Mar 27 Juin - 18:51
Un pas devant l’autre… Toujours, sans relâche. Le jeune expatrié avançait depuis plusieurs jours, se rationnant tant en eau qu’en vivres, ne sachant réellement combien de temps son périple jusqu’à la cité royale prendrait.
Il n’avait eu qu’un bref répit pour empaqueter ses affaires, et pour décamper au plus vite, laissant plus qu’il ne l’aurait souhaité derrière lui. Ses adieux d’avec sa petite sœur et d’avec sa mère avaient été des plus hâtifs… Il lui avait fallu impérativement marquer le plus de distance avant que ce pourceau de Qi’Jhung ne revienne accompagné pour une chasse à l’homme… Sa chasse.
Et grand bien lui avait pris ; sans cela, ça aurait été au bout d’une corde qu’il se serait retrouvé, et seuls les Ancêtres auraient pu prédire de son sort. Si ses parents avaient tenu le secret sur sa nature, c’était bien pour toutes les superstitions véhiculées à leur sujet dans la tradition orale de leur peuple. Même l’amour et le respect des siens ne l’auraient préservé de la haine et de la folie que pouvaient déverser la rancœur d’avoir pu être trompé.
Si le climat s’était radouci, les steppes arides de son enfance ayant laissé place à une vallée d’herbes brunies, Khang’Haw ne sentait plus ses pieds, or il était hors de question d’interrompre sa marche. Oh, les chasseurs devaient être rentrés chez eux ! Ils avaient bien fort à faire pour prendre la peine de pister un fugitif sur autant de distance. La certitude qu’il ne reviendrait jamais se présenter devant eux les satisfaisaient amplement.
Le souffle court, l’apatride dû lutter, de nouveau, pour ne point succomber. Son pire cauchemar était proche, il le sentait se glisser sous sa peau, attendant son heure. Certaines pensées – et celles tournées envers l’infâme vaurien ayant investi sa yourte plus que toute autre – suffisaient à ce qu’il ne perde le contrôle, et que la bête surgisse… Si son père lui avait assuré qu’il s’agissait d’un don, Khang’Haw ne pouvait que se persuader du contraire.
Sans cette damnation, il aurait pu répondre de la gifle de son oncle. Le jeter hors de son toit, le rouant de coups… Il en aurait eu la force et l’audace, contrairement au pleutre qui, sans ce geste inopiné, n’aurait su soutenir son regard. Il…
Le berger s’effondra derechef, hurlant à s’en époumoner. Malgré lui, il y avait pensé, tout du moins suffisamment pour s’échauffer le sang, et voilà qu’il en pâtissait, comme la veille. A l’ordinaire, le zoanthrope mettait un point d’honneur à conserver son calme et sa dignité, or à envisager la simple idée qu’il puisse…
"Hhhh ! … Hh-hh ! … Aaaaaaaaaaah"
A chacune de ses métamorphoses, outre le supplice de se sentir comme dépecé vivant, et de sentir sa carcasse se pulvériser et se ressouder, ce qui remplissait le plus le garçon d’effroi était cette oppressante sensation d’incarcération… Avant que n’aboutisse sa muance, Khang’Haw se percevait comme poussé de force dans un coffre trop étroit pour qu’il ne puisse y loger, et, se sentant suffoquer, sans pouvoir échapper à cette emprise, finissait encastré à l’intérieur, écroué dans les ténèbres.
Un claquement, tout proche, si proche, et un souffle ardent irradiant sa peau le happèrent de ses tourments, tandis qu’enfouis dans ses frusques, le chiroptère se sentit cahoter avec rage. L’étoffe grossière, bien qu’épaisse autant que robuste, s’éventra soudainement, dans un glapissement guttural…
Bien que désorientée et qu’éblouie par ce vif retour à la lumière, s’échappant de sa prison de textile, la roussette perçut immédiatement un souffle chaud caresser le pelage de son torse, et s’engouffrer dans ses ailes ; un thermique…
Battant vigoureusement des ailes, profitant de cet air chaud ascendant pour prendre promptement de l’altitude, Khang’Haw observa, amer, ses derniers effets personnels être mis en pièces par deux Yearrks malingres, se les disputant avec férocité.
