Light
Dark
Bas/Haut

Remède Empoisonné

Remède Empoisonné Brandw10
Mar 30 Juil - 15:38



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



Ce fut une bien longue année, bien remplie de bonnes choses.
L’automne déjà bien avancé annonce déjà le début de l’hiver. Il n’oubliera pas non plus son engagement auprès d’Ellendrine pour une excursion dans la forêt de l’arbre-dieu qu’il prépare intérieurement depuis des mois. Comme tous les ans, l’élémentaire s’accorde à un exercice quotidien. Recharger ses batteries pour le prochain hiver, tout en augmentant chaque année ses capacités.

Un réservoir qu’il gonfle depuis plusieurs dizaines d’années. Une rivière creusant son lit pour en augmenter son débit.
Peut-on juger d’une telle pratique quand on en voit le résultat chaque année. La parure de l’apothicaire est toujours plus fournie, de plus en plus recouverte au fur et à mesure que le temps passe. Se rappelle-t-on de ses premières années en tant qu’apothicaire où il ne possédait qu’une vingtaine de roses à cette même période ? Par instinct et adaptabilité, aujourd’hui cette parure orne la chevelure d’argent sur toute sa surface. Toute bien ouverte tout au long de la journée, un buisson aussi garni mériterait une photo ou une peinture que l’on approcherait tel une œuvre d’art à tel point que cela semble irréel.

On frappe à la porte. Non que ça ne soit pas rare, les clients venant surtout de Doucerive sont communs quand ils manquent d’un remède bénin ou font une demande particulière. C’est dans ce domaine que l’apothicaire Balibe Duscisio a su se démarquer dans la région.
Cette fois-ci, il s’agit d’un courrier. Les demandes venant de loin, Xandrie comme partout ailleurs, sont un peu plus rares. La proximité des commerces y est pour beaucoup, sans pour autant le déranger. Malgré la capacité de l’homme d’inventer de nouveaux moyens de transport toujours plus rapides et sophistiqués, elles n’ont fait qu’arranger les échanges. Enfin, tant qu’elle n’approche pas de lui, il n’aura rien à y redire.
La personne qui frappe à nouveau à la porte n’est autre qu’un facteur. Seulement, il frappe dans le vide puisque le propriétaire des lieux se trouve à l’extérieur. Il n’a pas dû le voir. Confondu avec le mur, du côté opposé de la voie de circulation. Duscisio a fini par réagir quand son nom de famille a été prononcé, en hurlant même.

- Balibe Duscisio, du courrier pour vous !

D’habitude, une lettre est laissée au pas de la porte. Il est curieux de savoir pourquoi il ne se contente pas de cette manœuvre simple plutôt que de crier sous tous les toits d’une lettre à son nom.

- Inutile de crier, je suis là…

La voix douce, adulte et mature surgit de nulle part au point de faire sursauter le facteur avant de lui tendre la lettre en question. S’il n’a pas répondu dès qu’il a commencé à frapper, c’est que son activité actuelle se résume à préparer l’hiver et un prochain voyage. Il ne prend pas beaucoup de commandes non plus à cause de cela.
Il retire ses gants de jardinage avant de saisir la lettre. Elle devait être importante, très importante. Si bien que la garantie d’être remise en main propre est tenue au pied de la lettre. Le facteur du jour repart une fois sa mission terminée. Il n’y a pas d’expéditeur sur le papier, mais elle est signée d’une branche de Fuschia.

-- -- -- -- -- --

Maître Balibe,

La saison est douce pour ces mois frais. Parfait pour un thé, n'est-ce pas ?
Rencontrons-nous enfin pour discuter affaires — ma mère ne sera des nôtres, mais regarder les fleurs d'hiver nous fera penser à elle.
Puissiez-vous aller bien - à notre future entrevue.


-- -- -- -- -- --

Depuis combien de temps n’a-t-il pas vu une telle écriture ? Cela doit remonter à quelques années déjà. L’encre violette glisse sur un papier jugé précieux. Les mots reflètent bien la grâce de son auteure que l’on en imagine déjà ses quelques traits. Il y a très peu de texte, mais cela suffit à donner énormément de détails.
Nue Fà a été une cliente très raffinée à leur première rencontre. À cette époque, Duscisio commençait dans le métier et il en savait déjà beaucoup plus que le commun des mortels ou le plus chevronné des chercheurs. Cette famille sait donc à qui cette lettre est adressée.
Nue Fà a eu une fille. Il l’ignorait jusqu’à aujourd’hui. Quant à ses activités, ils en discuteront à son arrivée.

- Une Pandora ne fleurit qu’une fois par an. Dit-il calmement. Laissons faire le temps.

Il ignore s’il a déjà entendu cette expression ou l’a simplement inventée. Le côté poète de l’élémentaire a un côté charmant. Il préparera tout de même une table, bien qu’usée par le temps qu’il laissera dehors. Décorant un peu pour cacher le côté vieillot que laisse apparaître un herboriste sans la moindre notion de temps. Même si la saison ne s’y prête pas, parler à l’extérieur pour une dame de la noblesse sera plus agréable que l’intérieur négligé, mais propre. L’odeur de diverses plantes peut aussi bien envoûter que prendre au nez.
Si l’on compare l’entretien parfait de son chariot avec sa demeure, on ne doute nullement de son train de vie. Il fera en sorte de masquer certaines odeurs en faisant cuire des plantes comme s’il fabriquait un parfum. S’il ne se contente que d’eau sucrée, lui proposer une telle boisson ne serait pas très avisé. Peut-il la séduire un minimum pour faire bonne impression en allant chercher conseil auprès d’un marchand de thé dont il pourrait aller chercher de lui-même les feuilles et les faire sécher. Aussi, il profitera de ce trajet pour laisser son cheval à un maréchal ferrant en lui annonçant son prochain voyage. Le chariot restera chez lui à l’abri sous une tonnelle qu’il a pris le temps de faire ces dernières semaines.

À ce jour, et en attendant l’arrivée prochaine de la famille Fà dans sa demeure, l’apothicaire est en train de finaliser ses préparatifs. Tout ce qui se trouvait dans le seul moyen de transport à disposition est entreposé et rangé dans la petite maison. Auparavant vide, elle laisse le lit, la table et la cheminée, accompagnées de nombreux vêtements accrochés à des branches épaisses qui servent de meubles que seul un élémentaire plante serait capable de fabriquer.
La table attend à l’extérieur. La façade est agréablement décorée de quelques plantes d’automne. Le service à thé qui lui a été prêté est caché sous une cloche sur cette même table pour ne pas prendre la poussière. Le facteur de la dernière fois lui a annoncé sa venue dans la journée. Le rosier blanc restera peu actif et se limitera à s’habiller de son plus beau vêtement immaculé pour correspondre avec la noblesse de la famille qu’il s’apprête à rencontrer.
En fit-il un peu trop ? Peut-être. Il ne sait pas lui-même comment procéder. Aurait-il pu se contenter du plus simple, mais au vu qu’il possède déjà quelques vêtements soignés, autant en profiter pour les mettre de temps en temps. Ses fleurs sont également encore un peu endormies. La parure ne se dévoilera qu’en entendant arriver la jeune femme dont le transport s’entend de l’extérieur. Il sort et s’apprête donc à l’accueillir, soupirant en signe de chance et d’une certaine tension.

Ven 2 Aoû - 14:00

Fàçonner des alliances

Charmant vent d’hiver, emporterais-tu dans ton sillage le parfum du printemps?


Lan-Lan, sais-tu à quel point il est difficile de trouver des fournisseurs fiables, de nos jours?

Elle n’avait pas quinze ans - front jeune, pâle, deux yeux lavandes, des joues doucement rosées. De la noblesse, elle était déjà un parfait produit. Des Fà, elle était une apprentie chevronnée. Et devant elle, professeure charmante, Nue Fà s’activait devant une grande bibliothèque où s’entassaient des siècles d’ouvrages - la thématique était certaine, toxique, fiévreuse. Léthale.

On n’en trouve plus beaucoup - le Guet a durci sa poigne autour du cou des agriculteurs et des petits producteurs de plantes rares. Les braconniers ne se risquent plus à s’éloigner de l’enclave depuis la chute de Dainsbourg. Et pour trouver la moindre créature, il faut tout de suite sortir les astras pour s’offrir les services de mercenaires aguerris.

