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Vamistul, as-tu des scrupules ?

Vamistul, as-tu des scrupules ? Brandw10
Sam 20 Juil - 23:48



Vamistul, as-tu des scrupules ?

Vamistul — Sylas Edralden


Un bruit de clé qu’on insérait dans une serrure rouillée retentit dans l’enceinte du cachot humide et lourd, embaumé par la sueur des différents détenus dont les corps vivants ajoutaient un peu plus à la chaleur suffocante des environs. L’évènement, opportun, semblait avoir arraché la plupart des prisonniers à leurs rêveries. Les voix s’élevèrent, le brouhaha s’intensifia comme pour alpaguer les deux gardes qui s’étaient aventurés dans les geôles. Ils s’arrêtèrent devant une des cellules où une demi-douzaine d’hommes attendaient qu’on statuât sur leur sort. À nouveau, une clé insérée dans l’orifice, et la porte de la cage s’ouvrit. Les gardes, suffisamment armés, dissuadèrent les occupants de tenter quelque manœuvre que ce fût.

« Toi, l’énergumène. » annonça-t-il d’une voix caverneuse à ton attention, Vamis l’automate.

Tu avais du mal à resituer depuis quand tu étais enfermé ici. Cela ne faisait pas non plus une éternité, mais il fallait dire qu’avec les remous causés par la dernière tribune, les arrestations ont été légion, ce qui n’a fait qu’augmenter les quarts de la garde sans qu’elle n’employât davantage de tâcherons pour abattre ce labeur soudain. D’ordinaire, tu aurais fait une garde à vue écourtée, mais là, tu pouvais ressentir sans mal que tout le monde était à peu à cran, quand bien même cette sortie momentanée pouvait t’octroyer quelque sentiment de délivrance.

*

« Vous êtes sérieux ?
On n’est jamais trop prudent. »

Ces deux voix, c’était celles de deux hommes de la Garde Sacrée, respectivement Omer Dalors et Salim Bienlézongle. Deux individus propres sur eux. Omer était attablé avec des piles de dossier à ne plus savoir qu’en faire dans cette salle d’interrogatoire. Il regarda par-dessus son épaule pour observer Salim qui était adossé au mur de la pièce, les bras croisés, détendus. Puis il se retourna finalement.

« C’est le quatorzième qu’on interroge, sans doute un tas de ferraille perdu.
Les instructions sont claires… »

Leur discussion à bâtons rompus fut interrompu par ta venue. On te fit prendre place sans ménagement, sur une chaise, dés lors dévisagé par Omer qui, le regard dur, te dévisagea sans retenue. Salim, lui, ne bougea pas d’un pouce, pas décontenancé une seule seconde par ton apparition.2

« Un golem. » entonna Omer comme pour souligner l’évidence, avant de se rafraîchir d’une gorgée d’eau.

Il soupira bruyamment comme pour exprimer son apaisement, provoquant la gêne dissimulée de son comparse Salim, et remit de l’ordre dans ses notes avant de poursuivre.

« Je suis l’agent Omer Dalors, et voici mon collègue Salim Bienlézongle… »

L’intéressé décroisa les bras et finit par s’attabler, l’air nonchalant. Il disposa devant lui du matériel pour écrire, en greffier qu’il s’improvisait.

« … Je vais commencer par vous rappeler le motif de votre présence ici : d’après plusieurs témoignages, vous avez d’abord insulté l’archevêque d’Aramila, à plusieurs reprises, de “tocard”… »

Salim pouffa brutalement et se pinça la lèvre. Il essuya un regard réprobateur d’Omer qui, l’air furibond, poursuivit.

« Par la suite, vous auriez continué de troubler l’ordre public, notamment en l’espèce en criant, je cite… »

Omer plissa les paupières, comme pour être sûr de ce qu’il lisait.

« … Oh oui, arrose-moi de ta lumière… Mon chéri…? »

Salim pouffa franchement de rire à en frapper la table. Omer le fusilla du regard.

« Monsieur Bienlézongle, s’il vous plaît !
… Bon, Monsieur Dalors, vous avez gagné, ce n’est sûrement pas un espion d’une puissance étrangère… Juste une drôle de chose qui a les jonctions rognées…
—  Un peu de sérieux ! On passe pour des abrutis face à quelqu… Face à une chose qu’on est supposé écouter sur les motifs de ses actes. Par les Douze !
Hum, vous avez raison. »

Omer se racla la gorge et t’accorda à nouveau toute son attention.

