Lun 5 Déc - 17:33
La bruine tapotait contre la vitre du train qui filait sur les rails reliant Opale et Xandrie. Le voyage avait été long – quelque chose que Sibylle n’aurait jamais remarqué autrefois. Le temps dépensé lui importait peu avant mais… Elle n’était pas sûre. Il n’y a pas si longtemps, elle aurait contemplé ces paysages nouveaux qui défilaient devant ses yeux pendant des heures sans jamais s’impatienter. Peut-être était-ce l’anticipation, l’excitation de voir enfin une autre ville qu’Opale. Peut être était-ce l’ombre de l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de sa tête qui se rapprochait et faisait trembler son échine de son ombre glaciale qui lui donnait envie de bondir de son siège molletonné et de s’enfuir.
C’était la première fois qu’elle voyageait sans Ekaterina, un garde du corps à l’air renfrogné et peu loquace (ce qui lui allait très bien, à vrai dire. Le zoan n’avait pas l’air particulièrement émotif par ailleurs, ce qui seyait également l’Hespéride) pour seule compagnie. Il ne s’agissait pas d’un voyage de plaisance : le nom d’Excelior ne circule jamais gratuitement. Si Ekaterina n’était pas présentement aux prises avec les Del Astra, elle se serait déplacée elle-même, car le rendez-vous auquel Sibylle se rendait et où elle représentait sa « mère » était de haute importance. Pas aussi important que les affaires d’Opale, bien sûr – la Guilde des Monétaristes demeurait une institution Xandrienne et de facto dépendante du bon vivre de la Cité aux Mille Lumière, mais une demande de financement n’en restait pas moins une mince affaire.
La situation n’arrangeait pas Sibylle. C’était peut-être pour ça qu’elle était presque vêtue comme si elle se rendait à des funérailles, engoncée dans une longue robe rayée bleu nuit et noire, portant un chapeau sombre décoré de quelques hortensias séchés et d’une voilette qui dissimulait partiellement son regard. Alors qu’elle feuilletait l’épais dossier, lisant attentivement certains paragraphes qui soulignaient des points l’inquiétant particulièrement, elle réalisait que le projet proposé par Ekaterina était non seulement ambitieux, mais porterait certainement un coup irréparable aux écosystèmes de la Mer de Brume. L’Hespéride peinait à comprendre tous les tenants et les aboutissants d’un projet d’une telle ampleur, mais elle était certaine d’une chose : elle ne voulait pas qu’il se réalise.
Mais quel choix avait-elle ? Les directives d’Ekaterina étaient claires : « Fais tout en ton pouvoir pour séduire nos créanciers. » La Strigoi avait posé son regard sur elle avec un rictus qui lui avait fait froid dans le dos avant de lui dire « Prouve-toi digne de porter mon nom et d’être mon image. »
Le message était clair : c’était une menace. Ekaterina semblait se douter de quelque chose dernièrement et Sibylle ne pouvait pas risquer de perdre sa place à ses côtés, pas pour le moment. Mais l’impuissance dans laquelle elle se trouvait remuait en elle une colère bien dissimulée derrière son visage impassible.
Quoi qu’il en fût, Sibylle ne demandait qu’une chose : descendre de ce fichu train et pouvoir en finir avec ces pensées qui se cognaient dans son crâne et troublait ses pensées comme un essaim de mouches grondantes et bourdonnantes.
Perdue dans ses pensées, la brume aux yeux, elle ne remarqua pas que le train s’était arrêté, ni les contours dépaysants de Xandrie que la pluie couvrait de son voile grisonnant.
« Mademoiselle Sibylle. » la voix grave du zoan-alligator la fit sursauter et la tira de sa torpeur. « Nous sommes arrivés. » Elle observa l’homme avec un air éberlué pendant un instant avant de se ressaisir. « Oh, je vois. Merci, Marcus. » Elle rassembla méticuleusement les feuillets du dossier, les tassa et les rangea dans la serviette de cuir qu’elle scella sans précipitation avant de se lever, de défroisser sa jupe, remettre sa voilette en place et de s’avancer à pas lents vers la sortie, Marcus lui emboitant le pas.
Un taxi les attendait à la gare – Sibylle eut à peine le temps de regarder autour d’elle qu’elle s’engouffrait déjà dans une voiture tirée par deux chevaux. Le trajet fut bref cette fois, mais Sibylle sentait le sang lui battre aux tempes. Elle serrait la serviette de cuir contre elle, le regard fixé droit devant elle, le sang pulsant sous sa peau diaphane, picotant le bout de ses doigts gantés.
Le groupe mit pied à terre et fut immédiatement introduit dans un large hall bruyant pavé de marbre sur lequel les bottines de l’Hespéride résonnaient comme des fausses notes. Le valet qui l’avait accueillie la conduisit à l’accueil alors qu’elle observait les allées et venues des employés : il lui semblait observer une ruche où chacun s’affairait au sein d’une machine bien huilée.