Plus rien… En l’espace de quelques jours, il avait perdu… tout…
Lui qui pouvait s’enorgueillir de posséder sa propre yourte, jouissant du luxe d’un poêle interne en fonte, comblé d’avoir hérité d’un troupeau de nul moins d’une trentaine de moutons en bonne santé, et fier de subvenir aux besoins de sa mère, et de son petit rayon de soleil, Taya…
Son père… Il ne l’avait pas cru, lorsqu’au détour d’une conversation, dans les pâturages, il lui avait assuré qu’il pouvait y avoir pire pour un homme que la mort. Jusqu’ici, il n’avait pu appréhender cette pensée. Vivant une vie simple, certes dure et laborieuse, mais toutefois heureuse, l’idée que l’on puisse regretter le trépas lui était absolument étrangère.
Or, Khang’Haw ne s’abandonna point aux lamentations et à la mélancolie. Il n’en avait pas le droit. Toutes ces années, à être choyé par ses parents, tous ces instants partagés, ces efforts pour qu’advienne de lui un homme droit et juste… Il ne pouvait ainsi galvauder l’honneur, la fierté et la mémoire de sa famille… De ses Ancêtres.
Il allait vivre, et se relever.
Il n’avait eu qu’un bref répit pour empaqueter ses affaires, et pour décamper au plus vite, laissant plus qu’il ne l’aurait souhaité derrière lui. Ses adieux d’avec sa petite sœur et d’avec sa mère avaient été des plus hâtifs… Il lui avait fallu impérativement marquer le plus de distance avant que ce pourceau de Qi’Jhung ne revienne accompagné pour une chasse à l’homme… Sa chasse.
Et grand bien lui avait pris ; sans cela, ça aurait été au bout d’une corde qu’il se serait retrouvé, et seuls les Ancêtres auraient pu prédire de son sort. Si ses parents avaient tenu le secret sur sa nature, c’était bien pour toutes les superstitions véhiculées à leur sujet dans la tradition orale de leur peuple. Même l’amour et le respect des siens ne l’auraient préservé de la haine et de la folie que pouvaient déverser la rancœur d’avoir pu être trompé.
Si le climat s’était radouci, les steppes arides de son enfance ayant laissé place à une vallée d’herbes brunies, Khang’Haw ne sentait plus ses pieds, or il était hors de question d’interrompre sa marche. Oh, les chasseurs devaient être rentrés chez eux ! Ils avaient bien fort à faire pour prendre la peine de pister un fugitif sur autant de distance. La certitude qu’il ne reviendrait jamais se présenter devant eux les satisfaisaient amplement.
Le souffle court, l’apatride dû lutter, de nouveau, pour ne point succomber. Son pire cauchemar était proche, il le sentait se glisser sous sa peau, attendant son heure. Certaines pensées – et celles tournées envers l’infâme vaurien ayant investi sa yourte plus que toute autre – suffisaient à ce qu’il ne perde le contrôle, et que la bête surgisse… Si son père lui avait assuré qu’il s’agissait d’un don, Khang’Haw ne pouvait que se persuader du contraire.
Sans cette damnation, il aurait pu répondre de la gifle de son oncle. Le jeter hors de son toit, le rouant de coups… Il en aurait eu la force et l’audace, contrairement au pleutre qui, sans ce geste inopiné, n’aurait su soutenir son regard. Il…
Le berger s’effondra derechef, hurlant à s’en époumoner. Malgré lui, il y avait pensé, tout du moins suffisamment pour s’échauffer le sang, et voilà qu’il en pâtissait, comme la veille. A l’ordinaire, le zoanthrope mettait un point d’honneur à conserver son calme et sa dignité, or à envisager la simple idée qu’il puisse…
"Hhhh ! … Hh-hh ! … Aaaaaaaaaaah"
A chacune de ses métamorphoses, outre le supplice de se sentir comme dépecé vivant, et de sentir sa carcasse se pulvériser et se ressouder, ce qui remplissait le plus le garçon d’effroi était cette oppressante sensation d’incarcération… Avant que n’aboutisse sa muance, Khang’Haw se percevait comme poussé de force dans un coffre trop étroit pour qu’il ne puisse y loger, et, se sentant suffoquer, sans pouvoir échapper à cette emprise, finissait encastré à l’intérieur, écroué dans les ténèbres.
Un claquement, tout proche, si proche, et un souffle ardent irradiant sa peau le happèrent de ses tourments, tandis qu’enfouis dans ses frusques, le chiroptère se sentit cahoter avec rage. L’étoffe grossière, bien qu’épaisse autant que robuste, s’éventra soudainement, dans un glapissement guttural…
Bien que désorientée et qu’éblouie par ce vif retour à la lumière, s’échappant de sa prison de textile, la roussette perçut immédiatement un souffle chaud caresser le pelage de son torse, et s’engouffrer dans ses ailes ; un thermique…
Battant vigoureusement des ailes, profitant de cet air chaud ascendant pour prendre promptement de l’altitude, Khang’Haw observa, amer, ses derniers effets personnels être mis en pièces par deux Yearrks malingres, se les disputant avec férocité.
