Jeu 3 Aoû - 15:28
Le convoi s’était rassemblé à Marie-du-Val en vue d’un passage par la voie menant à la Xandrie, entre les Monts d’Argent et la Veuve. Une voie chaotique et un col difficile à passer mais qui avait surtout pour lui que la Brume y était particulièrement dense. Du fait de la complexité concernant cette voie, il n’était pas rare que la voie terrestre soit préférée plutôt que le passage aérien. Les caravanes étaient rarement attaquées sur cette zone, mais il y avait des accidents chaque année à déplorer. Raison pour laquelle la Guilde mettait parfois à disposition des Patrouilleurs pour faciliter ces trajets-là. Ils demeuraient ceux qui connaissaient le mieux la Brume. A part la Brume, et les Spectres et les … bref. Ils pouvaient limiter les dégâts.
C’était sur ce type de mission, profitant d’un temps au Puits d’Aspharos qu’un coursier était venu trouver Ryker pour l’informer de sa prochaine destination, faisant fi des congés qu’il pensait pouvoir s’octroyer. Il se mit donc en route, bougon, vers la prochaine caravane à escorter. Il connaissait bien ce passage pour l’avoir plusieurs fois pratiqué en solitaire, non sans quelques dégâts, mais il ne fallait considérer la Brume comme acquise. Il se retrouva donc à Marie-du-Val en quelques jours, prêt à supporter les affres d’un voyage frugal. Peut-être qu’un détour par Xandrie lui permettrait enfin de pouvoir prendre un peu de repos … mais il déchanta vite en contemplant l’ampleur de la caravane qu’il devrait accompagner. Le Patrouilleur soupira d’avance. Il ne dormirait pas beaucoup durant ce trajet, c’était même étonnant qu’il soit le seul à être …
- Ah, vous voilà ! L’autre est arrivée il y a déjà deux jours. Si tout va bien, nous serons prêts à partir demain matin. Vous êtes là juste à temps, on commençait à s'inquiéter ! le harangua un des responsables de la caravane alors qu’il venait à peine de mettre un pied dans le camp.
L’autre ?
- Je vois. Pouvez-vous m’indiquer où est l’autre ? fit-il, conscient que son uniforme l’affichait tel un furoncle sur le front d’un noble.
Owen, un petit bonhomme dégarni mais à la barbe étoffée, lui indiqua l’enseigne d’une taverne où de nombreux voyageurs avaient élu domicile en attendant le départ de la caravane. Au cochon dodu, nom d’une originalité crasse. Le Patrouilleur rajusta son barda et le remercia d’un signe de la tête avant de se diriger vers l’auberge. Tant de monde dans un village comme celui de Marie-du-Val était prompt à générer beaucoup d’animation : les caravanes s’étaient muées en un petit marché permanent et beaucoup d’artistes se produisaient çà et là pour délester les voyageurs en vue des richesses à venir lorsqu’ils arriveraient en Xandrie. Tous ne logeaient pas dans des bâtiments et de nombreuses tentes étaient disséminées çà et là. A en voir l’activité, l’économie du village en prendrait un sacré coup après le départ de cette expédition un peu plus fournie que ce que le Patrouilleur attendait. Il n’était pas rare que ses instructions soient sommaires, après tout il était l’un des rares avec assez de bouteille pour s’arranger d’à-peu-près tout. Et l’un des rares sans fait d’armes particulièrement notable aussi.
Il esquiva quelques marchands à la volée et soupira lorsque son uniforme lui apporta la peur et la crainte des gens du commun. Il y avait une aura mystique autour des fous furieux de son espèce, et beaucoup s’accordaient à dire qu’ils étaient maudits ou assez dérangés pour s’être épris de la Brume. Et bien parfait, cela lui ferait un peu de vacances, bien qu’il n’aurait pas dit non à un bain pour se nettoyer de la poussière qu’il avait avalé durant son périple. Ryker poussa la porte de la taverne, bien animée en ce début de soirée. Une musique douce s’échappait du fond de la scène où quelques troubadours se produisaient au son des choppes qui se cognaient et des rires gras d’un futur prospère. Ils oubliaient la Brume, mais ça, c’était habituel. Ils ne s’en rappelaient qu’au moment de se glisser dedans.
Le Patrouilleur s’approcha du comptoir et fit un signe au tavernier, lui indiquant un hypocras. Il glissa quelques pièces et posa son barda à côté de lui. Aucun tabouret de libre, c’était bien sa veine. Le verra à ses lèvres, il se tourna vers l’assemblée et chercha du regard l’autre. Qui lui avait-on collé cette fois ? Il espérait ne plus avoir affaire à de foutus Portebrume. C’était déjà éreintant de surveiller la propre gelée qu’était sa caboche sans devoir s’assurer que ses comparses ne flanchent en pleine brume. Enfin, personne ne savait ce qu’il était et il se garderait bien de le révéler. Il serra les dents, et chassa Lestat de ses pensées.
- Merci, ma chère, de me rappeler aussi souvent que tu n’es pas morte … se murmura-t-il à la seule attention de sa Nebula qui venait de prendre un malin plaisir à lui vriller le cerveau pour lui rappeler que lui aussi pouvait flancher à tout instant … et qu’il se rapprochait de l’Errance chaque jour.
L’hypocras avait un goût de cendres maintenant. Il le posa, soupira. Malgré ses années dans la Brume, c’était toujours ces instants qu’il redoutait le plus : le calme avant la tempête. Le moment où tout semblait suspendu avant les drames. L’instant où tout était beau, agréable et … parfait pour sombrer dans la mort et la douleur.