Mar 30 Juil - 15:38
Doucerive / Demeure de Duscisio
Bahlam 1901
Ce fut une bien longue année, bien remplie de bonnes choses.
L’automne déjà bien avancé annonce déjà le début de l’hiver. Il n’oubliera pas non plus son engagement auprès d’Ellendrine pour une excursion dans la forêt de l’arbre-dieu qu’il prépare intérieurement depuis des mois. Comme tous les ans, l’élémentaire s’accorde à un exercice quotidien. Recharger ses batteries pour le prochain hiver, tout en augmentant chaque année ses capacités.
Un réservoir qu’il gonfle depuis plusieurs dizaines d’années. Une rivière creusant son lit pour en augmenter son débit.
Peut-on juger d’une telle pratique quand on en voit le résultat chaque année. La parure de l’apothicaire est toujours plus fournie, de plus en plus recouverte au fur et à mesure que le temps passe. Se rappelle-t-on de ses premières années en tant qu’apothicaire où il ne possédait qu’une vingtaine de roses à cette même période ? Par instinct et adaptabilité, aujourd’hui cette parure orne la chevelure d’argent sur toute sa surface. Toute bien ouverte tout au long de la journée, un buisson aussi garni mériterait une photo ou une peinture que l’on approcherait tel une œuvre d’art à tel point que cela semble irréel.
On frappe à la porte. Non que ça ne soit pas rare, les clients venant surtout de Doucerive sont communs quand ils manquent d’un remède bénin ou font une demande particulière. C’est dans ce domaine que l’apothicaire Balibe Duscisio a su se démarquer dans la région.
Cette fois-ci, il s’agit d’un courrier. Les demandes venant de loin, Xandrie comme partout ailleurs, sont un peu plus rares. La proximité des commerces y est pour beaucoup, sans pour autant le déranger. Malgré la capacité de l’homme d’inventer de nouveaux moyens de transport toujours plus rapides et sophistiqués, elles n’ont fait qu’arranger les échanges. Enfin, tant qu’elle n’approche pas de lui, il n’aura rien à y redire.
La personne qui frappe à nouveau à la porte n’est autre qu’un facteur. Seulement, il frappe dans le vide puisque le propriétaire des lieux se trouve à l’extérieur. Il n’a pas dû le voir. Confondu avec le mur, du côté opposé de la voie de circulation. Duscisio a fini par réagir quand son nom de famille a été prononcé, en hurlant même.
- Balibe Duscisio, du courrier pour vous !
D’habitude, une lettre est laissée au pas de la porte. Il est curieux de savoir pourquoi il ne se contente pas de cette manœuvre simple plutôt que de crier sous tous les toits d’une lettre à son nom.
- Inutile de crier, je suis là…
La voix douce, adulte et mature surgit de nulle part au point de faire sursauter le facteur avant de lui tendre la lettre en question. S’il n’a pas répondu dès qu’il a commencé à frapper, c’est que son activité actuelle se résume à préparer l’hiver et un prochain voyage. Il ne prend pas beaucoup de commandes non plus à cause de cela.
Il retire ses gants de jardinage avant de saisir la lettre. Elle devait être importante, très importante. Si bien que la garantie d’être remise en main propre est tenue au pied de la lettre. Le facteur du jour repart une fois sa mission terminée. Il n’y a pas d’expéditeur sur le papier, mais elle est signée d’une branche de Fuschia.
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Maître Balibe,
La saison est douce pour ces mois frais. Parfait pour un thé, n'est-ce pas ?
Rencontrons-nous enfin pour discuter affaires — ma mère ne sera des nôtres, mais regarder les fleurs d'hiver nous fera penser à elle.
Puissiez-vous aller bien - à notre future entrevue.
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Depuis combien de temps n’a-t-il pas vu une telle écriture ? Cela doit remonter à quelques années déjà. L’encre violette glisse sur un papier jugé précieux. Les mots reflètent bien la grâce de son auteure que l’on en imagine déjà ses quelques traits. Il y a très peu de texte, mais cela suffit à donner énormément de détails.
Nue Fà a été une cliente très raffinée à leur première rencontre. À cette époque, Duscisio commençait dans le métier et il en savait déjà beaucoup plus que le commun des mortels ou le plus chevronné des chercheurs. Cette famille sait donc à qui cette lettre est adressée.
Nue Fà a eu une fille. Il l’ignorait jusqu’à aujourd’hui. Quant à ses activités, ils en discuteront à son arrivée.
- Une Pandora ne fleurit qu’une fois par an. Dit-il calmement. Laissons faire le temps.
Il ignore s’il a déjà entendu cette expression ou l’a simplement inventée. Le côté poète de l’élémentaire a un côté charmant. Il préparera tout de même une table, bien qu’usée par le temps qu’il laissera dehors. Décorant un peu pour cacher le côté vieillot que laisse apparaître un herboriste sans la moindre notion de temps. Même si la saison ne s’y prête pas, parler à l’extérieur pour une dame de la noblesse sera plus agréable que l’intérieur négligé, mais propre. L’odeur de diverses plantes peut aussi bien envoûter que prendre au nez.
Si l’on compare l’entretien parfait de son chariot avec sa demeure, on ne doute nullement de son train de vie. Il fera en sorte de masquer certaines odeurs en faisant cuire des plantes comme s’il fabriquait un parfum. S’il ne se contente que d’eau sucrée, lui proposer une telle boisson ne serait pas très avisé. Peut-il la séduire un minimum pour faire bonne impression en allant chercher conseil auprès d’un marchand de thé dont il pourrait aller chercher de lui-même les feuilles et les faire sécher. Aussi, il profitera de ce trajet pour laisser son cheval à un maréchal ferrant en lui annonçant son prochain voyage. Le chariot restera chez lui à l’abri sous une tonnelle qu’il a pris le temps de faire ces dernières semaines.
À ce jour, et en attendant l’arrivée prochaine de la famille Fà dans sa demeure, l’apothicaire est en train de finaliser ses préparatifs. Tout ce qui se trouvait dans le seul moyen de transport à disposition est entreposé et rangé dans la petite maison. Auparavant vide, elle laisse le lit, la table et la cheminée, accompagnées de nombreux vêtements accrochés à des branches épaisses qui servent de meubles que seul un élémentaire plante serait capable de fabriquer.
La table attend à l’extérieur. La façade est agréablement décorée de quelques plantes d’automne. Le service à thé qui lui a été prêté est caché sous une cloche sur cette même table pour ne pas prendre la poussière. Le facteur de la dernière fois lui a annoncé sa venue dans la journée. Le rosier blanc restera peu actif et se limitera à s’habiller de son plus beau vêtement immaculé pour correspondre avec la noblesse de la famille qu’il s’apprête à rencontrer.
En fit-il un peu trop ? Peut-être. Il ne sait pas lui-même comment procéder. Aurait-il pu se contenter du plus simple, mais au vu qu’il possède déjà quelques vêtements soignés, autant en profiter pour les mettre de temps en temps. Ses fleurs sont également encore un peu endormies. La parure ne se dévoilera qu’en entendant arriver la jeune femme dont le transport s’entend de l’extérieur. Il sort et s’apprête donc à l’accueillir, soupirant en signe de chance et d’une certaine tension.