Ses doigts de biche agrippèrent un épais almanach poussiéreux à la reliure aussi sombre que la nuit. Une bible pour les connaisseurs. Un compendium détaillé écrite de la main des Fà, de génération en génération, d’échec en succès. Le résultat d’années de tentatives, de recettes fructueuses, d’expériences parfois fratricides, parfois assassines, parfois ratées.
Heureusement pour eux, ce temple du savoir profane demeurait enfoui sous le reliquaire, véritable bibliothèque à substance, caché dans le cœur même du manoir Fà. Un secret pour la majorité de ses membres, accessible seulement des premières nées, et du chef de famille. Au milieu de ce dédale impie, Nue était une muse, une habile fille de l’air qui faisait presque partie des murs, qui évoluait comme si tout ce monde venait d’elle et d’elle seule. Secrètement, sa fille espérait un jour avoir autant d’aisance, autant de facilité à s’y retrouver, elle qui peinait encore à bien tout mémoriser. Mais ça ne serait qu’une question de temps. Dans trois ans, tout ceci serait sien, après tout.

Dis-moi, à quoi sert la persistante?

Interrogation surprise - mais savoir connu. Lan-Lan se met immédiatement à réciter, comme un poème, tout ce qu’elle sait de cette petite fleur noire.

La persistante est une plante succulente qui ne pousse que dans la cendre ou dans un sol touché par un feu de forêt - elle ne mesure à floraison qu’une dizaine de centimètres depuis la tige et sa fleur ne fait qu’une demie dizaine de centimètre de diamètre. Dans la confection des poisons et des drogues, elle est un ingrédient primordial car elle permet à la substance de devenir indétectable.

Un sourire se dessina sur le visage maternelle.

Précisément. Nue eut l’air satisfaite, et elle déploya à ce moment la page de la petite fleur à la page précise que son engeance venait de citer au mot près. Je vais devoir refaire le stock prochainement - bientôt, ce sera ta tâche. Comme c’est devenu une véritable épreuve… Heureusement, j’ai réussi à trouver un fournisseur de qualité. Son visage prit une couleur ravissante, un air satisfait qui irradiait sur chacun de ses traits pour les rendre plus charmants encore. Tu apprendras qu’il est primordial de traiter ses fournisseurs avec le plus grand soin. Une belle relation t'apportera autant de laurier.

* * *

L’air frais de la campagne lui fouettait les joues - cela faisait quelques lustres qu’elle ne s’était pas aventurée aussi loin de Xandrie. Du moins, aussi loin et dans les frontières de la nation. L’hiver approchait doucement, l’air frais avait une odeur de foin et de terre sèche. Un vrai délice loin de la boue et des goudrons de la capitale qui allait de plus en plus vers l’industrialisation. Le visage de la Belladone était à moitié sorti par la fenêtre, contemplant les petites routes qu’ils empruntaient jusqu’à leure destination.
C’est qu’il n’était pas facile à trouver, maître Balibe.

Le temps avait passé depuis cette entrevue dans le reliquaire. Les années également, emportant avec eux la conscience de Nue et son statut de cheffe de famille, remplacée par sa fille, lui conférant toutes ses responsabilités comme elle le lui avait soufflé. La voilà donc à devoir veiller sur sa famille, leur activité… Et leur stock.

La petite maison était en vue. Discrète, charmante, la petite cahute de bois et de pierre perchée sur une colline champêtre qui se détachait tout à fait du paysage blanchie. Des feuilles brunes, orangées en faisaient un spectacle digne des plus beaux sachets de thé.
La calèche ralentit, ralentit… Jusqu’à arriver à hauteur du petit chemin de terre. Délicatement, elle ouvrit la porte, se révélant alors non pas par la vue, mais par le parfum. Une odeur chargée de plantes sirupeuses, rondes, du jasmin et de la néroli, une délicate enveloppe olfactive qui rivalisait avec l’odeur des lieux. Puis ce fut les pierres, le tintement clair des bijoux et des anneaux de jade qui s’entrechoquaient gaiement dans la brise, à ses poignets, dans ses cheveux. Une créature des jardins rendu à la nature sauvage.

Finalement, elle s’élança, sagement couverte d’un manteau de velours rouge, déployant au dessus de son crâne son ombrelle. Autour de son cou, un collier doré de la forme d’un reptile - si on ouvre assez les yeux, on jurerait le voir bouger…

Messire Balibe? Sa voix était polie, sage. Celle-ci des salons. J’espère ne pas vous déranger, êtes vous là?

Après tout, sa lettre avait dû arriver quelques jours plus tôt, mais le courrier avait ses failles et ses faiblesses. N’avançant pas plus loin, elle attendit de voir si elle n’était pas seule. Et si ça n’était pas le cas - elle attendrait. Après tout, elle ne saurait manquer son noble fournisseur.
Ven 2 Aoû - 17:29



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



En se préparant et pensant que la jeune Fà serait présente d’un jour à l’autre, l’espoir qu’elles ne se perdent pas reste dans un coin de sa tête.
Il est vrai que la maison de l’apothicaire est volontairement éloignée de la ville. S’accordant un confort loin de cette dernière en se privant sans peine de la moindre trace de technologie ou d’électricité. Un isolement parfait que l’on peut s’accorder à une proximité nécessaire pour les biens de première nécessité.
Il aura beau être tenu à l’écart, c’est l'authenticité de cet endroit qui en fait la qualité de son travail et donc sa renommée. L’idée de rencontrer une Fà lui donne tout autant de notoriété. Le souvenir de Nue Fà lui demandant quelques exceptions rares et qualitatives, lui donne tout de même une certaine hâte. Rien qu’à l’idée de rencontrer une belle jeune femme lui donne une certaine satisfaction première. Cela lui a peut-être été partagé par Nue. Une information toujours bonne à utiliser pour lui soutirer quelques plantes à un prix réduit en échange de ses beaux yeux. Aussi faible d’esprit pourrait-on juger cette petite particularité, Duscisio a su ne pas imposer la baisse de prix dans l’honnêteté de certains clients à vouloir payer le prix de ses efforts. Lui qui, quand il ne possède aucun exemplaire de ce qui lui a été demandé, fera un effort insoupçonné pour quitter sa maison et parcourir de nombreux kilomètres pour satisfaire son client.
Le point négatif est sans aucun doute la notion du temps. Il y est déjà arrivé de délivrer une commande en retard, le client n’ayant pas trouvé ce dont il eut besoin pouvant succomber à sa maladie ou à ses blessures. Le temps est un facteur parfois aggravant, sans qu'on ne le blâme pas pour autant pour ne pas avoir trouvé l’ingrédient manquant. Et il lui arrive que la demande soit satisfaite, quoiqu’il n’en soit pas le fournisseur. Ce sont les lois du marché.

Néanmoins, il a su s’accorder les faveurs de cette famille. Puisqu’elle lui accorde encore de régulières demandes quand il en a la possibilité. Que demandera-t-elle cette fois-ci ? Les plantes rares, plus ou moins toxiques, ne surprennent guère l’élémentaire. Si certaines d’entre elles s’en servent pour concocter quelques antidotes de leur main pour garantir leur efficacité, il n’est pas rare que les demandes soient néfastes.
Même s’il est isolé, peu au courant de la politique humaine, le buisson de rose se contentera de leur donner ce que demande son client. Certaines personnes iront jusqu’à empoisonner leur prochain. S’il se porte à ne faire que des remèdes, il acceptera ce genre de demande sans poser de questions.
Que ce soit en politique ou en amour, le poison est une arme courante. Cela dit, il ne fournit que les ingrédients dans ce genre de cas. Une méthode pour se dédouaner de toute responsabilité sur la mort de quelqu’un.

Si une voix retentit, Duscisio retrouve ses esprits à vouloir cesser de faire attendre un visiteur. Si l’on juge le vocabulaire utilisé pour l’appeler, cela sonne comme une noble femme. Il se pourrait que cela soit la personne tant attendue. Plutôt que de lui répondre en hurlant, il sortit doucement de sa cachette, fermant la porte derrière lui après avoir interrompu ses occupations. Il ne se sera jamais autant démené pour attribuer une telle décoration. Nue eut le privilège de découvrir un apothicaire débutant avec peu de meubles. Sa descendance aura celle d’un apothicaire soigné en fonction de son interlocuteur et de son rang social.
Si l’on peut confondre le contraste de son vêtement blanc dans un lieu aussi reculé, l’élémentaire fut le premier surprit en observant de loin la personne qui l’attendait jusqu’à qu’ils croisent leur regard. Sans un mot, il ira à portée de voix avant de l’accueillir.
Il n’ouvre pas la bouche dans les premières secondes. Il se convainc alors d’une beauté comme il est rare d’en voir. Si la famille Fà est réputée pour ses traits séduisants, Lan-Lan se démarque. Sa tenue vestimentaire, sa couleur de cheveux. Ah, elle a les yeux de sa mère. On la reconnaîtrait entre mille s’il en avait le souvenir précis. Ne voulant la faire attendre quelques secondes de plus.

— Il est rare de voir une plante si belle au pas de sa demeure. Commence-t-il par un compliment. Mademoiselle Fà, je présume ? Entrez.

