Sa vie entière avait été consacrée à la dissimulation d'informations. Il avait fallu taire les recherches de son père, taire la maladie de sa mère, taire son pouvoir si particulier, taire son identité pour quitter Opale, la taire pour entrer à Xandrie, puis il avait fallu faire taire sa faim, sa soif, ses pulsions meurtrières pour un bout de pain dans des ruelles mal famées, taire sa fascination pour Elsbeth, taire les plans de la Révolution, taire l'emplacement de ses planques, taire tout ce qui pouvait être dit. Mais voulait-elle vraiment se taire ? N'avait-elle pas envie, une fois dans sa vie, de parler, d'ouvrir grand la bouche pour laisser s'échapper tout ce qu'elle gardait enfoui plus profondément encore que ce satané pouvoir ? Elle serra le poing pour ravaler cette envie, la déglutir péniblement, la sentir parcourir tout son œsophage jusqu'à sous son nombril.
- Depuis... Quelques temps, maintenant. Dit-elle simplement. Avant de sentir le reflux, la vague revenir après avoir léché le sable de sa conscience. Depuis cet âge là, comme vous me voyez. J'ai été habitée lors d'une visite des mines de Myste de la famille Reddington. Un bien drôle d'endroit de villégiature pour un père et son enfant, vous en conviendrez. Mais il faut croire que les enfants sont bien plus intéressants quand ils sont capables de quelques prouesses. Après tout, tous les parents veulent croire au caractère unique de leur progéniture, n'est-ce pas ? Quand bien même ils doivent parfois les pousser dans des directions qui ne semblent pas être les plus adaptées.
C'est presque littéralement ce qui s'était passé pour Lillie. Lester ne l'avait évidemment pas poussé au fin fond de la mine avec ses mains - pas devant témoin - mais le simple fait d'attiser la curiosité d'un enfant au milieu d'un environnement hostile suffisait à prouver sa culpabilité. Étonnamment, Lillie ne gardait pas de souvenir traumatisant de cette journée. Les ennuis avaient commencé bien plus tard, quand, après des mois et des mois, rien chez elle n'avait ni changé, ni grandi. Elle s'était toujours considérée chanceuse. Elle avait entendu des histoires de possession par des nébulas beaucoup plus traumatisantes. Certaines vous changeait en air, en eau, ou en feu, d'autres, disait-on, vous permettaient même de parler avec les morts. Ce que Lillie ne pouvait oublier, en revanche, c'est la douleur insupportable qu'elle avait ressenti lors de sa première métamorphose. Pire, elle devait la revivre à chaque utilisation de son pouvoir.
- Je vous saurais gré, monsieur le médecin, de ne pas céder aux pulsions des gens de votre profession et de ne pas tenter de m'ouvrir le ventre avec les quelques outils disséminés ici par Amond. Vous qui en demandiez l'utilité, je ne doute pas que les esprits les plus tordus leur en trouveraient qu'on ignore encore. Dit-elle avec un sourire taquin.