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Lun 16 Sep - 21:53



Derin devlet

Sylas Edralden — Zéphyr






Dans la pénombre d’un couloir sobrement éclairé par quelques bougies intemporelles, la silhouette fatiguée de l’archevêque se mouvait avec une prudence devenue quotidienne. Le presque quinquagénaire avait revêtu, cette fois-ci, un ample vêtement sombre dénué d’oripeaux. Quiconque l’eût croisé à cet instant même dans l’enceinte du palais eût cru avoir affaire à un intrus, et alors la quiétude de l’édifice le plus important d’Aramila serait troublée, tout ça pour repérer un archevêque qui ressemblait à un malfrat.

Mais quel mauvais coup préparait Sylas, alors qu’il observait attentivement à droite, puis à gauche, avant d'enclencher un curieux mécanisme intemporel, anachronique, qui hapa son ombre et le fit disparaître comme s’il ne s’était jamais aventuré ici ?

Un autre couloir, plus sobre encore que l’intérieur même du palais, sur le mur duquel trônaient deux bougies. Il en saisit une, avança prudemment dans l’obscurité et déboucha sur une salle circulaire. Il prit une grande inspiration, comme pour déceler la présence d’un potentiel intrus.

Et alors qu’il espérait être seul, il tendit sa main occupée et, de l’autre, agita l’extrémité de ses doigts et décrivit un arc de cercle ample, faisant virevolter l’objet de son contrôle parmi les différentes mèches qui, allumée, éclairèrent un peu plus la pièce dans laquelle il se trouvait.

Il y faisait une température fraîche et l’humidité y était élevée en contraste avec la sécheresse qu’on connaissait en Aramila. Les murs, faits de briques ocre, oblitérées par les âges et les précédents occupants, aussi illustres qu’inconnus, offraient une touche de mystère parmi les mystères qui nimbaient le pays. Au milieu de la salle, une table circulaire, à laquelle on pouvait inviter jusqu’à six personnes à s’attabler. Au-dessus d’elle, un chandelier d’or était suspendu et, sur celui-ci, de multiples bougies que Sylas pointa vivement du doigt, guidant la flammèche qui réveillait ces mêmes bougies, apportant un peu plus de lumière au décor.

Il se déchaussa et s’apprêta à laisser la plante de ses pieds au contact d’un vieux tapis aux motifs et aux broderies qui rappelaient à l’envi le culte des Douze et l’orthopraxie ; divers avatars à l’effigie des différents esprits y étant représentés. Au coin de la pièce, il y avait également un endroit tapissé avec quelques coussins pour adopter une posture moins formelle — pour des discussions tout aussi délicates.

Il était seul, et le premier. Alors, l’air solennel, comme s’il se considérait dorénavant observé, il s’attabla face à l’entrée, où son hôte mystérieux, son alter ego, son complice, devait le rejoindre.

Nonchalamment, il croisa une jambe par-dessus l’autre, releva le menton et posa ses mains sur son genoux supérieur, scrutant l’obscurité qui devait dévoiler l’éminence grise.
Dim 22 Sep - 17:58
Une douce chaleur flottait dans la pièce, amenant avec elle des effluves de sable chaud portées par la brise, comme pour mieux inviter son unique occupant à se laisser aller à la quiétude. Souvenir des ardents rayons de soleil berçant les terres arides, celle-ci s'évanouirait bientôt à mesure que la soirée avançait. Seule la nuit permettait de goûter à la fraîcheur. Pour autant, cela ne semblait pas détourner l'homme de sa lecture. Les yeux parcourant chacune des lignes manuscrites qui lui étaient adressées, le Grand Camérier prenait ardemment connaissance des rapports consignés au cours de ces dernières semaines. Depuis quelques temps déjà, le rempart de la foi avait fait l'objet d'assauts non revendiqués ou du moins ses Archives. A cela s'ajoutaient les tensions passées comme actuelles avec les villes voisines, exacerbant une inquiétude désormais palpable au sein de la population aramilane. Les iris rubis se détachèrent soudain des missives pour s'égarer dans la contemplation d'une carte détaillant les différents territoires existants. Ci et là, chacun plaçait ses pions, espérant prendre l'avantage dans une guerre invisible dont il était le spectateur solitaire. Du coin de l’œil, Zéphyr avisa le mouvement brusque d'une flamme surmontant une bougie, l'arrachant à ses pensées silencieuses. Au même moment, une prière s'éleva quelque part à l'extérieur du bâtiment, lui rappelant l'heure.

Sans perdre un instant, le Spectre se redressa pour quitter le bureau auquel il était installé, traversant la pièce pour soulever l'un des tapis épais ornant les murs, dévoilant une porte dérobée conduisant à un passage souterrain. Sa découverte relevait du plus grand des hasards puisque l'existence de ce couloir relié au palais du Concile Œcuménique n'était connu que du Grand Camérier lui-même. Malheureusement pour Zéphyr, son prédécesseur était mort en emportant certains de ses secrets dans la tombe. Il lui avait fallu plusieurs jours pour venir à bout des pièges de ce dédale de couloirs souterrains et en mémoriser le moindre embranchement. A peine eut-il poussé la porte qu'un souffle glacé s'échappa du passage. Dans l'obscurité qui régnait, seule la lueur d'une torche quelques mètres plus loin, invitait à pénétrer à l'intérieur. Le Grand Camérier s'en saisit promptement, laissant la porte se refermer sur lui, pour s'enfoncer plus profondément dans les ténèbres. Des dizaines de minutes s'écoulèrent ainsi sans que rien ne vienne perturber sa progression autrement que le son étouffé au point d'en être presque inaudible de ses sandales foulant le sol en un pas léger. Ses yeux, s'habituant à la pénombre environnante, décelèrent soudain une faible lueur au détour d'un couloir. Il était déjà là.

La torche trouva naturellement sa place au mur tandis que le Spectre poursuivait seul. La lumière grandit à mesure qu'il progressait. Bientôt, les contours d'une salle circulaire devenue familière avec le temps, se dessinèrent devant lui. Le mobilier était presque inexistant, à l'exception d'une table, circulaire elle aussi, placée au cœur de la pièce et encerclée de six chaises. Quelques bougies disséminées ci et là servaient à éclairer l'endroit, créant une atmosphère solennelle et mystique. Le Grand Camérier ralentit le pas à l'approche de la salle qui se dévoilait peu à peu, ne tardant pas à repérer la silhouette installée à la table, comme pour l'accueillir. Sylas Edralden. Talentueux Archevêque d'Aramila et pourtant controversé au point de se faire des ennemis puissants. Un léger sourire prit forme sur les lèvres du Spectre. Sans jamais vouloir se l'admettre, il espérait chacun de ces échanges avec l'Archevêque, curieux de connaître l'avis de ce dernier tout en saisissant l'occasion pour l'étudier de plus près. A quoi pensait-il ? Quels seraient ses ordres cette fois-ci ? Comment cet homme allait-il façonner l'avenir d'Aramila ? Tant de questions et si peu de réponses.

« Bonsoir Monseigneur. Vous ais-je fait attendre ? »

A en juger par la posture décontractée mais droite de son interlocuteur, l'Archevêque ne montrait aucun signe d'impatience. Mais en y regardant de plus près, son visage trahissait la fatigue de ses traits, une vision renforcée par les flammes dansantes des bougies, faisant naître un jeu d'ombres et de lumières.

« Son Excellence aurait-elle le sommeil troublé pour me convier à une heure aussi tardive ? » interrogea-t-il soudain, ignorant les propres cernes sous ses yeux.

Tout en parlant, Zéphyr fit un premier pas dans la pièce puis un second. S'il ne fit pas mine de vouloir prendre place à son tour sur l'une des chaises disposées autour de la table, le Spectre comblait doucement la distance qui les séparait.

« Et que me vaut le plaisir de cette entrevue ? » conclut-il, sans se défaire de son sourire.

Les choses sérieuses pouvaient enfin commencer.
Dim 22 Sep - 21:45



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Sylas Edralden — Zéphyr






Ainsi, dans cette ambiance mêlée de chaleur et de froideur, la silhouette du Grand Camérier se précisait, sous des airs solennels que l’Archevêque appréciait dans son entièreté. L’air de défier son hôte du regard, dans son aise la plus totale malgré qu’il était adossé à une chaise rudimentaire, il embrassait du regard ce visage familier, cette présence salvatrice à son cœur.

« Que son Éminence se rassure, je ne l’ai pas attendue longtemps. »

Un sourire amusé se dessinait sur ses fines lèvres entourées de sa barbe presque hirsute faute d’entretien. Non, décidément, ce soir-là, c’est comme s’il ne se présentait pas en tant qu’Archevêque. Ce qu’il y avait de rassérénant, quelque part, avec Zéphyr, c’était que leurs entrevues secrètes, si elles observaient un caractère auréolé de mystère, permettait à Sylas de se dérober à tous les oripeaux qu’il était tenu d’exhiber lors de l’exercice de ses fonctions. Ici, c’était un vieil homme en proie à une insomnie qui avait fait mander son bras droit après des temps tumultueux.

C’était à croire que son hôte était tout aussi tiraillé par un manque de sommeil accablant. Ce visage glabre, pâle, serti d’une touffe blanchâtre, s’il pouvait inspirer là mort à quelque interlocuteur bien peu averti, faisait naître en Sylas une sérénité certaine. Sûr de lui, il plantait son regard dans les deux rubis étincelants de Zéphyr.

