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L'héritage du faux dieu ❖ pv Maël

L'héritage du faux dieu ❖ pv Maël Brandw10
Lun 31 Juil - 15:28
Dans le néant et le vacarme, Jessamy ouvre les yeux.

Sa poitrine se soulève dans un souffle râpeux, comme si ses poumons n’avaient pas servi depuis des lustres. Le ronronnement d’un moteur fait vibrer la paroi dans son dos. De légers cahots se répercutent dans sa colonne vertébrale, piqûres douloureuses. Elle sent le métal froid sous son corps engourdi. Et quelque chose de mouillé, aussi. Elle reconnaît l’odeur métallique et un peu sulfureuse du sang mystifié qui coule dans ses veines. L’hémoglobine coagulée s’est imprimée sur elle en membrane collante, accrochant ses vêtements à sa peau.

Jessamy se souvient.
Sa main se pose sur son ventre, à l’endroit où sa chemise a été déchirée. Sous sa paume, la soie chaude de son derme se soulève doucement, au rythme de sa respiration. Intacte. Pas même une cicatrice en symptôme de la rixe. En vérité, elle n’a que peu de réminiscences de ce qui l’a entraînée dans ce fourgon. Dans sa tête, il n’y a que restes étiques, éclats de voix, douleur sourde. Ce n’est pas ce qui l’effraie, maintenant.

Il y a beaucoup trop de sang hors de ses veines pour qu’elle soit encore en vie. Autour de son ventre, les plaies effilées de sa chemise et de sa veste en sont imbibées. Pourtant, ses battements de cœur pulsent sans mal dans sa cage thoracique. Jessamy déglutit. Son corps lui ment. La dernière fois qu’elle s’est éveillée avec quelque chose de nouveau en elle, elle se trouvait dans une cage plus petite, plus sinistre encore que ce ventre métallique qui l’emmène elle ne sait où. Une fois, ses doigts n’étaient plus les siens. Une autre fois, les miroirs lui renvoyaient le reflet d’une inconnue. Puis, elle s’est réveillée avec des plumes qui se hérissent sur son épiderme comme les poils d’un chat. Et il y a eu les ailes.
Mais ses blessures, elles, sont toujours restées. Elles ont dû être pansées et soignées. Il a fallu lui réinjecter le cocktail macabre de sang et de Myste dans les veines pour qu’elle survive.
Aujourd’hui, les mains gantées du Magistère n’étaient pas là pour décortiquer son corps et le reconstruire.
Aujourd’hui, elle aurait dû mourir.
Pourtant, son corps fait comme si personne ne l’avait éventrée.
Son corps lui ment.

Le fourgon s’arrête. Elle en profite pour se redresser ; évidemment, ses ravisseurs n’ont pas pris garde à ne pas écraser ses élytres en la déposant dans le coffre. Ses yeux rougeoient dans l’obscurité, s’adaptant peu à peu aux ténèbres qui la digèrent depuis… depuis quand ? La gorge nouée, elle maintient sa main contre le souvenir de sa blessure (?), comme si elle craignait qu’elle se rouvre. Les plumes sur sa tête frémissent, alors que des éclats de voix étouffés lui parviennent à travers la paroi.

La porte s’ouvre. Un grognement fait vrombir ses cordes vocales, tandis que ses babines se soulèvent sur ses crocs luisants. La rage prépare tout son être au départ de feu.
Ses souvenirs s’éclaircissent un peu plus, lorsqu’elle reconnaît le visage qui se découpe dans la lumière. Celui qui l’a tranchée comme un morceau de viande. Robuste, agile. La main leste et précise de l’assassin. Vue la terreur qui soudain lui tord les traits, elle sait que c’est arrivé. Les syllabes s’entrechoquent dans sa mâchoire.

« P*tain de Brume… »

Les plumes de Jessamy se hérissent en explosion rouge et noire. Elle fixe la gorge de son adversaire, s’imaginant lui arracher la jugulaire comme sa liberté. Il dégaine un revolver pour le braquer sur son crâne, et de nouveaux mots raclent le fond de sa gorge. Le timbre éraillé du prédateur surpris par sa fausse proie.

