Jeu 6 Juin - 15:12
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
Au crépuscule, le dernier éclat de soleil, juste avant de mourir, devenait flamboyant. C’est ce moment où la chaleur écrasante du désert laisse place à la noirceur de la nuit qu’Ellendrine avait choisi pour répondre à la demande de l’archevêque d’Aramila.
Sylas Edralden lui avait accordé une audience qui s’était mieux déroulée que prévu. Il semblait intéressé par ce que cette personnalité hybridée entre Opale et Aramila pouvait proposer comme axe développement, au point de visiter son navire marchand. Volant sur les ailes du pégase blanc qu’elle avait emprunté à une troupe de marchands, son frère volait à leurs côtés. Deux inséparables qui se suivaient dans les cieux comme sur la terre. Les sabots claquèrent au contact du toit du Concile Oeucuménique.
Des gardes sacrés de vigies ne tardèrent pas à l’intercepter. Aussi déclina-t-elle prestement son identité et la raison de sa venue. Kidnaper le premier homme de l’Etat. C’est à sa demande, précise-t-elle.
Sous bonne garde, elle patienta le temps que l’on aille chercher le saint homme. La lune montait, ce qui garantirait une certaine visibilité sur le lacet d’argent offert par l’Adriane, avant de rencontrer l’anse formée par la petite mer qui donnait ses contours à la presque-île d’Etyr. Ils n’auraient ensuite qu’à descendre les côtes d’Etyr. En deux ou trois heures, ils seraient au-dessus du port où mouillait le navire.
Ils n’avaient pas eu à attendre des semaines la prochaine escale du bateau, au risque de manquer ce rendez-vous si une affaire d’état pressante se jouait. Non, l’avancée progressive de la brume sur l’île aux dragons, de même que la hardiesse de l’alliance pirate naissante rendait les traversées beaucoup plus périlleuses. L’aristocrate redoutait que le futur de la liaison commerciale des épices par la mer ne soit compromis.
Mais c’était un problème pour plus tard. Elle avait déjà laissé germer deux ou trois idées impliquant le fret aérien et la guilde des monétaristes. En attendant, le ventre d’acier s’offrirait à leur visite. Sa laideur était indéniable. Son utilité tout autant.
-« Votre Sainteté. Je suis heureuse de vous retrouver comme convenu. J’espère que vous n’avez pas le mal de l’air. J’ai pensé que la vision de la côte serait particulièrement grandiose, tout en permettant un voyage rapide par les airs... si vous avez une question, je suis à votre écoute. Il nous sera difficile de parler une fois en vol.»
Cette fois, elle avait laissé tomber l’idée de porter une tenue féminine. Ses vêtements ressemblaient davantage à ceux d’un cavalier. Parée de son voilage blanc qui claquait déjà dans le vent du soir à cette altitude, elle n’attendait que son feu vert pour enfourcher à nouveau sa monture et s’élancer en plongeon vers les ruelles d’Aramila avant d’ascensionner.
Sylas Edralden lui avait accordé une audience qui s’était mieux déroulée que prévu. Il semblait intéressé par ce que cette personnalité hybridée entre Opale et Aramila pouvait proposer comme axe développement, au point de visiter son navire marchand. Volant sur les ailes du pégase blanc qu’elle avait emprunté à une troupe de marchands, son frère volait à leurs côtés. Deux inséparables qui se suivaient dans les cieux comme sur la terre. Les sabots claquèrent au contact du toit du Concile Oeucuménique.
Des gardes sacrés de vigies ne tardèrent pas à l’intercepter. Aussi déclina-t-elle prestement son identité et la raison de sa venue. Kidnaper le premier homme de l’Etat. C’est à sa demande, précise-t-elle.
Sous bonne garde, elle patienta le temps que l’on aille chercher le saint homme. La lune montait, ce qui garantirait une certaine visibilité sur le lacet d’argent offert par l’Adriane, avant de rencontrer l’anse formée par la petite mer qui donnait ses contours à la presque-île d’Etyr. Ils n’auraient ensuite qu’à descendre les côtes d’Etyr. En deux ou trois heures, ils seraient au-dessus du port où mouillait le navire.
Ils n’avaient pas eu à attendre des semaines la prochaine escale du bateau, au risque de manquer ce rendez-vous si une affaire d’état pressante se jouait. Non, l’avancée progressive de la brume sur l’île aux dragons, de même que la hardiesse de l’alliance pirate naissante rendait les traversées beaucoup plus périlleuses. L’aristocrate redoutait que le futur de la liaison commerciale des épices par la mer ne soit compromis.
Mais c’était un problème pour plus tard. Elle avait déjà laissé germer deux ou trois idées impliquant le fret aérien et la guilde des monétaristes. En attendant, le ventre d’acier s’offrirait à leur visite. Sa laideur était indéniable. Son utilité tout autant.
-« Votre Sainteté. Je suis heureuse de vous retrouver comme convenu. J’espère que vous n’avez pas le mal de l’air. J’ai pensé que la vision de la côte serait particulièrement grandiose, tout en permettant un voyage rapide par les airs... si vous avez une question, je suis à votre écoute. Il nous sera difficile de parler une fois en vol.»
Cette fois, elle avait laissé tomber l’idée de porter une tenue féminine. Ses vêtements ressemblaient davantage à ceux d’un cavalier. Parée de son voilage blanc qui claquait déjà dans le vent du soir à cette altitude, elle n’attendait que son feu vert pour enfourcher à nouveau sa monture et s’élancer en plongeon vers les ruelles d’Aramila avant d’ascensionner.
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Ven 28 Juin - 0:39, édité 1 fois
Dim 9 Juin - 22:41
La journée avait paru interminable et monotone, alors que l’homme de foi s’était retranché dans son bureau. La table usée était recouverte de notes éparses et de tasses de thé non débarrassées. Ce n’est que lorsque l’astre solaire disparut derrière la silhouette d’une falaise lointaine que son attention fut détournée ; la mine sombre, il tourna la tête vers la fenêtre, contemplant le raie de lumière terne qui annonçait le crépuscule.
Il profita de ce répit pour s’affaler sur le dossier grinçant de sa chaise et étirer les bras avant de se masser les tempes. Et comme s’il contrôlait le temps, alors qu’il s'attachait à cette besogne administrative digne d’un fardeau pour l’esprit, un domestique toqua promptement à la porte et, après qu’il lui fut donné l’ordre de se présenter, annonça sans détour :
« Votre hôte vous attend sur le toit du palais, Monseigneur.
— Le toit…? »
L’employé baissa le regard, n’offrant qu’un silence incrédule à l’archevêque, avant de débarrasser la vaisselle qui trônait sur le bureau de son supérieur. L’homme inspecta brièvement sa tenue : sombre, légère, elle le faisait ressembler, à s’y méprendre, à un bandit, ou quelqu’un à qui on eût prêté de bien sombres desseins. Pour l’occasion, il s’était soustrait à tout apparat religieux, s’était défaussé de tout oripeau qui eût rappelé son statut. Non pas qu’il s’eût agit d’une visite secrète, mais certainement pas diplomatique.
« Merci. » dit enfin Sylas avant de prendre congé.
Il gagna le toit de l’édifice et, alors qu’il s’approchait de cette silhouette féminine connue, il étira un sourire poli et hocha la tête. Son attention fut ensuite détournée par le pégase.
« Eh bien, si je devais m’attendre à cela. L’expression “se faire mener en pégase” prendrait-elle tout son sens ? Ce sera la seule question que j’ai à poser… »
Une douleur naissante étreignit sa poitrine alors qu’il s’approchait de la bête, veillant à s’installer correctement derrière la cavalière. Il déglutit et, sans hésitation, passa ses mains autour des hanches d’Ellendrine.
« On n’a qu’une seule vie. » dit-il en guise d’approbation.
Alors l’équidé, chargé, entamma une galopade sommaire et, à la surprise de l’Archevêque, se jeta dans le vide. L’homme, le souffle coupé, plaque sa joue contre le dos d’Ellendrine et ferma les yeux.
C’est à ça que ressemblait la mort ? Une sensation de chute vertigineuse dans le vide ?
Et puis, soudain, un contre-coup, brusque, le secoua. Le vent, frais, sifflait dans ses oreilles, au point que lui-même n’entendit pas sa propre clameur d’étonnement. Alors que le pégase reprit de l’altitude, sa course étant plus stable – plus haute aussi – il se redressa et ouvrit les yeux pour contempler, depuis la monture, les toitures d’Aramila en contrebas. Mais alors qu’ils volaient, sous ses yeux disparaissait l’Œuvre de l’Homme pour laisser place à l’Œuvre des douzes.
Silencieux, il apprécia le voyage, guidé notamment par le cours de l’Adriane jusqu’à l’Anse qui séparait les côtes de la Presqu’île.
Sylas se montra tout autant crispé lors de l'atterrissage que du décollage. Et s’il avait manifestement apprécié le trajet – son visage détendu en témoignait – il n’était pas mécontent d’être arrivé.
« Vous essayiez de m’impressionner, peut-être ? questionna-t-il alors qu’il remit les plis de sa tenue en place. Je comprends que le temps est une denrée précieuse, mais je m’attendais à un aller plus… Tranquille. Enfin, vous êtes efficace, et c’est appréciable. J’espère que je serai autant époustouflé par vos travaux que par votre habileté à chevaucher, ma Lady. »
Il profita de ce répit pour s’affaler sur le dossier grinçant de sa chaise et étirer les bras avant de se masser les tempes. Et comme s’il contrôlait le temps, alors qu’il s'attachait à cette besogne administrative digne d’un fardeau pour l’esprit, un domestique toqua promptement à la porte et, après qu’il lui fut donné l’ordre de se présenter, annonça sans détour :
« Votre hôte vous attend sur le toit du palais, Monseigneur.
— Le toit…? »
L’employé baissa le regard, n’offrant qu’un silence incrédule à l’archevêque, avant de débarrasser la vaisselle qui trônait sur le bureau de son supérieur. L’homme inspecta brièvement sa tenue : sombre, légère, elle le faisait ressembler, à s’y méprendre, à un bandit, ou quelqu’un à qui on eût prêté de bien sombres desseins. Pour l’occasion, il s’était soustrait à tout apparat religieux, s’était défaussé de tout oripeau qui eût rappelé son statut. Non pas qu’il s’eût agit d’une visite secrète, mais certainement pas diplomatique.
« Merci. » dit enfin Sylas avant de prendre congé.
Il gagna le toit de l’édifice et, alors qu’il s’approchait de cette silhouette féminine connue, il étira un sourire poli et hocha la tête. Son attention fut ensuite détournée par le pégase.
« Eh bien, si je devais m’attendre à cela. L’expression “se faire mener en pégase” prendrait-elle tout son sens ? Ce sera la seule question que j’ai à poser… »
Une douleur naissante étreignit sa poitrine alors qu’il s’approchait de la bête, veillant à s’installer correctement derrière la cavalière. Il déglutit et, sans hésitation, passa ses mains autour des hanches d’Ellendrine.
« On n’a qu’une seule vie. » dit-il en guise d’approbation.
Alors l’équidé, chargé, entamma une galopade sommaire et, à la surprise de l’Archevêque, se jeta dans le vide. L’homme, le souffle coupé, plaque sa joue contre le dos d’Ellendrine et ferma les yeux.
C’est à ça que ressemblait la mort ? Une sensation de chute vertigineuse dans le vide ?
