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[1901] Fatalité

[1901] Fatalité Brandw10
Mar 15 Oct - 18:23


Un couteau dans la nuit

Douleur



Dainsbourg, pourquoi fallait-il que ce soit toujours Dainsbourg ? Cette terre funeste, maudite. Tout y était toujours une fosse à purin et l’avancée de la Brume n’arrangeait rien. C’était un bourbier incessant pour les expéditions qui se targuaient de réussir à braver les dangers en vue d’atteindre Zénobie. Le Mandrebrume, rien que ça ! L’Arbre-Dieu en perdition, rien que ça ! Le Patrouilleur avait disparu dès lors que le zeppelin l’avait déposé, il s’était mis en route avec la ferme idée de ne pas laisser cela se faire. Ces sacrifices, il les trouvait honteux. Il avait toujours voué sa vie à protéger les innocents, à faire face aux vilénies et vicissitudes du monde. Mais là, la nécessité faisait loi. Que pouvait-il peser, lui, Patrouilleur au palmarès bien trop sanglant ? Les morts se comptaient en dizaine autour de lui, sa voix était risible aux oreilles de ceux qui comptaient. Il était un Blume de mauvais augure, un mort en sursis. Il fulminait, grognait et regardait sans cesse son ombre par peur d’être arrêté. Il était porteur d’une rage trop importante, d’un fardeau qui le dépassait. D’une question qui jouait avec sa morale. Il était un Patrouilleur, un combattant des frontières. Un protecteur … quand il y parvenait. Mais dans la Brume, rien ne fonctionnait jamais. Jamais !

Il avait franchi les Dunes d’Oman sans encombre. Il avait contourné la cité en évitant les bourgades trop agitées. Il avait fait au plus vite sans se compromettre, ne laissant aucune trace de son passage. Sa destination était claire : il devait rejoindre le front, rejoindre Réno. Il désirait se confier à son Maître de Guilde, chercher conseil auprès de lui. Il ne savait plus à qui se vouer. Panoptès lui avait mis le grappin dessus depuis qu’il était descendu de l’aéronef revenant de la Tour d’Yfe. Le Chancelier s’était peut-être dit qu’il ferait un outil utile, vu qu’il connaissait bien trop de choses à présent : autant limiter les lames émoussées. Mais tout cela le dépassait. Un Dieu assassiné, un Arbre protecteur mourant … et des âmes pour le nourrir. Cette question morale le tiraillait, le meurtrissait. Des vies pour d’autres. Rien n’était jamais simple, tout était sinistre dans ce monde. La Brume n’en était même pas coupable, elle était, c’était tout. Mais les hommes étaient ainsi : il fallait combattre, maîtriser. Détruire.

La forêt de Dainsbourg était encore plus sinistre qu’à son habitude. Le Patrouilleur avait caché sa présence, prenant des chemins obscurs connus de lui seul. Il avait longtemps rôdé là, à la recherche d’informations sur ses origines. Mais depuis que l’expédition s’était montée et qu’ils en avaient extrait le Mandrebrume – il le savait à présent – tout était devenu plus simple. Comme si, à chaque avancée, la Brume et ses dangers se concentraient sur l’envahisseur le plus proche de la blesser. Il appréciait cheminer avec elle, marcher dans ses pas. Bien plus qu’auparavant. Il la respectait davantage qu’il la craignait. C’était peut-être cela qui avait changé ? Il la laissait glisser dans ses bas, palper de ses doigts évanescents ses contours. Dans la Brume, il se sentait en sécurité plus qu’ailleurs. Il était au cœur du danger, il y avait moins de chances d’être observé, suivi dans le danger. Il préférait les monstres aux hommes. Mais aujourd’hui, il ne savait plus lesquels étaient les uns ou les autres. Il avait vu des visages amicaux se transformer en bourreaux. Des repères lumineux se nimber de l’obscurité de la mort.

Putain de Dainsbourg.

Il avait suffi d’une lame dans la nuit. Se cacher n’avait pas été suffisant. Quelqu’un avait parlé, quelqu’un l’avait trouvé. Sa dernière pensée s’en alla pour Nemeth.

