peut-être encore novice. Ils auraient certainement entendu un crac douloureux si le plafond n'avait pas soudain menacé de leur tombé sur la tête.

Sans doute.. auraient-ils pu anticiper qu'une explosion en sous-sol n'était pas une solution très prudente.

Mais voilà que le chevalier de métal ploie genou devant la caravanière, lui présentant sa tête. Sa crosse. Précieuse, précieuse, crosse.

Sa proposition ?

Sans doute.. étaient-ils tous devenus fous.

Si la prudente Dame Lelwani se laisserait entrainer par pareille insanité ?

Doigts délicats, dextre agile, se referme sur l'arme. Sans une once d'hésitation.

- Unité Mordekai, déployez toutes vos protections, vous serez notre bouclier. Je vous ordonne de demander mon accord avant toute manœuvre susceptible de mettre en péril l'intégrité physique de Lan-Lan.

Elle est ferme, sa voix comme sa main. La force d'un caravanier comme d'un monétariste résidait dans sa capacité à s'adapter rapidement et efficacement à la situation. Un robot se met soudain à votre entier service, très bien, utilisez-le.

- Voici votre priorité : protéger Lan-Lan et moi-même jusqu'à l'étroite sortie de l'autre côté de la pièce. Nous allons longer le mur de droite, vous couvrirez notre gauche en vous adaptant à notre allure. Quatre ennemis vont certainement nous attaquer dans les secondes à venir, trois jiangshi, une mère des monstres. Concentrez-vous sur notre défense et l'interception des gravas.

Une main vers Lan-Lan, la monétariste voit bien qu'elle souffre de son bras mais elle devra tenir encore un peu. Le temps qu'ils contournent leurs ennemis jusqu'à l'étroite ouverture qui subsistait encore. Maigre espoir puisque désormais plus personne ne pouvait passer par là. À moins d'avoir de quoi déblayer le passage..

Une deuxième explosion...

Non. Ce n'était pas prévu pour tout de suite. Du moins, c'était le plan B. Le plan A luisait doucement dans sa main libre. Un cristal purifié qui conviendrait tout à fait à cette tache souterraine mais qui, elle le savait, allait nettement réduire ses réserves d'énergie pour la suite de leurs mésaventures.

Mais sans doute seraient-ils en sécurité une fois passé cette mauvaise rencontre...

Sans doute..

Ça aurait pu être un feu d’artifice, ça avait tout l’air d’un pétard mouillé. Sans doute que ce pistolet mériterait de rejoindre quelque armurerie occulte et se faire oublier pour toujours. Pour l’instant, il rejoint sa cache, non sans avoir joué son rôle d’agent du chaos dans une situation déjà complexe.

Une épaule certainement démise, un groupe de créatures alerté et une issue de secours bien moins praticable. Il ne reste qu’un fin filet de lumière dans lequel se glisser ou qu’il faudrait agrandir pour retrouver un peu d’espoir.

L’écho de la détonation se réverbère encore dans les couloirs que vous avez laissés derrière vous, il s’éloigne, il revient, il serpente et il louvoie. Si d’autres créatures se trouvent parmi les embranchements de ce sous-sol labyrinthique, soyez sûr que leur sommeil éternel a été troublé par ce réveil en fanfare. Ils mettront sans doute du temps à trouver leur chemin, eux aussi, mais ils finiront par eux aussi trouver cette cavité plus large où se croisent la mort, la vie, la poudre et le métal.

L’espoir, disais-je donc, il viendra assurément de la froide logique mécanique ou d’une contorsion de l’esprit de celle qui a passé sa vie à s’adapter. L’explosion aura eu un mérite néanmoins, découvrir que la Mère des Morts est attentive à ce qu’il se passe. Elle qui s’apprêtait à prendre l’initiative pour arrêter votre intrusion, son instinct l'arrêtera dans son élan, son instinct maternel corrompu.

Vous n’êtes pas les seuls à avoir eu peur d’un éboulement plus important. Elle couve de son aura funèbre les Jiangshi qui continuent leurs suppliques. Au milieu des cris effrayants de leur Mère, vous entendez encore quelques mots avant que leur nature horrifique ne commence à reprendre le dessus.