« Veuillez excuser mon collègue. Les journées sont assez chargées avec ce qu’il s’est passé. En attendant, veuillez confirmer et constater votre identité. Après quoi nous vous rappellerons vos droits. »
Mar 6 Aoû - 7:27
- je suis Vamistul, fils de Sancta - humble chercheur des Dieux et collecteur de vérités je
- Blablabla, ouais, Vamistul, donc. Golem ?
- non modèle d'automate primitif pré-16ème siècle - même si primitif sonne un peu péjoratif

Au frais dans sa cellule de dégrisement, Vamis avait pu se calmer. Le module d'empathie n'injecte plus de signaux crispés et les disques mémoires compilent tranquillement les souvenirs de la tribune comme s'il s'agissait d'un mauvais rêve bizarre dans lequel le robot incarnait quelqu'un d'autre que lui-même. Maintenant, il vivait son propre interrogatoire comme si c'était une pièce de théâtre dont il était simple personnage secondaire.

- Vamistul, au nom du code sacré d'Aramila, qui régit la vie de ses citoyens comme de ses non-citoyens, laissez moi vous rappeler que vous avez le droit de vous demander un avocat (mais je vous le déconseille, nous n'avons pas que ça à faire) ainsi que de garder le silence durant l'interrogatoire bien que cela soit préjudiciable pour... vous m'écoutez ?
- oui
- Je n'étais pas sûr. Bref...

Le robot restait immobile, raide sur sa chaise, comme s'il avait encore planté. Et puis Omer n'aime pas interroger quelqu'un qu'il ne peut pas regarder dans les yeux. C'est quoi ses yeux, à lui ? Le cristal du haut ? Celui du bas ? Le petit trou sur le côté ? C'est pour ça qu'il déteste les golems, pense-t-il, ça ressemble à rien, on est jamais sûr que ça pige ce qu'on leur raconte. Hm, c'est extrêmement raciste, comme remarque.

- Votre nom disait quelque chose à certains de mes collègues. Ils m'ont dit qu'ils avaient déjà entendu des histoires de tas de ferraille se baladant seul dans le désert. C'est vous ? Vous devez être dans les parages depuis un sacré bout de temps ?
- oui environ trois cent ans (plus ou moins trente) - je suis pas citoyen mais chéris Aramila et son peuple de toute mon âme
- Et après... trois cent ans... à vous tenir à carreaux, vous vous pointez à l'assemblée et proclamez des insanités à l'encontre de notre bon archévêque ?
- Il doit être sénile non ? propose Salim, qui n'est pas si loin de la vérité.
- je m'excuse - mon module d'empathie est rentré en surcharge - j'ai dérapé - la boulette ! - pardon, pardon pardon !

Omer lève un sourcil qui ne redescend pas. On rencontre beaucoup de fous, à Aramila, heureusement la plupart sont gentils. Celui-ci est un fou d'un acabit différent, car les lois aramillianes ne prévoient pas grand chose concernant les robots déviants non-citoyens qui insultent des notables et qui déclenchent des petits émeutes. La loi part du principe que tout ce qui est parlant et humanoïde dispose d'une conscience, forgée dans le feu divin d'une manière tout à fait traditionnelle. Mais un robot pensé et conçu par les Hommes, même s'il est destiné à servir les Dieux... ça reste un intrus ! Un angle mort du royaume des Douzes. Et donc aussi de notre loi...

Omer, non décidément, il n'aime pas ça. Il n'aime pas se poser de question sur le niveau de conscience et sur la place cosmique des suspects qu'il interroge.

- Vous savez donc pourquoi nous vous avons amenés ici. En criant vos profanités, vous avez grandement perturbé le public et les débats, et incité d'autres énergumènes à faire de même. Vous êtes un agitateur. C'est ce qui restera gravé à vie dans votre dossier.  
- noooon
- Ça pourrait vous poursuivre si vous cherchez un jour à obtenir la citoyenneté parmi nous, ajoute Salim. Que ça soit demain ou dans cent ans... ça pourrait vous retomber dessus.

Salim enjolive un peu. La paperasse commune survit rarement plus de dix ans dans les archives. Mais l'idée de se faire renier par Aramila a l'air de terrifier son suspect, alors il en profite.

- Notre loi prévoit cependant une seconde option. En cas d'injure publique grave, le prévenu peut faire amende honorable via une série de douze travaux d'intérêts généraux, associé à des excuses envers la victime de l'outrage. S'il se repent sincèrement, l'offense est oubliée pour la justice.
- j'ai trébuché sur mon chemin de lumière ! grâce à vous, bons hommes de loi, je pourrai me relever l'âme intacte ! - si je dois préparer le café de Sylas et repasser ses slips pendant des années pour me racheter devant les Dieux alors qu'il en soit ainsi
- Personne ici n'a parlé des slips de Sylas, Vamistul.