Et puis, soudain, un contre-coup, brusque, le secoua. Le vent, frais, sifflait dans ses oreilles, au point que lui-même n’entendit pas sa propre clameur d’étonnement. Alors que le pégase reprit de l’altitude, sa course étant plus stable – plus haute aussi – il se redressa et ouvrit les yeux pour contempler, depuis la monture, les toitures d’Aramila en contrebas. Mais alors qu’ils volaient, sous ses yeux disparaissait l’Œuvre de l’Homme pour laisser place à l’Œuvre des douzes.
Silencieux, il apprécia le voyage, guidé notamment par le cours de l’Adriane jusqu’à l’Anse qui séparait les côtes de la Presqu’île.
Sylas se montra tout autant crispé lors de l'atterrissage que du décollage. Et s’il avait manifestement apprécié le trajet – son visage détendu en témoignait – il n’était pas mécontent d’être arrivé.
« Vous essayiez de m’impressionner, peut-être ? questionna-t-il alors qu’il remit les plis de sa tenue en place. Je comprends que le temps est une denrée précieuse, mais je m’attendais à un aller plus… Tranquille. Enfin, vous êtes efficace, et c’est appréciable. J’espère que je serai autant époustouflé par vos travaux que par votre habileté à chevaucher, ma Lady. »
Ven 28 Juin - 3:11
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
-« Je trouve étonnant que nos concitoyens n’y aient pas davantage recours, si vous voulez mon avis. L’horizon est si dégagé et les sols si meubles pour les charrettes. »
La seule explication à ses yeux était que les Aramilans étaient profondément conservateurs et prudents à tous les égards, préférant dans le tamanain un représentant de la faune locale. Et surtout un terrien, bien ancré dans le sable.
Elle crut un instant que l’archevêque aller opposer une dénégation simple et redescendre demander un attelage de dromadaires, ce qui aurait tout de suite auguré un voyage de plus d’une semaine ! Au bas mot. Mais après un bref temps de réflexion, il s’approcha d’elle. Ellendrine tenait le second pégase en bride et, à sa grande surprise, il se propulsa derrière elle.
-« Ouf ! Votre Sainteté ! » s’exclama-t-elle alors qu’il passait les mains autour de sa taille.
Le temps d’éclaircir ses intentions s’envola en même temps que la bête surprise se mit à cavaler vers le rebord du toit à l’architecture somptueuse. Le pégase s’élança et… plongea de manière rectiligne vers le sol.
Un long hurlement accompagna la descente. Les pavés se rapprochaient bien trop vite malgré la hauteur ! Le pégase poussa un hennissement en s’arqueboutant sur ses rémiges. Et le voile blanc fouetta le visage de l’archevêque jusqu’à s’y empêtrer. Tout aurait pu s’arrêter là. Dans un plaf mortifère sur les pavés.
Mais Aramila est terre de magie. Et s’il en est, le Concile Œcuménique est l’édifice des sacres entre les sacres. Et Sylas Edralden, saints entre les saints. Les auspices généreux des Douze leur furent donc favorables et le brave pégase réussit à donner tout ce qu’il avait pour redresser et attraper un courant ascendant, après être passé en rase-motte sur les tentures des étals du marché nocturne.
Figées sur les mords, les mains d’Ellendrine ne bougeaient pas, tandis que ses joues reprenaient un peu de couleur, aidées par l’air chaud du soir, qui paraissait relativement frais en enveloppant tous leurs corps à cette vitesse. Le second pégase finit par les rattraper, virevoltant entre une tour de garde aux abords de la muraille extérieure.
Quand bien même les paysages étaient inoubliables, l’archéologue était elle aussi bien contente de rejoindre la terme ferme. Surtout en un seul morceau.
-« Pas du tout. J’imagine que vous avez fait pire dans votre jeunesse. Il me semble que ce vol allie l’utile à l’agréable. Ainsi, votre absence à la tête de l’Etat sera assez brève pour ne pas vous incommoder… merci du compliment en tout cas, votre Sainteté. Nous verrons si vous apprécierez la visite… sachez néanmoins que pour deux adultes, il vaut mieux prévoir une monture par personne, sauf en cas d’évacuation. La pauvre bête a l’air au bord de l’apoplexie. »
Son camarade avait l’air de le charrier l’air fendard, en trottinant d’un air tout à fait reposé.
Les gens du port n’avait pas été prévenus de sa venue. C’est qu’elle aimait bien arriver de manière impromptue pour inspecter le vaisseau et les comportements quand chacun se croyait à l’abri des regards. Ou envoyer un de ses représentants. En l’occurrence, elle avait d’autres raisons.
-« Il n’y a personne pour nous accueillir. J’ai jugé imprudent d’aviser de la visite d’une personnalité importante en avance, pour des raisons de sécurité évidente. »
Il leur fallait donc marcher en remontant les docks. Comme tous les ports, l’endroit n’était pas des plus recommandables. Il fallait voir que les « pirates » et marins Aramilans formaient des versions bien plus ingénues du loubard que dans la plupart des autres pays. Quelques tritons jouaient aux cartes sur un tonneau en fumant la pipe. Et un arracheur de dents proposait ses services aux hommes du port. Sylas et Ellendrine enjambèrent quelques tas de cordes épaisses, arrimant de gracieuses caravelles de bois et de voile aux quais, avant de parvenir vers une silhouette bien plus monstrueuse, faite d’ombres et de boulons.
-« Voici le Cordelius… un nom sinistre en hommage à mon grand-père. J’ai déjà pensé à le renommer de manière plus poétique… mais cela allait bien avec le personnage. »
La silhouette imposante surplombait tous les autres navires, leur donnant des airs de jouets pour enfants. Le Cordelius imposait d’ailleurs sa hauteur démesurée aux troquets et autres hangars bordant le port. Aucun bâtiment n’était réellement dimensionné à travers le pays pour assurer sa maintenance. Il avait déjà fallu maçonner spécifiquement son quai de chargement et déchargement pour répondre aux contraintes techniques hors catégorie.
-« C’est un navire typique de la flotte opalienne. Ses lignes sont particulièrement laides. Il est lourd, fait d’acier, principalement, et propulsé par la combustion de charbon et d’autres types d’énergies… »
Présenta-t-elle, en se gardant de préciser que « myste » serait le mot qui viendrait combler son ellipse. Le blasphème serait trop lourd à digérer d’emblée, même pour un homme de la stature et de l’ouverture de Sylas Edralden.
« Sa vitesse moyenne est de 22,5 nœuds, quel que soit les conditions climatiques ou les intempéries, ce qui en fait le navire marchand le plus rapide autorisé à mouiller dans les ports du royaume. »
Elle savait que ses dimensions, les matériaux qui le composaient, son équipage, comme son drapeau… tout avait fait grand bruit à l’époque de son mariage. Tout ! Obtenir les autorisations administratives pour le commerce et le voyage le long des côtes avaient été un calvaire diplomatique. Les tribuns n’avaient cédé qu’au nom de la diplomatie, après un bras de fer conséquent, uniquement sous la promesse qu’il s’agirait d’une exception. Et aussi parce que ce prodige ouvrait un nouveau débouché commercial aux épices aramilane vers Opale, que d’autres caravelles classiques auraient le droit d’emprunter à sa suite.
« Je vois que vous êtes sans voix. Il va sans dire que ce bâtiment n’a pas été conçu par une femme… sans quoi il aurait un minimum de finesse. Pour ce que j’en sais, techniquement, il pourrait presque être converti en l’un des anciens modèles de navire de guerre Brightwidge… et malheureusement, il faut bien cela pour dissuader les Banshees et pirates de l’île au Dragon de s’en prendre à sa cargaison. »
Il était de notoriété publique que malgré ses traits épais, le Cordelius était l’un des moyens les plus sécurisés de rallier Opale par la mer, même s’il n’était jamais complètement à l’abri des aléas.
Un homme en train d’uriner dans le port reçut une frappe sur l’épaule et se retourna l’air mécontent vers celui qui le dérangeait dans ses besoins naturels. Il en mit de partout sur les bottes du matelot, avant de se rendre compte qu’ils n’étaient qu’à une encablure d’hôtes de marques.
-« Lady Brighwidge ! Vous ici ! Voulez-vous que je réveille le capitaine ? »
-« Bonsoir, matelot, ce ne sera pas nécessaire… mais je vous saurai gré de bien vouloir faire descendre la passerelle et de prévoir quelques commodités pour moi et mon invité. Nous aurons besoin de faire un brin de toilette et de nous restaurez. »
-« Très bien, milady. »
Deux coups de sifflet perçant. Sylas put observer la magie de petites fourmilles invisibles actionnant quelques poulies et mécanismes pour faire descendre un mini-pont et des escaliers, afin de leur permettre d’atteindre le pont, à une hauteur conséquente. Le Cordelius ressemblait assez à une forteresse flottante sur le point d’avaler l’archevêque et de s’enfuir dans les profondeurs de la mer.
-« Êtes-vous prêts, Sylas ? » se permit-elle avec familiarité.
Après tout, il s’était collé à elle et ils avaient failli s’écraser ensemble.
La seule explication à ses yeux était que les Aramilans étaient profondément conservateurs et prudents à tous les égards, préférant dans le tamanain un représentant de la faune locale. Et surtout un terrien, bien ancré dans le sable.
Elle crut un instant que l’archevêque aller opposer une dénégation simple et redescendre demander un attelage de dromadaires, ce qui aurait tout de suite auguré un voyage de plus d’une semaine ! Au bas mot. Mais après un bref temps de réflexion, il s’approcha d’elle. Ellendrine tenait le second pégase en bride et, à sa grande surprise, il se propulsa derrière elle.
-« Ouf ! Votre Sainteté ! » s’exclama-t-elle alors qu’il passait les mains autour de sa taille.
Le temps d’éclaircir ses intentions s’envola en même temps que la bête surprise se mit à cavaler vers le rebord du toit à l’architecture somptueuse. Le pégase s’élança et… plongea de manière rectiligne vers le sol.
Un long hurlement accompagna la descente. Les pavés se rapprochaient bien trop vite malgré la hauteur ! Le pégase poussa un hennissement en s’arqueboutant sur ses rémiges. Et le voile blanc fouetta le visage de l’archevêque jusqu’à s’y empêtrer. Tout aurait pu s’arrêter là. Dans un plaf mortifère sur les pavés.
Mais Aramila est terre de magie. Et s’il en est, le Concile Œcuménique est l’édifice des sacres entre les sacres. Et Sylas Edralden, saints entre les saints. Les auspices généreux des Douze leur furent donc favorables et le brave pégase réussit à donner tout ce qu’il avait pour redresser et attraper un courant ascendant, après être passé en rase-motte sur les tentures des étals du marché nocturne.
Figées sur les mords, les mains d’Ellendrine ne bougeaient pas, tandis que ses joues reprenaient un peu de couleur, aidées par l’air chaud du soir, qui paraissait relativement frais en enveloppant tous leurs corps à cette vitesse. Le second pégase finit par les rattraper, virevoltant entre une tour de garde aux abords de la muraille extérieure.
Quand bien même les paysages étaient inoubliables, l’archéologue était elle aussi bien contente de rejoindre la terme ferme. Surtout en un seul morceau.
-« Pas du tout. J’imagine que vous avez fait pire dans votre jeunesse. Il me semble que ce vol allie l’utile à l’agréable. Ainsi, votre absence à la tête de l’Etat sera assez brève pour ne pas vous incommoder… merci du compliment en tout cas, votre Sainteté. Nous verrons si vous apprécierez la visite… sachez néanmoins que pour deux adultes, il vaut mieux prévoir une monture par personne, sauf en cas d’évacuation. La pauvre bête a l’air au bord de l’apoplexie. »
Son camarade avait l’air de le charrier l’air fendard, en trottinant d’un air tout à fait reposé.