L’humus était frais. La mousse confortable. Genou à terre avant de flancher, le Patrouilleur n’eut que la présence d’esprit de frôler le cristal dans l’écrin de sa ceinture. Il s’effondra, le sang chaud contre sa joue qui gorgeait le sol. Il sentit la lame se frayer le chemin inverse dans son dos, déchirant ses entrailles. Le liquide chaud imbiba ses vêtements, tandis qu’il percevait des pas légers autour de lui. L’inflexion légère sur la terre, la perception chaude d’un corps à proximité à mesure que la chaleur quittait son corps. Que les battements de son cœur ralentissaient. Il sentit une violente langueur s’emparer de lui. Le débit de sang se réduisit peu à peu mais la faiblesse ne disparut pas. Ses forces le quittaient, quelque chose criait en lui mais trop ténu. La voix frappait dans son occiput, fracassait les limites de sa psyché pour tenter de s’imposer mais sans succès. Une paire de doigts chauds vint toucher sa jugulaire puis le chuintement d’une lame hors de son fourreau. Le contact froid du métal sur sa gorge. Le fil acéré d’une dague contre sa peau. La chair qui faiblit, qui cède. La colère et la peur. La libération. La fin de toute souffrance.
Mer 16 Oct - 17:18


Fin

Délivrance


- Casier, venez voir par là.

C’était un jeune Aventurier qui accompagnait le Patrouilleur tout de noir vêtu. Il était étrange, dans son armure complète et ne parlait que rarement. Le jeune Aventurier lui avait été affecté pour on ne savait quelle raison. Il redoublait d’efforts, tant par crainte de l’ancien criminel que par excès de zèle. Il était encore prude, en dépit de toutes les dernières épreuves. Il allait, venait. Des témoins avaient parlé d’inquiétants sons perçus quelques minutes plus tôt dans la forêt. Aux abords de la base établie à Dainsbourg, il convenait d’enquêter pour établir le périmètre de la menace. Mais ils ne s’attendaient pas à trouver le corps d’un autre Patrouilleur. Le gamin héla le soldat qui s’avança d’un pas lent au son des cliquetis de ses protections. Réputé mutique, ce dernier s’approcha juste du corps, le retourna et retira son gantelet d’armes. Il posa ses doigts sur la gorge du Patrouilleur, inspecta son corps. Il regarda ses mains, l’épée longue ensanglantée plantée non loin. Il crocheta ses doigts pour y découvrir un cristal.

D’un geste, il fit signe au jeune Aventurier de s’approcher et de se saisir des effets éparpillés autour de la scène. Le sac à dos du Patrouilleur avait été déchiré et éparpillé. Il fit signe au jeune de s’occuper du corps et du reste tandis qu’il s’en alla patrouiller autour, tenter de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Il repéra des traces de pas qu’il entreprit de suivre. Une piste qu’il remonta petit à petit, pour percer le mystère. Il revint au bout de quelques dizaines de secondes, l’Aventurier avait déjà tout récupéré. D’un geste, Casier lui fit signe de se mettre en marche. Il était temps de rentrer au camp et de rendre compte de ce qu’ils avaient découvert.

Ils passèrent les portes sous le regard interloqué des corps expéditionnaires. Bien que les morts soient nombreuses au nord, cœur de la Brume, il était rare d’en compter ici. Surtout arborant l’insigne des Patrouilleurs. C’était de mauvais augure, surtout quand on saviat que le gros des efforts était déployé en direction de Zénobie et que les conséquences d’un tel acte aurait tôt fait de ramener les regards vers l’intérieur des nations. Il était urgent de poursuivre la découverte et l’exploration mais le fait que les frontières aient été dépossédées commençait à se savoir parmi les peuples. Le dessein secret qui animait les expéditions était en passe d’être éventé, petit à petit. Beaucoup étaient inquiets au sujet du but supposé de cette exploration, de cette coopération sans précédents. Pourquoi l’Alliance coordonnait-elle tous les efforts ? Pourquoi dans cette direction, et maintenant ? Que cherchaient-ils ? Etait-ce à cause de l’attentat mené contre Opale et les dirigeants ? Le Régent était-il lié à tout cela ?