« Que son Éminence continue à se rassurer, cette entrevue sera détentue et hautement préférable à quelque troublant sommeil dont elle ne saurait profiter entre deux élucubrations, fort de son statut. »

Comme pour s’amuser de la lenteur de Zéphyr, comme si les deux hommes s’amusaient d’une danse qui n’en était pas une, comme d’une chorégraphie dont eux seuls avaient le secret, Sylas se leva à son tour, dût-il perturber l’homme au teint blafard durant son entrée. Comme si c’était pour s’amuser de son comportement, il marchait de part et d’autre de la table. Un peu comme s’il réfléchissait le comportement du Grand Camérier.

« Son Éminence apprécierait-elle un Nisra’bek ? »

Joignant les gestes à la parole, détendant un peu plus son sourire, il éleva élégamment les bras, mimant la posture d’un aigle fier et majestueux, quand bien même il avait présentement l’allure d’un mauvais augure, un corbeau de malheur qui, malgré tout, demeurait élégant à l’envi sous sa sombre envergure.

En équilibre sur une jambe, il s’amusait à suspendre l’autre tantôt devant lui, tantôt derrière, comme pour mimer un pas de danse, mais se ravisa.

« Bien sûr, ce n’est pas pour pareil motif que j’ai mandé Son Éminence céans. Il y a fort à discuter au vu de la récente marche d’Uhr. Mais avant que Son Éminence me parle de ce que je sais et ne sais pas, puisse-t-elle me laisser évoquer un nom qui a récemment attiré mon attention. Quel est l’avis de Son Éminence sur Pyros Borge ? Je soupçonne l’individu d’une duplicité à mon encontre et il échappe bien facilement à mon contrôle, comme Son Éminence sait faire… Dois-je lui en vouloir ? Lui n’a pas œuvré à mon salut, après tout. »

Alors qu’il avait fait les cents pas, il s’attabla de nouveau, à une place différente, cette fois.


Dernière édition par Sylas Edralden le Mar 1 Oct - 23:25, édité 2 fois
Jeu 26 Sep - 18:48
Son apparente lenteur n'avait pourtant rien d'une entrée volontairement théâtrale. Derrière son sourire affable, un brin moqueur, le Grand Camérier étudiait scrupuleusement son interlocuteur jusqu'à la moindre de ses sursauts faciaux alors même qu'il réduisait la distance entre eux. Comme pour mieux déceler un indice qui le mettrait sur la voie pour tenter de deviner la nature qu'allaient prendre leurs échanges secrets de cette nuit. Et malgré son observation pour le moins attentive, l'homme face à lui parvint tout de même à le surprendre. La question n'attendait pas de réponse et Zéphyr s'immobilisa alors que l'Archevêque s'exécutait presque aussitôt. L'espace de quelques secondes, le silence revint entre eux. Jusqu'à ce que le Spectre se décide à le rompre en premier.

« … Son Excellence essayerait-elle de me jeter une malédiction à la manière d'un Igodom ? »

Le ton se voulait léger, presque taquin. Après toutes ces années, il ne devrait plus s'étonner de l'excentricité de son interlocuteur mais force était de constater que la capacité de Sylas à se renouveler dans ce domaine avait de quoi rendre admiratif le Grand Camérier. Il n'était pas aisé de deviner les pensées d'un homme aux actions aussi imprévisibles et ce, malgré le rôle qui était le sien. Et c'était sans doute là que résidait l'intérêt de Zéphyr à son égard. Pour autant, la réalité de leurs statuts respectifs les rattrapa rapidement, faisant prendre la conversation un tournant des plus sérieux quand un nom fut finalement prononcé.

« Il est vrai que cette Tribune fut quelque peu mouvementée. » commenta le Spectre en guise de première réponse, avec le détachement qui le caractérisait et qui indignait autant qu'il suscitait le respect.

Son expression se fit soudain plus pensive alors que le Grand Camérier reprenait sa marche, cette fois pour donner l'impression de faire les cents pas, contournant la table où l'Archevêque avait repris place, ne relevant même pas le changement de chaise de ce dernier, excentricité oblige. L'interrogation  de son interlocuteur était prévisible, tout comme les doutes qui l'assaillaient au point de prendre son sommeil en otage. Pyros Borge n'était pas le seul à avoir pris partie ce jour-là et s'il n'avait pas été parmi les plus virulents dans ses propos, il n'en demeurait pas moins le conseiller direct de l'Archevêque de Renon. Un homme dont l'opinion était à considérer par conséquent.

« Pyros Borge... est un homme de convictions. De ce que je sais, il demeure très attaché aux terres de l’Archevêché du Renon. Des terres qui furent jadis agricoles, assez pour nourrir tout le peuple aramilan lui-même. Rien d'étonnant donc à ce qu'il se manifeste de la sorte en entendant votre souhait d'une souveraineté alimentaire en Aramila. Quelle que soit votre appréciation à son égard, vous ne devriez pas sous-estimer la portée de sa voix. Mais si ses réelles intentions sont de prétendre à l’Archevêché lui-même, je doute fort que vous soyez sa priorité. »

Si l'homme se trouvait déjà dans les petits papiers de l'Archevêque du Renon, quel mérite gagnait-il à lorgner du côté de la capitale ? Plus que de balayer les craintes d'une duplicité, Zéphyr cherchait à orienter le sujet de la conversation sur un autre débat, plus épineux encore que le précédent : l'annexion de la Marche du Renon. Après tout, celle-ci était tout droit en opposition avec le souhait de moderniser Aramila en vue de permettre à ses habitants de subvenir à leurs besoins alimentaires. Le Spectre s'était exprimé tout en marchant, le regard se perdant par moment dans la contemplation des motifs rappelant le culte des Douze. Il s'arrêta brusquement pour reporter son attention sur le visage de Sylas, ancrant son regard rubis dans celui, de jais, de son vis-à-vis.

« La question est plutôt de savoir si vous souhaitez vous en faire un ennemi ou un allié ? »

L'un comme l'autre, l'Ordre des Caravaniers se chargerait d'y remédier. Zéphyr songeait d'ailleurs de se rendre en personne prochainement dans cette région atrocement mutilée par la guerre. L'occasion peut-être d'échanger avec le dénommé Pyros Borge.

« Son Excellence désire-t-elle que je me renseigne à son sujet ? »

Question rhétorique.
Jeu 26 Sep - 19:20



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Sylas Edralden — Zéphyr






« Quel Aramilan ne demeure point attaché au Renon, lorsqu’on sait que cette terre nous a été arrachée. Nous sommes nombreux à nous en offusquer alors que si nous avons connu l’effroyable chute de Dainsbourg, nous n’avons pas connu les prémices des horreurs qu’a connues le Renon – et pourtant, pourtant, Son Éminence le voit, Son Éminence le sait ! Nos frères et nos sœurs qui n’étaient pas nés, on leur a instillé le venin du rejet. Personne, céans, ne doit intégrer que le Renon est une terre épistote. Fort heureusement, si nos ennemis sont d’habiles ingénieurs — encore qu’ils ont plié face à nos arsenals et notre feu grégeois — la désinformation n’a pas l’air d’être leur point fort. Je dois admettre que je ne connais nul autre que Son Éminence capable de subterfuges qui vont jusqu’à perturber la quiétude des colons qui croient pouvoir cohabiter avec les réunionistes. »

Il marqua un silence alors que, de façon surprenante — ou peut-être pas, Sylas étant resté installé sur sa chaise avec une posture qui invitait à la décontraction — une troisième personne arrivait par une porte dérobée. Il s’agissait d’un petit être trapu, au crâne entièrement dégarni et au regard craintif. Il ne s’offusqua ni à la vue de Sylas, ni à celle de Zéphyr, à qui il adressa un sourire sincère, sourire qui exprimait une joie contenue, une effervescence étouffée.

« On dirait qu’Âzâm se réjouit de porter le thé noir à Son Éminence. À croire qu’il a horriblement souffert de quelque absence trop prolongée du Grand Camérier… »

Âzâm, après avoir déposé les boissons sur la table en bois sombre, il coinça le plateau sous sa hanche, joignit ses deux mains et courba poliment l’échine avant de disparaître dans la pénombre.

« Cet homme, à qui j’ai fait couper la langue et fait percer les tympans, a tout loisir d’empoisonner mon breuvage s’il pensait s’être trompé sur son choix de me servir avec obéissance absolue. Coûte que coûte. Existe-t-il meilleure symétrie ? “Vous regrettez d’avoir suivi votre dirigeant dans ses choix, alors empoisonnez-le.” »

Joignant le geste à la parole, il saisit son verbe courbé du bout des doigts pour ne pas se brûler et le porta à ses lèvres. Il se sentit rafraîchi malgré la chaude température de la boisson.

« Son Éminence appréciera que je lui rappelle que tous les Aramilans sont mes alliés. Mais il y a, malheureusement, certains alliés capable de duplicité pour nourrir des desseins qui ne sont pas nôtres. Et à ce propos, je livre à Son Éminence l’inquiétude qui affaisse mon for intérieur ces derniers temps : si je n’ai aucun doute sur ce que souhaite Borge – ses désirs de grandeur à part – je crains qu’il n’emploie des moyens qui nécessite des sacrifices humains que que je ne souhaite point. J’imagine que c’est également le cas de Son Éminence ? »

Il haussa les épaules, avant de se lever, toujours son verre en main. Il ralentit la cadence, comme pour ne pas renverser son thé. Sa mine s’assombrit momentanément.