“Silence, silence, nous ne l’entendons plus…”


Vous avez retrouvé l’initiative, mais après le choc, les créatures présentes dans la pièce risquent d’être encore plus dangereuses du fait de la peur… Et qui sait ce qui pourrait se mettre en mouvement dans les couloirs derrière vous.

Garder la tête froide. Au moins en apparence. Au moins lorsqu'on approche du point critique. Pourtant, elle avait cédé, la calculatrice créature, à cette douce folie qui embrassait tout Vendune, cela devait être pour cela qu'elle n'avait pas réagit plus tôt.. Ce serait plus simple de l'expliquer ainsi. Mais, à la vérité, elle l'entendait depuis bien plus longtemps, cette petite voix penchée à son oreille qui l'invitait à observer le chaos avant de s'y joindre. À découvrir ce que les autres pouvaient laisser percevoir d'eux, lorsque venait l'heure des choix.

Étincelle incertaine. Génie et folie, dans un mouchoir de poche.


Il y avait pourtant des limites à ne pas franchir ou chaos rimerait avec tombeau. Aussi délicieuse soit cette poussée d'adrénaline, cette excitation entre ses doigts, là où dormait encore la crosse, elle devait être régulée, contenue, moins par la raison que par ce féroce instinct de survie. Il hurlait en elle à la même mesure que les échos qui se répercutaient dans les couloirs. La réunion de famille risquait de rapidement devenir une cousinade étouffante. Et personne ne voulait de ça.

La caravanière avait du mal à voir ce qui pouvait bien se passer au-delà de la muraille de métal que déployait l'automate, elle ne comprenait pas pourquoi les jiangshi n'attaquaient pas. À moins qu'ils ne le fassent et qu'elle ne soit simplement pas en mesure de les entendre dans ce brouhaha inquiétant ? Elle n'aimait pas être ainsi aveugle à son environnement et aux menaces qui pouvaient surgir dans le reste de la pièce mais elle allait devoir faire confiance à l'automate.. Ironique, non, pour une aramilane ?

La monétariste glisse un regard sur sa camarade, elle semblait tenir bon, la poupée xandrienne n'en était après tout pas à sa première expédition.. musclée. Mais il y avait des chances que ce soit la première fois que la menace de finir enterrée vivante se faisait si prégnante. Elle aurait préféré l'épargner mais, Chāyā allait devoir se reposer sur elle aussi.

- Lan-Lan, une fois arrivée à l'ouverture, je vais avoir besoin de temps pour agrandir et stabiliser notre sortie.. Elle n'avait pas besoin de lui en dire plus, l'ambassadrice avait déjà utiliser des cristaux, elle savait que la plupart nécessitaient une concentration intense. Et une dépense d'énergie importante. S'il le faut, vous jouerez notre dernière carte. Une œillade vers la crosse. Si l'ambassadrice n'avait pas eu qu'un seul bras valide, elle lui aurait confié leur dernier atout dès maintenant mais, mieux valait peut-être que Lan-Lan ait de quoi utiliser son propre arsenal pour le moment. Pour le reste, même si son premier tire n'avait pas été aussi adroit qu'escompter, Chāyā ne lui retirait en rien sa confiance.

L'adresse n'entrerait de toute manière pas en compte..

La sortie était juste là. Si proche. Et si terriblement impraticable. Un dernier regard à ses camarades, de chair et de métal, avant de s'emparer du cristal à l'éclat ambré. Une si petite chose, qui reposait tranquillement dans le creux de sa main, ouvrirait-elle enfin la voie vers la délivrance ? Un peu de lumière, à l'autre bout du tunnel. Ses doigts se referment sur le précieux trésor et la caravanière s'isole du chaos.

Ses pensées étaient monopolisées par la douleur palpitante de son épaule droite, petit bijou disloqué, membre impuissant face à la masse mortelle. Sa seule victoire était de voir les trois créatures blotties sous le sein maternelle, funeste entité qui les surveillait de son corps intangible.

Le corps de Huang enserrait son cou comme une corde tendue, manquant de l’étouffer tant il était contraint par la peur - ou l’aura putride de la Mère qui répandait son fiel dans l’air environnant. Heureusement pour sa tentative avortée et laborieuse, Chāyā semblait avoir la réponse parfaite. Lionne parmi les lions, elle s’empara de la situation qu’elle composa d’une main de maître, une harpiste face à son instrument: prévenante, imposant sans contraindre le plan à l’automat qui prit sur lui de les défendre, son code interne et ses boulons révélant l'entièreté de ses capacités.

