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Un clou chasse l'autre

Un clou chasse l'autre Brandw10
Dim 23 Juin - 20:54
Elle n'en pouvait plus de ce paysage. De cette morne région aux secrets trop bien enfouis et plus dangereux encore une fois révélés. Même là, dans la citadelle de l'Alliance, elle ne se sentait pas en sécurité. Le Chancelier, son oncle, lui avait promis un échange de bons procédés qu'elle espérait voir honoré. C'était pour cela qu'elle était là, dans cette petite pièce exigüe, apparemment la plus a même de conserver la confidentialité de cet entretien.

Dans ce boudoir accolé au bureau de Panoptès, dont la taille ne ferait probablement pas pâlir de jalousie un placard à balai, elle patientait les jambes croisées, confortablement assise sur l'épaisseur satinée d'un fauteuil rouge. Malgré sa petite taille, la pièce était richement décorée ; à demi-enfouie dans la pénombre, elle n'était illuminée que par la lumière dorée projetée par une chandelle quasiment nue, fixée au mur. De l'intérieur, on pouvait admirer non pas une, mais bel et bien deux portes. L'une d'entre elles donnait sur un prétendu cul-de-sac, dans l'un des couloirs adjacents. Ceux qui utilisaient pareil endroit ne voulaient probablement jamais être perçus côte à côte dans le reste de l'infrastructure.

Finalement, après quelques minutes seulement, le pan de bois se souleva, laissant apparaître la lumière orangée du crépuscule perçant à travers les grandes fenêtres du corridor. L'oligarque était reconnaissable entre mille ; il n'avait fait aucun effort pour voiler son identité, contrairement à la princesse qui laissait encore paraître des souvenirs de ses dernières aventures, jusque dans ses vêtements de simple voyageuse. Elle déteignait violemment avec le chic de son interlocuteur, qui prenait place devant la table basse, entre eux deux.

« - Princesse Qian Binghao, » signa le visiteur d'un léger hochement du chef.

Évidemment, il était bien renseigné. Xandrie était un pays voisin après tout. Et bien plus proche des activités de ses industries que Aramila ou le Renon. C'était du moins ce que lui avait brièvement concédé le Chancelier avant de lui indiquer qu'il ne pouvait lui en dire plus. Elle s'était renseignée... mais probablement pas autant que le Grand Sapiarque.

« - Monsieur Van Beck, c'est un plaisir de vous rencontrer enfin.

- Il en va de même pour moi. Par mémoire épistopolitaine, j'ai le plus grand respect pour votre entreprise révolutionnaire. »

Ainsi il en venait directement au sujet. Quelques collations trônaient au centre de la table et Elsbeth ne fit rien d'autre que de les admirer passivement, le temps de trouver une réponse à la hauteur de la perche que lui tendait le responsable épistote. Si cet entretien était censé demeurer parfaitement secret, il semblait évident que le dainsbourgeois avait déjà préparé ses cartes et attendait à présent qu'elle courtise son pouvoir.

Panoptès avait su trouver un moyen de rester neutre, au final.

« - Vous êtes bien renseigné. Vous devez déjà savoir que c'est la raison pour laquelle cet entrevue est organisée. Aussi ne vais-je pas y aller par quatre chemins. » Elle s'épargna d'ajouter « non plus » à son assertion, persuadée que si l'homme était intelligent, il pouvait aussi se montrer imbus et belliqueux si elle venait à lui imputer des intentions. « Plus que jamais, la mouvance révolutionnaire est proche de ses objectifs, oui. Nous sommes parvenus à former des alliances fragiles... que le  vent pourrait les souffler à tout moment. »

À ces quelques mots, l'homme s'avachit sur son siège. Il n'était certainement pas là pour entendre un oraison funeste, mais espérait une quelconque offre commerciale. Toutefois, elle tenait à dépeindre le tableau dans ses moindres détails, car l'instant pour agir ne durerait pas éternellement. Et cela, il fallait que le savant le comprenne, avant de chercher à percevoir ses propres intérêts.

« - En interne, des divisions manquent de resurgir à chaque instant et il m'est difficile de conserver plus longtemps ce masque pacifiste et laxiste face à d'autres figures moins raisonnables au sein de Notre révolution. Ma Générale fait un travail extraordinaire, mais même elle est accablée par ses propres doutes et pourrait finir par se retourner contre moi.