Les gens du port n’avait pas été prévenus de sa venue. C’est qu’elle aimait bien arriver de manière impromptue pour inspecter le vaisseau et les comportements quand chacun se croyait à l’abri des regards. Ou envoyer un de ses représentants. En l’occurrence, elle avait d’autres raisons.
-« Il n’y a personne pour nous accueillir. J’ai jugé imprudent d’aviser de la visite d’une personnalité importante en avance, pour des raisons de sécurité évidente. »
Il leur fallait donc marcher en remontant les docks. Comme tous les ports, l’endroit n’était pas des plus recommandables. Il fallait voir que les « pirates » et marins Aramilans formaient des versions bien plus ingénues du loubard que dans la plupart des autres pays. Quelques tritons jouaient aux cartes sur un tonneau en fumant la pipe. Et un arracheur de dents proposait ses services aux hommes du port. Sylas et Ellendrine enjambèrent quelques tas de cordes épaisses, arrimant de gracieuses caravelles de bois et de voile aux quais, avant de parvenir vers une silhouette bien plus monstrueuse, faite d’ombres et de boulons.
-« Voici le Cordelius… un nom sinistre en hommage à mon grand-père. J’ai déjà pensé à le renommer de manière plus poétique… mais cela allait bien avec le personnage. »
La silhouette imposante surplombait tous les autres navires, leur donnant des airs de jouets pour enfants. Le Cordelius imposait d’ailleurs sa hauteur démesurée aux troquets et autres hangars bordant le port. Aucun bâtiment n’était réellement dimensionné à travers le pays pour assurer sa maintenance. Il avait déjà fallu maçonner spécifiquement son quai de chargement et déchargement pour répondre aux contraintes techniques hors catégorie.
-« C’est un navire typique de la flotte opalienne. Ses lignes sont particulièrement laides. Il est lourd, fait d’acier, principalement, et propulsé par la combustion de charbon et d’autres types d’énergies… »
Présenta-t-elle, en se gardant de préciser que « myste » serait le mot qui viendrait combler son ellipse. Le blasphème serait trop lourd à digérer d’emblée, même pour un homme de la stature et de l’ouverture de Sylas Edralden.
« Sa vitesse moyenne est de 22,5 nœuds, quel que soit les conditions climatiques ou les intempéries, ce qui en fait le navire marchand le plus rapide autorisé à mouiller dans les ports du royaume. »
Elle savait que ses dimensions, les matériaux qui le composaient, son équipage, comme son drapeau… tout avait fait grand bruit à l’époque de son mariage. Tout ! Obtenir les autorisations administratives pour le commerce et le voyage le long des côtes avaient été un calvaire diplomatique. Les tribuns n’avaient cédé qu’au nom de la diplomatie, après un bras de fer conséquent, uniquement sous la promesse qu’il s’agirait d’une exception. Et aussi parce que ce prodige ouvrait un nouveau débouché commercial aux épices aramilane vers Opale, que d’autres caravelles classiques auraient le droit d’emprunter à sa suite.
« Je vois que vous êtes sans voix. Il va sans dire que ce bâtiment n’a pas été conçu par une femme… sans quoi il aurait un minimum de finesse. Pour ce que j’en sais, techniquement, il pourrait presque être converti en l’un des anciens modèles de navire de guerre Brightwidge… et malheureusement, il faut bien cela pour dissuader les Banshees et pirates de l’île au Dragon de s’en prendre à sa cargaison. »
Il était de notoriété publique que malgré ses traits épais, le Cordelius était l’un des moyens les plus sécurisés de rallier Opale par la mer, même s’il n’était jamais complètement à l’abri des aléas.
Un homme en train d’uriner dans le port reçut une frappe sur l’épaule et se retourna l’air mécontent vers celui qui le dérangeait dans ses besoins naturels. Il en mit de partout sur les bottes du matelot, avant de se rendre compte qu’ils n’étaient qu’à une encablure d’hôtes de marques.
-« Lady Brighwidge ! Vous ici ! Voulez-vous que je réveille le capitaine ? »
-« Bonsoir, matelot, ce ne sera pas nécessaire… mais je vous saurai gré de bien vouloir faire descendre la passerelle et de prévoir quelques commodités pour moi et mon invité. Nous aurons besoin de faire un brin de toilette et de nous restaurez. »
-« Très bien, milady. »
Deux coups de sifflet perçant. Sylas put observer la magie de petites fourmilles invisibles actionnant quelques poulies et mécanismes pour faire descendre un mini-pont et des escaliers, afin de leur permettre d’atteindre le pont, à une hauteur conséquente. Le Cordelius ressemblait assez à une forteresse flottante sur le point d’avaler l’archevêque et de s’enfuir dans les profondeurs de la mer.
-« Êtes-vous prêts, Sylas ? » se permit-elle avec familiarité.
Après tout, il s’était collé à elle et ils avaient failli s’écraser ensemble.
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Sam 27 Juil - 23:08, édité 6 fois
Mer 3 Juil - 22:10
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
« Dans ma jeunesse ? Si, par pire, vous entendez se frotter à un Concile sclérosé et, contre toute attente, être désigné comme archevêque à dix-huit ans révolus… Je dois dire que c’est le plus lourd fardeau que j’ai eu à porter jusqu’ici, et que, dans une autre existence — plausible où non, les Douze me protègent — peut-être aurais-je chevauché un pégase pour m’en extasier… »
Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu’il remit succinctement les mèches de sa chevelure poivre sel, qui avaient été fouettées par les bourrasques, bien en place. Il jeta un œil rapide à la monture, éreintée, et finit par se tourner vers elle comme pour lui témoigner un bref signe de respect, le menton baissé et le buste légèrement courbé.
Il emboîta ensuite le pas à son hôte, prévenu que sa présence n’avait pas été elle-même prévenue, et rythma ses pas sur ceux d’Ellendrine en observant autour de lui. La silhouette dudit Cornélius, un brin sinistre, contrastait avec l’ambiance apaisée du port. Il sentit, un bref instant, son cœur se serrer, mais cette fugace sensation de colère fut amoindrie alors qu’Ellendrine exprimait tout haut ce qu’il pensait tout bas. Oui. Ce vaisseau était laid. Son matériau était froid. Et l’autre type d’énergie, passé sous silence, était synonyme de blasphème. Il se terra dans un mutisme momentané, écoutant Lady Brightwidge qui notifia même son silence.
« Je suis en général admiratif de l’œuvre des hommes – les pyramides de Saleek, pour ne citer qu’elles – mais je peine à croire que les desseins qui ont motivé l’érection de pareil engin avait cet ineffable spirituel qu’on reconnaît chez les créateurs de notre espèce. Sauf votre respect, Lady Brightwidge, ainsi que celui de feu votre grand-père, cette chose est une immondice. Mais fort heureusement, vous êtes à mes côtés et je ne m’arrête jamais à un premier a priori. »
Il se mordilla la lèvre de gêne alors qu’il aperçut un tandem de marins chahuter, au point que la miction de l’un s’en retrouva perturbée. Mais cette farce alla et vena rapidement dans l’esprit de l’archevêque, dont l’attention était dès lors accaparée par ce spectacle pour le moins saisissant : l’activation de mécanismes obscurs, dont Ellendrine et d’autres devaient avoir le secret, pour lui permettre de quitter la terre ferme.
Il ne fit même pas attention à cet accès de familiarité qui émana de l’archéologue.
« Je vous suis. »
Il grimpa la passerelle d’un rythme soutenu de sorte à ne pas faire attendre la propriétaire. En hauteur, il sentit le vent lui fouetter de nouveau les cheveux et le fouetter de bourrasques plus fraîches qu’en contrebas. À croire que l’océan lui avait ouvert une porte et qu’un courant d’air, glacial, donnait le ton sur l’accueil qui lui était réservé.
Oui. Aussi glacial que le métal qu’il effleura de la main, se montrant curieux à l’envi.
« De près, c’est plus qu’impressionnant, à se demander comment a-t-on pu ériger un tel bâtiment… »
Pareil à un adolescent fasciné, il regardait autour de lui, oubliant momentanément sa camarade. Parcourant le pont, il observait tantôt l’horizon où se rejoignaient l’océan et le ciel assombri, tantôt le port où on avait fini de s’affairer à rétracter le pont. Et à sa grande surprise, il sentit quelque chose tanguer sous ses jambes. Et sans qu’il ne s’expliquât comment, le Cordélius prenait le large. Alors, il revint trouver Ellendrine.
« D’abord vous m’emmenez en pégase, et ensuite en bâteau…? Quelle formidable personne vous faites… »
Il fronça les sourcils, et se souvint.
« … Ellendrine. » répondit-il en esquissant un nouveau sourire, affable, avant de reprendre son sérieux. Il poursuivit.
« J’ai tourné et retourné la question dans tous les sens. Je vais proposer un projet de loi sérieux à la Tribune et je m’attends à une levée de boucliers à laquelle je saurai répondre. Après tout, le mécontentement précède le changement mais le changement précède la peur… Et c’est cette peur que je dois mettre en lumière, verbaliser, comprendre. Le peuple doit être éclairé sur le bienfondé de mon entreprise, et doit l’accepter et le refuser en âme et conscience… »
Il leva les bras comme pour souligner l’évidence. Et à nouveau, une autre idée.
« Mais au fait, vous aviez quelque chose à me montrer. Comment réussissez-vous à retirer le sel de la mer ? »
Un sourire se dessina sur ses lèvres, alors qu’il remit succinctement les mèches de sa chevelure poivre sel, qui avaient été fouettées par les bourrasques, bien en place. Il jeta un œil rapide à la monture, éreintée, et finit par se tourner vers elle comme pour lui témoigner un bref signe de respect, le menton baissé et le buste légèrement courbé.
Il emboîta ensuite le pas à son hôte, prévenu que sa présence n’avait pas été elle-même prévenue, et rythma ses pas sur ceux d’Ellendrine en observant autour de lui. La silhouette dudit Cornélius, un brin sinistre, contrastait avec l’ambiance apaisée du port. Il sentit, un bref instant, son cœur se serrer, mais cette fugace sensation de colère fut amoindrie alors qu’Ellendrine exprimait tout haut ce qu’il pensait tout bas. Oui. Ce vaisseau était laid. Son matériau était froid. Et l’autre type d’énergie, passé sous silence, était synonyme de blasphème. Il se terra dans un mutisme momentané, écoutant Lady Brightwidge qui notifia même son silence.
« Je suis en général admiratif de l’œuvre des hommes – les pyramides de Saleek, pour ne citer qu’elles – mais je peine à croire que les desseins qui ont motivé l’érection de pareil engin avait cet ineffable spirituel qu’on reconnaît chez les créateurs de notre espèce. Sauf votre respect, Lady Brightwidge, ainsi que celui de feu votre grand-père, cette chose est une immondice. Mais fort heureusement, vous êtes à mes côtés et je ne m’arrête jamais à un premier a priori. »
Il se mordilla la lèvre de gêne alors qu’il aperçut un tandem de marins chahuter, au point que la miction de l’un s’en retrouva perturbée. Mais cette farce alla et vena rapidement dans l’esprit de l’archevêque, dont l’attention était dès lors accaparée par ce spectacle pour le moins saisissant : l’activation de mécanismes obscurs, dont Ellendrine et d’autres devaient avoir le secret, pour lui permettre de quitter la terre ferme.