« Bouge pas, espèce de monstre ! Ou je te fais sauter ta cervelle de dégénérée !
— Essaie pour voir, bouffon. », qu’elle siffle entre ses dents.

La banshee serre les mâchoires alors que ses ailes se déploient, effleurant les murs de sa geôle. Mais elle se fige soudain, interrompant son élan.
Entre eux deux, un voile noir s’est interposé.
Deux grandes ailes aux plumes sombres, majesté à la nuit empruntée.
Ven 11 Aoû - 3:20

L'Héritage du Faux Dieu

Ft. Jessamy

Pourvu qu’il n’arrive pas trop tard !

Maël avait troqué ses beaux habits pour des vêtements sombres qui s’accordaient aux quartiers xandriens dans lesquels il s’était coulé. Son visage avait pris l’apparence d’un homme d’une trentaine d’années et une barbe finement taillée courrait sur son menton. Ses ailes étaient, quant à elles, soigneusement repliées et recouvertes d’une cape défraichie qu’il s’était procurée pour l’occasion. Celle-ci, bien qu’un peu usée, jouait son rôle à merveille et le diplomate put se fondre dans les rues mal famées de la cité. Cybèle lui avait donné des indices importants, mais c’était maintenant à lui de la retrouver : Jessamy. Ou le spécimen J31.9, d’après l’avis de recherche qui s’était retrouvé entre ses mains. Maël tourna dans les ruelles, se perdant dans les dédales infinis et chaotiques de la Juste, guettant la présence des plumes qu’on lui avait décrites, interrogeant discrètement les habitants des quartiers.  

Et puis soudain, des indices. 

Une agitation inhabituelle.
Le détour d’une ruelle sombre.
Des plumes dans une mare de sang.  

Puis l’écho sinistre de la mort.  

Il se pencha, ramassa l’une d’entre elles sur le sol, maculé de sang. Une série de jurons grigoriens traversa ses lèvres. Il devait faire vite ! Celui qui avait fait cela à l’insu du Guet ne devait pas être n’importe qui. D’un geste, il détacha sa cape et s’envola prestement, ne se souciant plus de camoufler son apparence. Malgré sa détermination, une sensation sinistre lui nouait la gorge. Était-il déjà trop tard ? Non ! Le sang était frais, encore tiède, et les traces de pneus encore bien visibles. Il les rattraperait à temps ! Il monta en altitude pour identifier là où le véhicule se rendait, étudiant aussi rapidement que possible la configuration du quartier. Et puis, il le vit, arrêté dans le détour d’une ruelle. Un fourgon opalin. Les portes qui s’ouvraient. Une silhouette frêle et fantomatique, les plumes toutes de rouges dressées, de longues et puissantes griffes sombres. Jessamy.

Un homme — un assassin — avait ouvert les portes. Une colère sourde monta dans le cœur du grigori, rendant son vol frénétique, faisant trembler ses poings serrés. Il le reconnaissait. Un mercenaire, et l’un de la pire espèce, lui confirma le cristal d’hypermnésie qu’il gardait toujours sur lui. Oui, une véritable pourriture, celui-là. Le genre qui se délectait de la souffrance. Le genre qui ne choisissait pas ses contrats pour la récompense, mais pour la cruauté qu’ils lui autorisaient. Le genre qui ne devrait pas pouvoir se déplacer librement, mais qu’aucun ne parvenait à attraper. Maintenant, toutefois, les pièces du puzzle s’assemblaient : quelqu’un s’occupait de couvrir son travail.