D’autant plus que le corps qu’ils ramenaient n’était pas n’importe lequel. Les Patrouilleurs qui dépassaient plusieurs années dans la Brume étaient rares. C’était presque l’équivalent d’une condamnation à mort, mais les quelques bribes d’espoir en faisaient survivre certains. Beaucoup de criminels rejoignaient ainsi leurs rangs, venant garnir ce corps autrefois réputé. Ils étaient rares à se voir confier des missions respectables, et encore plus rares étaient ceux qui rejoignaient volontairement les Patrouilleurs. Alors ceux qui survivaient plusieurs années sans être de cette fange là … se comptaient assez facilement. Lui en faisait partie. Plus encore, il était connu pour autre chose. Il avait une particularité que certains parmi les plus dignes de confiance connaissaient. Il était connu comme le Porte-Mort. La promesse de la Mort pour les Portebrumes. Celui qui les traquait lorsqu’ils sombraient dans l’Errance. Etonnamment efficace, il ignorait pourtant cette réputation. Il était un Patrouilleur, après tout, avec ses folies et ses traumatismes. Un être un peu gauche et maladroit avec les autres … et qui avait connu beaucoup trop de victimes autour de lui.

Ainsi, la mort de celui qui portait, parmi les Portebrumes condamnés à l’Errance, la promesse de cette délivrance, avait de quoi inquiéter. Ils étaient à Dainsbourg, le carrefour de départ de l’exploration du Nord. Certains le connaissaient, surtout en dix années au sein de la Guilde. C’était une bien triste fin pour un homme qui avait parcouru la Brume tout ce temps, qui s’était livré à tant de combats pour protéger les frontières. A quelques mètres de sa destination, dans le dos. Malheureusement, il s'était fait de nombreux ennemis et sa solitude ne poussait pas à la sympathie. Le corps fut porté dans une tente d’infirmerie, allongé sur un lit de camp. Ses mains croisées sur sa poitrine. Le Patrouilleur en armure s’en alla chercher à qui en référer. Au bout de quelques minutes, trois personnes se tenaient au-dessus du corps de Ryker. Casier, le Patrouilleur. Jonas, le jeune Aventurier. Et le Maître de guilde en personne, Réno Callaghn.


Dernière édition par Ryker Lestat le Dim 20 Oct - 17:53, édité 1 fois
Mer 16 Oct - 18:43


Dans l'écheveau de la Citadelle Immaculée

Découverte

Le corps du Patrouilleur avait été rapatrié à Andoria, profitant d’un trajet par aéronef depuis la base de Dainsbourg. Jonas avait été missionné pour réaliser le transfert dans le plus grand des secrets, tandis que les rumeurs allaient bon train au Nord d’Uhr. Ils avaient interdit l’accès, caché ce qui avait été découvert mais la rumeur s’était pourtant propagée. Il avait suffi que certains murmure son nom pour que cela prenne une dimension trop importante. Trop de gens passaient par là pour que cela reste dans leur cercle, trop de monde qui ne comprenaient pas les enjeux réels. Ainsi, d’un petit surnom murmuré au gré des feux de la Guilde, le qualificatif lui fut attribué comme on l’aurait fait à un artiste posthume. Porte-Mort, une rumeur qui parlait du Porte-Mort. Qui était le Porte-Mort ? Et bien personne ne le savait, mais ce n’était pas le plus important. C’était l’histoire, la portée de cette dernière. Et puis le narratif qui se dressait autour avait de quoi plaire, éloigner les idées de ce que préparait la Guilde des Aventuriers. Les pertes commençaient à s’accentuer, les dommages collatéraux aussi. Ils ne pouvaient se tourner vers le Sud, devaient rester pleinement concentrés sur le Nord. Alors, tandis que la rumeur de l’assassinat du Porte-Mort se propageait, celle d’un aventurier qui voyageait encombré resta coite.

Quelques mésaventures secondaires et centaines de lieues, ce fut un Jonas fatigué qui se présenta aux portes d’Andoria. Lui qui n’y avait séjourné que deux fois dans sa vie en fut toujours aussi émerveillé. Devant le grandiose de la cité, l’hétéroclisme de sa population. Des créatures qu’on aurait pu targuer de monstres dans d’autres nations, une liberté de mœurs qui rendait toutes les autres nations rigides et factices. C’est le cœur de l’Alliance qui battait là et il en goûtait chaque pulsation. Propulsé par ses dernières aventures, il ne comprenait pas à quel point il était important de garder profil bas mais, honneur incroyable, le Maître de Guilde en personne le lui avait demandé. Il s’était alors senti investi de la mission la plus importante de sa vie. Surtout lorsqu’il comprit sa destination et ce qu’il devrait accomplir. Tout lui avait été arrangé, payé et il avait évolué dans un luxe rarement espéré – nécessaire pour se rendre au plus vite auprès du poumon du Contade. Mais ce fut devant la porte de la chancellerie qu’il mesura la pleine portée de son rôle. La Citadelle Immaculée n’avait pas fini de l’émerveiller.