« Le temps nous est compté, camarade. Nous faisons face à deux difficultés : la première est de reprendre le Renon avant que Le Régent ne passe l’arme à gauche. Celui-ci doit à tout prix connaître la défaite avant le trépas. Le risque qu’il soit déifié par des sots est trop important. La seconde, c’est de le reprendre le Renon en minimisant les pertes. Idéalement, comment bouter hors de la région les Épistotes et assurer la vie sauve aux réunionistes. Est-ce… Trop demander ? »

Il s’arrêta pour faire face à Zéphyr, alors qu’il porta de nouveau son thé à ses lèvres.


Dernière édition par Sylas Edralden le Mar 1 Oct - 22:52, édité 1 fois
Ven 27 Sep - 22:30
Une ferveur nouvelle anima les paroles de l'Archevêque, comme si un désir ardent de justice l'avait brusquement investi tout entier. Un désir que partageait également Zéphyr, même si les raisons derrière celui-ci demeuraient plus floues que celles de son interlocuteur. Conscient d'avoir touché un point sensible en rappelant le triste sorte réservé à une terre autrefois généreuse, le Grand Camérier se résolut à conserver le silence, ne perdant pas un mot de la tirade de son vis-à-vis et ce, même s'il s'autorisa un discret mouvement de la tête en guise de fausse humilité à l'évocation des manœuvres souterraines entreprises par ses hommes sur place. Alors qu'il pensait venu son tour de prendre la parole, le Spectre détecta soudain du mouvement sur sa gauche et seul un œil avisé aurait pu remarquer la légère impulsion des parois de chairs, rapidement étouffée tandis qu'il posait ses iris rubis sur la petite silhouette qui s'invitait au milieu de leurs échanges. Son regard croisa brièvement celui du serviteur avant que ce dernier ne baisse le sien en signe de respect, sans pour autant se défaire du sourire sincère qui venait lui recourber les lèvres. Le Grand Camérier nota son nom dans un recoin de son esprit avant que le commentaire de Sylas ne lui fasse reporter son attention sur l'Archevêque.

« Son Excellence chercherait-elle à me faire passer un message ? Serait-elle... toujours contrariée de mon absence lors de son voyage à Epistopoli ? Devrais-je m'empresser de savoir si elle a fait bonne route ? »

Si les récents événements survenus à Opale pouvaient le convaincre de mettre les pieds dans cette citée, histoire de veiller à ce que les prêcheurs redoublent d'efforts pour convaincre leurs pairs, il y avait une terre où le Spectre se refusait de se rendre. Epistopoli n'était rien d'autre qu'un nom d'emprunt, une usurpatrice, à l'image de son Régent avec pour unique alliée l'ironie du sort. Seule Sancta comptait à ses yeux. Perdue et pourtant chérie par toute son âme ou du moins ce qu'il en restait après tant d'années.

« Il est vrai que si son dévouement envers le Renon est admirable, on ne peut pas en dire autant de ses manières qui manquent d'un certain... raffinement. Ma crainte est qu'il ne mène les réunionistes à leur perte, par empressement autant que par manque de moyens. Son Excellence sait à quel point la douleur est vive dans le cœur des Aramilans. Et que ceux qu'elle considère comme des sacrifices humains ne sont rien de plus que des hommes et des femmes prêts à donner leur vie pour rendre sa liberté au Renon. Le désespoir les anime et plus que jamais, ils ont besoin de recevoir un message fort de votre part. Avec tout le respect que je porte à Son Excellence, j'ai bien peur que votre souhait d'industrialiser Aramila, même judicieusement je n'en doute pas, n'ait eu sur eux que l'effet inverse de celui escompté. »

Après tout, n'était-ce pas là, le véritable sujet ? Celui-là même qui avait tant agité la Tribune ? L'indépendance du Renon n'était qu'un problème de fond supplémentaire auquel Aramila devait faire face. Et si celui-ci gangrenait le pays depuis des années tant moralement qu'économiquement, l'initiative de Sylas avait ravivé les braises d'un révolte grondante parmi la population. Si l'Archevêque semblait s'amuser d'un possible empoisonnement à son encontre, était-il à ce point naïf pour ne pas l'envisager plus sérieusement ?

« Son Excellence ne doit certainement pas ignorer les rumeurs qui circulent au sujet du Régent. Privée de sa figure de proue, Epistopoli est plus que jamais fragilisée. Son intégrité bafouée et son autorité contestée. Et avec l'attentat dont elle a fait l'objet, Opale ne s'investira pas dans un conflit ouvert. L'occasion est trop belle pour ne pas la saisir. »

C'était là qu'ils entraient en scène. Atteindre l'Amiral pour mettre fin à ces jours était une mission comme une autre. La bénédiction même du Concile Œcuménique lui paraissait tellement insignifiante à cet instant précis. Un ordre de sa part suffisait. Cependant...

« Mais comme dit un proverbe aramilan « couper la tête du serpent est inutile si on ignore l'emplacement du nid ». Reprendre le Renon ne se fera pas sans conséquences. Vous devez vous préparer à des représailles épistotes. Aucune guerre ne se gagne sans pertes humaines, vous le savez tout autant que moi. »

Tout en prononçant ses mots sur un ton dénué d'enthousiasme, le Spectre rendit son regard à son interlocuteur.
Ven 27 Sep - 23:03



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Sylas Edralden — Zéphyr






« Je saurai gré à Son Éminence de ne point chercher de subreptice remontrance dans mes propos. Je me satisfais tant de son absence que de son éphémère présence à mes côtés et il va de soi qu’Épistopoli n’est pas une terre d’accueil digne de la magnificence de Son Éminence. Plutôt un marécage où, si le panorama trouverait grâce à quelques-uns, estomaquerait un, je cite, « triton bien chauvin d’chez nous », ai-je entendu de la bouche d’un dévôt, de manière assez surprenante… »

Il posa sa tasse sur le bord de la table, à côté de celle de Zéphyr, qu’il pouvait différencier par sa contenance encore intacte, avant de continuer les cents pas.

« Ma plus grande maladresse a été de croire que je pusse m’exprimer en des termes intelligibles. Je ne souhaite pas transformer Aramila en ce qu’elle ne sera jamais, mais si je dois bénéficier du concours de génies créatifs qui ne trouvent pas encore asile salvateur en nos Oasis, alors j’imaginais une politique qui irait en ce sens. Mais le peuple a tranché et, si d’aucuns — je les vois venir — en bon parangons de vertus qu’ils sont, iront se mêler à la foule pour sonder notre peuple à la recherche de génies — pourquoi ne viennent-ils pas déjà à nous ? … J’utiliserai l’État profond autant que nécessaire, cette fois non dans l’intérêt du peuple, mais de notre Nation. »

Il avait fait un tour de table complet, le regard perdu sur le sol ocre. Les ombres de l’archevêque continuaient d’adopter des silhouettes difformes au rythme de ses pas et des flammes chancelantes, alors qu’il rattrapait son verre.

« Pour être honnête avec Son Éminence, j’ai confié à un homologue Épistote ce que je pensais vis-à-vis du Régent et de sa condition. L’occasion est trop belle pour ne pas la saisir, mais il y a fort à parier que le Grand Sapiarque nous voie venir. Curieusement, depuis que son supérieur semble se trouver une autre raison d’être, il ne répond plus à mes sollicitations. Le vent serait-il en train de tourner ? Nous attire-t-il dans un guet apens ? La prudence est de mise… Camarade… »

Reposant son verre, avec seulement un fond de liquide sombre, il sentit soudainement un haut le cœur. Alors, avant de choir dans une position où il ne risquerait pas de se fracturer le crâne, il se rattrapa de justesse contre le rebord de la tablée.

« … Non… Ce ne peut… »

Il sortit rapidement une feuille de parchemin de sous sa manche ainsi que d’une mine de fusain et, sur la table, griffonna, maladroitement, quelque chose avant de se recroqueviller sur le sol, dos à l’air, la respiration saccadée.

Dim 29 Sep - 19:10
La répartie de Sylas au sujet de son bref séjour à Epistopoli arracha un sourire amusé au Spectre. Impossible de savoir si l'autre pensait sincèrement chacun des mots qu'il daigna lui adresser en retour ou si son interlocuteur cherchait simplement à endormir sa curiosité autour de cette visite diplomatique, minimisant l'intérêt de la destination. Le Grand Camérier devait-il ressentir une point de regret à l'idée de ne jamais pouvoir contempler de ses propres yeux ledit marécage ? Pas le moins du monde.