L’atmosphère était empreinte d’une tension palpable. Sa descente précipitée fut d’une précision millimétrée. Le grigori se précipita vers la scène qui se déroulait au sol, corrigea sa trajectoire et ajusta ses ailes pour ralentir brusquement sa descente. Ses pieds touchèrent durement le sol, le mouvement de ses ailes démesurées faisant vibrer l’air. Il se tint là une seconde, immobile, irradiant une aura de protection et de force. Surpris, l’assassin n’eut même pas le temps de dégainer son arme : la lame de Maël fendit l’air, implacable, tranchant le cou de l’homme qui s’effondra au sol. Le garçon s’en détourna aussitôt, rengaina son arme et replia ses ailes pour faire face à la mutante. Quelle créature fascinante ! Il lui offrit son plus beau sourire, espérant ne pas l’avoir effrayé, bien qu’elle semblait en mesure de se défendre. En une seconde, il perdit tout de l’émanation sombre qui avait assassiné un homme sans aucun état d’âme : les ailes repliées, il était de nouveau une petite boule de lumière, son aura ensoleillé faisant doucement luire sa peau de lait, ses yeux doré brillant d’une malice candide et d’une perspicacité espiègle.

- Vous êtes Jessamy ! s’exclama-t-il avec un bonheur évident, sans se soucier du cadavre qui gisait derrière lui ou de l'apparence agressive de son interlocutrice. Je suis Maël, et je vous cherchais, se présenta-t-il, ingénu, prenant — si elle l’acceptait — sa main pour la saluer avec déférence. Pardonnez mon empressement, mais nous devrions partir, sinon nous aurons des ennuis, s’amusa-t-il, visiblement peu inquiet. Vous pouvez voler ? Sinon, je vous porte !

D’un mouvement soudain, il déploya ses ailes et adressa un clin d’œil à la quasi-banshee. Puissant et gracieux, il se propulsa dans les airs. Ses ailes sombres battirent avec une puissance irrésistible, créant une bourrasque d’air qui souleva des tourbillons de poussière et de débris autour de lui. Le Guet était surement la police la plus efficace d’Uhr. Il valait mieux ne pas rester dans les parages. Au ras des toits pour éviter de se faire voir, le grigori parcourut la ville avant de se poser sur le toit d’une tour lointaine qu’il savait désaffecter. Ses sourcils se froncèrent en constatant la fragilité de sa peau et la précarité de sa posture, ses yeux s’agrandirent en observant ses plumes ardentes et sa chevelure fantomatique.

– Vous allez bien ? C’est Cybèle qui m’a dit comment vous trouver, expliqua-t-il rapidement, lui adressant un sourire rassurant. J’ai été envoyé par l’Alliance — vous connaissez l’Alliance ? – afin de vous retrouver. Vous avez contribué à la dernière mission vers Dainsbourg ? Participé au combat dans les souterrains avec Réno Callaghn, le chef de la Guilde des Aventuriers ?

Son regard était intensément fixé dans celui de la mutante, comme s’il cherchait dans ses yeux les réponses à ses questions.

– Vous semblez avoir besoin d’un remontant, remarqua-t-il. Sachez qu’a travers moi, l’Alliance vous offre sa protection, assura-t-il, convaincu, sortant de sous sa chemise l’insigne qui prouvait son rang. En échange, toutefois, il faudra répondre à mes questions.

La profondeur de ses pupilles dorées se para des siècles qu’il avait traversés, tranchant avec son attitude nonchalante. Devinerait-elle ce qui se cachait derrière sa façade candide ? Avec ce qui s’était passé aujourd’hui, Maël savait que peu de choix s’offraient à la mutante. Savait-elle qu’un avis de recherche avait été émis ? Si quelqu’un était parvenu à la capturer, d’autres tenteraient certainement leur chance. Soupirant, Maël fouilla dans ses poches, en sortit une feuille mainte fois pliée. Il la lui tendit et attendit, patient.
Jeu 24 Aoû - 16:10
Statue de sel hébétée, Jessamy fixe sans regarder l’effusion de sang. Ses yeux suivent par réflexe le mouvement souple de la lame fendant l’air, emportant avec elle des gouttes d’hémoglobine. Elle entend le bruit sourd de la chute du corps de son traqueur, une scène cachée, étrange pudeur, par les immenses ailes noires. Elles se replient dans un froissement élégant, dévoilant une silhouette masculine. Est-il venu pour essayer de la tuer à son tour ? Les paumes de Jessamy se crispent sur le sol moite. Ses babines s’ourlent en un rictus carnassier, qui laisse échapper un grognement primal.