Comme si elle était permise d’entrer dans son jardin secret, Duscisio ouvre de lui-même la porte avant de présenter sa main. Il serait malheureux pour la jeune femme de tomber. C’est en silence qu’ils marchèrent jusqu’à la maison. Si la neige était tombée en avance cette année, ce n’était qu’une petite exception. Les températures ne sont pas assez froides pour qu’elle reste bien longtemps. Pourtant, c'est cette neige qui a fait changer d’avis l’herboriste à vouloir discuter à l’extérieur. Sa nature le lui obligeant, leur discussion se portera à l’intérieur.
L’unique pièce dans laquelle ils se trouvent est pourvue de meubles faits main à l’aide de plantes qui maintiennent ses biens ici et là. Rien de très sophistiqué non plus. Tout était à hauteur d’hommes sans devoir monter sur un piédestal pour saisir un objet en particulier. Le coin cuisine qui sert principalement d’atelier laisse un petit parfum de feuille de thé mêlé à une collection de plantes aromatiques de tout horizon. N’étant qu’ingrédients, rien ne laisse présager que Duscisio vive comme un homme normal. Il ne fait que les imiter.

Invitée à s’installer sur l’une de ses chaises rudimentaires, le rosier blanc ne prend pas place tout de suite. Ayant fait chauffer de l’eau pour le sucrer à son usage, le liquide vital sera amené à servir pour le thé maintenant que la demoiselle est présente. Il en sort les quelques feuilles qu’il déposera au fond des tasses avant d’y verser de l’eau et de la servir.

— Que me vaut cette visite, mademoiselle Fà. Dit-il en déposant la tasse devant elle. Votre mère se porte bien ?

Afin de se rassurer que ce sont bien les mêmes feuilles de thé, Duscisio laissa le fumé envahir ses narines. Les feuilles n’ont rien d’exceptionnel et ne servent qu’à habiller leur rencontre.  

Mer 14 Aoû - 17:30

Fàçonner des alliances

Dans le jardin secret


Et de rencontrer un herboriste aussi charmant. Son sourire s’étira poliment, usage aristocrate, politesse appuyée. Vous présumez bien.

L’homme était très différent de l’image qu’elle se faisait de lui - un vieil ermite solitaire qui vivait curieusement, dans une cabane recluse et loin de tout. Difficile à rencontrer, mobile, retord - capable de tout pour soigner ses clients mais en même temps, un vrai courant d’air. Elle s’était déjà imaginé le portrait du mystérieux fournisseur -  voûté, ridé, des yeux sûrement distants, difficiles d’accès. A tort, elle avait été influencée par ses autres producteurs de plantes et d’autres glandes, ces sombres dealers qui évoluent plus ou moins dans l’obscurité.
Contrairement à eux, ce jardin était délicat, lumineux, chaque couleur subtilement rehaussée par un fin manteau de neige. Le blanc de la poudreuse rendait plus vibrante le rouille des feuilles mortes - mais comme la court qu’elle avait sous les yeux, son hôte n’avait rien de coloré. Au contraire, comme l’immaculée portrait des saints, il était blanc comme neige. Une preuve d’innocence?

A son invitation, elle attrapa sa main, posa un pied dans son domaine. Portées comme une aura, les pierres qu’elle charriait sonnaient comme des cloches, emportant une symphonie dans leur sillage. Elles brisaient le silence religieux et polis dans lequel ils s’étaient enfermés - elle le devinait professionnel, elle se faisait douce. Le moment n’était pas encore venu de jouer tout à fait franc jeu.

Il les mène vers une petite pièce, semblant être la seule du logis. Bien loin de la tour qui l’a vu naître, Mademoiselle Fà, fàçonnée dans un palais, se voit confrontée à plus humble - ce n’est pas pour lui déplaire. Les porcelaines les plus rares et les plus nobles sont souvent les plus simples. Il est plus facile d’apprécier la simplicité que l’excès. Les deux améthystes qui ornaient ses prunelles balayèrent la pièce avec une curiosité toute pieuse et innocente, inspirant les feuilles de thés, les aromates, les pétales séchés d'espèces diverses. Elle les connaît presque toutes; apprises comme des reliques depuis l’enfance.
Finalement, comme on le lui a proposé, Lan-Lan finit par s'asseoir, observant sagement Duscisio faire le thé - il est un homme discret, se dit-elle en le regardant calmement préparer le breuvage qu’il finit par leur apporter tout en demandant des nouvelles de sa mère.

Pour la première fois, Lan-Lan se braqua un peu - sans le laisser percevoir, elle sentit pourtant ses épaules se raidir légèrement à l’évocation de Nue Fà, ancienne merveille de Xandrie, qui sombrait dans la démence un peu plus tous les jours, une falaise millénaire que la mer des mauvais souvenirs et des toxines érode inlassablement.  

Elle se porte à merveille. Son sourire se voulait rassurant, tout comme sa voix. Il y avait des vérités qu’il valait mieux taire, lisser à l’excès pour en faire de bonnes nouvelles. Elle profite d’une retraite méritée, à présent.

Cela, cependant, était vrai. Nue avait transmis sa couronne à sa fille, et ainsi, Lan-Lan justifiait sa présence en toute subtilité. Elle était là pour les mêmes raisons que sa mère, quelques années auparavant.
Doucement, elle se saisit de la tasse en face d’elle, humant ses vapeurs avec délice. Le parfum herbacé réveille un peu plus le dragon qui sommeillait à son cou. Huang-Long ouvrit péniblement un œil énervé - créature capricieuse, le dragon dorée n’aimait pas beaucoup le froid qu’il rendait somnolent. Reprenant un peu de vigueur, il finit par se détacher de sa cachette pour se mettre à flotter tranquillement autour d’elle - se dégourdir les écailles en toute tranquillité. J’espère qu’il ne vous dérange pas - il n’est pas méchant.

Revenons à nos affaires, Duscisio avait tout de suite posé la question et voilà qu’elle le faisait attendre. C’était tout à fait inapproprié.

Nous sommes malheureusement arrivés à bout de notre stock de persistantes. Une bagatelle, vraiment, mais nous aurions besoin d’en retrouver une quantité conséquente. Nue passait ses commandes auprès de lui, il devait se douter que celle-ci serait tout aussi vaste que les précédentes. Ma mère m’a souvent vanté vos mérites et que, bien qu’elle ait une condition de culture capricieuse, vous seriez à même de la trouver à profusion.

C’était la raison pour laquelle elles travaillaient avec lui et pas un autre, après tout. Car il était capable de faire ce qu’aucun de pouvait en matière de plantes. Marquant une pause, elle en profita pour goûter le liquide de la tasse fumante entre ses doigts. Le thé est délicieux.

Jeu 15 Aoû - 15:21



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



Afin de résumer un peu comment Duscisio connaît la famille noble que sont les Fà. Ne soyez pas étonné qu'il connaisse leur manière de faire. On peut dire que Nue Fà a lancé une partie de sa carrière, il y a plus de trente ans.
Leur commande n’a rien d’ordinaire. Si l'on peut penser qu’un herboriste puisse ne vendre que des remèdes, il serait se tromper longuement sur le métier. Si beaucoup restent altruistes, d’autres préfèrent vendre en fonction de ce qu’ils ont en stock sans se soucier de l’éthique. Si l’élémentaire fait partie de ceux-là, c’est justement parce qu’il n’est pas humain.
Sa vie à l’écart de tout y est pour beaucoup. Oui, il aime étudier le comportement humain et tous les peuples qui s’y assemblent. C’est précisément pour en voir tous les aspects qu’il a accepté de commercer avec cette famille réputée.
Si d’ordinaire, il ne vend que de simples remèdes à la plupart de ses clients, sa relation professionnelle avec Nue s’en révèle à une nature insoupçonnée. Lan-Lan ne le sait peut-être pas encore, mais sa famille est la seule à qui il vend autre chose que des remèdes. Pourquoi ? Pour en voir le résultat. Un investissement personnel à ce que peut faire une seule famille avec ses seuls produits. La plante phare de ces jeunes femmes reste toujours la même. Une plante qui peut rendre un poison ou une drogue indétectable, la Persistante.
Dans ses premières années, Duscisio accepta de leur en produire, la seule condition étant de lui trouver au moins une graine.

Pour un élémentaire plante, on pourrait penser que le feu nécessaire à sa naissance peut lui poser un problème. C’est effectivement le cas. Sa peau, ou plus précisément son écorce qui lui sert de peau, est rendue un peu plus résistante au feu pour pouvoir l’utiliser. Toujours dans la peur de se faire brûler, il solidifiera une partie de cette écorce et cultivera « artificiellement » cette plante. Ses facultés d’élémentaire facilitent la croissance de cette plante, ce qui lui permet donc d’en faire régulièrement pour ensuite la mettre en poudre après la cueillette. C’est de ce fait, sans surprise, qu’il reste satisfait que la jeune Lan-Lan Fà lui en demande cette année encore, à la place de Nue Fà qui visiblement a bel et bien laissé sa place.