Il ne fit même pas attention à cet accès de familiarité qui émana de l’archéologue.
« Je vous suis. »
Il grimpa la passerelle d’un rythme soutenu de sorte à ne pas faire attendre la propriétaire. En hauteur, il sentit le vent lui fouetter de nouveau les cheveux et le fouetter de bourrasques plus fraîches qu’en contrebas. À croire que l’océan lui avait ouvert une porte et qu’un courant d’air, glacial, donnait le ton sur l’accueil qui lui était réservé.
Oui. Aussi glacial que le métal qu’il effleura de la main, se montrant curieux à l’envi.
« De près, c’est plus qu’impressionnant, à se demander comment a-t-on pu ériger un tel bâtiment… »
Pareil à un adolescent fasciné, il regardait autour de lui, oubliant momentanément sa camarade. Parcourant le pont, il observait tantôt l’horizon où se rejoignaient l’océan et le ciel assombri, tantôt le port où on avait fini de s’affairer à rétracter le pont. Et à sa grande surprise, il sentit quelque chose tanguer sous ses jambes. Et sans qu’il ne s’expliquât comment, le Cordélius prenait le large. Alors, il revint trouver Ellendrine.
« D’abord vous m’emmenez en pégase, et ensuite en bâteau…? Quelle formidable personne vous faites… »
Il fronça les sourcils, et se souvint.
« … Ellendrine. » répondit-il en esquissant un nouveau sourire, affable, avant de reprendre son sérieux. Il poursuivit.
« J’ai tourné et retourné la question dans tous les sens. Je vais proposer un projet de loi sérieux à la Tribune et je m’attends à une levée de boucliers à laquelle je saurai répondre. Après tout, le mécontentement précède le changement mais le changement précède la peur… Et c’est cette peur que je dois mettre en lumière, verbaliser, comprendre. Le peuple doit être éclairé sur le bienfondé de mon entreprise, et doit l’accepter et le refuser en âme et conscience… »
Il leva les bras comme pour souligner l’évidence. Et à nouveau, une autre idée.
« Mais au fait, vous aviez quelque chose à me montrer. Comment réussissez-vous à retirer le sel de la mer ? »
Dim 28 Juil - 0:10
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
Un pâle sourire accueillit l’humour doux-amer de l’archevêque concernant le fardeau de sa nomination à la magistrature suprême. Certains auraient pu dire que c’était un problème de riche. Ou une crise de conscience pour tromper l’ennui des puissants. Mais Lady Brightwidge comprenait pleinement la lassitude de ceux qui n’ont plus rien à prouver.
-« Le fait que vous en ayez conscience prouve que vous méritez vos fonctions. Ceux qui la convoite ne sont jamais des candidats réellement désirables. On peut dire que vous avez été appelé à servir votre pays et répondu à votre devoir… »
C’était un compliment. Peut-être d’un réalisme un peu froid, abandonnant Sylas à son manque de fantaisie avoué. D’un air un peu plus complice, elle se permit d’effleurer son épaule d’un revers de ses doigts gantés.
-« Et puis, qui sait ! Nous vivons une époque difficile. Qui peut dire ce que nous réservent les temps à venir ? Urh aura besoin de toutes ses forces vives pour les actions nécessaires à sa survie dans les prochains mois. Nous n’avons plus le luxe de pouvoir lanterner ! Alors, chevaucher vers des terres inconnues n’a rien d’inenvisageable, même pour l’archevêque d’Aramila. »
Ils se tenaient devant le mur d’acier noir et malfaisant, dressé sur les flots bouillonnants. La réaction crispée de l’archevêque était telle qu’elle se l’était imaginée. Malgré tout, Sylas n’allait pas défaillir et sa composition força l’admiration de la sophistiquée Opalienne.
-« Bravo pour votre retenue. Je m’en remets à votre grande tolérance pour la suite de l’exploration des entrailles du monstre. Certains détails pourront vous choquer, je ne vous le cache pas. Je vous demande simplement de suspendre votre jugement pour en arriver à ce qui nous intéresse… ce navire est en quelque sorte la dote que l’on m’a laissée, les vestiges de l’empire dont j’aurais dû hériter… il n’est pas de mon fait. Je ne l’ai pas spécialement mérité… mais tout comme je ne suis pas ce que l’on a fait de moi… mais, ce que je fais de ce que l’on a fait de moi… j’imagine un futur où des navires plus performants transformeront les mers aramilanes, sans pour autant ressembler à cette ferraille agressive. D’abord, il faudra se pincer le nez et apprendre ce qui est utile de cet engin. »
Les flammes romanesques d’Ellendrine furent noyées par quelques giclées d’urine. Le matelot remballait à la hâte son matériel gigotant, heureusement à la faveur de la pénombre des docks. Adressant un dernier regard en arrière vers les pégases, elle les désigna sobrement :
-« Occupez-vous comme il se doit de nos montures, s’il vous plaît. »
Son autorité n’appelait aucune contestation. Non pas qu’elle soit conquérante, mais parce qu’il ne pouvait en aller autrement dans son esprit. Le naturel voulait qu'elle soit obéie avec diligence. Quand bien même elle avait été considérablement ébranlée et diminuée en tant que femme dans le conseil d’administration de sa famille, le pouvoir était son droit de naissance. Un tissage si imbriqué dans la trame de son existence depuis le berceau que l’archéologue, habituée à nettoyer de vieux fossiles au pinceau, n’en avait même plus conscience.
Sylas fit face avec courage à la magie noire de la passerelle amovible, qui protestait sous les vents violents à mesure qu’ils s’élevaient dans les airs.
-« Je me suis toujours demandé comment un vaisseau principalement constitué de métal pouvait flotter… certains ingénieurs pourraient répondre à vos questions, mais j’ai cru comprendre qu’ils étaient assemblés en pièces détachées, puis soudées. Les pièces les plus importantes sont levées avec des grues et sollicitent de nombreux hommes à la manœuvre. Les risques d’accidents sont importants… en général, la construction d’un vaisseau de cette stature demande des années. C’est pourquoi, je ne peux remplacer si aisément le Cordelius. Ne serait-ce que par respect des ressources utilisées.»
Elle avait répété le nom avec un accent opalien si marqué que son origine devenait patente en cette seconde. A sa demande discrète, le navire larguait les amarres et passait l’ordre aux machinistes de faire cracher des les fours à charbons. La carcasse de métal gémit avant de s'arracher au quai. Une fois sur le navire, on avait moins conscience de son aspect repoussant et davantage de l’espace infini de la mer.
Elle se fendit d’un rire enfantin à la remarque de Sylas.
-« Une formidable personne ? Je prends ! Mon frère avait coutume de dire « greluche excentrique » pour les mêmes raisons. »
Le Cordelius s’éloignait du rivage à basse vitesse en libérant de profonds remous. Les mouettes s’étaient faites silencieuses depuis la tombée de la nuit. Seul le fracas des vagues contre la coque et la vibration du vent dans les câbles de métal donnait une étrange musique, entre percussions et harpe. Ellendrine écoutait avec grand sérieux le discours de l’archevêque, qui devait lui accorder une certaine confiance pour la mettre ainsi dans la confidence.
-« Je n’ai pas de conseil à vous donner sur la manière de gérer au mieux vos institutions et l’acceptation par le peuple de votre projet. Mais il semble que ce soit en effet une étape houleuse, qui appellera une grande tempérance de votre part. J’espère que vous saurez garder le cap afin de ne pas perdre de vue votre objectif, même s’il faut parfois savoir dévier pour ne pas briser la vague. Vous avez en tout cas toute ma gratitude. Je pense que cette mesure urgente va dans le bon sens."
Elle avait elle aussi des choses à partager, des idées plus personnelles. Mais elle craignait qu’il ne soit trop tôt. A ce stade, l’archevêque pourrait penser qu’elle profitait de sa confiance pour le manipuler si elle exposait son projet de but en blanc. Ou bien, cela disperserait les énergies. Comme il l’évoquait lui-même, il y avait déjà la visite du paquebot à mener. Et le procédé de désalinisation à exposer.
-« Pour répondre à cette vaste question, nous allons devoir quitter l’air frais et descendre de quelques niveaux. L’eau de mer est pompée directement quinze mètres plus bas et dirigée vers une station de dessalinisation. »
Tout en parlant, elle le conduisit vers une porte étanche à manivelle, qui ressemblait plus à un clapier à lapin.
-« Attention, il faut bien lever les pieds à chaque cloison. » le prévint-elle.
-« Attention à la tête ! » s’exclama-t-elle au dernier moment.
Quelques couloirs étroits les attendaient, sous le tangage léger du navire. Une lueur blafarde et quelque peu tamisée tombait régulièrement de quelques ampoules grillagées, au-dessus d’une infinité de portes boulonnées. Ils descendirent dans le labyrinthe et Ellendrine ouvrit une porte…
-« Les douches… de ces messieurs. » grinça-t-elle en refermant doucement la porte, avant d’attraper un matelot -habillé – qui passait par là. La plupart des matelots ayant fini leurs tâches harassantes s’étaient donnés rendez-vous pour cancaner au vestiaire.
-« Vous ! Conduisez-nous jusqu’à la cellule de désalinisation. »
-« Vous n’y êtes pas du tout, »grommela en baillant le matelot légèrement aviné, qui n’avait visiblement pas une traître idée de qui elle était, « il faut repartir dans l’autre sens, remonter par l’échelle, puis tourner à droite, à gauche, redescendre de trois niveau, et ensuite… »
-« Oui, donc, emmenez-nous. » coupa-t-elle pour se dérober à ce plan de circulation infernal.
Il faisait chaud dans la station, qui se trouvait juste au-dessus de la salle des machines. C’était pour utiliser la chaleur produite par la combustion des carburants afin de chauffer l’eau de mer extraite, devenue prisonnière d’un circuit complexe dans le système d’ancienne génération, qui fonctionnait par distillation. L’évaporation permettait de se débarrasser en grande partie du chlorure de sodium, le sel étant présent dans une concentration mille fois plus importante dans l’eau de mer que dans l’eau potable. Emporter des réserves conséquentes d’eau douce était une gageure, même sur un si grand navire. L’équipage était écrasant. Et l’on manquait de place pour tout, car l’immense partie de son tonnage était dévolu aux marchandises et à l’entretien.
La valse des informations sonna les matines de Sylas et Ellendrine. On finit par leur dire d’un geste négligeant que le rendement ancien n’était pas très conséquent et que pour garantir un approvisionnement même en cas de tempête en haute mer, on avait adopté la technologie révolutionnaire de l’osmose inverse.
-« L’eau salée est injectée à très haute pression dans ce compartiment fermé à l’aide d’une pompe, dont le moteur requiert une source d’énergie externe. En passant à travers le filtre, 10% de l’eau devient douce et est collectée. Le reste retourne à la mer et ne produit pas de pollution supplémentaire. Cela demande seulement un peu de temps. Mais nous sommes capables de produire 3000 litres d’eau douce par jour. Cela couvre la plupart de nos besoins. »
Soufflé par cet exposé donné par ce jeunot mal fagoté, Ellendrine ne put qu’applaudir. On en apprenait tous les jours ! De grands tonneau d’eau salubre étaient entreposés scellés devant eux. La pompe semblait fonctionner en permanence pour produire dans les différentes sections ses 150 litres par heures.