Le plan était simple: Chāyā pouvait ouvrir la voie. Mais pour cela, il fallait occuper suffisamment leurs adversaires pour qu’elle puisse se concentrer - l’affaire n’était pas mince. Et leurs adversaires non plus. Le fragile canari rouge à l’aile déboité comptait secrètement sur leur ami cuivré pour leur servir de tank - quand celui-ci lui offrit son crâne et la crosse imposante qui lui servait de couronne.
Décidément, la technologie avait tout pour la surprendre.

Un instant indécise, elle fit de son mieux pour ignorer la douleur - et peut-être, oui, peut-être, chercher la voix au fond de son crâne pour encore et toujours la guider dans le labyrinthe. Mais les voix, comme les Dieux, meurent tous un jour.
Il n’y avait pas de temps pour hésiter: le pistolet dans sa main retrouva une place tremblante à sa ceinture, accrochée rapidement pour qu’elle glisse autour de la crosse ses doigts en coupe. La sensation de puissance était certaine, oui. Mais elle était loin de comprendre qu’il s’agissait d’un lance-fusée lumineux. A cet instant, grisée par la possibilité d’abattre leurs ennemis, elle ne pensa pas un seul instant qu’elle ne serait qu’un caillou dans leur chaussure.

Pardonnez-moi mon ami, je m’impose. Trouva-t-elle la force de murmurer en s’installant tant bien que mal. Dites-moi, l’explosion n’est pas dangereuse pour nous?

Sa question tomba comme un cheveu sur la soupe, et sans réponse, et sans plus de secondes à égrainer, elle fit feu. La fusée éclairante aveugla tout l’assemblée, la forçant à plisser des yeux aussi surpris que entravés. Au diable son explosion. Au diable sa puissance.

Mais il y avait peut-être encore un espoir. Jouer de la lumière, profiter de l’instant pour semer un leur.

Huang-Long, veux-tu bien distraire les jiangshi? Reviens dés que je t’appelle.

Le serpent siffla - apparemment, il n’aimait pas ce plan. Mais pourtant, il s'exécuta et s’envola dans la lumière. Le dragon avait plus de fierté que de courage, et préférait briller que de rester tapis dans la peur. Dragon intangible, puisses-tu ne pas te faire attraper. Elle n’était pas rassurée, poupée de son, à la vue de son plus cher ami s'enfuir vers les morts. Mais elle savait qu’il avait sans doute plus de ressources qu’elle.

Une fois que nous serons partis, je referai s’effondrer le passage derrière nous. Si elle n’était bonne qu’à ça, alors elle le ferait jusqu’au bout, quitte à ce que voir ses deux compatriotes s’enfuir soit sa dernière vision de Ventdune.

Les pierres se déplace, l’éboulement semble bientôt ne plus exister face aux talents de la renarde cachéee sous les traits de la chef des monétaristes. Votre association de défense parait fonctionner, l’égide de métal vous défend d’incursions énervées.

Un temps.

Ventdune ne s’est pas construite en un jour, de même que le passage ne se rouvrira pas en un tour. La fusée éclairante trace la voie pour la charge de Mordekai et les arabesques de la salamandre. D’une rare beauté dans un instant de lumière, les réflexions sur le métal et sur les écailles. Or et acier mêlés, un alliage détonnant.

Durant cet instant suspendu, vos yeux vous permettent de prendre réellement la mesure de la pièce et de ce qui vous fait face. Les deux premiers paraissent happés par la présence hypnotique de Huang-Long qui échappe à tous leurs coups, griffures et morsures. C’est qu’il en viendrait à parader celui qui ressemble de plus en plus à un dragon de la fortune. Un Jiangshi se fait surprendre par le flash et le coup de marteau du poing Mordekai, on entend un bruit sourd de quelque chose qui se brise.

Vous vous en sortez bien, mais un problème majeur demeure. Vous l’avez vu pendant une seconde, la Mère des Morts, gonflée de haine face à votre incursion en son domaine. En pleine lumière, elle paraissait presque se rabougrir et chercher à protéger sa famille de cadavres parlants. Quand l’ombre recommence à habiter la pièce, quand seul la lumière diffuse du passage qui s’ouvre, vous la voyez à nouveau, menaçante et enveloppante.