— Oh déjà ? Fait-il sans feindre la surprise. Le temps passe si vite… Néanmoins…

Il scrute à nouveau la jeune femme sous toutes ses coutures. Son attrait pour elle n’a rien d'égal que son attrait pour n’importe quelle femme. Mais Lan-Lan se démarque des autres. Serrait-ce parce qu’elle est noble ? Ou qu’elle tient de sa mère ? Une combinaison des deux, se dit-il sans paraître insistant pendant les quelques secondes de silence.

— La relève est bien représentée.

Le fait de savoir que Nue prend sa retraite montre aussi que la notion du temps de l’élémentaire ne porte pas. Lui, il n’a pas changé depuis leur première rencontre. C’est ce qui en fait sa force aujourd’hui pour accueillir sa fille dans ses plus beaux habits. Habit qu’il a pu s’offrir justement grâce à elles. C’est donc de bon augure de la voir aujourd’hui. Leur dernière demande date de deux ou trois ans et c’est le jour de refaire leur réserve.
S’il ne demande aucun lien avec leur action, c’est pour se protéger, pour que l’on ne remonte pas jusqu’à lui. C'est pourquoi la lettre de leur venue n’est pas signée non plus, se dit-il. S’il fait beaucoup pour cacher sa curiosité sur l’usage d’une telle plante, il n’en restera pas moins dans la neutralité la plus totale.

Au moment de servir le thé, une petite créature jusqu’ici très discrète sort de sa torpeur. Un étrange petit dragon recouvrant le cou de sa maîtresse et se frotter contre elle. Dragon, comme tout reptilien, ne doit pas supporter l’air très frais. Observant la créature, Duscisio ne s’en approchera pas. Il serait plus juste de dire que rare soit les animaux et autres êtres vivants doués intelligence ne s’approche jamais de lui. Même s’il venait à s’approcher accidentellement, il ne serait pas surprenant de le voir montrer ses dents ou de s’en éloigner par instinct. Il ne s’essaiera point encore aujourd’hui.

— Aucunement.

Une fois servis et installés, il est temps de commander leur affaire. Comme prévu, la Persistante est leur premier sujet de discussion. Il en vient à se rappeler que leur échange relève d’un secret qui ne sortira jamais de ses murs, comme il l’a confié à sa prédécesseure. Quant à la quantité demandée chaque année, il s’adapte très vite. De plus, il en fera toujours un peu plus suivant les années et il se trouve que depuis leur dernière commande, il a pu réunir de nombreuses fois les conditions de cultures. Même capricieuses, Duscisio semble avoir un secret pour pouvoir les réunir. Un secret très bien gardé.

— Soyez rassurée dans ce cas. Si cette année, je n’ai pas été très présent dans la région, il se trouve que j’ai eu de nombreuses occasions d’en récolter.

D’un geste gracieux de la main, il montre alors le fameux stock. Il n’est constitué que d’une cagette visible dans un coin de la grande pièce à l’abri des regards indiscrets. Elle est posée comme un élément de décor. Une poudre noire semblable à celle de la poudre à canon qu’un nez averti pourra différencier par l’odeur absente de souffre. Chaque bocal pourrait accompagner le verre d’une réunion importante de quelques dizaines de personnes à la fois. Une seule cagette en comporte douze et celle visible n’en comporte que dix. Deux de moins que d’habitude. Il se trouve que celle-ci est posée sur une autre série cachée sous une toile de jute.

— Les vingt flacons vous attentent.

Vingt. Lan-Lan peut être surprise. Si la dernière commande, il n’y avait justement que douze flacons. Cette année, il en apporte presque deux fois plus. On note également que les derniers flacons ont été faits les quelques mois qui précèdent, si on en croit la date écrite dessus. La dernière date d’il y a une semaine. Il a été de bon augure de s’occuper en faisant un peu plus. Il a profité de l’automne et de nombres réduits de commandes de remèdes pour en faire. Pour tuer le temps, comme le disent les humains. Les mettre en fine poudre est toujours un peu délicat, seulement Duscisio posséderait un savoir-faire exceptionnel. Il faut dire aussi qu’en voyageant, il y a plus d’occasions que de rester à Doucerive en attendant ses dernières.

— J'ai la possibilité de compléter les flacons manquants. Dit-il, sans préciser comment. Cependant, je me prépare pour une expédition sur le territoire d’Opale. Ne pourrait pas vous la livrer avant le printemps prochain.

Cela leur donnera une occasion d’un nouvel échange. Vivre à l’écart de tout a fini par lui peser et lui faire reprendre le goût du voyage. Voyages dont il a pu profiter tout au long de l’année.

— Si l’occasion se présente, je pourrai trouver la possibilité de vous les remettre en main propre.

Avec ceci, il serait logique de parler du paiement. De ce côté, Duscisio n’a jamais eu à discuter d’une quelconque variation. Nue su trouver la valeur de son travail. Pour tester Lan-Lan sans changer ses habitudes, il n’engagera aucune négociation. C’est à la jeune femme de commencer.

Pour lui envoyer le message, il lui sert une nouvelle tasse de thé en silence.

Ven 23 Aoû - 20:36

Fàçonner des alliances

Cartes sur table, entre le dragon et le thé


Un, deux… Dix. Quelque peu surprise, la capricieuse petite intrigante leva un sourcil interrogateur. Curieux, leur accord portait pourtant sur douze unités, la saison avait-elle été rude? Habile dans l’art de se cacher, elle ne révéla pas sa déception, préférant enfouir son visage dans le thé chaud. Son interlocuteur ne cachait pas sa grâce, pourtant, vaporeuse apparition de neige et d’argent dans un décor champêtre. Comptait-il camoufler ces flacons manquants par son beau visage et ses manières impeccables? Il en faudrait plus pour réussir à la convaincre, spinelle usée à la négoce.
Il fallait également dire qu’elle en attendait beaucoup. Ce rendez-vous n’était pas qu’une simple entremise, et bien plus qu’une façon de se présenter formellement à un des herboristes les plus réputés de la région. Il faut savoir encourager ses alliances, mais il faut également pouvoir les dépasser.

Les Fà s’étaient enfermés dans une convenante routine, ces dernières années. Enlisés dans les mêmes partenariats. Les mêmes ventes. Les mêmes concoctions. Les poisons se faisaient rares, très rares: les drogues étaient bien plus vendeuses. Et à trop se faire de clients, on se fait autant d’ennemis. Et les alliés, plus rares, sont la vraie clé du succès. Eux restaient dociles, en retrait. Ils ne se montreraient pas présents si les choses venaient à changer.
Enlisée jusqu’au cou, Nue avait réussi à parfaire tout ce que sa mère avait réussi avant elle: la sécurité. Mais elle n’avait pas son audace - Xiulan, grand-mère espiègle, danseuse hors pair. Elle avait déjà fait tomber une couronne. Pourquoi pas elle?

Aussi Lan-Lan était venue pour voir à quel point elle pourrait jouer avec le feu. A quel point maître Balibe comprenait le jeu nauséabond auquel jouaient les Fà, et à quel point il tolérait d’en faire partie. Car il était sur leur toile, discret papillon, tout comme elles. Il était lié, même par voie indirecte, à chacun des clients qui absorbent leurs succulentes créations.

Sa déception était donc tout à fait réelle en découvrant qu’il manquait déjà deux flacons à la liste - cela ne présageait rien de bon quant à leur partenariat commun. Cependant, par une pirouette digne des meilleurs comédiens, il révéla alors la supercherie: non pas douze, mais bien vingt. Bien plus que convenu.

Vous ne vous êtes pas ménagé, Maître. Murmura-t-elle en voyant les deux caisses remplies. Brusquement, elle se leva, s’en allant plus près de la tant convoitée poudre obscure. J’imagine que la qualité est, comme toujours, parfaite.

Elles n’avaient jamais été déçues, mais vérifier la marchandise faisait également partie de ses obligations. Après tout, qui achète à l’aveugle? Elle se présentait pour la première fois face à lui, elle ne lui manquerait pas de respect en ne lui faisant pas l’honneur de constater la perfection de son travail. Aussitôt, elle attrapa une fiole - non sans vérifier d’un regard qu’elle le faisait avec l’aval de son propriétaire actuel. Quand ce fut acté, elle retira délicatement le petit bouchon de liège qui la maintient hermétiquement fermée pour en humer doucement le contenu. Sec, une odeur de cendre et de terre morte… Mais pas l’arrière parfum brûlant et vaseux du soufre. Une odeur qui disparaissait dès l’instant où elle entrait en contact avec un liquide pour en camoufler tout le contenu, un voile d’invisibilité pour l’empoisonneur. Perfection.