On le mena dans des quartiers spacieux, avec moult conforts. Nourriture, toilette. Vêtements propres et adaptés. Il fut débarrassé de son fardeau et on lui expliqua qu’il serait convié à raconter son histoire et ce qu’on lui avait demandé de transmettre plus tard. Ainsi attendit-il patiemment. Minutes, heures. Journées. Il y fit la rencontre de plusieurs pages, noua des amitiés futiles avec de jeunes gens fortunés. Il y conta ses aventures, s’étonna de la portée fantastique que son auditoire lui portait. Un Aventurier de la Guilde, revenu du Nord. Du front, de l’exploration pour atteindre la mythique capitale de l’Empire : Zénobie. Mais non, ils avaient en réalité trouvé tout une mine de cristaux à exploiter ! Mais tu étais sot, voyons, l’Alliance menait une guerre contre les Grigoris ! Tout autant de théories échevelées qui se perdait dans l’imaginaire collectif, dévoyé et transformée par les désirs des uns ou des autres.

Jonas, quant à lui, ne s’était jamais trop posé la question. Il avait été affecté là, après quelques missions réussies. Il avait travaillé dans la logistique, puis avait même découvert quelques voleurs qui avaient profité des transits pour s’enrichir. Plus que de raison, il avait usé de ses poings pour se faire respecter et corriger quelques torts. Ainsi, à peine adulte, il s’était rapidement hissé comme un Aventurier capable, et mis dans les pattes d’un Patrouilleur qui avait remarqué il ne savait pas chez lui, vu qu’il ne parlait jamais. Tout s’était précipité depuis qu’il avait trouvé le corps dans la forêt. Information qu’il se garda bien de révéler. Puis, au bout de quelques jours à profiter de la cité, de ses merveilles et de sa liberté, il fut convoqué. Il s’attendait à quelques gratte-papiers, un remerciement ou une lettre mais l’angoisse le cueillit quand il fut amené dans une salle d’attente aux décorations d’or et d’ivoire. Il attendit quelques minutes, avant qu’un serviteur en livrée bleu et or ne vienne s’enquérir de son état. Il portait le symbole de l’Alliance sur son torse, ce qui faisait de lui quelque chose qui s’approchait d’un Magistrat – bien qu’il ne connaisse que peu les rangs au sein de cette organisation séculaire.

On le mena devant une grande porte ouverte donnant sur une salle circulaire où un homme était assis à un bureau, devant plusieurs monticules de paperasse. Trois individus discutaient vivement autour de lui, tandis qu’il paraissait vérifier quelque papier, avant de souffler sur l’encre posée dessus. A l’entrée de Jonas, les trois Diplomates se turent et échangèrent un regard avant de se retirer et fermer la porte. Le vieil homme leva la tête et observa le jeune aventurier avec un sourire bienveillant. Il lui fit signe de fermer la porte puis se leva pour venir lui tendre une main amicale.

- Bonjour, mon garçon. Je suis désolé pour l’attente, mais je tenais à m’entretenir avec toi pour te remercier de ton acte et de ta discrétion. Merci beaucoup.

- B … bon … bonjour monsieur le Chancelier. balbutia Jonas, se sentant tout à coup très petit dans ses chausses.

Panoptès lui offrit un sourire amusé, puis l’invita à s’asseoir en face de son bureau. Il prit lui-même place en face de lui. Il semblait fatigué mais une sagesse inébranlable semblait exsuder de son regard doux. Un roc dans la tempête. Il dégageait une aura de sécurité pour le jeune homme, qui n’en restait pas moins très intimidé. Comme un chaton qui se demandait si le Lion faisait partie de sa famille ou non.

- Sais-tu pourquoi je t’ai fait venir ? lui demanda-t-il, toujours avec le même sourire.