Elle voit son enfant être blessé. Elle hurle dans votre direction, libérant un miasme putride d’un mouvement de main. Invisible, rampant et profitant de la promiscuité ambiante, il se répand, peu à peu.

Etoile filante, fatale éclat: la danse du dragon renvoie dans leurs yeux des éclats d’or. Secrètement admirative, bercée par la lumière, Lan-Lan désespère presque d’être enfermée sous terre et que personne d'autres ne soit témoin de sa petite comète. Huang-Long, tu as toujours caché ton jeu, vile couleuvre. Plus jamais tu ne pourras me cacher tes talents.

Vrombissement des boulons, orchestre mécanique: l’homme-instrument tout de métal fabriqué s’est lui aussi élancé à l’assaut de la mort. Dans une cacophonie meurtrière, il fait étalage de sa force - la Xandrienne garde un oeil averti sur leur ami. Quelque chose lui disait que lui non plus n’avait pas encore pu faire l’entière démonstration de ses capacités - et pour cause, tonnerre de boulon, tu es une arme bien dangereuse; surtout six pieds sous terre. Si seulement ils avaient été à la surface…
Nous aurions pu fuir, tout simplement. Maintenant, nous sommes faits comme des rats.

De vulgaires rongeurs - mais pas dénués de crocs. Le robot fait mouche, bruit humide et organique du carnage: quelque chose s’est cassé dans cette dépouille animée. Le visage de la mère se tord - bientôt reviendra l’ombre, bientôt les ténèbres seront roi de nouveaux.

Soupirs étouffés, sur ses tempes naît la fièvre. Le nascent sur ses yeux l’aide à bien voir lorsque la lumière se meurt, mais commence à peser sur son corps, princesse de verre. Un regard vers la Lionne pour comprendre que le passage n’est pas encore dégagé; qu’il faut encore un petit effort pour réussir à fuir. Si elle n’avait pas joué les fières, ils n’en seraient pas là. Déjà dehors? Mieux vaut ne pas rêver.
Pendant ce temps, la mère se gonfle, créature infernale, profondément humaine. Profondément sincère. Inquiète pour ses enfants. Comme elle la comprenait.

Seulement eux avaient encore une vie à défendre: Lan-Lan ignore la migraine et les palpitations de son bras qui lui rappelait à chaque instant qu’il lui restait un os à remettre à sa juste position, et se tient prête à la réaction de Maman; comme un soufflet, elle se compresse, et relâche vers eux une épaisse fumée noire qui engloutit le robot tout entier, avalé par la mort.

Merde.

Faire vite, ne pas réfléchir. Révéler son secret ? Regard vers Chāyā, reine couronnée - elle l’ignore, et elle aurait volontiers préféré qu’elle reste dans l’ignorance. Ne pas réfléchir. Le robot, ce n’est rien, mais elle… Jamais elle ne redoutait tant le regard de la panthère pour ce qu’elle pourrait comprendre, et pour les lignes qu’elles pourraient déceler sous son masque innocent.
Ne pas réfléchir.

Heureusement pour elle, le nuage s’arrête à ses pieds, comme un appel, une main tendue. Une si belle invitation ne se refuse pas; comme une vieille habitude, elle ressent contre sa peau le cristal logé contre son front, à l’abri des regards. Sublime hybridation de l’être du poison, elle retrouve le confort de son pouvoir, héritage d’une lignée forgée dans l’arsenic. Le souffle de la mère lui répond comme un soldat, allégeant volatile. Bien, d’empoisonneur en empoisonneur, j’apprendrais tes secrets.
D’un geste, elle attrape le souffle obscure, le renvoie à la brise: le nuage se compresse pour disparaître complètement, rendu de plus en plus fin, de moins en moins efficace pour simplement se volatiliser.

Vous n’espériez pas rester dans cette purée de pois, mon ami. Dit-elle à l’intention du robot. Maintenant, si vous pouviez vous écarter.