Sans surprise. Dit-elle doucement en se retournant vers Duscisio. Le dragon jouait tranquillement avec le thé, non content de n’être pas, pour l’instant, le centre de l’attention commune. Vingt fioles nous ferons tenir de long mois - mais qui suis-je pour bouder une de vos visites au manoir Fà? Je serais ravie de vous accueillir au retour de votre voyage pour Opale pour récupérer la fin de votre production.

Opale, donc? Curieux choix, mais elle n’était personne pour juger des déplacements d’un herboriste, pas quand elle-même tissait des liens obscurs avec un éminent scientifique, aussi détestable que génial, de leur maudit magistère. On n’a rien sans rien, et elle devinait sans peine qu’il fallait parfois partir loin pour obtenir beaucoup. Mais la question n’était pas là.
La persistance n’était qu’un début. Elle voulait voir plus loin. Plus haut. Leur famille stagnait: elle avait encore des murs à franchir, et de nouveaux sommets à atteindre. Et elle reconnaissait en Duscisio un potentiel que sa mère n’avait pas vu.

Voyez-vous, je ne suis pas ma mère. Elle s’est satisfaite des menues commandes ça et là, mais je suis disposées à voir plus loin. Dit-elle patiemment en jouant avec la fiole, passant sur sa surface ses doigts de verre.

Il était temps de jouer cartes sur table. Elle aimait les faux-semblants mais savait également quand il était bon de ne plus les faire durer. Sans jamais trop en dire, elle jouait avec les frontières d’un secret qu’il avait sans doute deviné depuis - il n’avait pas l’air d’être sot, bien au contraire. Il savait parfaitement ce qu’il faisait. Et c’était là toute la richesse de leur accord. Alors, en toute connaissance, pourrait-il faire plus?

Auriez-vous d’autres produits à me proposer? Elle regarda autour de la pièce. Je doute que la persistante soit votre seule victoire, vous ne nous avez jamais déçu depuis tout ce temps. Mais vous ne m’avez pas encore surpris. Elle révéla un sourire entêtant. Pire: une aura de défi. J’imagine que depuis le début de votre partenariat avec Nue, vous avez réussi à cerner nos attentes. Et la rareté nous importante au plus haut point. Il y a t il une nouveauté que vous pourriez me conseiller? Sinon ici, peut-être dans votre magnifique jardin?

Jouer sur la corde, habilement, sagement… Une façon de s’assurer qu’ils étaient bien sur une longueur d’onde sans rien révéler de ses méfaits. Après tout, si il choisissait de s’éloigner de ses attentes: il lui disait qu’il n’était pas intéressé, ou qu’il n’avait vraiment pas compris ce qu’elles faisaient de leurs achats. A l’inverse, s’il présentait des plantes plus toxiques, alors il dévoilait qu’il comprenait, et était prêt à aller plus loin. De quoi la plonger dans l’impatience… Dans tous les cas, son sourire n’aurait su se décrocher, avide petite fleur.

Sam 24 Aoû - 14:18



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



 Que cache-t-elle en buvant sa tasse de thé ? De la déception ? De la satisfaction ?
Duscisio cache effectivement le subterfuge d’un nombre bien plus grand par un large sourire charmeur. Il ne peut lire l’esprit humain. Pourtant, quel que soit son ressenti, il estime avoir fait correctement son travail. Si bien que révéler le véritable nombre de récipients lui vaut une sacrée surprise de la part de la jeune femme qui veut en confirmer la qualité parfaite de son produit.

— La nature est suffisamment bien faite pour me fournir une poudre de qualité, quelle qu’en soit la plante. Je n’irai pas à diluer la poudre ou à compléter ce qu’il manque par un substitut grossier.

Cela serait une insulte autant envers elle que son métier. Cette relation avec une cliente est beaucoup trop précieuse pour l’entacher par des tours de passe-passe. De plus, les Fà sont suffisamment connaisseurs pour y voir une quelconque supercherie. Le maître – comme le surnomme-t-elle – ne saurait tromper une femme aussi belle.
Vérifier la marchandise fait partie des principes de tout acheteur qui se respecte. L’élémentaire lui laisse le plaisir de se lever pour en humer le parfum de l’un des récipients de verre. L’annonce d’une suite pour remplir la seconde caisse la laisse bien plus satisfaite que sa visible probable quand il viendra de lui-même au manoir de la famille pour les livrer.
Cela dépendra sans doute de comment se passe cette expédition qu’il annonce pour éviter la surprise d’une non-réponse à un courrier qui pourrait être envoyé pendant son absence.

Il est heureux de voir qu’elle ne vient pas que pour les caisses de Persistante en poudre. Une belle raison de profiter de sa présence. Voir plus loin, voir ce qu’il a d’autres à proposer. Il ne ferait pas honneur à son travail s’il n’avait que ça à lui proposer. Après tout, il ne fallait pas oublier qu’il ne vit que pour les Fà. Les habitants de Doucerive ont besoin de ces services de temps en temps. Tout autant qu’il en utilise l’excuse pour produire tout ce qui peut être utile. Il vaut mieux prévoir que guérir.
Justement, ce sont ces dernières semaines qui ont été investies par la récolte de son jardin. Pas seulement pour l’excursion, mais également pour l’arrivée prochaine des basses températures qui menacent son intégrité chaque année.
Tout comme la préparation des Persistantes comme du reste de sa production qui demande moins d’entretien. Cette année a été consacrée à la visite de divers lieux tout au long de l’année. La nature s’est chargée de faire de bonnes récoltes au gré de la météo. C’est pourquoi la belle Fà en profite précisément pour le résultat de cette récolte.

— Je m’attendais à cette curiosité, mademoiselle. Dit-il avec un large sourire.

Si on oublie les quelques spécimens qui se passe d’entretien pendant les températures les plus froides. Il peut se satisfaire de ce qui se trouve dans cette pièce même. La transformer d’une simple pièce vide en une pièce qui a tout l’air d’être une maison d’herboriste lui a demandé aussi beaucoup de travail pour un résultat très satisfaisant. Son chariot a été entièrement vidé. Tout est disposé le long des murs en laissant un espace de vie pour circuler librement autour d’une table qui sert de panorama.

— Vous pouvez poser votre regard sur tout ce qui se trouve dans cette pièce.

Il se lève à son tour pour accompagner la jeune femme pour faire une visite des produits qu’elle pourrait chercher. Il commence par une simple fiole dans le même périmètre que la commande de poudre de Persistante. Un rangement qui définit ce qui est bon pour la santé et ce qui ne l’est pas. Pourrait-on différencier l’un des autres par le fait que certains produits soient cachés ou non de la vue d’un amateur qui chercherait un produit au hasard. Pas spécialement. Un voile cachait la seconde caisse comme un signe qu’elle était déjà réservée. Le reste est visible par toutes les personnes qui pourraient juger que tout est remède dans cette demeure. Mais tout est rangé dans un ordre bien précis.
Il saisit une fiole sur un amas de végétaux, formant un meuble pourtant aussi esthétique que pratique, ressemblant à des étagères fixées au mur.

— Prenons cette fiole.  Il pointe du doigt un contenant noir légèrement orangé. C’est de la poudre de Fleur de cendre.

Il n’en possédait qu’une fiole, mais une grande fiole. Elle n’est pas complète, vu qu’il n’en a pas assez. Seulement, il s’agit d’une fiole parmi deux autres encore entreposées à côté avec le symbole de la fleur en question. Il y avait assez d’une fiole pour soigner plusieurs dizaines de personnes. Le dosage étant très important pour une poudre comme celle-ci. Tout herboriste sait pourquoi.

— Je dois posséder au moins une fois toutes les plantes communes et rares d’Uhr. Pour avoir une Pandora ou encore une Othello dans mon jardin, je pourrais être l’élémentaire le plus heureux du monde.

Les deux dernières ne sont pas en sa possession. Du moins, c’est ce qu’il laisse sous-entendre. La première est beaucoup trop rare et précieuse pour gâcher sa vie dans un bocal. La seconde pousse dans un environnement beaucoup trop hostile pour lui. Cela relève du rêve d’en avoir au moins une graine fertile. Cela dit, il montre tout de même deux petites fioles qui portent pourtant le nom de chacune des deux plantes. Ce sont des biens qu’il garde précieusement. Exposer ici pour épater la demoiselle. Et chacune de ses fioles a été négociée ou donnée par un œil averti. Qui ne laisserait pas un petit exemplaire d’un herboriste digne de ce nom ? Cela fait des années qu’il les garde en sécurité. Pour en montrer à Lan-Lan Fà c’est qu’il doit tester sa confiance en sachant que personne d’autre, si ce n’est les vendeurs et les donateurs, ne sait qu’il en possède. Par contre, elles ne sont qu’à l’état de pure collection. La Pandora n’est plus utilisable aujourd’hui. La fiole ne contient qu’une quantité minime de spores qui ont perdu toute leur chaleur et donc leur valeur.
Mais le collectionneur qu’il est cherche encore ce qui pourrait l’impressionner. Ne cherchons pas la rareté d’un produit. Cherchons quelque chose d’unique en son genre. Il manque de critères. Néanmoins, il essaie quelque chose de simple et pointe du doigt une fiole.