« Son Excellence sait mieux que personne comment dissiper mes inquiétudes. »

S'ils avaient plusieurs thèmes à aborder ce soir, le déplacement de l'Archevêque en faisait partie. Pourtant, loin de s'attarder sur la question, l'Archevêque choisit de rebondir sur l'épisode de la dernière Tribune, de toutes évidences attaché à l'issue de la problématique soulevée ce jour-là. Zéphyr dut lui reconnaître son acharnement à aller au bout de ses idées. Même si l'homme devait se mettre à dos les Tribuns de même que ses homologues, il ne renoncerait pas à son projet. L'espace d'une fraction de secondes, le Spectre caressa l'envie de le qualifier à son tour « d'homme de convictions », en référence à l'individu dénommé Pyros Borge, évoqué plus tôt dans la conversation. Certainement que la comparaison serait appréciée par son interlocuteur. L'Archevêque Sylas Eldralden était décidément un homme intéressant, il ne s'était pas trompé à son sujet. Le Grand Camérier se promit silencieusement de le soutenir dans ses projets, pour découvrir jusqu'où l'autre serait capable d'aller. Parviendrait-il à changer Aramila de l'intérieur ? Malgré l'adversité et les tempêtes de sable ?

« Des génies créatifs comme Lady Brightwidge. » confirma-t-il sans rien perdre d'une éventuelle réaction que susciterait ce nom chez son vis-à-vis.

L'identité de la jeune femme avait été également évoquée lors de la Tribune exceptionnelle et plusieurs rapports indiquaient qu'elle avait été aperçue en compagnie de l'Archevêque en personne. S'il ne voyait pas ce rapprochement d'un très bon œil, Zéphyr se devait d'enquêter davantage au sujet de cette dernière pour définir si elle représentait un réellement danger ou non. A moins qu'elle ne soit éliminée avant qu'il ne parvienne à rassembler suffisamment d'informations à son sujet. Car en étant prise comme exemple lors d'un débat houleux, il était à craindre que la pauvre femme soit prise à partie par la suite. Quelle imprudence de la part de son prétendu protecteur.

« Son Excellence se montre trop dure envers elle-même. Le projet est ambitieux, plus que tous ceux que le pays a connu ces dernières années. Les Aramilans ne sont peut-être pas encore prêts à l'accepter dans son entièreté en dépit des bénéfices que cela leur apporterait. Vous avez semé les graines, laissez-vous le temps de les voir germer dans l'esprit de vos interlocuteurs. Si telle est la volonté des Douze, ils se rallieront à votre cause. »

Et s'il se fourvoyait ? La chute n'en serait que plus douloureuse. Les iris rubis suivirent le mouvement du bras de Sylas allant se saisir de son verre tandis que le sien demeurait intouché. Il ne le serait pas de la soirée. Cependant, aux premiers mots qui jaillirent d'entre les lèvres de son interlocuteur, le Spectre reporta immédiatement son attention sur le dos de l'homme. Zéphyr crut avoir mal entendu sur le moment. L'Archevêque avait-il éveillé les soupçons de leur ennemi ? Plus grave encore, l'avait-il fait volontairement, conscient du désir de révolte grandissant au sein du Renon ? Le Grand Camérier se contenta de garder le silence suite à ces révélations mais en son for intérieur, il bouillonnait. En quelques mots en apparence anodins, Sylas avait anéanti leurs espoirs de prendre l'ennemi par surprise. Par chance, son interlocuteur lui tournait le dos à ce moment précis, l'empêchant de remarquer les lèvres pincées du Spectre. Mais alors que ce dernier s’appétait à reprendre la parole, quelque chose dans le timbre de la voix de l'Archevêque l'interpella. Une sorte d'hésitation en fin de tirade, bientôt suivi d'une perte d'équilibre. Un comportement qui ne laissait pas place au doute.

« Monseigneur ? Monseigneur ! »

L'autre avait-il bien fait de plaisanter au sujet d'un possible empoisonnement à son encontre ? Aucun deux n'avait de remède à portée de main. La situation était grave. Et d'un autre côté, que lui coûterait la mort de l'Archevêque ? Avec l'agacement que ce dernier avait fait naître en lui quelques secondes plus tôt, l'idée que la personne concernée soit actuellement en train de s'étouffer sous ses yeux avait quelque chose de réjouissant. Non. Il ne pouvait pas mourir avant d'avoir révélé tous ses secrets. Zéphyr eut tôt fait de combler la distance entre eux d'un pas rapide, son regard passant de la silhouette recroquevillée au sol au parchemin gisant sur la table et sur lequel la victime avait pris le temps de griffonner quelques mots. Les caractères inhabituels surprirent le Spectre. Cependant, passé l'étonnement, à mesure que ses yeux parcourent l'unique ligne manuscrite et que le sens du message s'imposait à lui, le Grand Camérier s'immobilisa de nouveau.

Celui qui lit ça est un con.

« … La facétie de Son Excellence me laisse sans voix. »

Se disant, il contourna la prétendue victime pour s'accroupir souplement face à Sylas.

« A l'avenir, je serai gré à Son Excellence de ne pas recourir à cette langue pour écrire pareils propos. Je suis d'ailleurs certain que Son Excellence de part son statut de représentant du peuple aramilan n'aura aucun mal à se relever sans l'aide d'autrui. »

Cela dit, Zéphyr se redressa dans la foulée, un dernier coup d’œil adressé au parchemin abandonné sur la table. Toute l'atmosphère solennelle et mystique du lieu venait de s'évanouir dès l'instant où ces caractères avaient surgi.

« Son Excellence ignorerait-elle l'histoire du garçon qui criait au Warg ? Il ne s'agit pas d'une plaisanterie à prendre à la légère. »

Toutefois, la farce de son interlocuteur eut le mérite de justifier la colère qui menaçait de transparaître sur les traits de son visage ainsi que dans le timbre de sa voix. Et s'il se prêtait volontiers à incarner une figure moralisatrice à cet instant précis, cela lui permit de masquer la véritable raison derrière son agacement. Le bas du dos appuyé contre le rebord en bois, le Grand Camérier observait toujours la silhouette de son vis-à-vis.

« Pour en revenir à ce que vous disiez plus tôt, votre homologue Epistote vous aurait-il confié à son tour les accusations qui planent sur Aramila ? Que certains reprochent au Concile  Œcuménique son silence quant aux agissements du 13ème Cercle ? Je doute qu'il vous ait fait part de ses inquiétudes quant à l'avenir de son pays. »

Il s'était juré d'en apprendre davantage sur la raison du déplacement de l'Archevêque jusqu'à ce marécage qu'était Epistopoli.
Dim 29 Sep - 20:00



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Sylas Edralden — Zéphyr






Le braséro, qui avait point en son fort intérieur, de manière si subite – à tel point que Sylas, pour dissimuler cette crise, dû faire croire à une mauvaise plaisanterie – diminua peu à peu. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas connu de crise du fait de la Nébula dont il était enceint. Le front perlant de sueur, le sourire aux lèvres, il se releva, l’air de rien.

« Que Son Éminence me pardonne. Moi Archevêque, qui reste un être humain avant tout, je me nourris de mon travail mais aussi de mes loisirs ; et l’un d’eux consiste à observer la réaction de marbre de Son Éminence face à mes pitreries. Si les rôles étaient inversés, je prendrais un malin plaisir à être ce bouffon qui amuse la cour de Son Éminence. Cependant… »

Il épousseta sa tenue, alors qu’ zâm, penaud, apparaissait à nouveau pour remplacer les verres. Voyant que Zéphyr n’avait pas touché au sien, il essuya une légère expression de tristesse sur le visage et en déposa un nouveau fuman à l’attention de Sylas, qui observa un mutisme religieux en la présence de cet hôte tiers qui s’en fut aussi vite qu’il eut venu.

« C’est à moi que revient le titre d’Archevêque, et toutes les écrasantes responsabilités qui s’en suivent. »

Il sentit un frisson lui parcourir momentanément l’échine. Alors, l’air de rien, il prit son nouveau verre et le sirota avec délicatesse, alors qu’on put percevoir une subreptice danse dans les flammes qui continuaient d’allumer les différentes bougies en ces lieux.

« Je pense Lady Brightwidge bien assez résiliente pour ne pas se laisser impressionner par quelque inimitié malvenue. Et puis, Son Éminence se rappellera que nous sommes tous des pitres aux yeux de la scène internationale, qui peinons à chasser le moindre grain de sable qui s’insinue dans nos plinthes. Nous vivons à la bougie. Nous tractons par le bétail. C’est ce qui fait de nous des derniers choix en tant que cible. Ce n’est pas sans évoquer Son Excellence Petro Dalmesca qui, en plus d’être un redoutable sophiste, saura certainement se montrer suffisamment vindicatif si de mauvaises âmes s’en prennent à sa famille. »

Il suspendit sa logorrhée alors qu’il observa ses écrits.

« La capacité de Son Illustre Éminence à casser ce cryptogramme aussi rapidement me laisse sans voix. Je l’avais appris par cœur pour l’occasion. À croire que Son Éminence avait anticipé ma plaisanterie. Je vais croire que c’est elle qui prédit mes prochains mouvements, et non l’inverse. »

Repensant à cette scène, l’Archevêque étira un long sourire et fit planer un autre silence, le temps de se désaltérer.

Sourire qui s’effaça incontinent. Comme s’il était frappé de quelque trouble psychologique.