Quitte à révéler sa possession la plus précieuse, autant le faire avec panache. Elle avait une nouvelle cible bien tangible: pour dévier l’attention de la Mère, il fallait faire tomber les enfants. Sans trop réfléchir, elle attrapa du regard le jiangshi le plus proche, et gonfla les poumons comme si elle allait crier. Mais nul son ne sortir de ses lèvres pivoines. A la place, c’est un long filet jaune qui s’échappa dans un puissant jet d’acide qui atteignit sa cible de pleine face - le mort-vivant tomba en avant, dévoré par le liquide qui rongeait jusqu’à ses os, libérant dans la pièce une odeur à retourner les coeurs et les entrailles.

Plus que deux.

La crosse passe d'une main à une autre, en toute confiance. Jusqu'à ce qu'elle entende la question de l'ambassadrice. Si l'explosion était dangereuse ? Elle n'entendait pas faire feu immédiatement tout de même ?!


Des flashs qui font frémir sa concentration alors que ses prunelles inquiètes cherchent Lan-Lan. Elle lui avait dit de ne faire feu qu’en dernier recours ! En étaient-ils vraiment là ? Elle ne voyait pas ce qu’il se passait dans son dos, ses mains posées sur cette faille ténue qu’elle tentait de consolider à l’aide de son cristal. L’odeur nauséabonde qui enflait dans l’espace réduit depuis qu’ils étaient en présence de la Mère des morts n’était-elle pas devenue plus suffocante ? Etait-ce toxique ? Au point de vouloir tout faire exploser… et eux avec ?

Si ses lèvres s’ouvrent pour interpeller Lan-Lan, il est trop tard. Le clic caractéristique résonne insidieusement dans son crâne. Elle avait peut-être pris trop à la légère cette expédition.. Ne s’était-elle pas amusé de l’impétuosité de son ambassadrice ? Observant d’un oeil trop orgueilleux des péripéties dont elle pensait pouvoir se sortir, d’une pirouette, quoi qu’il arrive. Maintenant collée à ce mur qui menaçait de s’effondrer sur leur seule sortie, la caravanière était bien moins sûre de ses chances de survie !

Détonation.

Lumière.



Pardon ? Avait-elle creusé un trou dans le plafond ? Non.. non ce n’était pas cela.. C’était une fusée éclairante.

Une fusée .. éclairante ?

C’était donc cela leur dernière carte à jouer ? Le redoutable protocole DRAGON était un spectacle son et lumière ?

La faille menace brusquement de s’écrouler et Chaya est forcée d’abandonner ses sarcasmes pour plus tard. S’il y avait un plus tard. Elle devrait être soulagée, finalement, si cela avait été un engin explosif, ils n’auraient jamais échappé au souffle de la déflagration.

Se concentrer.

La faille commence à devenir plus stable, empruntable. La caravanière se demande, ce qu’ils trouveront de l’autre côté.. et ce qu’ils laisseraient derrière eux. Les griffures sur les murs, l’oeuvre des jiangshis ? Pourquoi de tels monstres étaient arrivés ici ? Elle ignorait trop de choses sur ces engeances de la brume. Se pouvait-il qu’il s’agisse des habitants de la cité ? Que murmuraient-ils déjà ?

Et avant ? Avant.. n’avaient-ils pas dit qu’ils avaient fait une erreur ?


Un frisson parcours l’échine de la caravanière alors que ses mains peuvent enfin quitter le mur sans craindre qu’il ne s’effondre.. du moins, pas immédiatement et si on ne faisait rien exploser à proximité ! Elle se tourne vers le reste du groupe.

- Sortons d’ici !

Elle s’engouffre la première, il valait sans doute mieux que Mordekai ferme la marche.. ce fieffé saltimbanque ! Lan-Lan pourrait ainsi se glisser en milieu de cortège et être plus à l’abri. Leur petit groupe avancerait prudemment mais surtout rapidement !

Un petit groupe. N’étaient-ils pas quatre ? Depuis quand exactement la saraph n’était plus avec eux ? Avant le tunnel, avant.. n’est-ce pas ? Était-ce vraiment rassurant ?

Ils grouillent, ils grattent, ils grognent. Surtout, ils approchent. C’est avec une efficacité certaine après un faux départ que vous avez réussi à mettre en déroute le petit groupe de Jiangshi, la Mère des Morts, en rage, ne peut que hurler de désespoir. Ses petits, ses précieux petits. Celui en train de se liquéfier tente de lever un bras qui était déjà putréfié vers elle avant qu’il retombe. Un signe d’affection chez ces non-morts ou la dernière lueur d’humanité et de rébellion d’un prisonnier de Ventdune ?