Vamis ne rechigne jamais au travail, surtout quand celui-ci se pare d'un aspect un petit peu sacré. La culpabilité et la honte qui le rongent ont besoin d'un exutoire, car le robot est actuellement persuadé que les cent mille yeux compatissants de Raphalos sont un à un en train de se détourner de sa ridicule carcasse pour aller mater d'autres âmes un peu plus vertueuses.

- Monsieur Dalors, savez vous que les toilettes sont encore bouchés ? Et que ça refoule même dans nos douches ?
- Quel rapport avec...
- Vous ne voyez vraiment pas le rapport ? La caserne a besoin d'un grand coup de neuf. On va surement récupérer beaucoup de petits malins condamnés à des TIG.
- LAISSEZ MOI DÉBOUCHER VOS TUYAUX
- Lui, il a comprit le rapport. Quel enthousiasme !

Salim se pose maintenant derrière Vamistul et lui tapote doucettement les épaules, presque amicalement. On crache pas sur de la main d'oeuvre gratuite ici, un ouvrier solide, infatigable et obéissant, surtout quand c'est la loi qui nous l'embauche !

- Les douze travaux de Vamistul. Ça sonne bien, non ?
- Il faut tout de même finir l'interrogatoire avant de l'envoyer au turbin...
- On a encore trente petits malins à faire défiler ici, il va falloir accepter d'être un petit peu plus expéditif, monsieur Bienlézongle. Surtout quand nous avons la chance de tomber sur quelqu'un de si aimable et collaboratif.
- je me mets au travail tout de suite si vous le souhaitez - une brosse une serviette et une ventouse ! - bénissons vos toilettes

Omer pousse un immense soupir tandis que son collègue, tout excité, distille au robot quelques compliments sur sa motivation, assorti d'un briefing sur l'ampleur du désastre qui l'attend dans les canalisations de la caserne. Virgil la colombe, planté derrière la petite lucarne entrouverte de la salle d'interrogatoire, écoute attentivement et réprime un rire lorsqu'il comprend la nature des aventures qui attendent son pote cristallin.

Es-tu plombier, Vamis ? Non tu ne l'es pas ça va te prendre une éternité de trouver les bons gestes. Tu vas passer des jours ici, à imprégner ta carcasse de l'odeur et à construire des pâtés de caca dans des seaux. Ça n'a aucun intérêt, de gâcher des mots à narrer tes ridicules épopées. Je préfère encore retourner vagabonder une nouvelle série de quarante mille trois cent vingt cinq années dans les limbes que de rester la moindre heure dans les égouts de la caserne à respirer la merde des flics, mon ami.
Jeu 22 Aoû - 21:19



Vamistul, as-tu des scrupules ?

Vamistul — Sylas Edralden


Ne t’en fais pas, cela ne va pas se passer comme tu l’entends.

*

« L’amusement, autant que la serviabilité de Vamis, était de courte durée. »

Omer Dalors avait prononcé ces paroles d’un ton grave, guttural à l’envi. Il haussait les épaules alors qu’il observait Vamistul affairé à une besogne qui avait réduit sa condition de plus belle. L’automate prenait son temps mais son travail aboutissait à des résultats satisfaisant, quand bien même fallait-il lui huiler les coudes. Il s’approcha du prévenu, le pas lourd, faisant monter la tension, faisant durer le suspens. Il s’arrêta au niveau de Vamis.

« Oublie ces histoires de douze travaux, Vamis. Tu vas pas récurrer la merde mais… Mais… J’aimerais pas être à ta place. »

Il darda un regard sévère, presque hautain sur la silhouette golémique du détenu. Il s’empêchait d’esquisser un rictus nerveux, s’imaginant déjà l’issue du conflit dans lequel il s’était embourbé.

*

Sylas pénétra, sur indications répétées du personnel des lieux, dans la chambre correctionnelle dans laquelle il était attendu. Il essuyait tantôt des regards admiratifs, tantôt méprisants. À n’en pas douter, ses oraisons, échanges, interventions auprès de la Tribune n’avaient pas été oubliés. Mais à chaque fois qu’il passait prêt d’un concitoyen, ce dernier, quelque averti qu’il fût, ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une certaine tension. Dans tous les cas, il fit montre de la constance qui était sienne et accordait un sourire affable à ses hôtes, même s’il en recevait bien peu en retour.