- Je comprends très bien que vous êtes dans une course contre la montre. Une façon sagace mais risquée de présenter les choses ; ne sous-estimez pas mon intelligence ni l'ampleur de mon réseau d'informateurs et venez-en aux faits. »

Il savait donc. Mais jusqu'où ? Soudainement, la question provoqua un trouble dans l'esprit de la princesse, qui venait de sonder le vide et se rendre compte qu'il lui rendait l'écho de ses propres pensées. Il fallait espérer que les éventuelles taupes épistopolitaines n'étaient pas si haut placées, sinon elle ne serait que la marionnette d'un projet la dépassant. Elle aimait estimer qu'elle savait exactement ce qu'elle faisait, mais l'homme dégageait une aura de puissance qui la miniaturisait.

Ils ne jouaient pas dans la même catégorie.

« - Nous pouvons balayer le régime aujourd'hui. Mais l'étincelle ne peut pas venir de nous : nous ne somme que le feu qui gonflera dans l'âtre lorsque les braises seront suffisamment chaudes. Et il manque un déclencheur pour ne pas se mettre à dos le seul organe fonctionnel de cette monarchie imparfaite. Je parle évidemment du Guet. »

L'homme à la chevelure bigarrée porta sa main à son menton, personnifiant la science dans toute sa splendeur. Mesurait-il tous les paramètres ou était-ce une illusion pour cacher l'étendue de ses connaissances... ou l'inverse ? Était-elle en train de se mettre en danger, à signer un pacte avec le diable ?

« - Une ébauche de plan m'est venue à l'esprit, mais elle est imparfaite. Et elle nécessite une intervention extérieure, pour tirer certains fils, » conclue-t-elle avant de saisir l'une des deux tasses qui patientaient de chaque côté de l'assiette de confiseries. Tant bien que mal, elle maîtrisait le tremblement de la soucoupe tandis qu'elle portait le nectar noir à ses lèvres, dans l'attente d'une première réponse.

Et avec une lueur de malice, l'épistopolitain répondit :

« - Dites m'en plus. »
Dim 30 Juin - 13:31
Même si le Sapiarque pouvait ne pas estimer cela nécessaire, la princesse lui fit un tour d'horizon du pays, exposa sa vision des choses. Elle avait tant et tant à dire qu'elle sembla user toute sa salive, conservant une bouche pâteuse pendant plusieurs minutes à l'issue du laïus. Le café n'aidait pas, malheureusement, et sa tasse était bien vide à présent.

Dans les grandes lignes, le gouvernement était lui-même arrivé aux limites de son efficacité. Personne n'était dupe, pas même les ministres : le pouvoir émanait des guildes, voilà tout. Si ce n'était pour les assassins qui existaient en dents de scie, parfaits opportunistes des précieux astras royaux, et une garde royale aussi chiche qu'incompétente pour se défendre, si la révolution venait à prendre les armes avec le soutien du Guet, il n'y avait personne que le Roi Dynaste contrôlait réellement. Pire encore, il se faisait contrôler à la fois par Opale et ses sous-fifres, qui eux-mêmes n'étaient que les marionnettes d'Aegias et d'Opale encore une fois. Cette entité mort-vivante s'assurait à peine que le pays ne sombre pas, se reposant entièrement sur la police nationale, pour servir purement de vache à lait aux orientaux.

Il ne s'agissait donc pas simplement de se rebeller : la Révolution devait arriver. Un changement systémique, une re-nationalisation du savoir-faire xandrien. Il fallait redistribuer les pièces au centre de l'échiquier et les responsabiliser dans un nouveau type de gouvernement. Une oligarchie ? Peut-être. Une démocratie.

« - Vous souhaitez prendre un chemin différent du notre, nous ne sommes pas un bon exemple, » fit émaner, d'un air détaché, le Grand Sapiarque, avec un sourire lui barrant le visage.

C'était vrai et c'était là qu'elle devait marcher sur des œufs. Il s'agissait de ne pas insulter la régence épistote... mais en même temps, elle savait que son interlocuteur n'était pas un fanatique aveugle, il connaissait les frontières de l'organe politique. C'était un coup de poker dans la discussion : soit elle parvenait à suffisamment éveiller sa curiosité pour en faire un allié, soit elle l'insultait et en faisait un ennemi. Après un silence pesant, l'homme conclut en portant son regard vers sa tasse :

« - Vous aviez ma curiosité... » Et il papillonna des cils, comme se réveillant de songes lointains : « à présent vous avez mon attention. »

Elle comprit alors que l'homme n'était pas simplement malin, c'était aussi un excellent acteur. Venait-il de dévoiler son jeu gratuitement ?

« - J'ai étudié tous les modèles politiques, mais n'ai trouvé aucune réponse dans l'historique récent. Uhr n'a rien à offrir en termes de gouvernements stables, si ce n'est des modèles aristocratiques, oppressifs qui ne changeraient pas vraiment de ce que Xandrie connaît actuellement. Alors mes études se sont portées sur ce qui existait bien avant...

