Ven 6 Jan - 20:44
POST MJ : LE FLEUVE
De tous ceux qui étaient venus nous importuner, un petit groupe s’était séparé bien avant d’arriver dans la cité glacée. Nous avions la chance d’être partout, d’avoir des yeux dans chaque parcelle de cette terre maudite, contemplant la vaste plaine dont l’herbe verte se mêlait à la boue dans l’humidité glaciale qu’apportait le Dain dont le cours tranquille laissait entendre ça et là les sons de la faune que ces visiteurs dérangeaient. Certaines de ces créatures étaient nos gardiens féroces, venus avec nous quand Dainsbourg fut engloutie dans le Gris, d’autres encore étaient de simples bêtes que nous acceptions de laisser tranquilles car elles permettaient la vie sur notre domaine.
Mais la bête qui nous inquiétait portait le nom d’humain, il fallait que nous restions vigilants à son égard, même si au sein de cette meute se trouvaient des créatures que nous nommions presque « amis ».
Parmi ceux qui glissaient sur l’eau, dans trois étranges pirogues creusées dans des troncs de bois couleur charbon, mais qui n’avait pourtant pas brûlé ; un de nos Autres nous soufflait que ces arbres venaient du désert, bien au-delà de la civilisation humaine, et qu’ils dévoraient nos bêtes avec des bouches immenses. Un des rameurs était ce que l’on pouvait considérer comme un camarade de longue date. Amir avait passé des années à essayer de nous comprendre, n’avait jamais tenté de nous faire du mal et une partie de nous vivait en lui, dans une relation presque fusionnelle. Son regard vif perçait à travers notre voile, et de ce fait, il guidait l’autre pirogue, quant à elle propulsée par un être méprisable qui faisait partie de ceux qui nous arrachaient le Pouvoir sans notre accord.
C’était le Naufragé, que nos yeux parvenaient à discerner sous son habit de chair. Il se voulait monolithe de confiance, mais n’était qu’un enfant déguisé. Peut-être allions-nous tenter de révéler son vrai visage ? Amir semblait lui faire confiance pour maintenir l’embarcation à flot, ceci dit.
Dans cette même embarcation se trouvait Percéphale, à la peau grise et aux doigts palmés. Les Tritons nous fascinaient, qu’avait-elle vu dans les profondeurs ? nous y avions rarement accès.
Enfin, Halie complétait le trio de leur embarcation. Les douces Hespérides nous apaisaient par leur présence, mais était-elle prête à voir la cruauté du monde de l’autre côté de notre voile ?
Amir avait voulu que Tiphaine monte dans son embarcation, comme ils étaient la première ligne, il espérait que ses compétences de tireuse puissent leur servir à confronter les ennemis qui se dissimulaient dans le Gris, et sa relation avec la créature qu’elle prenait pour son capitaine leur donnait l’occasion de mieux coordonner les pirogues.
Eole était la troisième de l’embarcation frontale, éveillant en nous une curiosité plus grande que pour Percéphale. Pourquoi les avait-elle rejoints ? les richesses de Dainsbourg l’avaient-elles attirée, ou bien était-ce la soif d’aventure qui l’avait poussé à briser sa routine ?
Pour finir, Amir avait demandé à Jeleb de patrouiller le long des rives, faisant confiance à sa nature d’être aérien pour vite revenir à bord. Amir nous connaissait bien, il savait que nous ne ferions pas de mal à notre propre chair, même si elle revêtait une forme aussi grossière.
Un poisson sauta hors de l’eau non loin de vous, une délicieuse libellule s’était un peu trop approchée de la surface de l’eau. Le clapotis soudain vous tira de la torpeur qu’avait créé la routine qui s’installait. Le monde vous sembla d’un coup beaucoup plus intense, les sons plus nets, le froid plus insidieux qu’auparavant. Étiez-vous seulement éveillés jusque-là ?
« Nous arriverons à Dainsbourg dans une bonne demi-heure à ce rythme. D’après les plans de la cité que nous possédons, nous devrions trouver un accès à un canal souterrain qui nous permettra de rallier les catacombes. »
Amir demeurait imperturbable, ses yeux étaient toujours fixés sur l’horizon à part dans les rares occasions où il semblait remarquer un bruit suspect, mais il pagayait inlassablement. À vrai dire, nous le laissions relativement tranquille, mais vous autres n’aviez pas encore suffisamment fait vos preuves à nos yeux.
Peut-être que perdre votre matériel serait un bon début, après tout, tout était entreposé au même endroit, sur la troisième pirogue vide. Oui, cela semblait un bon plan considérant qu’il se trouvait sur ce bateau quelque-chose de plus menaçant que les humains. Car la bête qui nous terrifiait véritablement était sans aucun doute M̶i̸r̵e̵i̷l̶l̷e̸, cette abomination qui ne méritait pas de fouler notre territoire.
Notre pouvoir se mit à l’œuvre, le sifflement des batraciens sur les rives s’intensifiant un peu plus chaque seconde alors que crapauds et grenouilles se rassemblaient dans l’herbe et s’harmonisant en un chœur enivrant qui perça les barrières de votre esprit. Le Naufragé s’effondra le premier, nos Autres étaient bien plus agressifs à son égard, puis vint le tour de Percéphale, Éole et Tiphaine avant que finalement, Jeleb, Halie et Amir ne cèdent, constatant dans leurs derniers instants de conscience que la corde qui reliait la pirogue transportant M̶i̸r̵e̵i̷l̶l̷e̸ et le matériel aux deux autres embarcations était en train de se désagréger. Ils n’entendirent que le claquement de la corde avant de sombrer.
Peinant à ouvrir les yeux, le goût de la terre et la sensation de l’eau froide sur votre peau finirent de vous sortir totalement du royaume des rêves. Vos pirogues étaient renversées sur une rive boueuse tandis que vous gisiez mollement au sol. Un saule pleureur solitaire vous recouvrait de ses longues branches pendantes, et au loin, les meuglements de ce que vous supposiez être M̶i̸r̵e̵i̷l̶l̷e̸ retentissaient sans que vous ne puissiez apercevoir quoi que ce soit.
Nous n’allions pas vous laisser continuer aussi facilement.
Dernière édition par Aaron Leonhardt le Sam 7 Jan - 14:31, édité 1 fois