Jonas fit non de la tête, un frisson glacé dans le dos.

- Bien, c’est mieux ainsi : Réno et moi avions peur que les personnes qui en voulaient à la vie du Patrouilleur puissent aussi te chercher. Je pense que ce risque est aujourd’hui écarté. Tu nous excuseras de cela. Quoi qu’il en soit, j’aimerai que tu me racontes quelque chose. Il paraît que tu es le premier à l’avoir trouvé. J’aimerai que tu me racontes, sans omettre le moindre détail, ce que tu as vu dans cette clairière. Je sais que ce n’est pas la première fois qu’on te le demande … mais chaque détail peut être … crucial.

Le garçon devint blême. Il ne l’avait pas raconté tant de fois, mais il s’était en effet passé quelque chose lorsque Casier s’était absenté pour remonter les traces. Il avait vu quelque chose. Quelque chose que Réno lui avait demandé de taire. De garder pour lui jusqu’à cet instant.



Dernière édition par Ryker Lestat le Sam 19 Oct - 16:14, édité 1 fois
Sam 19 Oct - 15:17


L'Homme en noir

Inquiétude


Casier était parti remonter les traces, et j'étais occupé à récupérer les affaires éparpillées quand j'ai vu des mouvements dans les buissons. Quelque chose d'étincelant qui a attiré mon regard. Il y avait là une arme brisée, le métal tordu par une main humaine et ... j'ai ... c'est là que je l'ai vu. Une autre trainée de sang noir, qui empestait la naphtaline. Caché dans les fourrés, j'ai dû faire quelques mètres pour trouver ... C'était un corps humain vêtu de noir, sa tunique pendait sur son poitrail et il tentait de ramper ... Le bas de son corps avait été sectionné, ses tripes pendaient hors de son ...

Instant blême, haut le coeur. Traumatisme d'un jeune coeur.

Il rampait à l'aide du seul bras qui lui restait. Il tentait d'avancer à l'aide des seules forces qui lui restait : lorsque sa tête s'est tournée vers moi et m'a craché dessus dans un dialecte incompréhensible. Un monstre qui n'avait de physique que l'apparence d'un cadavre. Cette chose était morte depuis longtemps et j'ai pris mes jambes à mon cou pour rejoindre la clairière où le corps du Patrouilleur résidait. Ce fut là que Casier me retrouva, il m'intima de me mettre en marche, de rester à côté du corps ... mais il ne retrouva rien de ce que j'avais vu. Je ... je crois que c'était un Spectre. Comme dans les légendes ?

Sueurs froides. La chance de ne pas avoir subi le même sort, de ne pas avoir été possédé. C'était ce que le Maître de Guilde avait dit, songueur quant à ce qui s'était passé.

Le plus préoccupant, c'était le tabard, monsieur. Le tabard prenait la forme d'une sorte de symbole avec trois triangles entremêlés. C'était rouge, avec un peu d'or monsieur. Je l'avais déjà vu quelque part, mais on m'a demandé de taire cette information, de cacher cela : que le Magistère avait tenté de tuer un Patrouilleur.

Des frissons, une inquiétude grandissante. Quelque chose à ajouter, une question qui restait.

Si c'était bien un Spectre, alors ... alors peut-être que ce n'était pas réellement quelqu'un du Magistère, c'est ce que Réno Callaghn a dit. Que c'était peut-être déguisé ? Qu'il y avait quelque chose d'étrange là-dessous. Mais monsieur Réno a dit quelque chose d'autre : que c'était peut-être aussi de l'animation de cadavres ... qu'il y avait encore plus de questions sur l'auteur de l'attaque que sur les motivations qui avaient pu pousser à cela. C'est pour ça qu'il m'a demandé de garder ce que je savais pour vous le répéter directement et que vous deviez savoir cela en premier. Pas de lettres, pas de communications : tant pis pour le temps perdu.

Intimidé. C'était un sac de noeuds qui dépassait l'entendement, à qui le crime profitait ?