« … Lady Sibylle Excelior est attendue par la Maîtresse… »
Le son de ce nom qui lui paraissait encore étranger fit réagir Sibylle avec quelques secondes de retard. Elle inclina la tête. « Il me tarde. » répondit-elle d’un ton égal.
C’était la première fois qu’elle voyageait sans Ekaterina, un garde du corps à l’air renfrogné et peu loquace (ce qui lui allait très bien, à vrai dire. Le zoan n’avait pas l’air particulièrement émotif par ailleurs, ce qui seyait également l’Hespéride) pour seule compagnie. Il ne s’agissait pas d’un voyage de plaisance : le nom d’Excelior ne circule jamais gratuitement. Si Ekaterina n’était pas présentement aux prises avec les Del Astra, elle se serait déplacée elle-même, car le rendez-vous auquel Sibylle se rendait et où elle représentait sa « mère » était de haute importance. Pas aussi important que les affaires d’Opale, bien sûr – la Guilde des Monétaristes demeurait une institution Xandrienne et de facto dépendante du bon vivre de la Cité aux Mille Lumière, mais une demande de financement n’en restait pas moins une mince affaire.
La situation n’arrangeait pas Sibylle. C’était peut-être pour ça qu’elle était presque vêtue comme si elle se rendait à des funérailles, engoncée dans une longue robe rayée bleu nuit et noire, portant un chapeau sombre décoré de quelques hortensias séchés et d’une voilette qui dissimulait partiellement son regard. Alors qu’elle feuilletait l’épais dossier, lisant attentivement certains paragraphes qui soulignaient des points l’inquiétant particulièrement, elle réalisait que le projet proposé par Ekaterina était non seulement ambitieux, mais porterait certainement un coup irréparable aux écosystèmes de la Mer de Brume. L’Hespéride peinait à comprendre tous les tenants et les aboutissants d’un projet d’une telle ampleur, mais elle était certaine d’une chose : elle ne voulait pas qu’il se réalise.
Mais quel choix avait-elle ? Les directives d’Ekaterina étaient claires : « Fais tout en ton pouvoir pour séduire nos créanciers. » La Strigoi avait posé son regard sur elle avec un rictus qui lui avait fait froid dans le dos avant de lui dire « Prouve-toi digne de porter mon nom et d’être mon image. »
Le message était clair : c’était une menace. Ekaterina semblait se douter de quelque chose dernièrement et Sibylle ne pouvait pas risquer de perdre sa place à ses côtés, pas pour le moment. Mais l’impuissance dans laquelle elle se trouvait remuait en elle une colère bien dissimulée derrière son visage impassible.
Quoi qu’il en fût, Sibylle ne demandait qu’une chose : descendre de ce fichu train et pouvoir en finir avec ces pensées qui se cognaient dans son crâne et troublait ses pensées comme un essaim de mouches grondantes et bourdonnantes.
Perdue dans ses pensées, la brume aux yeux, elle ne remarqua pas que le train s’était arrêté, ni les contours dépaysants de Xandrie que la pluie couvrait de son voile grisonnant.
« Mademoiselle Sibylle. » la voix grave du zoan-alligator la fit sursauter et la tira de sa torpeur. « Nous sommes arrivés. » Elle observa l’homme avec un air éberlué pendant un instant avant de se ressaisir. « Oh, je vois. Merci, Marcus. » Elle rassembla méticuleusement les feuillets du dossier, les tassa et les rangea dans la serviette de cuir qu’elle scella sans précipitation avant de se lever, de défroisser sa jupe, remettre sa voilette en place et de s’avancer à pas lents vers la sortie, Marcus lui emboitant le pas.
Un taxi les attendait à la gare – Sibylle eut à peine le temps de regarder autour d’elle qu’elle s’engouffrait déjà dans une voiture tirée par deux chevaux. Le trajet fut bref cette fois, mais Sibylle sentait le sang lui battre aux tempes. Elle serrait la serviette de cuir contre elle, le regard fixé droit devant elle, le sang pulsant sous sa peau diaphane, picotant le bout de ses doigts gantés.
Le groupe mit pied à terre et fut immédiatement introduit dans un large hall bruyant pavé de marbre sur lequel les bottines de l’Hespéride résonnaient comme des fausses notes. Le valet qui l’avait accueillie la conduisit à l’accueil alors qu’elle observait les allées et venues des employés : il lui semblait observer une ruche où chacun s’affairait au sein d’une machine bien huilée.
« … Lady Sibylle Excelior est attendue par la Maîtresse… »
Le son de ce nom qui lui paraissait encore étranger fit réagir Sibylle avec quelques secondes de retard. Elle inclina la tête. « Il me tarde. » répondit-elle d’un ton égal.