Plus rien… En l’espace de quelques jours, il avait perdu… tout…
Lui qui pouvait s’enorgueillir de posséder sa propre yourte, jouissant du luxe d’un poêle interne en fonte, comblé d’avoir hérité d’un troupeau de nul moins d’une trentaine de moutons en bonne santé, et fier de subvenir aux besoins de sa mère, et de son petit rayon de soleil, Taya…
Son père… Il ne l’avait pas cru, lorsqu’au détour d’une conversation, dans les pâturages, il lui avait assuré qu’il pouvait y avoir pire pour un homme que la mort. Jusqu’ici, il n’avait pu appréhender cette pensée. Vivant une vie simple, certes dure et laborieuse, mais toutefois heureuse, l’idée que l’on puisse regretter le trépas lui était absolument étrangère.
Or, Khang’Haw ne s’abandonna point aux lamentations et à la mélancolie. Il n’en avait pas le droit. Toutes ces années, à être choyé par ses parents, tous ces instants partagés, ces efforts pour qu’advienne de lui un homme droit et juste… Il ne pouvait ainsi galvauder l’honneur, la fierté et la mémoire de sa famille… De ses Ancêtres.
Il allait vivre, et se relever.
Vu des airs, aux premières heures de la nuit, la cité ressemblait à un amas d’étoiles, s’étendant à perte de vue le long de l’Argenté, en partie visible par réflexion des lueurs urbaines.
C’était cette même rivière que Khang’Haw suivait, depuis près d’une semaine, jusqu’à épuisement. Dépossédé, et contrit chaque nuit, se réfugiant dans le premier abri de fortune disponible – qui sous un pont, qui dans une chaumière en ruine – le jeune homme avait pourtant fait un bond de géant sur son périple depuis qu’il ne prenait plus gare à devoir préserver quoi que ce fut.
Se contraignant à prendre sa forme animale aussitôt qu’il s’éveillait, le vagabond passait le plus clair de son temps dans les airs, depuis l’attaque. Certes, il n’était pas plus à l’abri dans les cieux que sur le plancher des vaches, mais s’il répugnait à se changer, il se sentait finalement bien moins vulnérable et lourdaud sous forme de roussette…
Or donc, le zoanthrope ne cessait de contempler cette cité titanesque et labyrinthique, ténèbres clairsemée de lueurs vacillantes, et qui de par ses proportions provoquait en son esprit un profond vertige.
*… Par… par où vais-je bien pouvoir commencer ?!*
Se rapprochant de la terre ferme, ce qui d’aussi loin prenait des airs de constellations prit une mesure moins abstraite. Des quartiers entiers, de constructions pullulantes, mêlant roches, bois, terre cuite et autres ardoises… Au milieu d’habitations décrépites, ici quelque commerce, là une demeure richement ouvragée, digne d’un grand seigneur ou d’un Culte de renom.
Sans pour autant les connaître, n’en ayant eu l’instruction, Khang’Haw savait l’existence des Douze. Ils n’avaient pour autant pas d’emprise sur sa vie, son peuple suivant la Voie des Ancêtres, et se fiaient à leurs Esprits tutélaires, comme ils se défiaient de ceux tapis dans la Malice, prompts à leur jouer des sorts et à les tromper.
Ce devait, sans aucun doute, être l’œuvre d’une de ces engeances s’il devait être ainsi…
Pour autant, l’exilé avait d’autres soucis sur l’instant. Ses ailes étaient parcourues de picotements, signe avant-coureur qu’il se devait de se poser dans les plus brefs délais. Sans quoi l’attendrait une mort certaine, aussi violente que subite…
Partiellement redevenu lui-même, le change-peau se posa lourdement, dans ce qui semblait être une cour privative, ou tout du moins une place isolée, calfeutrée au milieu d’habitations hétéroclites, et plongée dans la pénombre de leurs murs.
Après que son crâne eut repris forme, dans un craquement sinistre, et ô combien cuisant, l’enfant des steppes fit volte-face, puis s’accroupit, sur le qui-vive. La plupart des fenêtres donnant sur la courette se trouvaient closes, barrées par des volets de bois gris disparates, et ne demeurait âme qui vivait dans les alentours. Les ruelles menant en cette enclave se trouvant elles-mêmes désertées, le garçon soupira de soulagement. Pourtant, en tendant l’oreille, pouvait-on deviner dans un murmure que la ville était loin d’être pleinement endormie.