« J’ai donc rencontré Herr Seraphah Von Arendt dans son hôtel, le Marquis, alors qu’il organisait une soirée de formalité autour des divinités. Officiellement, il voulait jouir de ma présence en tant qu’archevêque qui sait contempler les arts du monde. Officieusement, il m’a fait part de ces inquiétudes quant au Treizième Cercle.  Il n’a cependant, à ma connaissance, pas été fait mention du Concile ou de l’inertie d’Aramila. Herr Von Arendt m’a indiqué qu’il était inquiété par les actes du Treizième Cercle et du fait que l’Arbre Sacré, qui désormais souffre de l’absence d’une racine, devait être protégé coûte que coûte, car ces racines-là, elles-mêmes, repousseraient en fait la progression de la brume en nos terres. À l’instar des balises électrogènes qu’utilisent nos voisins maudits. Pour ma part, je lui ai fait par des doutes que j’avais sur Le Régent : certains indices me laissent penser qu’il soufre d’une affliction propre aux Portebrumes… En lui disant de prendre cette information avec précaution. »

Il se tut, laissant Zéphyr digérer cette élucubration, avant de poursuivre.

« Son Excellence sait-elle ce qu’est un Portebrume ? On raconte que c’est un hôte infesté d’un parasite appelé Nebula qui le fait inévitablement basculé vers un état d’ivresse destructrice qu’on appellerait “Errance”. Et se faisant, il ne répond plus de lui et sème un ineffable chaos sur son passage. Alors, et si Le Mandebrume était au crépuscule de sa lucidité ? S’il était une bombe à retardement ? Que devrions-nous faire en conséquence ? L’approcher à l’aide de je ne sais quel Nascent suffirait-il à le neutraliser ? Évidemment, je dois avoir tort, depuis ma cave ocre, sinon j’irais lui botter l’arrière-train, à cette immondice qui se croit au-dessus des Esprits mais dont les pensées linéaires n’ont pas même été capable de produire le moindre sillon spirituel et intellectuel. »

Il serra un instant le poing, à nouveau sous l’empire d’un nouveau vertige, mais celui-ci, il le contint.

« Je me suis égaré. J’ai fait savoir à Herr Von Arendt, en toute honnêteté, que la reprise du Renon m’intéressait plus que les méfaits du Treizième Cercle. Il y a déjà des fous présomptueux et hardis à leurs trousses et je me moque qu’Aramila soit vue comme passive au regard de “sauver le monde”. Monde que je n’ai jamais cautionné en l’état, ni avec les pratiques occultes de nos voisins, ni avec le Renon dans sa situation courante. Alors, à moins que Son Éminence n’ait d’autres questions sur ma sauterie avec Herr Von Arendt, je propose de creuser le sujet du Renon comme il m’est impossible de le creuser ni au Concile, ni à la Tribune. Et cette fois, en étant plus à l’aise. »

Il termina son verre qu’il reposa sur la table, après quoi il alla s’affaler, dans le coin de la pièce, sur des coussins disposés au-dessus de la tapisserie, expirant de soulagement.


Dernière édition par Sylas Edralden le Mar 1 Oct - 22:51, édité 1 fois
Lun 30 Sep - 21:52
Plus que jamais, les iris rubis épiaient le moindre des faits et gestes de l'Archevêque. Même les explications de ce dernier, si elles trouvaient écho aux remontrances du Spectre, passaient au second plan. Le rapprochement entre leurs deux corps n'avait duré qu'un bref instant. Pourtant, l'image des traces sombres au sol s'imprimaient très nettement dans son esprit. Petits disques humides qui trouvaient leurs origines sur le front perlant de sueur de son interlocuteur. Si ce dernier tenta d'en effacer les traces en réajustant sa tenue le plus naturellement du monde, le Grand Camérier ne releva pas ce détail. Pouvait-on simuler la sueur ? Pouvait-on aller aussi loin dans la comédie ? Zéphyr se vit arraché aux fils de ses réflexions pensives par le retour d'Âzâm. Voyant que le serviteur s'empressait de remplacer le verre de l'Archevêque par un autre tout aussi fumant que le précédent, le Spectre l'arrêta d'un bras tendu sur le trajet de l'homme. D'un simplement mouvement, le Grand Camérier lui fit comprendre qu'il désirait également un second verre. Ignorant le nouveau sourire empreint d'une joie sincère que son initiative fit naître sur les lèvres d'Âzâm, il reporta son attention sur la personne de son interlocuteur.

« Dois-je rappeler à Son Excellence que ce mode de vie simple reflète notre dévotion envers les Douze ? Qu'il n'y a pas de plus grand honneur pour un Aramilan ? A moins que nos ennemis épistotes n'aient réussi à vous convaincre du contraire après seulement quelques jours passés en leur infâme compagnie ? »

Sous couvert de fausse politesse, la menace était bien là. Sous-jacente. Pernicieuse. De tels propos dans la bouche d'un Archevêque relevait presque du blasphème. Et s'ils resteraient à jamais entre ses murs, connus d'eux seuls, le Spectre se permit une ultime remontrance. L'agitation de la Tribune n'était pas encore retombée que déjà, Sylas menaçait de créer une nouvelle tempête en prenant position de manière aussi marquée. Abandonnant momentanément son immobilisme, Zéphyr se saisit soudain du verre fumant déposé à son intention. Plus par habitude qu'autre chose, il en huma la surface pour déceler quelque odeur inaccoutumée synonyme de poison même s'il était aisé de rendre ceux-ci inodores, avant de boire une longue gorgée. Comme il s'y attendait, la température de la boisson ne l'incommodait pas. Ce simple constat lui jeta brutalement au visage sa condition actuelle en guise de rappel amer et il reposa vivement le verre sur la table comme s'il venait de se brûler à son contact.

« Et vous ne vous êtes pas demandé pour quelle raison il vous a fait venir personnellement d'aussi loin pour vous confier ses craintes au sujet du Treizième Cercle ? A vous ? Le dirigeant d'une nation en partie conquise par leurs armées ? Et dont les habitants ne sont que des pitres à leurs yeux, pour reprendre les termes employés par Son Excellence ? Ne trouvez-vous pas cela étrange ? »

Les intentions de ce Seraphah Von Arendt étaient peut-être louables au plus profond de son être. Il n'en restait pas moins qu'en surface, le doute était permis. Des préoccupations d'ordre religieux de la part d'un pays engagé dans une course à la technologie ? Existait-il sujet plus risible ?

« J'ai entendu des rumeurs en effet. Mais Son Excellence semble bien plus renseignée que moi à ce sujet. » Se disant, il marqua une pause. « Et si celles-ci se confirmaient concernant le Régent, cela n'est-il pas le problème d'Epistopoli ? Laissons-les donc faire une démonstration de leur maudite puissance technologique et disparaître avec elle. »

La tournure que prit alors leur conversation fit comprendre au Grand Camérier que la question de l'entrevue s'étant déroulée à Epistopoli était clause. Ce n'était pas grave. Le Spectre jugeait en savoir suffisamment pour enquêter de son côté.

« Comme il plaira à Son Excellence. » De son regard acéré, il suivit la progression de son interlocuteur, patientant jusqu'à ce que ce dernier soit installé, pour reprendre à son tour : « J'imagine que si nous nous retrouvons à parler du Renon ce soir, c'est que votre hôte n'a pas daigné s'engager sur un possible retrait de leurs troupes sur nos terres, je me trompe ? Vous avez essayé la voie diplomatique et cela n'a pas aboutit. Comme jamais avec ces gens-là. Mais s'il est indéniable que les agissements du Treizième Cercle sont problématiques, il est possible qu'ils servent nos intérêts. Nos ennemis semblent les craindre et ils feraient de parfaits boucs émissaires. Son Excellence n'est-elle pas d'accord ? »

Tout en parlant, il vint contourner la table une fois de plus, pour s'accouder contre le rebord de bois, face à l'Archevêque.
Lun 30 Sep - 22:23



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Sylas Edralden — Zéphyr






Sylas dardait un regard dur et impénétrable sur le Grand Camérier, alors à son aise la plus totale, affalé contre des coussins, les bras étendus et la posture décontractée.

« Son Éminence possède un don singulier pour la surprise. Je croirais presque qu’elle regretterait l’Âge Noir et l’Empire de Sancta. Si les Douze n’ont pas transmis leur pouvoir à l’Humanité, c’est bien pour que celle-ci trace son propre chemin. Et si nous savons qu’Opale fait fausse route avec son ingénierie occulte à jouer avec le Myste, qu’Épistopoli s’éprend des mêmes jeux dangereux, la confection de bougies ou l’utilisation de buffles pour tracter la denrée est-elle nécessairement plus louable ? Il n’y a strictement rien de vertueux ni à se maintenir dans la pauvreté pour justifier de je ne sais quel étalon de valeur morale. Autant qu’il n’y a strictement rien de vertueux à prêcher la vertu simplement parce que c’est écrit dans l’Ahad plutôt que d’aimer son prochain, simplement après avoir écouté son cœur. »

Il étira un sourire fin à Zéphyr, comme le défiant sur la morale.