Le Magistère a peut-être mené l'attaque ... ou pas. Si non, quelqu'un l'a fait accuser ... mais je ne sais pas pourquoi : je ne comprends pas. Casier m'a dit de vous faire confiance, monsieur, et que vous saurez certainement ce qui se trame derrière. Malheureusement, le seul à avoir les informations qui pourraient répondre à vos questions ... ne le peut pas. J'espère vous avoir été utile, monsieur. Et ... et ... permettre de faire justice pour ce patrouilleur. Je ne le connaissais pas, mais il semblait connu et Réno m'a dit qu'il était important pour vous.  Dans vos ... plans. Si vous avez besoin de quoi que ce soit de ma part, si je peux aider l'Alliance de quelque manière que ce soit, n'hésitez pas. Je ... je ferai tout ce que je peux.
Sam 19 Oct - 16:14


Des questions en suspens

Espoir


Une main chaude. Un corps malingre dans des draps en satin, sur un oreille de plumes. Bougies, encens. L'air chaud de fin Ioggmar soufflait à travers les fenêtres ouvertes de la chambre. Des linges humides étaient étendus, encore marqués de sang et d'humeurs. Les personnels de soin allaient et venaient depuis plusieurs mois dans cette aile de la cité Immaculée, toujours plus sollicités à mesure que les expéditions vers le nord se renforçaient. Ils étaient peu à être resté ici, mais il ne se passait pas un jour sans que les plus graves malades du front ne soient ramenés, pour être traités loin de la fange de l'effort de guerre, tout aussi prompt à les tuer que les combats et la Brume. Pourtant, cette pièce avait été réservée à l'un d'entre eux et faisait l'office de visites régulières sans qu'on ne comprenne ce qui lui valait ce traitement de faveur. Le Chancelier lui-même venait le voir régulièrement, lorsque ses fonctions le permettaient, mais personne n'avait la moindre idée de qui il s'agissait, et encore moins ce qu'il faisait là.

C'était apparemment un combattant qui portait les sévices de multiples combats. Son corps meurtri était marqué par de nombreuses blessures, dont certaines auraient dû lui coûter la vie. Des traces de griffes qui auraient pu appartenir à un Fledermaus. Des coups de lame, des morsures en tout genre. C'était un miracle qu'il soit vivant, qu'il ait pu survivre à tout cela. Il avait été amené depuis les environs de Dainsbourg et avait attisé bon nombre de rumeurs sur son passage. Il avait contracté un mal étrange qui l'avait laissé dans un coma qui s'était éternisé en dépit de tous les soins apportés. Puis, petit à petit, il avait fini par être stabilisé suite à plusieurs opérations. Nul doute qu'il n'avait dû sa survie qu'à une seule chose : un cristal de guérison auquel il s'était accroché avant de sombrer, qui avait retardé l'inéluctable ... mais n'avait su le protéger des suites de l'attaque qu'il avait subi.

Une autre chose intriguante au sujet du patient était l'innefficacité récurrente de tout traitement à base de cristaux à son sujet, comme si leur usage se neutralisait à son contact, comme une conséquence du mal qu'il avait contracté. Il n'était d'ailleurs pas rare, que lors de ses brefs moments de rémission, les êtres dotés de capacités hors du commun se voient contracter nausées et céphalées, tout en perdant la maîtrise de leurs talents. Cette nouvelle étape dans l'évolution de la santé du patient avait été vécue avec félicité par le Chancelier, qui y avait vu là un signe avant-coureur de bien meilleures nouvelles. Ainsi avait-il rapproché ses visites pour espérer être le premier à le rencontrer. Ce fut le 21 Ioggmar, pas une fraîche matinée d'été qu'il ouvrit les yeux pour la première fois depuis sa longue convalescence. Très faible, il ne fut en état de parler qu'une semaine plus tard : la technologie des cristaux semblait commencer à marcher de nouveau sur lui mais il restait très faible. Puis, jour après jour, il fut capable de descendre du lit, de parler. De marcher. De se souvenir.