- Vous avez mis la main sur des Témoignages ?

- Mon lien de parenté avec le Chancelier a bien plus d'avantages que de pouvoir organiser ce genre d'entretiens. Il m'a ouvert les portes des Archives de Dainsbourg, essentiellement trouvables à la Bibliothèque d'Andoria. Je ne vous apprends rien, évidemment, alors veuillez m'excuser. Toutefois quelle ne fut pas ma surprise de découvrir ceci. »

Elsbeth dévoila un livre, soigneusement enveloppé dans un tissu de lin, et le tendit vers le dainsbourgeois. Légèrement endommagé par le temps, il restait toutefois consultable et son Vieil Uhrois était encore parfaitement déchiffrable. En lettres dorées, oxydées depuis des siècles, figurait le nom sur la couverture : « Res publica ». L'homme s'en saisit avec une prudente délicatesse, consultant les premières pages.

« - Il semblerait que l'Empire d'Yfe était marqué par de profondes divisions au cours de ses dernières décennies. Le dernier régent aurait, de ce fait, déployé plus d'effort pour conserver le pouvoir sur un territoire aussi grand que pour le gouverner réellement. Des courants de pensée révolutionnaires ont émergé et pensé à un autre modèle, dit « démocratique », où le peuple se gouvernerait lui-même grâce à des représentants élus. Ils appelaient cela la République et estimaient qu'une dizaine pourraient fleurir après la chute du joug impérial.

- Fascinant. Le torrent d'informations a été tel que j'ai dû passer à côté d'une telle découverte. C'est très idéaliste, du moins que l'on puisse dire.

- Mais la Révolution n'est-elle pas, par nature, idéaliste ? »

Cette fois-ci, Elsbeth avait un temps d'avance sur le savant, qui était suspendu à ses lèvres. Là était l'occasion de s'élever comme son égale, dans l'optique des évènements à venir.

« - J'ai l'intention de renverser le Royaume de Xandrie et d'instituer cette République. Avec votre soutien, je réussirai alors à rallier les Guildes et à me faire élire à la fois par les opprimés libérés et la bourgeoisie xandrienne. Elles n'auront pas le choix de me faire confiance pour garantir l'ordre et l'intégrité face aux menaces étrangères... c'est à dire Opale. Je mènerai la politique nécessaire pour cela et les obligerai à agir pour le bien commun, plutôt que dans leur petit intérêt. Les caisses des Monétaristes sont pleines à ras bord, les Espions gardent la main sur une quantité d'informations précieuses et les Bâtisseurs et les Mineurs emploient une majeure partie de la population. »

Le mot était dit, ses objectifs étaient sur la table. Et l'homme était avare de réactions, mais elle devinait dans ses yeux une lueur d'enthousiasme.

« - Je crois savoir ce que j'ai à y gagner, mais je veux l'entendre de votre bouche, Princesse. »

Cette fois-ci, ce fut au tour d'Elsbeth de sourire d'une oreille à l'autre, presque effrayante dans l'ombre des lumières projetées par l'unique chandelle.

« - Vous aurez l'opportunité de vendre votre énergie sur notre sol et de devenir notre premier fournisseur. Les prix d'Opale sont déjà aberrants, il ne sera pas difficile de faire mieux et je pense agir dans l'intérêt de mon pays en disant cela. J'imagine que cela serait une belle preuve de l'efficacité de votre technologie, sur les énergies fossiles qui vous contraignent à une activité coloniale coûteuse dans le sud du pays et un conflit qui n'a plus aucune raison de durer. »
Mer 31 Juil - 22:25
L'entretien touchait bientôt à sa fin. Et la monarchie xandrienne pourrait suivre, si l'homme décidait de briser le silence. La dernière proposition était sortie plus vindicative que la Présidente ne l'aurait imaginé, captivant d'autant plus le regard du pauvre homme qui acceptait de voir ainsi ses cartes rabattues sous ses yeux. Ce n'était pas un secret de polichinelle, mais c'était une constante politique pour quiconque savait voir. En dépit des efforts de la Courtière, la Révolution restait bien informée de ce qu'elle désirait ardemment savoir ; c'était d'ailleurs un des objectifs capitaux qu'Elsbeth souhaitait mettre en place pour sa république : un véritable organe de renseignement sous les ordres du gouvernement. Pas un postiche, pas un bras mou follement agité pour fouetter l'efficacité étrangère, comme la royauté avait essayé de faire par avant. Non, Uhr était un véritable terrain de jeu pour les espions et les aristocrates, pontifes et autres régents voisins qui s'en donnaient à cœur joie pour placer leurs pions. En dépit de Xandrie, en dépit du Roi Dynaste et de ses ministres qui légitimaient plutôt l'ascendant opalin et son bienveillant Magistère.