Il y a pourtant quelque chose de désarmant dans ce qui lui fait face. Un visage auréolé d’un sourire, où trônent deux soleils. Une présence diaphane et puissante nichée dans ses plumes de nuit. Ses traits sereins comme figés dans le marbre immaculé. Elle n’avait jamais rien vu de pareil. Il lui inspirerait presque confiance, si elle ne l’avait pas vu égorger quelqu’un avec la précision d’un assassin. Un tueur pour un autre.

C’est lorsqu’il prononce son nom — et pas cet horrible amalgame dont on l’a affublée jadis — qu’elle se tranquillise quelque peu. Les ailes de Jessamy trouvent délicatement refuge dans ses élytres rougeoyantes, nouant ses muscles dorsaux de douleur, tandis que ses plumes tapissent à nouveau sa peau. Les deux rapaces ont rangé leurs griffes ; ne reste que leurs mots et, surtout, ceux qui dégoulinent de la bouche de l’homme ailé. Elle les écoute distraitement, son attention plus ou moins accrochée par les syllabes. Elle hoche doucement la tête lorsqu’il se présente. Maël. Oui. Cybèle lui a déjà parlé d’un Maël, quelques jours plus tôt. Elle exhale un soupir de soulagement.

« Je ne peux pas voler. Et j’ai perdu ma canne, donc… Oui, une aide sera pas de trop. »

Réponse en forme d’aveu arraché. Elle se relève en s’appuyant contre une paroi du fourgon, serrant les mâchoires. Le métal imbibé de son sang se fait muqueuse rigide, de laquelle elle s’extirpe en grimaçant, poisseuse et suante. Elle descend prudemment de sa geôle pour se nicher entre les bras inconnus. Un frisson désagréable la traverse au contact soyeux des vêtements de l’apparition. Son ventre se noue lorsqu’elle sent son corps souillé compressé par l’étreinte, qu’elle sait pourtant bienveillante. Elle déteste cette vulnérabilité, mise à nue devant l’étranger.

Il quitte le sol avec l’aisance d’un oiseau. Le vol des Banshees fend l’air comme une épée ; lui se laisse porter par la bourrasque, le vent trouvant refuge dans chacune de ses plumes. Jessamy ferme les yeux pour ne plus sentir que les baisers frais de la brise sur son derme, la morsure de sa chevelure spectrale emportée par les airs. Un semblant de solitude, pour sa carcasse endolorie et tendue.

Flottement rompu lorsque son sauveur pose à nouveau le pied sur terre. Jessamy rouvre les yeux et se laisse glisser ; elle doit s’appuyer contre un muret pour se maintenir debout. Elle s’essuie le front du dos de la main. Sur son regard vermeil, plane un voile d’incertitude. Son interlocuteur n’y trouvera que la fatigue qui la gangrène, pour le moment. Chacune de ses questions ne trouve pour réponse qu’un hochement de tête évasif. Les noms qui sortent de sa bouche ont néanmoins de quoi rassurer la mutante sur ses intentions. Cybèle. L’Alliance. Réno. Elle ne peut s’empêcher de grimacer lorsque les souvenirs des souterrains lui reviennent. Chaque jour est une nouvelle occasion de se demander si elle a bien fait de se plonger dans les entrailles de Dainsbourg. Elle pensait y trouver quelques réponses, et déjouer les plans de ses anciens tortionnaires ; elle n’a excavé de ces tunnels qu’un nouveau mort à son tableau de chasse, et de nombreux questionnements. Peut-être que celui qui l’assaille de questions est venu avec quelques réponses.