— Un mélange à base de poudre de mousse câline… Il saisit une fiole avec « MocaZoid » écrit dessus. Mettez ça dans une boisson. Prit régulièrement, cela mettra la victime dans un état second. Manipulable à souhait tout en gardant un semblant de conscience. Arrêtez le traitement avec ceci pour le rendre à nouveau lucide avec quelques souvenirs flous. Vous pouvez aussi choisir d’augmenter la dose du simple au double pour un sommeil éternel.

Une composition de son invention testée sur un humain un peu trop curieux. Il en est profité pour connaître la raison de cette filature pour un concurrent peu scrupuleux il y a trois ans de cela. C’est qu’il demandait un peu trop d’informations sur ses secrets de fabrication de produit nocif. Trop direct pour être professionnel. Et oui. Ça existe ce genre de personne…
Pour ce qui est de savoir que tel ou tel produit était toxique, c’est qu’il devait en avoir déjà utilisé avant. Il faut dire que le nom du produit est souvent écrit dessus quand on parcourt la pièce du regard. Si on peut estimer que la plupart des produits ici sont quand même des remèdes, peut-être que l’un des noms parlera à la jeune femme.

Lun 9 Sep - 14:55

Fàçonner des alliances

Dans les reflets pourpres, le poison


Heureusement pour elle, sa cavalcade avait été bien reçue - non pas qu’elle en ait vraiment douté, mais rien n’était jamais sûr, même après des années de partenariat. Cependant, c’était bien la première fois qu’elle le voyait témoigner du moindre enthousiasme. Cela laissait présager de la qualité et de la rareté de ses possessions - elle ne montra que satisfaction, mais en réalité, elle avait hâte de voir ce que ces coffres pouvaient bien renfermer de si précieux pour qu’il sourit à pleines dents.

Et joignant le geste à la parole, l’herboriste expérimenté désigna les murs et le reste de la pièce sur lesquels couraient les bocaux, les fioles, les poudres. Bien. Du choix.
Pinçant son menton entre son pouce et son index, elle entama de parcourir la pièce, impassible créature arrogante. Usée à l’exercice, difficile à satisfaire - sans doute encore plus à surprendre. C’était là toute la beauté de la situation: cliente difficile mais généreuse. Elle en espérait beaucoup. Et en connaissait beaucoup sans le dire.

Pour le premier exposé, Duscisio se saisit d’une fiole contenant une poudre sombre aux reflets cuivrés. Un sourire naît déjà dans le coin de ses lèvres en voyant l’objet - rare, certes. Et témoigne d’une profonde maestria. Rares sont ceux capables de se targuer d’avoir réussi à recueillir de la poudre de fleur de cendre. Et pourtant, gâtées soient-elles…

Je la connais bien. Murmura-t-elle.

Petits secrets. Le maître était habile: il avait choisi précisément la plante qui pouvait être autant un remède qu’un poison, s’amusant sans doute à bien placer le curseur sur le spectre de l’acceptable.
Elle devait admettre que c’était un de ses outils de choix quand il fallait concocter un poison. Mais pas pour toutes les victimes - seulement celles présentant déjà des signes de maladies sanguines notoires. Pour elles, la frontière entre une mort volontaire et une erreur de dosage était mince. Elle créait alors deux options, la première servant de remède, et la deuxième d’erreur. Et elle laissait à son client le choix d’administrer les deux, ou seulement la dose létale; le voilà blanchie, la voilà payée.

Nos stocks sont encore gras. Commenta-t-elle avant de passer à la suite.

Il poursuivit sur ses autres richesses, avouant qu’il avait un jardin d’une richesse inouïe. Toutes les plantes d’Uhr, vraiment? Intéressant. Elle ne s’attarda ni sur la pandora, ni sur l’othello, toutes deux légendaires et presque impossible à croiser. Elle aimait l’exclusivité et la rareté, mais cherchait avant tout le pratique. L’une comme l’autre n’avaient rien à lui apporter, à part le prestige. Ses yeux yeux améthystes glissaient naturellement vers son noble ami d’albâtre. Est-ce qu’elles lui apporteraient le prestige s' il venait à les trouver? Et que cherchait-il, au juste. La gloire? Quels étaient ses desseins à lui, discret herboriste?

Collectionneur? Oui, cela ne faisait pas de doute. Mais à voir la modestie de sa demeure, elle doutait fortement qu’il court après la renommée. Peut-être était-il réellement un humble être, ermite distant, sage, fournisseur précieux. Et pourtant…
Comme si il lisait dans ses pensées, il se saisissait d’une fiole; elle lu distraitement la mention sur l’étiquette qui ne lui évoquait rien, mais s’en saisit une fois qu’elle en eut l’occasion. Une drogue, donc?
Attrapant le couvercle, elle coulissa doucement celui-ci pour humer le parfum. Discret, légèrement herbacée, elle sentait le sous-bois et les feuilles mortes.

Vous savez parler aux Fà. Murmura-t-elle en regardant la fiole. J’imagine que vous l’avez-vous testé? Oh, qu’elle aimait danser sur la corde. Mais il avait ouvert en grand la boîte de Pandore, lui avouant au passage qu’il possédait pareil substance, aussi jugeait-elle qu’ils avaient cessé de parler en toute innocence et qu’il était temps de jouer à fàce découverte. L’innocent herboriste et la noble dame le redeviendraient en sortant de cette maison. Pour l’instant, ils venaient de franchir un palier dans la franchise, et elle appréciait particulièrement cela. Dans la relation qu’ils devraient bâtir, c’était une nécessité.

Avec un œil expert, elle joua avec la lumière pour regarder à travers la fiole, la posant contre la fenêtre pour mieux en voir la couleur. La texture et l’opacité étaient suffisantes pour lui confirmer que c’était un travail artisanal, et non une production industrielle comme peuvent se le permettre les plus gros cartels d’Epistopoli. C’était un travail d’orfèvre; un travail comme elle pourrait en apprécier.

Quel dosage recommandez-vous, Monsieur Balibe? Ses yeux papillonaient, s’attardant un peu plus sur le mur. A présent, elle passait en revue tous les flacons mais ne lâchait pas la fiole. Elle voulait l’étudier plus en détail, en faire elle-même l’expérience. Une façon de tester sa maestria sur une experte - et de dérober au passage la recette.

Finalement, elle s’arrêta devant un petit pot sur lequel était écrit un nom plutôt intéressant.

De la nelumbo?

Mar 10 Sep - 11:38



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



 La fleur de cendre l’a séduite. C’est un bon début pour commencer leur affaire. Simple, avec une nuance de bien et de mal dans un seul produit. La plante cendrée a tout ce qu'il faut pour plaire à la demoiselle Fà.
Il s’arrête sur cette dernière pour essayer d’en comprendre le sens en tant que parfait élémentaire. Il se bloque un peu dessus, se demandant pendant quelques secondes ce que signifiait « être Gras ». Il n’a pas le souvenir d’avoir entendu la formule. Si on le rapproche de l’alimentation, il pense en avoir la signification. Ils en possèdent déjà assez s’il a bien compris. Ce qui n’est pas perdu, puisqu’elle sait qu’il en possède et donc qu’il peut en produire.
En regardant le jardin réduit en poudre, potion et geler dans toute la pièce, la variété n’est pas ce qu’il manque. On en sait long sur le collectionneur. Il ne serait plus que profitable d’avoir en plus des plantes au moins un exemplaire de chaque potion possible à travers les combinaisons. Impensable bien sûr.
L’Othello et la Pandora, aussi exceptionnelles soient-elles, ne sont que des objets de collection. En posséder relève déjà du miracle, mais leur utilisation est limitée. C’est alors qu’il présente un nouveau produit. Après description, la MocaZoid pique sa curiosité. Savoir si elle a déjà été testée le fait sourire. Un sourire qui signifie forcément oui sans donner plus de détail, ce qui lui donne alors l’occasion de lui demander la dose.

- Une pincée pour une demi-journée de servitude dans un simple verre d’eau suffit. Une dose toutes les douze heures pour le garder dans l’état.

Il n’en dira pas plus sur la dose mortelle par exemple. Même si tout secret reste entre ses murs, il n’est pas bon de tous les révéler d’un seul coup pour en garder la surprise. La logique veut qu'il suffit d'en augmenter la dose, sans pour autant en gaspiller. C’est ce qui a sauvé sa carrière jusqu’à maintenant.

