Dim 12 Mai - 11:49
Contes des Quatre nuits
1ère nuit sur la route des Pyramides - Seraphah & Arno
J’attendais que celui qui se faisait appeler Aleph daigne répondre sur ma proposition d’un verre en plus, je regardais l’air de rien autour de moi, essayant de gratter ce vernis si élaboré. On est très souvent le reflet de nos possessions, il ne vous échappera pas que j’attache par exemple une certaine affection non feinte pour la pierre qui orne mon oreille ou pour les animaux qui m’accompagnent.
Le chef était un mystère, même dans cet abri de fortune face au désert, il y avait une sorte de couverture sur tout, pas de réelle aspérité, rien à quoi s'accrocher. C’était déconcertant et, par la même, ça prouvait bien qu’il y avait quelque chose à cacher. Personne ne peut être aussi lisse.
Sans doute prenait-il le temps d’assimiler ce que je venais de lui dire, comment je les avais retrouvé avec une relative facilité, comment je les avais suivis dans l’espoir d’en apprendre plus sur les secrets qui m’échappaient. Car rien ne saurait être plus dangereux que voir des écrits hérétiques se répandre dans la nature. Je devais donc aussi comprendre à qui j’avais affaire. Violette n’était pas une menace en tant que tel, tant que les astras se multipliaient par notre petite entreprise ou que je pouvais m’assurer de payer plus, tout devrait bien aller. Un électron libre.
Leonin et Ocyän par contre me demanderaient plus de temps. Je les surprenais parfois à échanger des regards ou à s’esquiver quand les yeux de l’autre approchaient de trop. Il y avait une tension entre eux, intéressant.
Ils étaient le noyau dur autour d’Aleph, à voir si je pourrai m'immiscer dans ce petit cercle d’une façon ou d’une autre. Le plus jeune m’a aussi l’air d’être le plus candide, le plus frivole. Nous n’avions que des échanges rapides, mais sans doute l’âge nous rapprochait-il. Je n’apprendrais des choses que par des petites erreurs dans leurs rôles, on en fait tous, moi le premier pendant quelques temps.
Aussi beau que soit le vernis, il finit toujours par feler. Le sable finit toujours par s'immiscer.
C’est pareil dans cette tente vous voyez, on peut toujours essayer de le recouvrir de tapis, de réduire au maximum le contact entre lui et nous, de nous surélever, le sable s’accroche, d’abord inconfortable on finit par s’habituer à sa sensation, à sa douceur, à ça façon de polir passage après passage ce qui est brut. Il en va de même pour les gens d’ici, le désert les affine. Ce n’était jamais qu’une question de temps avant de pouvoir voir la vraie essence des gens.
“Vous devez vous douter que peu de personnes s'intéressent à ces lieux pour autre chose qu’un point de repère à l’horizon, évoquais-je à notre chef. Il y a eu des questions pendant le trajet jusqu’au bazar, rien d’alarmant mais… J’ai besoin de connaître votre histoire... En tout cas celle que vous voulez que je raconte.”
On pouvait tromper des marchands dans une caravane nombreuse, perdus dans la multitude. Verre à peine entamé à la main, je n'étais pas dupe. On ne pourrait pas passer à côté des questions si d’aventure un corps de la Garde Sacrée nous arrêtait sur le chemin ou pire, si mes collègues nous retrouvaient. J’avais besoin de me fondre aussi dans cette histoire, d’y croire suffisamment pour ne pas faire d’impair à ma troupe de fortune. J'avais moi ici un peu d'innocence, celle de croire que j'étais leur meilleure chance d'arriver aux Pyramides.