Ils arrivent, ils dépassent et fondent, ameuter par le bruit. Vous sentez la pestilence approcher, la marée des morts. Courez mes petits, à toutes jambes, et tous circuits. C’est bon de sentir son cœur battre ou ses cristaux s’actionner à la chamade, pas vrai ? Eux derrière, non plus cette chance. Sans doute est-ce par jalousie qu’ils vous poursuivent à en perdre haleine. Ils se marchent dessus, ils s’écrasent dans cet espace qui devient de plus en plus exigu. Mordekai doit bien le sentir, lui dont les plaques de métal déployées ont commencé à frotter les murs.

Vous n’auriez pas dû venir, vous n’avez pas le droit. Nous étions là avant… C’est nous qu’il attend. C’est nous qui le cherchons depuis plus longtemps.

La Mère hurle encore, noyée dans cette marée morte. Vous entendez le son comme étouffé, mais vous ne voulez pas vous retourner. La peur aux trousses alors que vous le sentez, vous montez des marches à ne plus savoir quoi en faire dans cette lumière rougeoyante qui vous sert de phare.

Une statue grotesque qui barre le haut de l’escalier. Son regard tourné vers les ténèbres et vous. Est-ce qu’elle vous défie d’avancer ou est-ce que, au contraire, elle vous encourage à la rejoindre en vous indiquant la voie ? Les râles sont loin n’est-ce pas ? Sans doute les avez-vous distancés.

Faut il avancer encore ? Vos nez et capteurs sentent l’air chaud du désert derrière cette statue. Vous qui pensiez avoir atteint le fin fond de Ventdune, vous voilà attendus au plus haut.

Ils courent, ils courent, les furets. Petites voix dans les murs, les couloirs de Ventdune ne seraient-ils pas une termitière? Fourmis, voix des morts grouillent, tombent dans leurs oreilles comme une pluie dense. Le passage est ouvert: les morts sont à nos trousses.

Quel enfer… Murmura discrètement la pivoine lorsque les premiers échos lui parvinrent de nouveau.

Un regard vers Chāyā lui confirmait qu’elle arrivait bientôt à bout de ses bêtises. Elle maudira à jamais son manque de pratique et son impulsivité - oh oui, il faudra s’entraîner à tirer une fois qu’ils auront posé un pied dehors. Et quand sa voix résonna pour leur confirmer que la voie était libre, elle ne se fit pas prier pour user de ses nouveaux droits. Quoi de mieux qu’un bel automat rutilant pour sauver demoiselles en détresse?

Elles n’étaient pas en détresse, non. Mais qui refuserait un si délicat trajet?

Aussitôt, la main mécanique se saisit d’elle comme d’une valise pour trouver un emplacement qui n’avait rien de confortable. Mieux que rien, et surtout plus sûr que d’utiliser ses deux guibolles déjà fatiguées. Le robot marmonnait des instructions détaillées mais la Fà avait déjà le regard ailleurs.

Mon ami, auriez-vous la bienveillance de secourir Chāyā? Boulons valent parfois mieux que la chair.

Ainsi embarquées, le groupe reconstitué s’en va de l’avant, laissant aux morts le couloir et l’obscurité. Mais comme une cacophonie macabre, un orage en devenir, les voix des morts, les murmures reprenaient de plus bel dans l’environnement confiné. Une horrible chorale - elle bourdonnait dans ses oreilles, tonnerre distant - est-ce que tout le monde les entendait? Il y a de quoi douter, à Ventdune. Se quoi se cogner la tête sur les murs…
Murs striés de griffes. Seulement maintenant comprenait-elle que l’endroit avait été le théâtre d’un fait horrible. Si ce n’était pas l’oeuvre d’un homme? C’est un Dieu… lui murmurait la mort. C’est un Dieu. C’est un Dieu qu’ils cherchent, c’est un Dieu qu’ils attendent. Mais quel Dieu ingrat fait ainsi attendre ses enfants?