- C’est que la plante en elle-même est déjà très addictive. Il faut tout de même penser à ne pas toucher directement la poudre pour ne pas être soi-même affecté.

Tout le monde connaît les effets d’un contact direct avec la plante à l’état naturel. Si toucher cette poudre n’a qu’un résultat atténué, il suffirait à un malheureux ignorant pour être dans un état latent pendant quelques minutes. Ce qui peut être dangereux si on s’y prend mal ou que l’on vous prend la main dans le sac. Une fois avalé, la substance est directement assimilée, ce qui en augmente l’efficacité.
Les réponses à peine terminées que son regard porte sur un nouveau produit.

- Vous avez l’œil. Acquiesce-t-il. J’en ai une petite quantité, garder ailleurs.

Pour une raison particulière, le « ailleurs » n’est autre qu’un coffre végétal situé au niveau du sol. Il y a d’autres produits à l’intérieur. Le verrou de lierre ferait rire n’importe quel voleur par sa fragilité, mais il est avant tout question de stockage. On notera également que de la Firiana est présente à côté. Sa version maudite étant le plus intéressant ici avoir l’un comme l’autre présente de nombreux avantages. Si ce produit l’intéresse – et elle donne l’impression de l’être – on pourrait y voir une combinaison assez simple. Une vente du produit brut et plus tard la victime viennent à son tour, espérant une guérison possible. Seulement, son utilisation est assez limitée par ses connaissances. Aussi surprenant que cela puisse paraître, à part l’utilisation du produit brut, Duscisio est plus spécialisé sur les remèdes que sur les poisons. Bien que cela ne l’empêche pas de produire les plus simples et communs d’entre eux. Ce pourquoi il n’y a que le nelumbo brut sur les étagères. En poudre ou en liquide pour stabiliser la toxine et ainsi éviter son inhalation accidentelle, il suffit de la chauffer pour les libérer. Pour ce qui est d’un produit transformé, il laissera la jeune femme faire.

- Malheureusement, je n’ai pas pu en récupérer pour en produire.

Triste vérité, la solution parfaite et de récupérer une Firiana pour produire du Nelumbo. Si vous voulez faire plaisir à l’herboriste autant qu’au collectionneur, Demoiselle Lan-Lan pourra utiliser ses relations si cela est nécessaire.

- J’espère pouvoir en récupérer lors de l’expédition.

Il espère beaucoup de ce voyage. Bien qu’il y aille pour une affaire plus importante, son impatience soigneusement cachée reste tout de même excitante. Son large sourire d’un espoir sans nom, rien que pour sa collection avant la production.

Dim 15 Sep - 13:04

Fàçonner des alliances

Dans les reflets pourpres, le poison


Aveu discret - son sourire valait mieux qu’un long discours. Apparemment, elle n’était pas la seule à avoir de sombres secrets.
Il ne manquait pas de la surprendre - elle qui croyait qu’il n’était qu’un humble marchand, honnête et bienveillant, qui ne ferait de mal à personne sauf à ceux qui tenteraient de le rouler. Visiblement, elle n’aurait pu avoir plus tort. C’était pour le mieux; elle lui répondit du même sourire amusé, un qui en dit bien plus qu’une longue phrase. Le dosage était désormais noté dans un coin de son esprit. Plus qu’à en faire la pratique, et éventuellement l’amélioration. Elle pouvait déjà en faire une synthèse du bout de ses doigts une fois qu’elle l’aura essayé, mais pourquoi se contenter de la simplicité quand on peut faire mieux?

Mais il ne manquait tout de même pas à ses obligations en indiquant calmement les risques de la consommation - ou plutôt, de la préparation. Bienveillante attention à son sujet, mais heureusement pour elle, inutile. Néanmoins…

J’y veillerai, soyez sans crainte. Murmura-t-elle en encastrant un peu plus solidement la fiole dans sa paume.

Mais son attention gravita ensuite vers la nelumbo, tant pour sa rareté que ses funestes augures. Il était rare d’en trouver chez un marchand, même en petite quantité. Même si elle ne tenait pas de la légende et qu’il n’était pas si impossible d’en trouver, elle demeurait un véritable bijou pour tout bon collectionneur, et empoisonneur de métier. Ou pour les simples curieux - quelques groupes de botaniques ou d’experts donneraient chers pour en posséder ne serait-ce qu’un peu. Elle appréciait grandement d’avoir l’exclusivité d’en trouver ainsi, sans l’avoir prévu. Et même si ça demeurerait d’avantage un bibelot exposé qu’un véritable ingrédient, elle aimait se dire qu’elle pourrait d’avoir avec elle quand le moment serait venu.

Il semblait ne pas en posséder autant qu’elle l’aurait voulu, néanmoins. Aléas des herboristes de renom, et elle l’imaginait bien aléas des ingrédients peu demandés. Elle n’était pas dupe, au contraire; Elle se doutait bien qu’il devait davantage être sollicité pour ses soins et ses remèdes plutôt que pour des plantes plus obscures. Le monde végétal est riche, suffisamment riche pour faire souffrir, tuer ou charmer de bien des manières. Mais pour les soins, c’était une autre paire de manches. Rares, recherchées, capricieuses. Les plantes de soin était la vraie panache des herboristes, et ce pourquoi luttaient les bourses des quidams. Même si ça la gênait de l’admettre, elle ne devait pas être la priorité pour son commerçant du jour, et ses demandes ne devaient malheureusement pas être la norme.

D’où sa lutte discrète pour lier une entente sur le long terme. Si elle pouvait faire fructifier un peu plus efficacement son réseau, c’était là l’occasion d’augmenter ses ressources de façon pérenne. Et jusqu’ici, tout se passait pour le mieux.

Il n’y a pas de mal, Monsieur; ce n’était pas prévu pour aujourd’hui. Dit-elle pour ne pas mettre l’herboriste dans l’embarras. Sa demande n’était pas commune, mais elle constatait qu’il ne fermait pas la porte à un réassort. Si vous en récupérer sur le chemin, pensez à moi.

Son sourire était charmeur - et sans plus d’épilogue, elle s’en retourna à sa place, retrouvant sa tasse de thé et Huang-Long qui voletait tranquillement entre les pieds de la table - quand ce n’était pas à travers celle-ci. Lorsqu’elle s'assit, il vient s’enrouler autour de son cou pour s’y accrocher fermement, redevenant ainsi l’équivalent d’un bijou doré.
Le moment était venu pour elle de montrer pattes blanches. Ou plutôt, astras rutilants.

Partons-donc sur les persistantes et cette petite curiosité. Dit-elle en révélant le pot qui n’avait pas quitté sa paume. J’imagine que le tarif habituel s’applique; et je payerai bien sûr pour le surplus. Mais à quel prix me feriez-vous cette poudre? Elle le laissa réfléchir mais ne lui laissa pas répondre immédiatement. Contrairement à ma mère, je n’ai pas peur de mettre le prix qu’il faut sur les produits de qualité; et je suis prête à l’acheter ce qu’il faut - mais j’aurai besoin de garantie que notre partenariat est durable et pourra nous enrichir tous les deux. Si vous pouvez me confirmer que la nelumbo sera de retour dans vos produits, et qu’il n’y aura pas de rupture pour les persistantes, votre prix sera le mien.

Dim 15 Sep - 17:30



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



 Pourrait-on associer à cette prolongation un agréable échange ? L’échange qui a contribué à la vente d’un produit de plus. La présence de la jeune femme est bien plus précieuse qu’une simple fiole à base de mousse câline.
Ce sera chou blanc en ce qui concerne le Nelumbo. Par contre, rien que de penser que Lan-lan soit intéressé par le produit l’encourage à en chercher plus que d’habitude. Ce sourire charmeur, Duscisio pourrait fondre. En plus d’une très belle femme, elle sait faire preuve d’une adorable prestance. Ne soyez pas certain qu’il compte succomber maintenant, car l’élémentaire aussi sait faire preuve de charme.

— Soyez-en sûre que cela ne sera pas bien difficile d’avoir une pensée pour une demoiselle aussi belle que vous.

Bien que cela puisse être de la flatterie de sa part, elle doit en être régulièrement sujette. Après tout, une certaine part de vérité envahit ses mots et cela ne se doit qu’aux goûts de l’intéressé que de partager cet avis. Ils pourraient partager un peu plus de complicité. À défaut de collectionner les plantes, l’herboriste collectionne ces rencontres. Cependant, ce n’est pas le sujet de sa visite.