« - Vous vous projetez quelques peu, mais je ne peux vous en vouloir, » finit par répondre l'homme à la chevelure bigarrée. « Je pense toutefois qu'une telle opportunité ne se présentera pas deux fois, même si l'échéance me paraît bien courte.

- Le peuple de Xandrie ne peut se permettre d'attendre plus longtemps. Des gens meurent dans les rues en suppliant la Révolution de les aider, exacerbant la haine et l'impulsivité. À tout moment, des hommes peuvent décider d'agir de leur propre chef pour mener un soulèvement qui nous mettrait en porte-à-faux.

- Et j'entends bien vos doléances. Si vous aviez pu, vous auriez mené cette révolution vous-même, mais votre emprise n'est pas suffisamment forte, votre bras peut-être pas assez long... ou peut-être trop ? Vous m'avez atteint aujourd'hui, mais un clou chasse l'autre. Seriez-vous prête à trahir Xandrie de la sorte, est-ce vraiment votre volonté ? »

Sa volonté... non. Elle savait qu'elle faisait une croix sur une promesse faite il y a alors bien longtemps. Mais c'était en des jours meilleurs, entourée de ses plus fidèles camarades et sans la contrainte des derniers grains de sable se bousculant dans le goulot infâme du sablier révolutionnaire. Elle avait passé trop de temps à étudier, cimenter, politiser le peuple, mais outre ses mots qu'avait-elle réellement fait pour eux ? La capitale d'un pays historiquement morcelé, pour le plus grand plaisir des influences extérieures, criait Justice. Elle savait qu'après ce temps viendrait celui d'une nouvelle conquête, lorsque Xandrie serait libérée, son regard serait porté vers Oman, Logdar et Doucerive.

« - Je ne peux parler qu'aux noms de ceux qui n'ont rien, agglomérés dans cette ville bien trop grande, bien trop divisée, bien trop différente du reste de mon pays. Ceux-là, je ne les trahis pas : cette ingérence va dans leur sens. Mais il y a bien une partie qui devra perdre ses privilèges et payer un prix fort. Et des terres limitrophes qu'il faudra défendre. C'est un pari risqué, car vous pourriez aussi bien vous retourner contre le Pays de Xandrie une fois celui-ci soulevé. Je n'ai d'autre choix que de vous faire confiance, en espérant un partenariat commercial et politique fructueux. »

Le sous-texte indiquait la menace, car une trahison qui scinderait la jeune nation se payerait au prix fort. C'était dit sans véhémence aucune et cela relevait de l'échange de bons procédés. Les négociations se jouaient aussi sur le champ de bataille, il fallait le concevoir. Qui veut la paix prépare toujours la guerre et c'était là un autre de ses objectifs qui figureraient au premier plan de sa Constitution : armer le Guet tel une armée. Pour reconquérir Oman. Pour tenir les ennemis à distance. Seule l'assistance d'Epistopoli pouvait permettre à Xandrie de s'épargner une période d'austérité qui mettrait en danger la République naissante et Elias le savait.

« - Après tout, c'est votre oncle qui vous a conseillée à moi. J'estime beaucoup sa parole et je vois en vous une jeune femme avec une certaine vision. C'est un pari que je fais pour un avenir différent de celui de la Cité des Sciences, pour une dynamique internationale qui lui bénéficierait. Pavez la voie et illuminez le chemin, je serai derrière vous. »

En ces mots, le Grand Sapiarque se redressa, une main tendue devant lui et un sourire ferme sur le visage. Une lueur de malice émanait de son regard et la Princesse n'était pas bien sûre de ce qu'elle devait y discerner, mais sa paume disparut dans la sienne alors qu'ils se saluaient.

« - Je vous contacterai au plus vite avec la démarche que je souhaite mener.

- Pas par lettre j'espère ! Tenez, ce sera bien plus efficace, » suggéra l'épistopolitain en révélant un petit boîtier dissimulé dans l'une de ses poches. C'était un de ces appareils à écran lumineux, comme il en existait plein dans la Cité des Sciences ; un clavier minuscule y était associé.

« - Si vous voulez me joindre, envoyez moi un message. C'est ma ligne directe, personne d'autre ne sera au courant et je préfèrerais par ailleurs que vous gardiez le secret de notre liaison pour vous, Princesse Qian Binghao.