Les yeux bondissant d’un détail à un autre, dans cet environnement inconnu, et somme tout oppressant, Khang’Haw se faufila, alerte, vers un balcon bas, d’où flottait au vent quelque habit.
Parmi les affaires étendues, encore humides, l’expatrié ne se permit de prélever que le strict nécessaire, se refusant de dérober les atours lui semblant trop onéreux et raffinés, et, faisant au plus vite son choix, pour ne point être pris la main dans le sac, ne repartit qu’en possession d’un Ma Gua grisonnant et d’un pantacourt de coton élimé, quelque peu trop petit pour lui, qui une fois enfilé lui descendait à peine en-dessous des genoux.
*Bon, on décampe !*
C’était cette même rivière que Khang’Haw suivait, depuis près d’une semaine, jusqu’à épuisement. Dépossédé, et contrit chaque nuit, se réfugiant dans le premier abri de fortune disponible – qui sous un pont, qui dans une chaumière en ruine – le jeune homme avait pourtant fait un bond de géant sur son périple depuis qu’il ne prenait plus gare à devoir préserver quoi que ce fut.
Se contraignant à prendre sa forme animale aussitôt qu’il s’éveillait, le vagabond passait le plus clair de son temps dans les airs, depuis l’attaque. Certes, il n’était pas plus à l’abri dans les cieux que sur le plancher des vaches, mais s’il répugnait à se changer, il se sentait finalement bien moins vulnérable et lourdaud sous forme de roussette…
Or donc, le zoanthrope ne cessait de contempler cette cité titanesque et labyrinthique, ténèbres clairsemée de lueurs vacillantes, et qui de par ses proportions provoquait en son esprit un profond vertige.
*… Par… par où vais-je bien pouvoir commencer ?!*
Se rapprochant de la terre ferme, ce qui d’aussi loin prenait des airs de constellations prit une mesure moins abstraite. Des quartiers entiers, de constructions pullulantes, mêlant roches, bois, terre cuite et autres ardoises… Au milieu d’habitations décrépites, ici quelque commerce, là une demeure richement ouvragée, digne d’un grand seigneur ou d’un Culte de renom.
Sans pour autant les connaître, n’en ayant eu l’instruction, Khang’Haw savait l’existence des Douze. Ils n’avaient pour autant pas d’emprise sur sa vie, son peuple suivant la Voie des Ancêtres, et se fiaient à leurs Esprits tutélaires, comme ils se défiaient de ceux tapis dans la Malice, prompts à leur jouer des sorts et à les tromper.
Ce devait, sans aucun doute, être l’œuvre d’une de ces engeances s’il devait être ainsi…
Pour autant, l’exilé avait d’autres soucis sur l’instant. Ses ailes étaient parcourues de picotements, signe avant-coureur qu’il se devait de se poser dans les plus brefs délais. Sans quoi l’attendrait une mort certaine, aussi violente que subite…
Partiellement redevenu lui-même, le change-peau se posa lourdement, dans ce qui semblait être une cour privative, ou tout du moins une place isolée, calfeutrée au milieu d’habitations hétéroclites, et plongée dans la pénombre de leurs murs.
Après que son crâne eut repris forme, dans un craquement sinistre, et ô combien cuisant, l’enfant des steppes fit volte-face, puis s’accroupit, sur le qui-vive. La plupart des fenêtres donnant sur la courette se trouvaient closes, barrées par des volets de bois gris disparates, et ne demeurait âme qui vivait dans les alentours. Les ruelles menant en cette enclave se trouvant elles-mêmes désertées, le garçon soupira de soulagement. Pourtant, en tendant l’oreille, pouvait-on deviner dans un murmure que la ville était loin d’être pleinement endormie.
Les yeux bondissant d’un détail à un autre, dans cet environnement inconnu, et somme tout oppressant, Khang’Haw se faufila, alerte, vers un balcon bas, d’où flottait au vent quelque habit.
Parmi les affaires étendues, encore humides, l’expatrié ne se permit de prélever que le strict nécessaire, se refusant de dérober les atours lui semblant trop onéreux et raffinés, et, faisant au plus vite son choix, pour ne point être pris la main dans le sac, ne repartit qu’en possession d’un Ma Gua grisonnant et d’un pantacourt de coton élimé, quelque peu trop petit pour lui, qui une fois enfilé lui descendait à peine en-dessous des genoux.
*Bon, on décampe !*
Dernière édition par Khang'Haw le Dim 2 Juil - 17:10, édité 1 fois