« J’attendais précisément que nous ayions cette discussion. Car je vais revenir sur l’idée de Son Éminence que d’utiliser le Treizième Cercle plus tard – la décence m’interdisant de réagir à chaud sur ce sujet. Comme Son Éminence a tôt fait d’apprécier, j’ai fait mon possible pour n’invoquer nulle technique moratoire auprès des Tribuns. J’ai exposé des faits, insistant sur le fait que, mathématiquement, si notre démographie augmentait peu importe les causes, notre technologie risquerait de ne pas suffire à préserver une prospérité et une paix sociale qui nous permet à tous de nous épanouir aujourd’hui. C’est là que l’opposition s’est empressée de polariser le débat public avec un appel à la peur. Soit. J’ai décidé de battre en retrait. Mais face à Son Éminence, oh, non ! Que je la rassure et déconstruise son faux dilemme : nous pouvons tout à fait imaginer des systèmes respectueux de la faune et la flore aramilanes tout en conservant un mode de vie simple. Mais cela demande du courage, de la patience, de l’abnégation et, dans une moindre mesure, de l’amour. Son Éminence n’a-t-elle jamais aimé ? »

Il vida son verre d’une traite et le posa sur une table d’appoint, d’une façon autant énergique que Zéphyr avait manifestée.

« Herr Von Arendt n’a rien à voir avec le sort du Renon, et il n’est pas en mesure de nous aider. Et je ne me suis pas attendu qu’il se mette ne porte à faux pour nos beaux yeux non plus. Il a ses intérêts et nous avons les nôtres. Pour ce qui est d’utiliser le Treizième Cercle, seul un maître stratège de la trempe de Son Éminence a pu parvenir à cette idée, preuve de son génie redoutable et redouté. Elle n’est pas le Grand Camérier pour rien. Je déteste cette idée ! »

La sentence avait tonné dans la pièce. Elle semblait être tombée comme un couperet qu’on abaissait sur la tête d’un supplicier pour couper net ses vertèbres. Et comme si ça ne suffisait pas,  zâm se présentait à nouveau. S’il n’avait pas ouï ni lu sur les lèvres de Sylas ce qu’il venait de dire, il avait senti cet echo vibrer sur les murs opaques. Vibrer contre sa peau. Dans sa poitrine. L’archevêque demeura silencieux, ne quittant pas Zéphyr du regard. Il attendit qu’ zâm les débarassât et s’éclipsât.

« Toutefois je dois dire que la fin justifie les moyens et qu’elle est excellente. Alors s’il est question d’utiliser le Treizième Cercle comme bouc-émissaire, creusons la question. Eux comme certains Épistotes sont un cancer qui mérite d’être traité in fine. La prospérité du Renon comme le salut d’Aramila en dépendent, et rien n’importe plus à mon cœur aujourd’hui. Que je fusse conspué par mes citoyens ou non. »

À nouveau, cette douleur poignante qui le saisit au plexus. Il releva le menton pour exercer un contrôle, et comme pour défier, encore et toujours, Son Éminence du regard. Il ressentait de la haine, mais il était difficile de savoir contre qui elle était présentement dirigée.
Mar 1 Oct - 22:08
Un subtil changement dans l'air réveilla sa vigilance. Sans qu'il le veuille, quelque chose dans ses propos venait d'orienter son interlocuteur sur un sujet que le Grand Camérier se refusait d'évoquer avec le principal intéressé. S'il se reprocha d'en avoir trop dit, Zéphyr se contenta d'afficher une expression parfaitement neutre, soutenant le regard de l'Archevêque dans un silence impossible à déchiffrer pour ce dernier. Jusqu'à laisser un léger sourire renaître sur ses lèvres, à l'interprétation toute aussi énigmatique.

« Comment pourrais-je regretter quelque chose que je n'ai pas connu ? Son Excellence accorde bien trop de profondeur à mes doutes. Et contrairement à ce que semble penser Son Excellence, je n'ai nullement encouragé la pauvreté aramilane. Je me montre simplement... » Il parut chercher ses mots l'espace d'un instant. « Dubitatif sur la capacité à moderniser notre belle nation sans tomber dans les dérives qu'ont connu nos voisins. L'Histoire nous l'a démontré. Notre foi nous protège de la Brume. Que ferez-vous quand les travaux de vos illustres génies attireront la Brume sur Aramila ? Opale s'est cru capable de la contrôler et la voici à ses portes. »

La réponse ne tarda pas à franchir les lèvres de Sylas. Imaginer des systèmes respectueux de la faune et de la flore ? Était-ce là l'aspiration de leurs voisins avant qu'ils ne se fassent rattraper par leurs ambitions démesurées ? Le Spectre n'était pas convaincu mais il se résolut à laisser faire l'Archevêque. S'il pouvait condamner certaines des initiatives de l'homme, Zéphyr était persuadé en son for intérieur que ce dernier pouvait encore le surprendre. Et de la meilleure des manières. Alors pourquoi ne pas lui donner une chance ? Jusqu'alors, le Grand Camérier avait joué le rôle qui était le sien : conseiller les dirigeants d'Aramila dans l'ombre de ses dirigeants. Libre à Sylas de tenir compte de ses recommandations ou non. Mais une soudaine question dans la bouche de son interlocuteur lui tira un tressaillement involontaire.

Son Éminence n'a-t-elle jamais aimé ?

Des images s'imposèrent immédiatement à lui. Des souvenirs ressurgis d'une époque désormais révolue. Vestiges d'un passé qu'il préférait désormais enfouir quelque part dans les dunes d'Aramila.

« Jamais. » répondit-il d'un ton cassant.

Douce vérité que le mensonge. Le Spectre en avait ponctué ses propos par centaines. Cela n'aurait pas dû le perturber à ce point. Et pourtant, il sentit le goût de l'amertume envahir sa bouche.

« L'amour apporte son lot de souffrances. » Si l'autre voulait jouer à ce petit jeu, alors ils seraient deux. « Je ne peux pas me permettre qu'elles affectent mon jugement alors que Son Excellence sollicite mon humble compagnie. »

Ce sujet clos, ils purent en revenir au nœud du problème. Et la réaction de l'Archevêque, autant justifiée qu'elle demeurait, aurait pu lui arracher un soupir d'ennui. Indifférent à l'exclamation qui tonnait à la manière d'une sentence, le Grand Camérier accusa le coup sans broncher, patientant volontiers le temps que le serviteur les débarrasse avant de s'éclipser.

« Sauf votre respect, la question n'est pas de savoir si l'idée vous plaît mais si elle peut vous permettre de parvenir à vos fins. » répliqua-t-il dans un détachement glaçant caractéristique de sa personne.

Qu'il était louable de se couvrir de beaux principes alors que le désespoir privait un homme de tout honneur. Ce même désespoir que le Spectre avait pu contempler à loisir chez son interlocuteur. Celui qui façonne à jamais un individu. Et si Sylas refusait de se salir les mains, le rôle lui reviendrait. Cela avait toujours été et continuerait. Certainement l'unique raison pour laquelle on pouvait craindre Aramila. Sa milice de l'Ombre. Ses espions et plus encore, ses assassins. L'idée parut faire son chemin dans l'esprit de son interlocuteur, pour la plus grande satisfaction de Zéphyr.

« Ils nous ont donné un aperçu de leurs méthodes. Nous n'avons plus qu'à nous en inspirer pour agir à notre tour et leur imputer nos actions pour converger l'hostilité sur eux. Son Excellence a-t-elle pu en apprendre davantage à leur sujet au cours de sa visite ? »

Si Seraphah Von Arendt les craignait suffisamment pour se risquer à confier ses inquiétudes à un dirigeant d'Aramila, peut être pouvaient-ils en exploiter quelques indices ? A moins que ce ne soit un piège tendu par l'ennemi ?
Mar 1 Oct - 22:45



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Sylas Edralden — Zéphyr






« Son Illustre Éminence dit ne pas encourager la pauvreté aramilane. Ainsi elle reconnaît qu’elle existe en nos terres. Moi, je parle à Son Éminence de la supprimer. Factuellement, les immigrés viennent chez nous parce que, au-delà leur volonté d’adhérer à un projet spirituel qui les dépasse — soutenu tant par l’église panthéiste que d’autres courants tels que le kobolisme — il y a, souvent, des raisons plus pragmatiques à leur émigration : ils fuient une situation de misère, de vide, de perte de sens qu’ils retrouvent chez nous. Je comprends le doute de Son Éminence sur la possibilité de nous élever sans tomber dans les travers de nos voisins, et les exemples historiques sont un argument de poids. »

L’air solennel, il porta son nouveau verre à ses lèvres, remettant de l’ordre dans ses pensées.

« Cependant, l’argumentaire de Son Éminence a des failles. Et si je n’ai pas été en mesure d’avoir pris le temps de me battre contre la litanie d’arguments fallacieux qui m’ont été opposés lors de la Tribune, Son Éminence ne réchappera pas à cet exercice dialectique qu’il m’est donné d’observer, notamment en tant qu’Archevêque d’Aramila. »

Soutenant le regard de son vis-à-vis, il marqua un bref silence, le menton relevé.

« Oui, Je rappelle ponctuellement à Son Éminence mon titre, eu-je fait étalage arrogant d’un statut qui est mien. Parce que ce statut-même s’accompagne du devoir de dissiper, sans ambages, les moindres failles de raisonnement et les moindres ambiguïtés qui s’immiscent dans nos propos. Ainsi Son Éminence dit que notre foi nous protège de la Brume. Soit. Alors je dirai naïvement à son Éminence que si avoir la foi et chercher à maîtriser le myste ne sont pas contradictoires, alors tout ira bien. Car j’ai la foi. Mais il va sans dire que Son Éminence n’acceptera pas ce syllogisme faillible. Tout comme elle doit refuser celui qui stipule que tous ceux qui étudient le myste n’ont pas la foi. La foi s’arrête là où certains présomptueux pensent tirer avantage d’un phénomène qui résulte de l’empire de la Malice. Et nous, Aramilans, avons le devoir de nous interroger sur nos motivations et d’être différents de ces fous. »

Son visage s’assombrit momentanément. Il rappela à Zéphyr qu’il était invité, au gré de ses envies, à s’affaler aux côtés de Sylas, dussent-ils tourner un peu plus la tête pour s’observer, mais ayant loisir à étaler tout leur séant sans que l’un n’empiétât sur l’autre.