-« Le fait que vous en ayez conscience prouve que vous méritez vos fonctions. Ceux qui la convoite ne sont jamais des candidats réellement désirables. On peut dire que vous avez été appelé à servir votre pays et répondu à votre devoir… »
C’était un compliment. Peut-être d’un réalisme un peu froid, abandonnant Sylas à son manque de fantaisie avoué. D’un air un peu plus complice, elle se permit d’effleurer son épaule d’un revers de ses doigts gantés.
-« Et puis, qui sait ! Nous vivons une époque difficile. Qui peut dire ce que nous réservent les temps à venir ? Urh aura besoin de toutes ses forces vives pour les actions nécessaires à sa survie dans les prochains mois. Nous n’avons plus le luxe de pouvoir lanterner ! Alors, chevaucher vers des terres inconnues n’a rien d’inenvisageable, même pour l’archevêque d’Aramila. »
Ils se tenaient devant le mur d’acier noir et malfaisant, dressé sur les flots bouillonnants. La réaction crispée de l’archevêque était telle qu’elle se l’était imaginée. Malgré tout, Sylas n’allait pas défaillir et sa composition força l’admiration de la sophistiquée Opalienne.
-« Bravo pour votre retenue. Je m’en remets à votre grande tolérance pour la suite de l’exploration des entrailles du monstre. Certains détails pourront vous choquer, je ne vous le cache pas. Je vous demande simplement de suspendre votre jugement pour en arriver à ce qui nous intéresse… ce navire est en quelque sorte la dote que l’on m’a laissée, les vestiges de l’empire dont j’aurais dû hériter… il n’est pas de mon fait. Je ne l’ai pas spécialement mérité… mais tout comme je ne suis pas ce que l’on a fait de moi… mais, ce que je fais de ce que l’on a fait de moi… j’imagine un futur où des navires plus performants transformeront les mers aramilanes, sans pour autant ressembler à cette ferraille agressive. D’abord, il faudra se pincer le nez et apprendre ce qui est utile de cet engin. »
Les flammes romanesques d’Ellendrine furent noyées par quelques giclées d’urine. Le matelot remballait à la hâte son matériel gigotant, heureusement à la faveur de la pénombre des docks. Adressant un dernier regard en arrière vers les pégases, elle les désigna sobrement :
-« Occupez-vous comme il se doit de nos montures, s’il vous plaît. »
Son autorité n’appelait aucune contestation. Non pas qu’elle soit conquérante, mais parce qu’il ne pouvait en aller autrement dans son esprit. Le naturel voulait qu'elle soit obéie avec diligence. Quand bien même elle avait été considérablement ébranlée et diminuée en tant que femme dans le conseil d’administration de sa famille, le pouvoir était son droit de naissance. Un tissage si imbriqué dans la trame de son existence depuis le berceau que l’archéologue, habituée à nettoyer de vieux fossiles au pinceau, n’en avait même plus conscience.
Sylas fit face avec courage à la magie noire de la passerelle amovible, qui protestait sous les vents violents à mesure qu’ils s’élevaient dans les airs.
-« Je me suis toujours demandé comment un vaisseau principalement constitué de métal pouvait flotter… certains ingénieurs pourraient répondre à vos questions, mais j’ai cru comprendre qu’ils étaient assemblés en pièces détachées, puis soudées. Les pièces les plus importantes sont levées avec des grues et sollicitent de nombreux hommes à la manœuvre. Les risques d’accidents sont importants… en général, la construction d’un vaisseau de cette stature demande des années. C’est pourquoi, je ne peux remplacer si aisément le Cordelius. Ne serait-ce que par respect des ressources utilisées.»
Elle avait répété le nom avec un accent opalien si marqué que son origine devenait patente en cette seconde. A sa demande discrète, le navire larguait les amarres et passait l’ordre aux machinistes de faire cracher des les fours à charbons. La carcasse de métal gémit avant de s'arracher au quai. Une fois sur le navire, on avait moins conscience de son aspect repoussant et davantage de l’espace infini de la mer.
Elle se fendit d’un rire enfantin à la remarque de Sylas.
-« Une formidable personne ? Je prends ! Mon frère avait coutume de dire « greluche excentrique » pour les mêmes raisons. »
Le Cordelius s’éloignait du rivage à basse vitesse en libérant de profonds remous. Les mouettes s’étaient faites silencieuses depuis la tombée de la nuit. Seul le fracas des vagues contre la coque et la vibration du vent dans les câbles de métal donnait une étrange musique, entre percussions et harpe. Ellendrine écoutait avec grand sérieux le discours de l’archevêque, qui devait lui accorder une certaine confiance pour la mettre ainsi dans la confidence.
-« Je n’ai pas de conseil à vous donner sur la manière de gérer au mieux vos institutions et l’acceptation par le peuple de votre projet. Mais il semble que ce soit en effet une étape houleuse, qui appellera une grande tempérance de votre part. J’espère que vous saurez garder le cap afin de ne pas perdre de vue votre objectif, même s’il faut parfois savoir dévier pour ne pas briser la vague. Vous avez en tout cas toute ma gratitude. Je pense que cette mesure urgente va dans le bon sens."
Elle avait elle aussi des choses à partager, des idées plus personnelles. Mais elle craignait qu’il ne soit trop tôt. A ce stade, l’archevêque pourrait penser qu’elle profitait de sa confiance pour le manipuler si elle exposait son projet de but en blanc. Ou bien, cela disperserait les énergies. Comme il l’évoquait lui-même, il y avait déjà la visite du paquebot à mener. Et le procédé de désalinisation à exposer.
-« Pour répondre à cette vaste question, nous allons devoir quitter l’air frais et descendre de quelques niveaux. L’eau de mer est pompée directement quinze mètres plus bas et dirigée vers une station de dessalinisation. »
Tout en parlant, elle le conduisit vers une porte étanche à manivelle, qui ressemblait plus à un clapier à lapin.
-« Attention, il faut bien lever les pieds à chaque cloison. » le prévint-elle.
-« Attention à la tête ! » s’exclama-t-elle au dernier moment.
Quelques couloirs étroits les attendaient, sous le tangage léger du navire. Une lueur blafarde et quelque peu tamisée tombait régulièrement de quelques ampoules grillagées, au-dessus d’une infinité de portes boulonnées. Ils descendirent dans le labyrinthe et Ellendrine ouvrit une porte…
-« Les douches… de ces messieurs. » grinça-t-elle en refermant doucement la porte, avant d’attraper un matelot -habillé – qui passait par là. La plupart des matelots ayant fini leurs tâches harassantes s’étaient donnés rendez-vous pour cancaner au vestiaire.
-« Vous ! Conduisez-nous jusqu’à la cellule de désalinisation. »
-« Vous n’y êtes pas du tout, »grommela en baillant le matelot légèrement aviné, qui n’avait visiblement pas une traître idée de qui elle était, « il faut repartir dans l’autre sens, remonter par l’échelle, puis tourner à droite, à gauche, redescendre de trois niveau, et ensuite… »
-« Oui, donc, emmenez-nous. » coupa-t-elle pour se dérober à ce plan de circulation infernal.
Il faisait chaud dans la station, qui se trouvait juste au-dessus de la salle des machines. C’était pour utiliser la chaleur produite par la combustion des carburants afin de chauffer l’eau de mer extraite, devenue prisonnière d’un circuit complexe dans le système d’ancienne génération, qui fonctionnait par distillation. L’évaporation permettait de se débarrasser en grande partie du chlorure de sodium, le sel étant présent dans une concentration mille fois plus importante dans l’eau de mer que dans l’eau potable. Emporter des réserves conséquentes d’eau douce était une gageure, même sur un si grand navire. L’équipage était écrasant. Et l’on manquait de place pour tout, car l’immense partie de son tonnage était dévolu aux marchandises et à l’entretien.
La valse des informations sonna les matines de Sylas et Ellendrine. On finit par leur dire d’un geste négligeant que le rendement ancien n’était pas très conséquent et que pour garantir un approvisionnement même en cas de tempête en haute mer, on avait adopté la technologie révolutionnaire de l’osmose inverse.
-« L’eau salée est injectée à très haute pression dans ce compartiment fermé à l’aide d’une pompe, dont le moteur requiert une source d’énergie externe. En passant à travers le filtre, 10% de l’eau devient douce et est collectée. Le reste retourne à la mer et ne produit pas de pollution supplémentaire. Cela demande seulement un peu de temps. Mais nous sommes capables de produire 3000 litres d’eau douce par jour. Cela couvre la plupart de nos besoins. »
Soufflé par cet exposé donné par ce jeunot mal fagoté, Ellendrine ne put qu’applaudir. On en apprenait tous les jours ! De grands tonneau d’eau salubre étaient entreposés scellés devant eux. La pompe semblait fonctionner en permanence pour produire dans les différentes sections ses 150 litres par heures.
Mer 31 Juil - 23:47
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
« Si seulement le bon sens était acquis chez davantage de nos concitoyens »
Il haussa les épaules, le regard sombre. Le geste tactile d’Ellendrine attendrit cependant sa mine, alors qu’il reprit du nerf, déterminé à tenir tête tant à son hôte qu’à la sinistre bâtisse à laquelle il accordait une visite un rien diplomatique.
Il s’en remit à l’archéologue alors qu’elle le conduisait dans le vaisseau, répondant à la plupart de ses remarques.
« Vous soulevez un point important, dont l’Ahad comporte peut-être un élément de réponse. Vous n’êtes pas sans savoir l’histoire d’Aram et Zekiel. Outre la première lettre de leur nom qui semble tant les opposer… Ils avaient une approche radicalement différente de la vie… »
Il s’interrompit, se disant que la fable était bien trop longue pour être contée ici et que, si Ellendrine eût besoin de se rafraîchir la mémoire, Sylas la lui rappellerait dans des moments plus propices.
« Je reconnais chez vous une certaine piété filiale qui me rassure. Vous vantiez je ne sais quel mérite quant à ma position, mais j’ai été, d’une façon ou d’une autre, hissé par la parentèle jusqu’à ce sommet. Et il n’y a pas eu que du bon. Enfin, peut-être vous paraîtrai-je présomptueux en disant cela, mais je n’ai observé nul remplaçant potentiel capable de me succéder. Peut-être précisément pour les raisons que vous décrivez : le rang d’archevêque d’Aramila est convoité… Et mes ennemis se sont multipliés en trente ans. »
Alors qu’il s’enfonçait dans les entrailles du bâtiment, prenant soin à ne pas se cogner sur avertissement in extremis de sa camarade, il progressait dans un couloir étroit, un tantinet lugubre, quoique son visage exprimait un émerveillement teinté d’appréhension. Une rencontre opportune avec un matelot leur permis d’atteindre la destination de la convoitise de l’archevêque ; ce qu’il appréhendait le plus céans.
La station de désalinisation.
Il écouta le monologue du marin, tandis qu’il laissa lire la stupéfaction sur son visage.
« Deux questions de novice me viennent à l’esprit, avant qu’elles ne s’évanouissent et me laissent ignorant. La première : quelle source d’énergie utilise le Cordelius pour transformer l’eau salée en eau douce ? La seconde : les 90 % d’eau rejetée à la mer n’est-elle pas plus chargée en sel ? Cela ne risque-t-il pas de perturber l’environnement marin ? Je connais des tritons qui se montreraient hostiles pour moins que ça… Et à raison, si votre système pollue ainsi. Ou peut-être que vous collectez également le sel pour ne pas augmenter la teneur de l’eau rejetée… Enfin, ce ne sont que des réflexions d’un non-savant. »
Il haussa les épaules. Peut-être était-ce des sotises, ou simplement le fruit d’une réflexion, fût-elle immature, pleine de bon sens au moins.