De conter à Panoptès ce qu'il s'était passé auprès de l'Arbre-Dieu. Des décisions prises, de ce que cela lui avait coûté. Les bribes de ses souvenirs embrumés peinaient à refaire surface, il n'était pas passé loin de la mort. Il ne se souvenait que des derniers instants, où sa nebula avait figé son assassin dans l'instant en supprimant ses pouvoirs, lorsque sa lame glacée avait touché sa carotide. Qu'il l'avait attrapé à mains nues et démembré à l'aide de son cristal de force. Puis qu'il s'était battu contre plusieurs assaillants avant de tomber à terre, son dernier espoir résidant dans son cristal de guérison. Il n'avait pas pu limiter le poison ni la maladie, mais avait survécu. Tout était vague, et il lui avait falu du temps pour développer le fil de ses actions. Remonter jusqu'aux racines, jusqu'aux cénotaphes. Jusqu'à la Docteur du Magistère et son projet fou. Jusqu'à Ellendrine Brightwidge, son assentiment. Jusqu'à Seraphah Von Arendt et son approbation à contre coeur. Jusqu'à Nostell la mercenaire, jusqu'à ce cher Artémis ... jusqu'aux scientifiques. Jusqu'à l'élémentaire de plante : Duscisio. Qui avait failli mourir dans son entreprise. Jusqu'au sacrifice de la Tartare.

Il conta ce qu'il se rappelait au Chancelier, lui délivra ce qu'il aurait voulu lui dire des mois plus tôt, en dépit du souhait de temporiser les décisions. Le fardeau était trop lourd pour des épaules comme les siennes : il n'était pas politicien, il n'était pas un homme de secrets. Il était un solitaire de la Brume, il était un Patrouilleur qui chassait les Errants. Il était un combattant suicidaire. Panoptès le savait, c'était visiblement la raison pour laquelle il lui faisait confiance. Tout comme Ryker savait qu'il était un fusible facile à faire sauter. Il n'était rien, pour personne ou quoi que ce soit. Il était un pion utile, capable de survivre à beaucoup de choses : comme il l'avait déjà prouvé. Même s'il n'avait jamais frôlé la mort comme jusqu'à présent. Ses muscles avaient fondu, ses forces s'étaient amoindries. Il sentait que son corps avait changé et que ses capacités en seraient à jamais altérées. La maladie rôdait dans sa chair et ce qu'il avait subi allait au-delà du simple empoisonnement. On avait cherché à le détruire d'une façon encore plus insidieuse que cela.

Il restait pourtant des choses en suspens : qui étaient ces individus ? Pourquoi avaient-ils laissé un corps derrière ? Pourquoi l'avaient-ils attaqué ?

Une question à laquelle Panoptès n'avait pas la réponse. Néanmoins, les informations dont disposaient le Patrouilleur étaient graves et il ne pouvait se permettre de les laisser pourrir dans son giron. S'il avait été attaqué, il fallait découvrir pourquoi. Il aviat déployé le Patrouilleur sur plusieurs de ses missions d'intérêt depuis les déconvenues de la Tour d'Yfe : cela pouvait tout à fait avoir un lien avec ces dernière. Tout n'était que questions et conjectures : il n'y avait aucune preuve, ni possibilité d'en extraire. Alors entreprit-il de faire ce que tout digne politicien aurait fait pour l'avenir d'Uhr : prévenir les différentes factions de ce qui avait été entreprit auprès de l'Arbre-Dieu. Les membres de l'expédition, leurs décisions. Ce qu'ils avaient appris et vu. Il était temps de mettre les diverses parties prenantes devant leurs conséquences ... et de faire sortir du bois le loup qui avait tenté de tuer le Patrouilleur. Bien entendu, de ce qui était arrivé à ce dernier ou de sa survie, il n'en dit rien ... en attendant que les coupables se confondent.

Espistopoli et ses liens avec le Régent qui avait nourri bien des projets en son sein pendant les dernières années, sans qu'on ne sache à quel point il avait vérolé la nation connue pour son inhumanité.

Opale et ses activités contre nature envers la Brume, ainsi que son implication au sein des derniers événements de la Tour d'Yfe ou sa capacité à ne renoncer à aucun sacrifice pour assurer sa survie.

Xandrie et sa recherche de contrôle et de pouvoir dans son contexte politique incertain et meurtrier, prête à tout pour reprendre le contrôle de sa destinée broyée entre une Opale aux abois et l'agressive Epistopoli.

Aramila et ses méandres théologiques avec son attachement aux croyances autour de l'Arbre-Dieu, nourrissant de nombreux desseins déguisés.

Restait bien entendu un dernier coupable, qui avait déjà tant de fois oeuvré à des fins malveillantes ces dernières années : le XIIIème cerle.