« Je suis surpris que Son Éminence n’ait jamais aimé alors qu’elle prêche la foi en plus de condamner ceux qui n’observent pas de piété aussi forte que la sienne. L’amour, comme la haine, sont des sentiments humains, et moult passages de l’Ahad rappellent des anecdotes ou des personnages se sont aimés comme se sont haïs. Deux facette d’une même pièce ; celle de Son Éminence serait-elle pipée ? »

Il se rafraîchit le gosier avant de poursuivre.

« Voici ce que j’ai appris au sujet du Treizième Cercle lors de ma virée en Épistopoli : le Treizième Cercle serait à l’origine d’un attentat consistant à couper une racine de l’Arbre Dieu, ce qui a eu pour conséquence immédiate de faire progresser la Brume un peu plus en direction d’Opale. Son Éminence disait, plus tôt, que notre foi nous protège de la Brume. Puisse-t-elle avoir raison, indépendamment des sévices que des sots feraient subir à l’Arbre Dieu… Qui se retrouve en Opale, pour ne rien arranger. Sans détour : le Treizième Cercle veut plonger nos terres et celles de nos voisins dans la Brume. Je me contrefiche de leurs raisons, mais je ne les laisserai faire ni pour Aramila, ni pour nos voisins, précisément pour toutes les raisons que j’ai citées précédemment : reprendre le Renon avant la chute du Mandebrume, continuer de faire prospérer Aramila et ne pas nous retrouver submergés par des vagues migratoires à cause des entreprises de ces engeances. »

Il se releva et en profita pour s’étirer après tout ce presque monologue. Il se tourna de nouveau vers Zéphyr.

« Aussi surprenant que cela puisse paraître, quand bien même ne suis-je pas informé des agissements de Son Éminence, je caresse le rêve de pouvoir l’accompagner sur le terrain, un beau jour. À moins qu’elle considère que son Archevêque n’est qu’un vieux crouton incapable. La Tribune a eu sa dose de démocratie dernièrement, sans parler du Concile dont il ne faut point troubler la quiétude lors de ses petites réunions, si Son Éminence voit ce que je veux dire. »
Jeu 3 Oct - 23:50
« … Je crois me souvenir que Son Excellence m'avait promis une entrevue détendue. Le sens de la facétie de Son Excellence semble ne pas avoir de limites. »

La tournure que prenait leur conversation laissait le Grand Camérier un peu perplexe. Son interlocuteur le premier n'avait-il pas manifesté le souhait de poursuivre sur le sujet de la reconquête du Renon ? Le Spectre avait beau retourner leur problème dans tous les sens à l'intérieur de son esprit millénaire, il ne voyait actuellement pas de lien logique entre la reprise du Renon et l'immigration dont Aramila faisait l'objet. Si la seconde pouvait les aider faire revenir la religion sur le devant de la scène, elle n'impactait pas directement la situation au Renon.

« Si je comprends bien, vous condamnez la pauvreté aramilane pour mieux satisfaire les désirs des étrangers venus s'installer sur nos terres. Il s'agit là d'un cheminement étrange, de se préoccuper davantage des conditions de vie de simples immigrés plutôt que celles de son propre peuple. Mais je présume que les intentions de Son Excellence s'appliquent à tous dans la finalité de ses ambitions. Du moment que vos décisions sont prises pour le bien d'Aramila, je n'ai rien à y redire. »

Pour ce qui était de les mettre en pratique cependant... Puisque l'Archevêque n'avait pas daigné lui part de projets concrets en vue de balayer ses doutes, il ne faisait aucun doute que ce dernier rencontrerait de nombres opposants sur la longue route du progrès. Celle-ci promettait d'être semée d'embûches. Il ne lui restait plus qu'à faire ses preuves en réussissant à convaincre ses détracteurs de se rallier à sa cause. Le pourrait-il ? Seul l'avenir le démontrerait. Toutefois, le débat lancé autour de la foi raviva de son intérêt. Tout le contraire de la pique adressée à son encontre concernant sa capacité à aimer. Les émotions survivaient-elles au temps ? Pour sa part, Zéphyr avait vu les siennes s'étioler avec les années, les siècles... emportant ce qu'il lui restait d'humanité. Son interlocuteur pouvait bien le railler à ce sujet. A ses yeux, l'Archevêque n'était qu'un grain de sable dans le désert d'Aramila. Celui-là même qui réussirait peut-être à se glisser dans la machine bien rodée du Concile et qui était la seule raison pour laquelle le Spectre lui prêtait de l'intérêt. Tout en gardant cette pensée en tête, le Grand Camérier adressa un sourire poli à son vis-à-vis.

« Que Son Excellence me pardonne, je n'ai pas suffisamment développé mon propos. La foi est un recueil de convictions mais pas seulement. Elle s'accompagne de respect et de crainte pour ceux dont elle tire son existence même. La Brume, la Malice... Que sont-elles si ce n'est l'ennemie commune aux Douze ? Notre foi se doit d'être rigoureuse, autant dans ses prières autant que dans ses actes. Mais nous nous éloignons du sujet. Je vous laisse le réserver pour débattre auprès des Tribuns. Après tout, n'aviez-vous pas à cœur d'évoquer la situation du Renon ? » conclut-il d'une voix trop douce pour ne pas être dénuée de sous-entendus.

Sa main trouva son chemin jusqu'au verre qui avait perdu de sa chaleur au cours de leurs échanges, pour le porter à ses lèvres, occupant celles-ci alors que Sylas poursuivait au sujet des agissements du Treizième Cercle. Si les raisons derrière l'attention dont l'Arbre Dieu avait fait l'objet, semblaient plus qu'évidentes, le Spectre réalisa soudain la conclusion auquel son interlocuteur était parvenu. Le verre se détacha brusquement de ses lèvres alors qu'il interrogeait soudain :

« Craignez vous qu'Aramila devienne la cible de vagues migratoires en raison des agissements du Treizième Cercle ? »

Cette idée même allait à l'encontre de tout ce qui s'était dit ce soir, à l'abri des murs épais du palais du Concile Œcuménique, à présent plongé dans une douce quiétude à mesure que la nuit étendait ses ombres. L'Archevêque le premier l'avait répété : Aramila était méprisée par ses voisins à cause de son retard technologique frôlant la caricature. Et si les Aramilans s'en accommodaient, quel intérêt y trouveraient les immigrés ? La paix ? Étaient-ils à ce point désespérés pour renoncer à leurs anciens mode de vie pour trouver la paix ? Cela était difficilement crédible. Toutefois, Sylas semblait s'en faire une crainte légitime. Zéphyr laissa son regard se perdre quelques secondes dans le restant de liquide contenu dans le verre. La couleur sombre de celui-ci couplé à la pénombre tout juste chassée par les flammes dansantes des bougies, renvoyait l'impression que le fond du verre s'étirait à l'infini. Il fut arraché au fil de ses pensées silencieuses par la voix de son interlocuteur.

« Loin de moi l'idée de penser que Son Excellence est... un vieux crouton incapable pour reprendre les termes de Son Excellence. Mais si mon humble personne est remplaçable aux yeux du Concile et plus encore, Son Excellence ne l'est pas pour le peuple d'Aramila, dont vous représentez la voix. Vous seul êtes capable de diplomatie envers nos ennemis. Je ne peux pas faire courir un tel risque à Son Excellence, qu'elle veuille bien me le pardonner. Pour le bien d'Aramila, vous incarnez cette figure de dirigeant sur la scène internationale alors laissez-moi me salir les mains dans l'ombre de vos intérêts. » Se disant, il reposa le verre pour se décoller du rebord en bois de la table. « Avec votre permission, je vais enquêter sur le Treizième Cercle, m'assurer qu'aucun de ses membres ne foule le sol d'Aramila et traquer les téméraires qui s'y seraient risqués. »

Seul un naïf choisirait d'écarter ces hérétiques de l'équation qui se jouait actuellement en Uhr. Et si la menace qu'ils représentaient pouvait être réduite à néant en se donnant les moyens nécessaires pour y parvenir, peut-être pourraient-ils servir à ses desseins.
Dim 6 Oct - 22:32



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Sylas Edralden — Zéphyr






« Allons, allons. Ces questions au-delà des affaires politiques n’engagent pas de réponses décisives. Que Son Éminence se rassure sur la chose, autant qu’elle se rassure sur le fait que je ne favorise pas l’immigration au dépend de la pauvreté aramilane. Le manque de sommeil a cette fâcheuse particularité de ne pas aider à la communication, alors concentrons-nous sur l’essentiel. »

Il en profita pour se poser à nouveau, ne quittant pas Zéphyr des yeux.