« D’abord vous m’emmenez en pégase, et ensuite en bâteau…? Quelle formidable personne vous faites… »
Il fronça les sourcils, et se souvint.
« … Ellendrine. » répondit-il en esquissant un nouveau sourire, affable, avant de reprendre son sérieux. Il poursuivit.
« Toujours est-il que j’aimerais bien boire de cette eau de votre crû. Si je dois promouvoir quelque mécanisme capable de changer l’eau de mer en eau douce, je serai garant. »
Il haussa les épaules, le regard sombre. Le geste tactile d’Ellendrine attendrit cependant sa mine, alors qu’il reprit du nerf, déterminé à tenir tête tant à son hôte qu’à la sinistre bâtisse à laquelle il accordait une visite un rien diplomatique.
Il s’en remit à l’archéologue alors qu’elle le conduisait dans le vaisseau, répondant à la plupart de ses remarques.
« Vous soulevez un point important, dont l’Ahad comporte peut-être un élément de réponse. Vous n’êtes pas sans savoir l’histoire d’Aram et Zekiel. Outre la première lettre de leur nom qui semble tant les opposer… Ils avaient une approche radicalement différente de la vie… »
Il s’interrompit, se disant que la fable était bien trop longue pour être contée ici et que, si Ellendrine eût besoin de se rafraîchir la mémoire, Sylas la lui rappellerait dans des moments plus propices.
« Je reconnais chez vous une certaine piété filiale qui me rassure. Vous vantiez je ne sais quel mérite quant à ma position, mais j’ai été, d’une façon ou d’une autre, hissé par la parentèle jusqu’à ce sommet. Et il n’y a pas eu que du bon. Enfin, peut-être vous paraîtrai-je présomptueux en disant cela, mais je n’ai observé nul remplaçant potentiel capable de me succéder. Peut-être précisément pour les raisons que vous décrivez : le rang d’archevêque d’Aramila est convoité… Et mes ennemis se sont multipliés en trente ans. »
Alors qu’il s’enfonçait dans les entrailles du bâtiment, prenant soin à ne pas se cogner sur avertissement in extremis de sa camarade, il progressait dans un couloir étroit, un tantinet lugubre, quoique son visage exprimait un émerveillement teinté d’appréhension. Une rencontre opportune avec un matelot leur permis d’atteindre la destination de la convoitise de l’archevêque ; ce qu’il appréhendait le plus céans.
La station de désalinisation.
Il écouta le monologue du marin, tandis qu’il laissa lire la stupéfaction sur son visage.
« Deux questions de novice me viennent à l’esprit, avant qu’elles ne s’évanouissent et me laissent ignorant. La première : quelle source d’énergie utilise le Cordelius pour transformer l’eau salée en eau douce ? La seconde : les 90 % d’eau rejetée à la mer n’est-elle pas plus chargée en sel ? Cela ne risque-t-il pas de perturber l’environnement marin ? Je connais des tritons qui se montreraient hostiles pour moins que ça… Et à raison, si votre système pollue ainsi. Ou peut-être que vous collectez également le sel pour ne pas augmenter la teneur de l’eau rejetée… Enfin, ce ne sont que des réflexions d’un non-savant. »
Il haussa les épaules. Peut-être était-ce des sotises, ou simplement le fruit d’une réflexion, fût-elle immature, pleine de bon sens au moins.
« D’abord vous m’emmenez en pégase, et ensuite en bâteau…? Quelle formidable personne vous faites… »
Il fronça les sourcils, et se souvint.
« … Ellendrine. » répondit-il en esquissant un nouveau sourire, affable, avant de reprendre son sérieux. Il poursuivit.
« Toujours est-il que j’aimerais bien boire de cette eau de votre crû. Si je dois promouvoir quelque mécanisme capable de changer l’eau de mer en eau douce, je serai garant. »
Mer 7 Aoû - 1:57
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
On ne s’attendait pas à de la fraîcheur attablée devant un quignon de pain rassis et une pinte de bière tiède. De la même manière, les gouvernements ayant subi l’usure du pouvoir faisaient rarement souffler un vent de nouveauté sur le désert. Pourtant, c’était le constat d’Ellendrine, l’archevêque d’Aramila faisait montre d’ouverture et de curiosité, tout en témoignant d’une maladresse touchante à l’égard du progrès.
-« Je connais en effet cette fable, du moins, j’ai étudié l’histoire d’Aram et Zekiel… » pour son symbolisme principalement, par intérêt pour son peuple et afin de s’ennuyer moins ferme durant les sermons au Temple. « Mais je suis sûre que votre manière de la conter et de lui donner sens y ajouterait toute sa saveur ! » s’empressa-t-elle d’ajouter.
Qu’aucun remplaçant digne de ce nom n’existe pour Sylas en cas de nécessité lui faisait froid dans le dos. Que faire si d’aventure il venait à décéder d’une mauvaise grippe ? Il faudrait tenir bon. L’avantage d’être arrivé jeune est qu’il était loin d’être une vieille carne. Désormais rompu à l’exercice du pouvoir, c’est tout un règne qui s’étendait devant lui.
-« J’espère que les serpents continueront à neutraliser leurs venins, pour la paix et la prospérité de notre pays. »
Dans les boyaux du monstre de métal, Ellendrine et Sylas recevaient une instruction sur la purification de l’eau. Ellendrine anticipait les questions de Sylas et redoutait déjà la forme que pourraient prendre les réponses du matelot, avec lequel elle ne s’était pas concertée.
Quand Sylas souleva la question de l’énergie utilisée, il comprit tout seul quelle forme de censure adopter. La blondeur de ses cheveux et son corps allongé trahissaient une ascendance opalienne. Sous ses cheveux filasse, collant de sueur dans cette salle confinée, ses yeux tombèrent sur le regard vipérin d’Ellendrine, au cas où il aurait besoin d’une injonction à ne pas fauter. Le discours ne pouvait faire mention de myste aux chastes oreilles aramilanes. Le matelot ne mesurait pas l’importance de cette visite. C’était l’homme le plus important d’Aramila qui le questionnait !
-« A vrai dire, vos questions sont normales. Eh bien… pour beaucoup, nous utilisons du charbon, que nous brûlons. »
Cela ne pouvait être ignoré, au panache noirâtre qui suivait le paquebot telle une traîne hivernale entre ciel et océan. Et c’était un moindre mal comparé au myste pour les Aramilans. Ellendrine avait envisagé la reconversion des systèmes d’alimentation, ce qui avait été fait en partie. Ne serait-ce parce que le caractère instable du myste augmentait le risque d’explosion. Mais il est toujours plus difficile et coûteux de transformer ce qui a été mal conçu.
-« C’est un combustible fossile polluant. » s’invita l’aristocrate dans la conversation. « Néanmoins, vous contemplez les prouesses du passé. Si la question vous intéresse, je pourrais vous parlez de ce que nous espérons pour l’avenir, plus propre et si j’ose dire… éternel. »
Pour ce qui était de la question du sel, le matelot reprit avec désinvolture tout en se passant une main derrière la tête.
-« Ma foi, je n’y connais rien en bêtes marines. Nous ne sommes pas un bateau de pêche. »
Il rit, suscitant l’ire de la noble dame, qui l’aurait pulvérisé avec ses yeux s’ils avaient été équipés de rayons laser.
« C’est sûr que l’eau est plus salée… certains disent que c’est une autre forme de pollution… mais finalement l’eau s’évapore toujours avec le soleil et revient sous forme de pluie… d’une manière ou d’une autre les forces de la création s’équilibrent… » tenta-t-il de justifier en une forme d’allusion panthéïste.
Ellendrine reprit le flambeau.
« A partir du moment où nous respirons dans cette vie, tous nos mouvements ont un impact… il faut voir qu’Urh est un continent très peu densément peuplé. Et auparavant, la planète était habitée. Aujourd’hui, moins du vingtième du tore est peuplé. A l’échelle de l’immensité insondable des océans, notre impact est totalement négligeable…le cycle de l’eau s’équilibre… sauf à faire exprès de tout détruire de la manière la plus expresse, comme s’ingénient à le faire les Epistopolitains… » convoqua-t-elle, comme on évoque le spectre d’un oncle infâme.
Ellendrine partit à rire à la proposition de Sylas
« Vous vous faites vraiment l’oblat de votre peuple. Mais ne craignez rien, aucun poison ne vous attend. Je boirai avec vous. Voulez-vous ? »
Cette dernière question était pour le matelot, chargé par le geste de leur procurer des contenant et de l’eau. Le jeune homme commençait visiblement à se lasser de jouer les guides touristiques, mais la gestuelle de Lady Brightwidge refroidit ses velléités d’évasion. Une tasse en métal pour chacun, le matelot s’invita à leur dégustation improvisée.
-« A la santé des Aramilans ! » clama-t-elle.
-« Je connais en effet cette fable, du moins, j’ai étudié l’histoire d’Aram et Zekiel… » pour son symbolisme principalement, par intérêt pour son peuple et afin de s’ennuyer moins ferme durant les sermons au Temple. « Mais je suis sûre que votre manière de la conter et de lui donner sens y ajouterait toute sa saveur ! » s’empressa-t-elle d’ajouter.
Qu’aucun remplaçant digne de ce nom n’existe pour Sylas en cas de nécessité lui faisait froid dans le dos. Que faire si d’aventure il venait à décéder d’une mauvaise grippe ? Il faudrait tenir bon. L’avantage d’être arrivé jeune est qu’il était loin d’être une vieille carne. Désormais rompu à l’exercice du pouvoir, c’est tout un règne qui s’étendait devant lui.
-« J’espère que les serpents continueront à neutraliser leurs venins, pour la paix et la prospérité de notre pays. »
Dans les boyaux du monstre de métal, Ellendrine et Sylas recevaient une instruction sur la purification de l’eau. Ellendrine anticipait les questions de Sylas et redoutait déjà la forme que pourraient prendre les réponses du matelot, avec lequel elle ne s’était pas concertée.
Quand Sylas souleva la question de l’énergie utilisée, il comprit tout seul quelle forme de censure adopter. La blondeur de ses cheveux et son corps allongé trahissaient une ascendance opalienne. Sous ses cheveux filasse, collant de sueur dans cette salle confinée, ses yeux tombèrent sur le regard vipérin d’Ellendrine, au cas où il aurait besoin d’une injonction à ne pas fauter. Le discours ne pouvait faire mention de myste aux chastes oreilles aramilanes. Le matelot ne mesurait pas l’importance de cette visite. C’était l’homme le plus important d’Aramila qui le questionnait !
-« A vrai dire, vos questions sont normales. Eh bien… pour beaucoup, nous utilisons du charbon, que nous brûlons. »
Cela ne pouvait être ignoré, au panache noirâtre qui suivait le paquebot telle une traîne hivernale entre ciel et océan. Et c’était un moindre mal comparé au myste pour les Aramilans. Ellendrine avait envisagé la reconversion des systèmes d’alimentation, ce qui avait été fait en partie. Ne serait-ce parce que le caractère instable du myste augmentait le risque d’explosion. Mais il est toujours plus difficile et coûteux de transformer ce qui a été mal conçu.
-« C’est un combustible fossile polluant. » s’invita l’aristocrate dans la conversation. « Néanmoins, vous contemplez les prouesses du passé. Si la question vous intéresse, je pourrais vous parlez de ce que nous espérons pour l’avenir, plus propre et si j’ose dire… éternel. »
Pour ce qui était de la question du sel, le matelot reprit avec désinvolture tout en se passant une main derrière la tête.