Elle était désormais persuadée que le lieu était le tombeau d’un désastre, et que nul Dieu n’était venu, seulement la mort et la catastrophe. Et si il y avait dans ses boyaux un trésor, peut-être valait-il mieux l’y laisser pour ne pas se perdre avant de l’atteindre. Si Dieu il y avait, alors il était sourd, ou égoïste, et traiter les prières comme des fourmis qu’on écrase. Fourmis oubliés… Ils souffrent tant, ici… Elle laissa s’envoler sa voix comme un papillon bleu.

Rapidement, ils arrivèrent en haut d’un couloir, menant à un escalier: la figure horrible qui le surmonter lui donnait des frissons. Une gardienne…?
Ou peut-être un geôlier.

Arrêtez-vous. Ordonna-t-elle à la hâte en voyant que Mordekai ne ralentissez pas l’allure. Huang-Long, tu as déjà beaucoup fait, mais veux-tu bien aller vérifier les alentours?

Le dragon n’était ni satisfait ni flatté, et renvoya une moue décrépie. Il lui faudrait de l’eau, des vivres, de quoi le requinquer lorsqu’ils seraient dehors. Mais il s’exécuta néanmoins, s’avança - Lan-Lan retenait son souffle, priant ardemment pour le reptile… Qui ne déclenche rien. Il n’y avait visiblement pas de pièges ou de monstres qui les attendaient plus haut. Seulement le silence.
Bien. Ils reprirent la route, poursuivait leur avancée - toujours avancer - jusqu’à ce que l’obscurité ne les accueille de nouveau.

Les ténèbres… Et le cannelle? Ses sourcils se froncent dans l’ombre. Cueillie par des parfums qu’elle ne connaît que trop bien. Curcuma, cannelle, le poivres écrasés et les câpres fris. Elle sentait sur le bout de la langue les arômes que son nez venait cueillir - ils n’étaient pas dans un donjon, mais dans une cuisine?
Ce Dieu avait un bien curieux humour. Se dégageant de son emprise, elle s’avança vers la porte, emportée par un bruit omniprésent de musique, comme si ils étaient au seuil d’une soirée sans avoir été invités, visiteurs voyeurs devant une vitrine éclairée par un temps de fêtes. Impossible… Encore une illusion? Son esprit à peine reconstitué basculait déjà de nouveau dans la folie? Elle mit la main sur une poignée.

Allons-y… Lan-Lan, esprit de l’impulsivité, pourquoi foncer ainsi? Peut-être pour retrouver ce Dieu.

Doucement, elle poussa la porte - et la lumière fut.

Des râles dans leur dos rappellent que la prudence ne saurait être le maître mot de cette expédition. Désormais pour survivre, mieux valait avoir de bonnes jambes. Ce dont ne manquait pas leur ami de métal. Le souffle ne lui manquait pas, la fatigue ne pouvait l'atteindre, tout du moins, pas de la même manière. Il n'était pourtant pas indemne. Aucun ne l'était. Sans se faire prier, la caravanière grimpe sur l'épaule, profite de ce bref répit autant qu'elle le peut.

On les attend, en haut de ces escaliers. Une statue aux traits grossiers, limés par le temps ? Elle les toise mais, loués soient les Douze, se tiendra sagement immobile ! Derrière elle, une porte étonnamment bien conservée semble indiquer la fin de la course poursuite. Le rubis se risque à un regards en arrière, elle ne voit pas leurs poursuivants, ni ne les entends plus. Le tunnel s'est-il effondré sur eux ? Elle n'est pas certaine, toute à sa fuite en avant, elle n'avait pas prêté l'oreille à ce qui se tramait derrière eux.

Le doux parfum du désert fait naître une étincelle d'espoir dans la poitrine de l'aramilane, pourvu qu'ils retournent à la surface ! Ce n'était pas tout à fait ce qui les attendait derrière la porte poussée par l'ambassadrice. Une cuisine. À l'abandon depuis des lustres. Comme devait l'être le reste du château. La pensée s'immisce alors que la porte se referme derrière eux. Impossible pourtant de savoir le chemin parcouru et la direction prise dans les sous-sols, il faudrait s'aventurer plus en avant pour être certain de leur nouvelle localisation. Reposant pied à terre, Chaya tendait l'oreille en direction de la porte. Faudrait-il la barricader ? Pourquoi les morts restaient-ils dans les sous-terrains ? La caravanière n'aimait pas l'idée de condamner une sortie mais prendre le risque de voir une armée de jiangshi arriver dans leur dos n'était pas plus reluisante.