Le centre de l’attention doit rapidement être recentré dessus, à savoir le commerce.
Autre le fait d’être un élémentaire masculin d’apparence, il est également apothicaire et donc marchand. Les astras font marcher l’économie et lui donnent l’occasion de se parer de ses plus beaux habits autant que lui permettre de fournir de nombreux produits pour ses clients et de survivre dans le monde d’Uhr. Tout le monde doit y passer. Il l’a appris au fil des années.
Il est question donc de régaler le client avec quelques prix attractifs. Si la demoiselle affirme qu’elle y mettra le prix, c’est à cet instant que l’idée de jouer avec elle traversa son esprit. Faisons comme ça. Sa première manœuvre lui impose un zéro qu’il dessinera à l’aide d’une de ses roses blanches coupées et posées sur la table.

— Disons ceci, par fioles… Et ceci, pour la moca.

Par deux fois, il changea le nombre à l’aide de ses doigts. N’en ayant que cinq à chaque main, il plie la première phalange pour un nombre inférieur à cinq et déplie entièrement ses doigts pour un chiffre supérieur. Ce qui lui amène à faire un nombre à trois chiffres facile à lire. N’oubliant pas qu’il s’agit de fioles de persistante qu’il multipliera plus tard par leur nombre.
Le prix proposé pour les fioles de persistante est volontairement plus élevé, beaucoup trop élevé même. On pourrait le confondre avec le prix de Moca qui est aussi assez élevé, mais moindre comparé à la multiplication.

— Mais au vu de la récolte et de votre première visite, je vous fais un prix.

Un geste commercial, mais aussi pour attirer ses faveurs. Le prix était volontairement très élevé. Cependant, le voilà qu’il baisse quelques phalanges, réduisant sa valeur pour la fiole de persistante d’un tiers, ce qui revient à un coût très raisonnable, mais aussi très agréable pour une commande aussi importante. La fiole de Moca est divisée par deux.

— J’espère un retour sur vos impressions…

Un retour sur les effets du produit grâce à un prix "découverte" pour les deux pour qu’elle puisse d’elle-même juger la qualité et proposer un ajustement sur la prochaine commande. Si elle juge que le produit est satisfaisant, elle pourra négocier d’elle-même. Le prix réduit jouant sur la satisfaction du client. Chose qu’il n’a jamais fait avec d’autres pour ses remèdes. Le fait-il pour ses beaux yeux ? Oui, très probablement.

Ven 27 Sep - 21:51

Fàçonner des alliances

Dans les reflets pourpres, le poison


C’est à travers la vapeur et sur l’horizon du bord de la tasse qu’elle l’observait se rassoir, s’installer, retomber dans cette arène de fortune qui les voyait s’affronter. En affaires comme en guerre, chaque mot pouvait blesser comme sauver. Le travail des commerçants comme celui des clients était l’accord, et pour cela, il fallait se livrer à une danse, qu’elle soit élégante ou sanguinaire.
Pour eux, qu’est-ce que ce serait?

Les années avaient filées pour Nue avec une candide maestria, une sagesse cachée dans la fraîcheur. Contrairement à sa fille qui aimait jouer des mélodies suaves et doucereuses, elle avait toujours été tout en mesure. Le juste prix pour la juste trouvaille: pas un astras de plus, ni un astras de moins. C’est pour cette raison qu’elle n’avait jamais été douée pour les affaires et qu’elle avait fait toute sa carrière officielle comme danseuse à la cours.

Mais pas Lan-Lan. Non, pour elle, la guerre n’existait qu’en niveau de gris. Tenir la corde, l’user doucement, tirer, toujours un peu plus, jusqu’à ce que la tension soit à son paroxysme. C’est là qu’il fallait serrer la main tendue et sceller l’accord. Pas avant. Et surtout pas après.
Quelle serait la corde de ce maître herboriste? Jusqu’où tirer? Elle avait remarqué ses yeux scintillant, son intérêt pour la cour et ses commentaires affectueux. Le charme, peut-être? Il semblait simple et humble, mais cela cachait une élégance toute ancienne. Des années d'observations, plus proche des glycines et des pivoines que des gens des villes. Un homme qui n'appartient pas au tumulte des apparences, mais à la douce pudeur des jardins. Une noblesse d'épines.

Doucement, elle serra ses deux mains, enlaçant ses propres doigts dans une symphonie d’or et d’argent, le son de ses bijoux et de leurs chocs envahissant toute la pièce. Prête au combat, prête à danser.
1,2,3… De surprise en surprise.

L’herboriste commença à bouger ses doigts avec une rythmique et une façon toute prodigieuse, comme si il invoquait les pouvoirs des mathématiques sur chacune de ses phalanges - aussi surprise que décontenancée, elle en perdit un instant son latin, le temps pour elle de bien comprendre ce qu’il entreprenait. Dix, Cent…

Jusqu’à baisser le prix presque par moitié. Ce n’était pas un geste commercial, mais une offre; un monétariste amateur aurait décelé le don.

Eh bien! Marché conclu, vous me faites une vraie fleur. Dit-elle gaiement. Se sentait-elle poussée des ailes, petite mésange poudrée qui n’a même pas eu à lutter?
Non, pas tout à fait. Elle souriait à la perspective d’un chemin plus long, plus grand. Elle souriait à l’avenir, à tous les mots qui n’avaient pas été prononcés.

Lui offrir autant était une preuve d’abnégation - il offrait à leur collaboration des mois fertiles, tout comme il lui tendait la main pour revenir rapidement. Et elle, en retour, ne pouvait qu’accepter le soutien d’un expert qui savait parfaitement dans quelle toile il marchait. Elle avait été suffisamment ouverte pour laisser entendre que les Fà n’avait rien d'innocent, et si il avait pu s’en douter ces dernières années, elle avait complètement arraché le doute.
Pourtant, il avait suivi, et avait même fait preuve de flexibilité.

Je n’y manquerai pas… Monsieur Balibe. Ce fut un réel plaisir.

Elle tendit la main pour sceller l’accord, se faisant une note de lui faire un point complet sur son travail à leur prochaine entrevue. Elle imaginait déjà les rudes mois à venir, le froid, et s’interrogeait déjà sur son périple Opalin. En voulait-elle déjà plus?

Probablement. Après tout, Lan-Lan Fà voulait tout.

Sam 28 Sep - 10:48



Doucerive / Demeure de Duscisio

Bahlam 1901



 Le marchandage au prix gracieusement baissé. Le compliment d’un jeu de mot très apprécié. Une entente soigneusement entretenue.

Sa technique de comptage est assez spéciale, mais comprise assez vite pour y trouver son utilité. C’est impromptu, je vous l’accorde. Mais ça marche et ça fait sourire. Les centaines et les dizaines enfin déterminées et arrangées, la jeune femme accorde une surprise et une satisfaction du prix des fioles respectives. Il lui fait une fleur.
Vous n’imaginez pas à quel point ce prix baissé et rattrapé par le visage radieux de sa cliente. Elle lui procure une grande énergie pour ce petit cœur de ronce. À prendre au sens propre, malgré l’absence de battement d’un être surnaturel. Son retour est un grand sourire et un regard très appuyé. Ne le fait-il pas pour toutes les femmes qu’il trouve absolument magnifiques ? Si, bien sûr. Ces critères ne sont pas très compliqués pour déterminer la beauté d’une femme. Lan-lan fait donc partie de celles qu’il va apprécier sur une longue durée, tout comme sa mère.
Les deux femmes procèdent deux des critères qu’il recherche. Il ne faut pas oublier que leur espérance de vie est bien courte, comme le confirme l’annonce de la retraite bien méritée de Nue. Leur lignée est assurée et Duscisio se chargera de la maintenir grâce à ses produits.

Mais que va-t-il penser là ? Il sait bien que l’herboriste qu’il est ne peut influencer sur leur avenir.
Peu importe, il fera en sorte de revoir cette jeune femme aussi longtemps qu’il lui est possible de le faire. Aucun ressentiment ni manipulation derrière ses pensées. Juste un train de vie qu’il a toujours suivi et idéalisé par la vision des plus belles femmes d’Uhr.

— Plaisir partagé, mademoiselle.

Aucun mensonge dans ses mots. Il accompagne le départ de sa cliente jusqu’à sa porte et chargera de lui-même les produits dans sa voiture. Sa force n’a d’égale que sa nature et sa galanterie. Sur la caisse de Persistante en poudre se trouve la rose blanche qui a servi pour les unités et resta au bord de la route jusqu’à ce qu'ils ne la voient plus.

Pas un mot de plus, si ce n’est une pensée.
Le temps imparti s’écoule avant qu’il ne parte pour la forêt de l’arbre-dieu. L’expédition qu'il a mentionnée tout au long de leur échange sans préciser sa destination. Cela avait-il une importance ? Non. Inutile de donner trop de précision. Il se sortira sans aucune séquelle. Il a bon espoir.

Une semaine plus tard. Un énorme dirigeable vient le chercher. Loin de se douter, que le prix à payer est bien plus important qu’il ne le pensait.