Quand le destin vous joue un tour
Il est vrai qu'Akhesh n'y était pas allé de main morte. Il en avait conscience, mais le sang de son amant avait un goût si particulier qu'il était bien difficile de résister. Il était si bon... Alors oui, il s'était rendu compte qu'il était allé trop loin, qu'il n'aurait pas dû le mordre autant de fois, mais cela avait été plus fort que lui. Il n'avait pu réfréner sa soif de sang. Enfin si, puisqu'il s'était arrêté à temps afin de ne pas lui ôter la vie . Chose dont il ne se souciait plus depuis sa fuite de Xandrie. Il ne comptait plus le nombre de cadavres laissé derrière lui et c'était pire maintenant que Eineris vivait avec lui
Il n'aurait jamais pensé que Keshâ puisse avoir un seuil de douleur si élevé, c'était curieux pour un humain. Il le savait spécial sur les bords dans certaines pratiques d'ordre sexuel, mais de là à imaginer qu'il aimerait conjuguer douleur et plaisir, c'était tout autre. Ce n'est pas notre Strigoi qui allait s'en plaindre, loin de là. Cependant, bien que le moment fut un pur délice, pour ne pas dire une apothéose, il notait la moue contrariée de son amant. Et ce qu'il redoutait ne tardait pas à lui parvenir aux oreilles. Des reproches dans un semblant de colère mêlée. «Malotrus », le mot était fort et empreint de vérité. Il est vrai qu' Akhesh avait manqué de délicatesse lors des morsures alors que d'ordinaire, il faisait cela avec plus de douceur. Cela l'atteignait bien plus qu'il ne le pensait. Il prit cela comme une sorte de rejet de la part d'Ocyän, mais restait impassible. À peine une légère tension dans la mâchoire l'espace de quelques secondes.
Sitôt que son amant venait se lover contre lui, tout cela disparaissait comme si c'était déjà oublié. Le risque était présent et cela Ocyän ne l'avait réalisé que trop tard et quelque part Akhesh s'en voulait de n'avoir pu se retenir et de n'en rester qu'à une seule morsure, voir à pas de morsure du tout. Oui, il regrettait et pas qu'un peu. Mais voilà, l'odeur de sa peau, sentir palpiter les veines dans lesquelles le sang affluait, le goût de son sang resté en mémoire, tout cela n'avait contribuer qu'à lui faire perdre sa maîtrise de lui-même et il s'en voulait suffisamment sans qu'il soit utile d'en rajouter.
Akhesh regardait Ocyän confectionner un bandage de fortune autour de son poignet ensanglanté et son regard changeait d'expression. Instinctivement, ses canines sortaient avant qu'il ne les rétracte aussitôt. Non, il devait se maîtriser, contrôler ses pulsions primaires, pour ne pas dire animal, comme il le faisait jadis. Seulement , depuis que la petite Eineris était entrée dans sa vie, cela lui était plus difficile, car il devait se charger de son éducation et tout lui apprendre, même à se nourrir correctement. Et là, c'était une autre histoire.
Alors que son amant était collé à lui, encore sous les effets de leur cinq à sept torride et pour le moins particulier, il prenait une autre réflexion qui cette fois ne l'atteignait pas autant que la première. Sans doute parce qu'Ocyän avait ajouté une petite phrase qui venait flatter l'égo du Strigoi.
" Un animal, rien que ça! Tu y vas fort, Ocyän . Mais je te l'accorde, je n'ai pas su être doux. J'ai comme qui dirait laisser mes pulsions animales l'emporter sur la raison. Ce qui me conforte, c'est que tu me compares à un dieu dans ce domaine, c'est déjà un bon point."
Il déposait un baiser sur les lèvres de son amant.
"Promis, la prochaine fois, je ferais en sorte de me contenir. Ça te va comme deal ? Ça va laisser de vilaines marques, surtout ces deux là. "
Il désignait celle du cou et celle de la cuisse.
"Je dois avoir quelques onguents qui pourraient arranger ça."
A peine venait-il de prononcer ces mots que Eineris faisait irruption et qu'un échange se faisait. Un échange pour le moins étrange. Akhesh la savait bornée, mais là, c'était au-delà du réel. Voici qu'elle entamait la discussion avec Ocyän, comme si de rien était. Comme si elle n'avait pas proposé de le dévorer, il y avait quelques secondes à peine. Et cette manie qu'elle avait d'écarter toutes les personnes qui s'approchaient du Strigoi, comme s'il n'était qu'à elle, devenait agaçante. Akhesh allait devoir lui parler sérieusement et lui apprendre une ou deux petites choses sur les relations.
"Ne t'inquiète pas Ocyän. Je veille au grain. Elle ne tentera rien. "
Puis à la filette qui s'était blottie contre lui.
"N'est-ce pas que tu sauras te montrer gentille et courtoise avec mon invité, Eineris."
Il y eut un flottement qui semblait infiniment long avant qu'elle ne fixe Akhesh dans les yeux et ne lui répondre.
"Je te le promets. Il ne lui arrivera rien parce qu'il est ton ami. Donc pas association, il est aussi le mien."
Un magnifique sourire. La conversation entre Ocyân et Eineris se poursuivait de plus belle, chacun y allant de ses questions et de ses réponses. Akhesk laissait faire jusqu'à ce que la petite ne dépasse les bornes niveau langage en traitant le jeune homme de beau nigaud.