-« Ma foi, je n’y connais rien en bêtes marines. Nous ne sommes pas un bateau de pêche. »
Il rit, suscitant l’ire de la noble dame, qui l’aurait pulvérisé avec ses yeux s’ils avaient été équipés de rayons laser.
« C’est sûr que l’eau est plus salée… certains disent que c’est une autre forme de pollution… mais finalement l’eau s’évapore toujours avec le soleil et revient sous forme de pluie… d’une manière ou d’une autre les forces de la création s’équilibrent… » tenta-t-il de justifier en une forme d’allusion panthéïste.
Ellendrine reprit le flambeau.
« A partir du moment où nous respirons dans cette vie, tous nos mouvements ont un impact… il faut voir qu’Urh est un continent très peu densément peuplé. Et auparavant, la planète était habitée. Aujourd’hui, moins du vingtième du tore est peuplé. A l’échelle de l’immensité insondable des océans, notre impact est totalement négligeable…le cycle de l’eau s’équilibre… sauf à faire exprès de tout détruire de la manière la plus expresse, comme s’ingénient à le faire les Epistopolitains… » convoqua-t-elle, comme on évoque le spectre d’un oncle infâme.
Ellendrine partit à rire à la proposition de Sylas
« Vous vous faites vraiment l’oblat de votre peuple. Mais ne craignez rien, aucun poison ne vous attend. Je boirai avec vous. Voulez-vous ? »
Cette dernière question était pour le matelot, chargé par le geste de leur procurer des contenant et de l’eau. Le jeune homme commençait visiblement à se lasser de jouer les guides touristiques, mais la gestuelle de Lady Brightwidge refroidit ses velléités d’évasion. Une tasse en métal pour chacun, le matelot s’invita à leur dégustation improvisée.
-« A la santé des Aramilans ! » clama-t-elle.
Sam 7 Sep - 23:48
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
Les réponses, maladroite fussent elles, n’attirèrent ni colère, ni mépris de la part de Sylas. La seule réponse qu’il lui eut été donné d’observer, c’était d’arquer un sourcil ou de relever le menton comme pour sonder son interlocuteur. Le matelot avait le regard fuyant, essuyait ses mains moites énergiquement sur sa tenue et chassait d’un revers de manche la poisse qui collait à son front sur lesquelles les mèches blondes et humides étaient piégées.
Oui. Il était délicat d’admettre à un homme de foi que ce monstre de métal marchait au myste. Mais outre Ellendrine et l’archevêque, il n’y avait nul témoin pour qu’on fît exploser quelque esclandre inutile. Aussi, pour cette fois, la duplicité était de mise.
« Que nous ne nommiez pas l’innommable est une chose — faut-il faire preuve de diplomatie en tout instant. Aussi me satisfairai-je de cette réponse… “brumeuse”, si je puis dire. En revanche, essayer de faire croire que votre empreinte ne perturbe pas l’équilibre, c’est audacieux. Il existe de l’eau de mer en quantité astronomique sur Uhr et ce n’est certainement pas la consommation de l’être humain qui la raréfiera. Cependant, il faudra trouver une solution pour le sel. Une eau trop dense risquerait d’être dangereuse pour l’écosystème. Mais nous n’y sommes pas encore. Sachez juste que si je ne suis pas un ingénieur, je ne suis ni stupide, ni totalement illettré en ce qui concerne les lois qui régissent notre univers. »
Il marqua un court silence, le temps d’accueillir entre ses paumes ridées un récipient contenant une eau transparente, limpide, sans substance parasite.
Il la porta à ses lèvres et eu une agréable surprise.
« Ils peuplaient une terre fertile et baignée de lumière, parce que les Douze le voulaient. Héritiers de leur parentèle, ils érigèrent sur l’héritage des esprits un moulin. Car si les Douze leur donnaient la semence et la récolte, il était de leur devoir de prouver leur valeur et, à partir du grain moulu, nourrir leurs semblables. Aram, plein de sagacité, voulait créer une merveille ; il manda les meilleurs artisans et son moulin, dès sa première rotation, surpassait en puissance et en vitesse tout ce que l’on eût vu. Le grain coulait en abondance et au-delà de son utilité, il connut une certaine renommée. Zekiel, quant à lui, prit un chemin différent. Le moulin de son crû était modeste, conçu de ses mains cornues avec le bois et les pierres de son village. Il tournait lentement, produisant juste assez pour nourrir quelques familles au plus. Il attisait les moqueries. Certains médisants allaient même jusqu’à dire qu’il se voulait chantre de la Malice pour attirer pareille attention sur lui en comparaison à Aram ; quelqu’un seulement intéressé par le profit d’un petit comité au détriment d’un autre. »
Il sonda le regard d’Ellendrine pour s’assurer qu’elle n’en ratait pas une goutte.
« Alors que les saisons passèrent, les moulins avaient tourné. Et, un beau jour, le moulin d’Aram, avec tout son éclat, toute sa puissance, commença à faiblir. Ses fondations, usées par la vitesse et la force qui avait entraîné tout l’édifice, se fragilisèrent jusqu’à s’effondrer. Aram, malgré son génie, ne put trouver de remède rapide. Le village, qui dépendait de lui, se retrouva en difficulté. Quant à Zekiel, son moulin d’origine modeste évoluait avec le temps. Chaque jour il l’entretenait, changeait une pierre par ci, ajustait une roue par là. Le moulin, dans sa lenteur relative, ne cessa jamais de tourner. Il devint plus efficace alors que celui d’Aram tomba en ruines. Dois-je vous conter la suite, ou saurez-vous, malgré l’inexactitude de certains détails, faire le parallèle avec Cornélius ? Vous avez beau entretenir votre vaisseau, je pense, peut-être à tort, que votre situation se trouve davantage en celle d’Aram que de Zékiel. À moins que ce monstre fer n’était qu’une simple galère en bois dès le départ, hm ? »
Il esquissa un sourire affable avant de continuer à se désaltérer.
« En revanche, je dois dire que si votre invention résoudrait des problèmes d’escarmouches entre peuples qui se disputent des accès à la ressource, alors je ne vois aucune entorse à l’orthopraxie. Je demanderais même presque qu’on me défiât d’en trouver. J’imagine déjà votre mari me mettre à l’épreuve. Enfin, y a-t-il autre chose que je devrais voir tant que je suis à bord ? »
Oui. Il était délicat d’admettre à un homme de foi que ce monstre de métal marchait au myste. Mais outre Ellendrine et l’archevêque, il n’y avait nul témoin pour qu’on fît exploser quelque esclandre inutile. Aussi, pour cette fois, la duplicité était de mise.
« Que nous ne nommiez pas l’innommable est une chose — faut-il faire preuve de diplomatie en tout instant. Aussi me satisfairai-je de cette réponse… “brumeuse”, si je puis dire. En revanche, essayer de faire croire que votre empreinte ne perturbe pas l’équilibre, c’est audacieux. Il existe de l’eau de mer en quantité astronomique sur Uhr et ce n’est certainement pas la consommation de l’être humain qui la raréfiera. Cependant, il faudra trouver une solution pour le sel. Une eau trop dense risquerait d’être dangereuse pour l’écosystème. Mais nous n’y sommes pas encore. Sachez juste que si je ne suis pas un ingénieur, je ne suis ni stupide, ni totalement illettré en ce qui concerne les lois qui régissent notre univers. »
Il marqua un court silence, le temps d’accueillir entre ses paumes ridées un récipient contenant une eau transparente, limpide, sans substance parasite.
Il la porta à ses lèvres et eu une agréable surprise.
« Ils peuplaient une terre fertile et baignée de lumière, parce que les Douze le voulaient. Héritiers de leur parentèle, ils érigèrent sur l’héritage des esprits un moulin. Car si les Douze leur donnaient la semence et la récolte, il était de leur devoir de prouver leur valeur et, à partir du grain moulu, nourrir leurs semblables. Aram, plein de sagacité, voulait créer une merveille ; il manda les meilleurs artisans et son moulin, dès sa première rotation, surpassait en puissance et en vitesse tout ce que l’on eût vu. Le grain coulait en abondance et au-delà de son utilité, il connut une certaine renommée. Zekiel, quant à lui, prit un chemin différent. Le moulin de son crû était modeste, conçu de ses mains cornues avec le bois et les pierres de son village. Il tournait lentement, produisant juste assez pour nourrir quelques familles au plus. Il attisait les moqueries. Certains médisants allaient même jusqu’à dire qu’il se voulait chantre de la Malice pour attirer pareille attention sur lui en comparaison à Aram ; quelqu’un seulement intéressé par le profit d’un petit comité au détriment d’un autre. »
Il sonda le regard d’Ellendrine pour s’assurer qu’elle n’en ratait pas une goutte.
« Alors que les saisons passèrent, les moulins avaient tourné. Et, un beau jour, le moulin d’Aram, avec tout son éclat, toute sa puissance, commença à faiblir. Ses fondations, usées par la vitesse et la force qui avait entraîné tout l’édifice, se fragilisèrent jusqu’à s’effondrer. Aram, malgré son génie, ne put trouver de remède rapide. Le village, qui dépendait de lui, se retrouva en difficulté. Quant à Zekiel, son moulin d’origine modeste évoluait avec le temps. Chaque jour il l’entretenait, changeait une pierre par ci, ajustait une roue par là. Le moulin, dans sa lenteur relative, ne cessa jamais de tourner. Il devint plus efficace alors que celui d’Aram tomba en ruines. Dois-je vous conter la suite, ou saurez-vous, malgré l’inexactitude de certains détails, faire le parallèle avec Cornélius ? Vous avez beau entretenir votre vaisseau, je pense, peut-être à tort, que votre situation se trouve davantage en celle d’Aram que de Zékiel. À moins que ce monstre fer n’était qu’une simple galère en bois dès le départ, hm ? »
Il esquissa un sourire affable avant de continuer à se désaltérer.
« En revanche, je dois dire que si votre invention résoudrait des problèmes d’escarmouches entre peuples qui se disputent des accès à la ressource, alors je ne vois aucune entorse à l’orthopraxie. Je demanderais même presque qu’on me défiât d’en trouver. J’imagine déjà votre mari me mettre à l’épreuve. Enfin, y a-t-il autre chose que je devrais voir tant que je suis à bord ? »
Ven 20 Sep - 22:14
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
L’archevêque faisait transpirer le matelot et Ellendrine, qui ne savaient plus trop s’il s’adressait de manière préférentielle à l’un ou à l’autre.
-« Je ne suis pas ingénieure non plus, votre Sainteté. » finit par lancer Ellendrine.
« Ne pensez-vous pas qu’il soit grand temps qu’Aramila s’approprie enfin ces technologies pour trouver des solutions qui lui correspondent vraiment ? Alors seulement, elle pourra colorer le monde de sa vision et de ses normes. Sinon, les autres, qui ont des motivations moins spirituelles, trouveront toujours des solutions concordantes à leur morale corrompue. »
Sylas ponctua sa dégustation d’un rappel sur l’histoire d’Aram et Zekiel, une manière sans doute de montrer que mieux valait assumer un train de vie épars et modique plutôt qu’une course effrénée vers le rendement maximal, fragile dans la durée. Dans la douleur, car les yeux de l’archevêque étaient de braise et sa parabole d’une longueur lancinante, Ellendrine soutint son regard. Sa respiration était calme mais une pression habitait sa poitrine.