« Je demande à Son Éminence de faire la lumière sur les intentions de Borge. Avant de savoir si je peux bénéficier de son concours pour reprendre le Renon, je dois m’assurer qu’il ne s’agit pas d’un félon qui sert ses intérêts personnels avant de servir ceux de notre nation. »

À nouveau,  zâm entra dans la pièce. Sylas le suivit du regard, l’affublant d’un sourire et esquissant un signe de suffisance quant aux boissons. L’archevêque s’était correctement rafraîchi. Malgré la présence de son serviteur, il continua de parler.

« La Brume… La Malice… Leur existence est réelle, tout comme celle de l’Arbre Dieu. Ces éléments font indiscutablement parti d’un tout mais cela ne signifie pas qu’il faut s'accommoder de ce tout. Le panthéisme révère les Esprits comme les précurseurs de l’humanité. Mais si nous étions si parfaits, alors pourquoi, au nom des Douze, certains de nos frères et sœur s’égarent dans la Malice ? Nos créateurs voulaient empêcher une nouvelle dérive, voilà que les êtres humains souhaitent reproduire ce qu’un de leur prédecesseur a fait. Consigner dans un texte sacré que la Malice est mauvaise n’est manifestement pas suffisant. Et si pour être total il fallait être ensemencé tant des principes des Esprits que celui de la Malice ? Est-ce que Le Régent s’est posé toutes ces questions ? De même que la religion n’est pas innée mais transmise, la Malice est un virus qui s’insinue dans les esprits innocents pour les corrompre, et même si ceux-ci sont au fait des lois et des préceptes de l’Ahad. Après tout, ce qui est interdit est attrayant, n’est-ce pas ? »


Âzâm, comme s’il eut entendu Sylas, se retourna vers lui pour l’affubler d’un haussement d’épaule indifférent avant de disparaître.

« Je ne crains pas qu’Aramila devienne la cible de vagues migratoires en raison des agissements du Treizième Cercle. Je sais que ce sera le cas. Ce que je crains, c’est que nous finissions tous dans la Brume. »

Il se leva à nouveau.

« C’est ce hors sujet qui avait vocation à détendre l’atmosphère ce soir. Parler constamment de géopolitique me fatigue, quand bien même rien ne me ferait plus plaisir que de voir le visage du Régent face à sa défaite lorsque nous aurons repris le Renon. Je concède à Son Éminence que c’est mon second vœu le plus cher. Le premier étant une quête personnelle à laquelle je vais m’employer seul, spécifiquement pour prouver au Grand Camérier que mon existence n’est pas moins précieuse que la sienne autant que je suis capable de parvenir à mes fins si je prends des risques. L’inertie a assez duré. Si Son Éminence se considère remplaçable aux yeux du Concile, pense-t-elle bien que j’ai un avis bien différent sur la question. »

Il rehaussa le menton, comme pour attirer davantage l’intention de Zéphyr.

«  Son Éminence a carte blanche au regard du Treizième Cercle. Entre temps, je lui demande de me laisser vaquer à quelque occupation personnelle et de ne pas interférer dans mes desseins, ni de me surveiller sous prétexte d’assurer ma sécurité. En échange de quoi… Rien, tout simplement. Je n’agiterai aucune carotte devant Son Éminence pour la motiver. Disons que je lui demande une faveur. Alors, avant que je prenne congé, saurait-elle me faire part de ses sentiments ? »
Jeu 10 Oct - 22:57
Sa décision était prise depuis que la sujet de la reconquête du Renon avait été abordé entre eux. La seule évocation de l'agitation survenue lors de la Tribune n'était qu'un prétexte. Un moyen d'amener son interlocuteur à prononcer les mots qu'il attendait. Ceux qui transformeraient ses desseins personnels en directives extérieures. L'occasion d'offrir à l'Archevêque, l'illusion de contrôler ses agissements. En guise de première réponse, Zéphyr inclina légèrement la tête, satisfait de la tournure que prenait leur conversation, même si celle-ci semblait toucher à sa fin.

« Il en sera fait selon vos ordres. »

L'éternelle attirance pour l'interdit ? Était-ce en référence à cette prétendue théorie que les contraires étaient faits pour s'attirer mutuellement telles les deux extrémités d'un même aimant ? S'il se refusa de répondre à la question de Sylas, laquelle n'en était vraisemblablement pas une à ses oreilles, le Spectre s'autorisa toutefois un souhait silencieux derrière un sourire empreint de mystère : celui de faire de ce monde nageant en pleine déliquescence religieuse, un retour aux sources, celle de la Foi. La Vraie et l'Unique. Un monde où les hérétiques et les orgueilleux se pensant capables d'égaler les Esprits, n'auraient pas leur place.

« Dans ce cas, puissions nous avoir pitié de ces faibles esprits le jour où ils rencontreront leurs Créateurs. »

Car ce jour risquait d'arriver plus rapidement que prévu. Mais cela, le Grand Camérier se garda bien d'en partager l'intime conviction avec son interlocuteur du moment. Son verre n'avait pas vu disparaître l'intégralité de son contenu que Zéphyr se voyait débarrassé de celui-ci en même temps qu'Âzâm réapparaissait furtivement pour la troisième et dernière fois au cours de leur rencontre secrète. Un élément raviva cependant son intérêt au travers des propos de l'Archevêque. Même l'autorisation dont il se vit gratifié généreusement à l'encontre du Treizième Cercle ne suffit pas à détourner son attention. A la manière d'un os à ronger qu'on lui lancerait, le carnivore lorgnait désormais sur un plus gros gibier. Le Spectre soutint le regard de Sylas, observant les faits et gestes de ce dernier sans esquisser lui-même le moindre mouvement.

« Se pourrait-il que cette quête personnelle concerne Aaron Leonhardt ? » demanda-t-il le plus innocemment du monde.

Par expérience, Zéphyr connaissait les réactions qu'un tel nom provoquerait sur l'Archevêque. Même si ce dernier n'en ferait pas la démonstration, le Grand Camérier pouvait ressentir toute la haine qui le traverserait à cet instant précis. Un spectacle pour lequel il n'éprouvait plus le moindre intérêt tant ce genre de sentiments en devenaient prévisibles. Seules les conséquences le passionnaient véritablement. Un homme blessé dans sa chair et son être était plus dangereux que tout. Et s'il se trompait ? Et si les occupations personnelles de son interlocuteur poursuivaient un tout autre but ? Qu'osait-il lui dissimuler de la sorte et de manière aussi flagrante ? La frustration n'avait d'égale que la curiosité. A lui en faire perdre la tête.

« … Je crains qu'il ne me soit pas permis d'apporter mon concours à la quête de Son Excellence, même de loin, après m'être vu confier autant de missions par Son Excellence elle-même. »

Mensonges. Ils couraient sur sa langue avec une facilité déconcertante. Sournois comme ses intentions cachées. Ses yeux et ses oreilles le suivraient partout où il irait. Et ce, sans même que le principal intéressé s'en rende compte. La réputation des Caravaniers n'était plus à faire et ils tiraient leur force de la crainte qu'ils inspiraient à travers elle. A juste titre. L'Archevêque répondant au nom de Sylas Edralden n'y ferait pas exception.

« Mais puisque Son Excellence m'invite à lui faire part de mes sentiments... Quelle raison souhaite-t-elle donner à ceux et celles qui m'interrogeraient sur sa possible absence à venir ? »

Une manière délicate de rappeler à son interlocuteur qu'il n'était pas le seul avec qui le Grand Camérier était amené à échanger parmi les membres du Concile.
Lun 14 Oct - 21:35



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Sylas Edralden — Zéphyr






Soucieux de sa future besogne, il avait tourné le dos à Zéphyr et commençait à s’éloigner, à se faire happer par les ténèbres dans lesquelles baignait le couloir d'où il était venu.

« Se pourrait-il que cette quête personnelle concerne Aaron Leonhardt ? »

La question eut comme l’effet d’un coup de tonnerre qui foudroya Sylas sur place. Il s’arrêta net, raide, serrant le poing. L’évocation de ce nom fit défiler une multitude d’images mortifères dans son esprit, quand bien même il lui était facile de se souvenir de la présence salvatrice du Grand Camérier à ses côtés en ces temps critiques.

Encore, cette ineffable douleur, il la sentait poindre en son for intérieur, en proie aux flammes d’une haine qui ne demandait qu’à consumer, d’une colère qui ne demandait qu’à être exprimée, d’une errance qui ne demandait qu’à semer l’insoutenable désolation qu’il avait ressentie il y a quelques années.

Mais ça n’était pas le moment de fléchir, et certainement pas en présence de pareil hôte.

Après avoir laissé planner un silence presque funeste, il s’exprima en ces termes, d’une voix presque nouée.

« La présence de Son Éminence à mes côtés est d’une valeur inestimable, cependant, cet individu m’a pris ce que j’avais de plus précieux au monde. Aussi, je saurai gré à Son Illustsre Éminence de taire le nom de l’assassin de ma fille en ma présence. Et au vu de sa capacité à deviner mes desseins, j’ai l’intime conviction qu’elle saura trouver, d’elle même, quelque prétexte pour expliquer mon absence auprès du Concile Œucuménique. »

Il prit une longue inspiration avant d’ajouter :

« Je serai seul dans cette entreprise. Les Douze me laissent à mon sort ; aussi puissent-ils préserver Son Éminence jusqu’à notre prochaine entrevue. »

Et, sans autre forme de cérémonie, il disparut, laissant sa silhouette disparaître dans l’obscurité.