" Eineris ! Ce ne sont pas des manières. Excuse-toi."
Elle se renfrognait et émettait un grognement de contrariété, mais s'exécutait.
"J'ai été impolie. Désolée."
Lorsque Ocyân demandait à Akhesh de s'expliquer, elle eut une petite moue avant de se lever afin de les jauger tous les deux du haut de ses six ans, mains sur les hanches. Et lorsque Ocyän lui demandait d'aller ailleurs, elle pestait.
" Oh ca va, j'ai compris. Tu veux que je disparaisse pour rester tout seul avec MON papa."
Akhesh se devait d'intervenir une fois de plus.
"Eineris,J'aimerais que tu nous laisses un moment, s'il te plait. Nous devons nous entretenir de certaines choses en privé. Tu comprends, n'est-ce pas ? Va faire quelques emplettes, il y a de l'argent sur l'étagère de la cuisine.
" Je comprends surtout que vous voulez vous débarrasser de moi. "
Elle tapait du pied,énervée .A peine venait-elle de dire cela que le Strigoi l'attrapait sans ménagement par le poignet et l'attirait à lui. Son timbre de voix était ferme et on sentait de la colère. La coupe semblait être pleine.
" Je n'ai que faire que tu sois d'accord ou non. Je t'ai demandé quelque chose, alors fait-le. Et crois-moi qu'à ton retour, on aura une sérieuse discussion, jeune fille."
Elle sortait les crocs de colère et se détachait de l'emprise d'Akhesh d'une geste brusque avant de rafler l'argent et de sortir en claquant la porte. Akhesh se laissait tomber en arrière sur les coussins, poussant un profond soupir.
" Cette gamine est impossible."
Il prenait quelques secondes avant de répondre à l'interrogation d Ocyan.
" Les choses ont bien changé depuis ma fuite de Xandrie. Je ne suis plus aussi mesuré que je l'étais jadis, mais ça tu t'en es rendu compte. Quant à elle, cela fait quelques semaines qu'elle vit avec moi et c'est très compliqué.
Je suis tombé sur elle alors que je chassais. Elle était dans un tel état de misère et de crasse que sur le moment, je me suis demandé si c'était un être humain. Et puis quand son regard à croiser le mien, j'ai compris que j'étais le premier qu'elle rencontrait. Qu'elle n'avait jamais vu une personne comme elle avant . Son regard s'était illuminé comme si elle venait de trouver un rocher auquel s'accrocher en plein naufrage.
Sur le moment, j'ai d'abord pensé l'éliminer vu sa condition et son petit âge et puis je ne suis revu quelques décennies plus tôt alors que mon père adoptif me donnait une chance de m'en sortir, d'avoir une autre vie que celle que j'avais eu jusqu'à lors. J'ai pensé qu'avec elle, il serait plus aisé de lui apprendre, vu qu'elle était encore une enfant, mais je ne m'attendais pas à ce que cela soit aussi difficile. Elle n'a aucune retenue et ne connait rien des Strigois, ni des relations avec autrui. Elle
est comme un ouvrage vierge où tout est à écrire. Elle a fait beaucoup de progrès en peu de temps, je dois l'avouer, mais elle reste encore très bestiale. Etre son tuteur s'avère plus difficile que ce que je pensais. Je me demande comment Vladimir a pu me supporter alors que j'étais un adolescent rebelle à l'époque. S'il était encore de ce monde, je lui tirais mon chapeau."
Il fermait les yeux quelques secondes avant de se redresser et de se lever, à la recherche de ses vêtements. Et tandis qu'il s'habillait, il poursuivait.
" Elle s'est prise d'affection pour moi et j'ai beaucoup de mal avec ça. Et plus encore, depuis qu'elle m'appelle papa. Cependant, je n'ai pas le cœur de lui dire afin de ne pas la peiner. Elle a été suffisamment éprouvée par la vie pour que je vienne en rajouter.
Je n'ai appris que peu de chose à son sujet, si ce n'est son nom et qu'elle était venue au bazar avec sa famille. Elle dit s'être perdue, mais je penche plutôt pour un abandon quand ils ont découvert sa vraie nature. D'après les quelques informations que j'ai pu glaner, elle vivait dans les rues depuis une bonne année. Je me demande d'ailleurs comment elle a pu survivre jusque-là. J'ignore si je parviendrai à lui inculquer la modération et à lui donner suffisamment de base pour s'en sortir dans la vie, mais je ferais de mon mieux. Elle peut se montrer adorable en bien des circonstances, mais elle est aussi une redoutable tueuse. Je l'ai vu à l'œuvre et crois-moi, ce n'est pas beau à voir. Si je ne parviens pas à lui enseigner l'art de se maitriser, elle ne vivra pas longtemps. C'est pourquoi je veille sur elle et elle sur moi, à sa façon. Tout à l'heure quand elle s'est immiscée entre nous. Cela n'avait rien de personnel contre toi, c'est juste qu'elle est très possessive envers moi et je crains que ça empire avec le temps. Je n'y connais rien en gamin alors éduquer Eineris est un vrai challenge. Elle est comme moi, Strigoi et je ne peux la laisser livrer à son sort, plus maintenant. "
On sentait qu'il s'était attaché à la gamine, mais qu'il était désemparé face à tout ça. C'était nouveau pour lui et il ne savait pas encore comment l'appréhender.