-« Je vous pardonne quelques raccourcis. Vous vous êtes très bien fait comprendre dans l’ensemble de votre propos, votre Sainteté. »
Elle se rappelait qu’il était un dirigeant de haute stature et que tout pouvait basculer.
« J’ai bien conscience que le Cornélius n’a la constitution la plus résiliente loin d’Opale et qu’il n’est pas des plus adaptés à nos côtes. »
Mais en attendant…
Un ouf de soulagement résonna dans son esprit, alors que Sylas buvait le reste de son eau avec décontraction et trouvait du bon dans la technologie de purification de l’eau salée. Il existait aux yeux d'Ellendrine une voie qui n'était ni celle d'Aram, ni celle de Zekiel. Une voie du milieu. Une voie supérieure. Car non dogmatique. Dire qu’il serait le clerc le plus facile à convaincre serait un euphémisme, ce qui lui fit froid dans le dos. Mais elle n’aurait pas à les convaincre en personne, puisqu’il avait l’air prêt à mener les joutes oratoires avec ses opposants.
-« Mon époux aime beaucoup aiguiser son sens de l’opposition. Je crois qu’il y voit un sport et un plaisir… en repensant à votre métaphore, je regrette seulement que deux frères n’aient pas pu œuvrer main dans la main pour compenser les faiblesses de l’un et de l’autre, l’un détenant la vision et l’innovation et l’autre la sagesse et la tempérance. Imaginez ce qu’ils auraient pu accomplir avec patience et sans hubris. »
Une manière habile pour Ellendrine de dire que si on ne voulait pas des envolées risquées d’Aram, il ne fallait pas non plus rester à l’âge de pierre mais proposer une nouvelle voie, fût-elle conforme aux vœux orthopraxes.
-« Je crois que vous avez vu l’essentiel de ce qui a motivé notre voyage. Cependant, il reste beaucoup de quartiers à ce navire que nous n’avons pas encore visité. Si vous étiez curieux de voir le niveau des machines, l’entrepôt ou la capitainerie… en ce qui me concerne, veuillez m’excuser, je vais avoir besoin d’aller me rafraîchir. »
Son petit voyage dans l’intimité des toilettes du navire lui donnerait un peu d’espace pour se rasséréner. Quoiqu’il en soit, une longue chevauchée les attendrait au retour car il y avait fort à parier que Sylas ne tiendrait pas à passer la nuit sur cet engin de malheur. Elle non plus, au fond. Trop d’explications seraient à fournir à leur retour.
-« Je ne suis pas ingénieure non plus, votre Sainteté. » finit par lancer Ellendrine.
« Ne pensez-vous pas qu’il soit grand temps qu’Aramila s’approprie enfin ces technologies pour trouver des solutions qui lui correspondent vraiment ? Alors seulement, elle pourra colorer le monde de sa vision et de ses normes. Sinon, les autres, qui ont des motivations moins spirituelles, trouveront toujours des solutions concordantes à leur morale corrompue. »
Sylas ponctua sa dégustation d’un rappel sur l’histoire d’Aram et Zekiel, une manière sans doute de montrer que mieux valait assumer un train de vie épars et modique plutôt qu’une course effrénée vers le rendement maximal, fragile dans la durée. Dans la douleur, car les yeux de l’archevêque étaient de braise et sa parabole d’une longueur lancinante, Ellendrine soutint son regard. Sa respiration était calme mais une pression habitait sa poitrine.
-« Je vous pardonne quelques raccourcis. Vous vous êtes très bien fait comprendre dans l’ensemble de votre propos, votre Sainteté. »
Elle se rappelait qu’il était un dirigeant de haute stature et que tout pouvait basculer.
« J’ai bien conscience que le Cornélius n’a la constitution la plus résiliente loin d’Opale et qu’il n’est pas des plus adaptés à nos côtes. »
Mais en attendant…
Un ouf de soulagement résonna dans son esprit, alors que Sylas buvait le reste de son eau avec décontraction et trouvait du bon dans la technologie de purification de l’eau salée. Il existait aux yeux d'Ellendrine une voie qui n'était ni celle d'Aram, ni celle de Zekiel. Une voie du milieu. Une voie supérieure. Car non dogmatique. Dire qu’il serait le clerc le plus facile à convaincre serait un euphémisme, ce qui lui fit froid dans le dos. Mais elle n’aurait pas à les convaincre en personne, puisqu’il avait l’air prêt à mener les joutes oratoires avec ses opposants.
-« Mon époux aime beaucoup aiguiser son sens de l’opposition. Je crois qu’il y voit un sport et un plaisir… en repensant à votre métaphore, je regrette seulement que deux frères n’aient pas pu œuvrer main dans la main pour compenser les faiblesses de l’un et de l’autre, l’un détenant la vision et l’innovation et l’autre la sagesse et la tempérance. Imaginez ce qu’ils auraient pu accomplir avec patience et sans hubris. »
Une manière habile pour Ellendrine de dire que si on ne voulait pas des envolées risquées d’Aram, il ne fallait pas non plus rester à l’âge de pierre mais proposer une nouvelle voie, fût-elle conforme aux vœux orthopraxes.
-« Je crois que vous avez vu l’essentiel de ce qui a motivé notre voyage. Cependant, il reste beaucoup de quartiers à ce navire que nous n’avons pas encore visité. Si vous étiez curieux de voir le niveau des machines, l’entrepôt ou la capitainerie… en ce qui me concerne, veuillez m’excuser, je vais avoir besoin d’aller me rafraîchir. »
Son petit voyage dans l’intimité des toilettes du navire lui donnerait un peu d’espace pour se rasséréner. Quoiqu’il en soit, une longue chevauchée les attendrait au retour car il y avait fort à parier que Sylas ne tiendrait pas à passer la nuit sur cet engin de malheur. Elle non plus, au fond. Trop d’explications seraient à fournir à leur retour.
Dim 22 Sep - 21:05
De plumes et d'acier
Sylas Edralden
Au fur et à mesure que le contenu de son verre diminuait, Sylas s’amusait à faire remuer son eau comme si elle eût été bénite ou qu’il eût agi d’un liquide fermenté, précieux en tout cas.
S’il retint de froncer les sourcils aux premières réponses d’Ellendrine, son intervention au sujet de la fable fit naître en lui une joie comme il en ressentait peu, en tout cas dernièrement.
« Je pourrais parler de l’Ahad des heures durant. Je l’ai lu et relu au point de connaître certains passages par cœur, même si là n’est pas la question : c’est utile pour les psaumes, mais rien de plus. Votre réflexion au sujet d’Aram et de Zekiel montre que vous êtes allée au-delà de la première lecture. C’est vrai, après tout, pourquoi faut-il que deux frères furent opposés dans pareil contexte ? D’aucuns interprètent qu’il est dans la nature humaine de chercher la compétition par individualisme, d’autres, comme vous, plus modérés, entrevoient que l’Ahad cherche à enseigner, à demi-mot, qu’il n’y a point de tiers exclu ici ; autrement dit, chercher une troisième voie, sans en exclure une quatrième s’il en fut. C’est à cela que devrait, entre autre, servir la religion : non pas de dogme, mais de support pour quelque pérégrination spirituelle afin que l’humanité puisse sillonner, avec prospérité, dans ce monde assez curieux que nous ont laissé les Esprits… Mais je m’égare, n’est-ce pas ? »
En guise de conclusion de ses propos, comme s’il n’avait rien à ajouter, il vida son verre d’une traite. Une pensée fugace, rapide, lui intimait qu’il en reprendrait bien et, comme si le matelot avait lu dans ses pensées, il se confondait en d’élogieuses révérences pour le resservir.
L’archevêque, bien moins solennel cette fois, poursuivit en penchant légèrement la tête.
« Cependant, je dois vous mettre en garde, Ellendrine. Nous ne devons pas utiliser les desseins de nos voisins sur support de morale corrompue — ou, pire encore, d’absence totale de morale — pour justifier les nôtres. Plus jeune, j’ai connu plusieurs horreurs, dont certaines m’ont changé brutalement : la première est d’avoir survécu à une malheureuse tempête de brume, la seconde est d’avoir vu ce que nos ennemis ont fait du Renon, alors que j’étais escorté avec le concours d’un Triton. Vous pourriez penser que le chat échaudé craint l’eau froide, et en un sens vous avez raison. Mais je tiens à éviter qu’Aramila ne se transforme en un despote désolé ou la technologie a asservi l’individu plus qu’elle ne l’a libéré. »
Il hocha de la tête et entama son verre à nouveau rempli, laissant Ellendrine à ses préoccupations physiologiques.
Il resta seul un instant, si ce ne fut en compagnie du matelot chargé de son escorte le temps qu’Ellendrine se fut dérobée. Après qu’il termina son second verre, son hôtel enjoignit poliment à continuer la visite.
S’il retint de froncer les sourcils aux premières réponses d’Ellendrine, son intervention au sujet de la fable fit naître en lui une joie comme il en ressentait peu, en tout cas dernièrement.
« Je pourrais parler de l’Ahad des heures durant. Je l’ai lu et relu au point de connaître certains passages par cœur, même si là n’est pas la question : c’est utile pour les psaumes, mais rien de plus. Votre réflexion au sujet d’Aram et de Zekiel montre que vous êtes allée au-delà de la première lecture. C’est vrai, après tout, pourquoi faut-il que deux frères furent opposés dans pareil contexte ? D’aucuns interprètent qu’il est dans la nature humaine de chercher la compétition par individualisme, d’autres, comme vous, plus modérés, entrevoient que l’Ahad cherche à enseigner, à demi-mot, qu’il n’y a point de tiers exclu ici ; autrement dit, chercher une troisième voie, sans en exclure une quatrième s’il en fut. C’est à cela que devrait, entre autre, servir la religion : non pas de dogme, mais de support pour quelque pérégrination spirituelle afin que l’humanité puisse sillonner, avec prospérité, dans ce monde assez curieux que nous ont laissé les Esprits… Mais je m’égare, n’est-ce pas ? »
En guise de conclusion de ses propos, comme s’il n’avait rien à ajouter, il vida son verre d’une traite. Une pensée fugace, rapide, lui intimait qu’il en reprendrait bien et, comme si le matelot avait lu dans ses pensées, il se confondait en d’élogieuses révérences pour le resservir.
L’archevêque, bien moins solennel cette fois, poursuivit en penchant légèrement la tête.
« Cependant, je dois vous mettre en garde, Ellendrine. Nous ne devons pas utiliser les desseins de nos voisins sur support de morale corrompue — ou, pire encore, d’absence totale de morale — pour justifier les nôtres. Plus jeune, j’ai connu plusieurs horreurs, dont certaines m’ont changé brutalement : la première est d’avoir survécu à une malheureuse tempête de brume, la seconde est d’avoir vu ce que nos ennemis ont fait du Renon, alors que j’étais escorté avec le concours d’un Triton. Vous pourriez penser que le chat échaudé craint l’eau froide, et en un sens vous avez raison. Mais je tiens à éviter qu’Aramila ne se transforme en un despote désolé ou la technologie a asservi l’individu plus qu’elle ne l’a libéré. »
Il hocha de la tête et entama son verre à nouveau rempli, laissant Ellendrine à ses préoccupations physiologiques.
Il resta seul un instant, si ce ne fut en compagnie du matelot chargé de son escorte le temps qu’Ellendrine se fut dérobée. Après qu’il termina son second verre, son hôtel enjoignit poliment à continuer la visite.
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