- Je préfère être nommée après ma mère : van Aerssen, Elsbeth van Aerssen, » se permit-elle de glisser, irritée par l'usage de ce patronyme qu'elle détestait.

L'homme fit une moue et un geste las de la main, comme si cela lui importait guère.

« - Comme vous voudrez, madame. »

Et il quitta la pièce.
Mer 31 Juil - 23:28
Ce qui suit est un condensé d'échanges épistolaires chiffrés, décrivant les évènements s'étant déroulés au printemps-été 1901. Aucune trace de ces messages ne subsiste à ce jour, outre témoignage des principaux concernés.

« Monsieur le Contremaître, ce mois-ci la production de Bois est au plus bas grâce à la syndicalisation des Fourmis. La colère des habitant de la Forêt gronde plus que jamais en raison des prix du Bois et de la qualité du service de la Scierie. Mon amie, la Belette, est en train d'essayer de rallier à notre cause les différents Ancêtres ; les négociations vont bon train, il nous faudra toutefois prévoir davantage de discussions et de compromis si nous souhaitons mettre en place la Canopée dont nous parlions. »

« Madame la Musaraigne, comme convenu j'ai bien procédé à la livraison d'une cargaison de plusieurs centaines de Glands sur le lieu convenu. Pour atteindre un tel montant, il m'aura fallu tirer quelques fils, car comme vous le savez le Bois n'est pas une ressource populaire à l'Usine. N'ayez crainte toutefois, mon contact est suffisamment haut placé pour ne pas être inquiété par d'éventuelles investigations. Je me rends dès demain auprès du Père Écureuil en ma qualité de Contremaître pour faire écho d'un vol de marchandises lui étant destiné, en espérant comme vous le supposez que cela suffira à le convaincre. »

« Monsieur le Contremaître, j'atteste bonne réception de la cargaison. Comme vous l'aviez prévu, l'un de vos agents a pu mettre à contribution un Mulot local pour déplacer les Glands dans l'une des Souches du Sous-bois. J'ai d'ores et déjà donné les indications à d'autres de vos hommes de les déplacer pour les mettre en lieu sûr. »

« Madame la Musaraigne, j'ai pu m'entretenir avec le Père Écureuil comme convenu. Ceci est notre dernière communication car je vous sais à présent recherchée par les Villageois et j'attendrai de vos nouvelles à votre sortie de l'Orée. »

« Monsieur le Contremaître, l'Histoire se déroule comme convenu. Le Père Écureuil a défendu bec et ongle le vol de ses Glands, malgré la conteste de ses Chenilles. En poursuivant ses recherches, les Villageois sont parvenus à retrouver les Glands en lieu sûr, il ne fait désormais aucun doute que c'est une machination du Père Écureuil pour décrédibiliser le Sous-bois. À ma libération, la Biche m'a donné rendez-vous ce soir pour en discuter. Elle semble se douter de quelque chose, mais ne me suspecte pas. »

« Monsieur le Contremaître, la Révolution se prépare. J'ai discuté avec la Biche et elle a affirmé qu'elle ferait passer le mot à ses Villageois de rester loin de la Clairière demain. Elle souhaite toutefois occuper une position influente dans notre projet ; elle n'est pas fermée à l'idée d'une Garde Forestière, du moins temporairement. Demain, nous marchons sur la Clairière pour faire tomber la tête du Père Écureuil et de ses Chenilles. Dans la débâcle des prochains évènements, les Glands disparaitront comme convenu pour retourner auprès de la Scierie. Si vous agissez comme convenu, personne ne suspectera l'ingérence de l'Usine. »

Nous sommes le 01 Lugrilen 1901. La colère du peuple gronde, alors que le mot est passé durant la nuit et qu'il se soulève à présent avec en tête de cortège les Soldats de la Révolution. Le Guet ferme les yeux ; certains se joignent au mouvement et d'autres désertent leurs positions. Les Monétaristes regardent la foule atteindre le Palais Royal en silence, les Espions se drapent de ténèbres pour mieux voir, les Bâtisseurs préparent leurs outils pour déloger les vieilles pierres et construire à nouveau et les Mineurs scandent des chants populaires au milieu du tumulte. Dans la nuit, les Assassins fuient et les Voleurs s'attaquent aux nantis. Des zones grises se dessinent, abandonnées de la police, abandonnées du Roi, abandonnées de tous. Une nuit et une journée de violence.

Mais enfin, alors que le crépuscule tombe et que le pais est partiellement en proie aux flammes, un drapeau se hisse à son sommet : celui de la Révolution.