- Bloquons la porte.

Avec l'aide de l'automate, bien qu'il n'ait plus qu'un bras totalement valide, cela irait vite. Oui, oui, certes.. s'il y avait encore une porte..

- Hm.. Circonspecte devant le mur qui se trouvait derrière eux, là où devrait se trouver la porte qu'ils venaient de franchir, la caravanière commençait à sérieusement douter de ses sens. Passant une main sur le mur, elle aurait aimé que le touché lui apporte davantage de certitude mais.. l'impression d'être prise au piège d'une vaste mascarade persistait. Les monstres étaient-ils eux-aussi des illusions ? Fuyaient-ils des mirages depuis le début ? Elle n'avait pas vraiment envie de mettre cette théorie à l'épreuve. Le bras de l'automate était bel et bien endommagé, n'est-ce pas ?

- Des indications sur vos capteurs Mordekai ? Des bruits plus loin ?

Un regard plus inquiet à l'épaule de Lan-Lan.

- Peut-être devriez-vous lui rendre sa crosse maintenant ? Reposez-vous le temps de cette accalmie. Je crains que nous ne soyons pas encore sortis..  

Et que l'accalmie en question ne soit que de courte durée. La monétariste n'avait aucune envie de s'attarder ici.

Les odeurs douces qui rappellent le passé, il y a comme un goût d’être à la maison non ? Après la folie, voir les gens s’agiter comme si de rien n’était, comme s’ils n’avaient aucune idée de ce que vous aviez affronté là-dessous.

C’était étonnant et, en même temps, dans les gestes sûrs de ces vieilles cuisinières qui touillent des marmites qui font deux fois leur taille, ces broches qui tournent avec des bêtes entières chargées d’épices. Il y a un sentiment de paix, peut-être que tout le reste était un rêve ?

“Arrête de rêvasser soldat, le chef a besoin d’un remontant avant d’aller accueillir les inviter. Tiens, porte-lui cette bouteille.” Cette ombre semble être le chef d’orchestre de la partition jouée dans cette cuisine, tout le monde s’active pour que la réception soit parfaite. Ici la musique de la répétition qui vient du dessus se met au diapason des bruits de la batterie de cuisine.

Lan-Lan, c’est toi qu’il regarde, intruse sans l’être dans cette scène ordinaire du quotidien qui vient balayer les peurs et les doutes. Une bouteille d’eau-de-vie posée sur un coin de table, voilà de quoi remettre d’aplomb même le plus timide des hommes. Voilà ta mission de livraison pour le châtelain.

Fais vite, les invités ne vont pas tarder. Il faut qu’il retrouve son courage l’occupant des lieux.

Les odeurs rances qui rappellent la mort, il y a comme un goût d’être à la morgue non ? Après la folie, retrouver un environnement plus logique vous permet quand même de vous remettre. Au-delà de la disparition de votre chemin et de l’inconnue de la suite.

Autour de vous, c’est la désolation. Bois moisi, ustensiles depuis longtemps non reconnaissables, quelques tonneaux contre un mur laissent deviner une ancienne cave à vin.

Au moins, vous voilà au calme donc, à pouvoir parcourir cette pièce. Vous sentez que, si vous êtes encore sous terre, vous êtes à un degré à peine de la surface, le chaud vient d’en haut, vous entendez même le vent souffler et siffler à travers les pièces de Ventdune.

Ici, loin de la panique que vous avez vécue et celle que vous avez vue dans les faubourgs du Château, c’est comme si les personnes s’étaient simplement volatisées, comme si les cuisiniers avaient laissé leurs cuillères de bois en suspens dans leurs immenses marmites.

Dans cette scène vide, une bouteille qui l’est tout autant, posée sur un coin de table, semble vous attendre. Si vous vous rapprochez, vous pourriez même y deviner quelques mots qui auront résisté au temps. Res…. .pe…l

Peut-être que ce n'est rien, peut-être que c'est tout. Vous avez déjà évité de vous faire avaler dans les entrailles de Ventdune, malgré le glauque de l'endroit, c'est sans doute déjà bien d'être ressorti.