Il s’approcha d’une personne attablée qui le dévisageait déjà avec un air à la fois admiratif et ébêté.

« Votre Sainteté, bonjour… Où est votre avocat ?
Je n’en ai point. de répondre promptement l’Archevêque. Je représenterai seul mes intérêts en tant que partie civile de l’affaire Vamistul. »

Le greffier sembla s’interrompre par un silence désagréable, comme pris au dépourvu.

« La constitution n’oblige en aucun cas le concours d’une personne de loi, et vous n’iriez tout de même pas penser que je ne puis déclamer ma propre défense en pareille circonstance…? »

L’air interrogateur, le regard perçant et les mains dans le dos, il releva le menton, exhibant quelque manière inquisitrice comme pour affermir ses propos. Son interlocuteur déglutit et s’empressa de mettre à jour ses dossiers.

L’archevêque prit place en retrait, au devant, ignorant tous les regards qui coulaient sur lui et observait au devant. Les magistraux étaient déjà en train de s’installer sur leurs bureaux sombres et surélevés, avec à leur gauche un autre greffier et, à leur droite, le procureur, qui rappelait à Sylas ce fameux Pyros qui n’avait pas fini de lui faire savoir un semblant de duplicité dans les affaires les plus critiques de l’État. Il prit ses aises sur le banc, bien qu’il offrait un confort bien sommaire.

Le président s’arma d’un marteau et frappa d’un coup fort et sec.

« La séance est ouverte ! déclama-t-il. Faites entrer le prévenu ! »

Au dehors, Vamis, tu attendais alors qu’Omer Dalors et Salim Bienlézongle t’enlevaient toute entrave physique à tes déplacements — et puis, de toute façon, les menottes qu’on t’avait enfilées n’étaient pas vraiment appropriées à une entité de ta trempe — et te conduisirent sur l’autel, devant les juges qui allaient statuer de ton sort. En marchant, à l’instar de Sylas, tu essuyais plusieurs regards, certains incrédules, d’autres abasourdis, de rares admiratifs… L’ambiance était tendue, l’atmosphère lourde. La tension palpable.

« Ça, par exemple… poursuivit le président. Affaire faisant suite à la dernière audience extraordinaire de la Tribune. Sont présents Mesdames et Messieurs les magistraux, Monsieur le Procureur, le prévenu Vamistul, accompagné de son avocat commis d’office, ainsi que la partie civile, Monseigneur Sylas Edralden, non représentée par son avocat. Avant de permettre le débat contradictoire, il sera rappelé au prévenu le déroulement de la séance ainsi que ses droits. Premièrement, les faits reprochés seront rappelés. Par la suite, des questions seront posées au prévenu dans le but d’obtenir ses justifications quant à ses actes. Viendra ensuite le tour des parties civiles de s’exprimer, en l’occurrence Monseigneur Sylas Edralden. Après que les parties civiles auront exprimé leurs requêtes, Monsieur le Procureur prendra la parole et, pour conclure le débat, la parole sera laissée en dernier à Vamistul et son conseil, afin que ceux-ci puissent pleinement se défendre face aux accusations à leur encontre. »

Le président darda un regard perçant sur l’automate, avant de poursuivre.

« Vamistul, vous comparaissez aujourd’hui, le seize keladron mille neuf cent un, prévenu pour avoir, le douze keladron mille neuf cent un, à la Tribune, ou en tout cas sur le territoire Aramilan, professé des insultes envers Monseigneur Sylas Edralden, notamment en l’espèce en vociférant “Dégage Sylas, tocard” à de multiples reprises, “oh oui, arrose-moi de ta lumière mon chéri”, “ce chien galeux revient me mordiller le mollet”, “mais c’est qu’il va me refiler une saloperie”, faits prévus par l’article mille trois cents quatre-vingt quatorze alinéa trente-sept du code pénal aramilan. »

On put entendre des rires mêlés à des protestations dans l’assistance. Le magistrat se saisit de nouveau de son marteau et frappa à plusieurs reprises.

« Silence ! » feula-t-il d’une voix tonitruante qui rappela immédiatement au calme.

Son attention se focalisa sur Vamistul à nouveau.

« Que vous avez de la chance qu’ici il ne soit point question de trouble à l’ordre public, Vamistul. Mais vous pensez sincèrement qu’on peut s’en sortir impunément en insultant les hautes instances d’Aramila ? De perturber la res publica dans son exercice ?! »

Sylas, tranquillement assis, observait la silhouette de ce qui semblait être son bourreau de l’instant. Les mains rangées dans les manches de sa djélaba, il attendait la réponse du prévenu aux question du président de la séance.