Sa main gracile saisit la feuille de papier offerte. Elle la déplie, coin par coin, avant que sa propre image ne la pétrifie. La tête surplombée par son ancien matricule, le spécimen J.31-9 est terré à quatre pattes au fond d’une cage, presque nu. Son visage ceint de plumes, altéré par le grain du daguerréotype, est tendu vers l’objectif ; son regard brillant dans la semi-obscurité darde celle qui le regarde ; tous crocs dehors, elle s’apprête à cracher toute sa haine et toute sa peur. Le souvenir de ce jour lui revient comme le flash de l’appareil photo. Elle se souvient de l’œil béant qu’il lui a fallu regarder, peu de temps après la greffe de ses ailes. Elle se souvient des vagues silhouettes vêtues de blanc derrière la caméra, de ces gardiens qui l’ont façonnée à leur image, en lui ôtant toutes ses couleurs. Sa main tremble légèrement. Sa mâchoire saille à travers sa joue. Sa bouche âpre laisse échapper les quelques chiffres et lettres qui se bousculent sous son regard :

« 800 Astras. Morte ou vive. »

Son timbre est détaché. Fatigué. Elle n’a que faire du montant extravagant de la prime : cela lui semble dérisoire, face à ce que ce simple bout de papier va lui coûter. L’envie de hurler lui démange le thorax. Sa gorge se serre, tandis qu’elle rend la feuille de papier à l’émissaire de l’Alliance. Son regard flamboyant rencontre à nouveau ses yeux où dort une aube tranquille.

« Merci de m’avoir tenue au courant… et pour tout à l’heure. », lâche-t-elle.

Son regard dévie vers la pierre froide de la tour, tandis qu’un long soupir gonfle sa poitrine.

« J’ai surtout besoin d’une douche. Vu votre tête, j’ai l’air encore plus affreuse que sur la prime. Et mes vêtements sont foutus, poursuit-elle, avant de lever à nouveau son regard vers Maël. Pouvez-vous me ramener à mon nid ? La Guilde des Messagers ? S’il vous plaît. »

Elle l’implorerait presque, du bout de ses lèvres asséchées.
Ven 5 Jan - 12:27

L'Héritage du Faux Dieu

Ft. Jessamy

Évidemment, acquiesce tranquillement Maël.

Le voyage fut vite effectué. Peu avant les quartiers des messagers, ils se posèrent et Jessamy le conduisit alors dans ces ruelles qu’elle connaissait si bien, leur permettant d’arriver à cet endroit qu’elle considérait comme chez elle sans rencontrer le moindre regard. Le grigori profita de l’occasion pour l’observer avec attention. Au-delà des mutations qui la constituaient et la handicapait sans l’ombre d’un doute, il ne subsistait dans sa démarche aucune trace de la blessure qui aurait dû la tuer. Ainsi, les soupçons du diplomate, et ceux de l’Alliance, étaient probablement fondés...

Il lui laissa tout le temps dont elle avait besoin pour se remettre. Après tout, on ne subissait pas un assassinat à tous les jours ! Il partagea un verre avec la vieille banshee qui avait recueilli la petite, refusant toutefois de dire quoi que ce soit en l’absence de celle-ci. Jessamy faisait peut-être confiance à Cybelle, mais Maël ne pouvait pas en dire autant. Une femme comme elle, cheffe des Messagers et maître des informations, aurait de quoi faire avec les puissants secrets qu’ils s’apprêtaient à échanger.  Ainsi, il attendit sans impatience qu’elle soit prête à discuter. Pour ne pas effrayer la quasi-banshee, il débuta en se présentant à nouveau.

Je suis Maël, Veilleur et Diplomate de l’Alliance. J’ai été envoyé ici pour toi, Jessamy.

Il laissa un silence s’installer, un silence lourd des révélations qu’il s’apprêtait à faire, lourd des conséquences qu’elles impliquaient. Son visage chérubin présentait une expression soucieuse. Il posa ses mains sur la table, pressant le bois avec calme avant d’enchainer.

Je sais que les évènements que je souhaite aborder aujourd’hui n’ont pas été faciles pour toi, dit-il avec compassion. J'espère malgré tout que tu accepteras de m’en dire un peu plus. Mais d’abord, laisse-moi t’informer des développements qui ont eu lieu à Dainsbourg.

Il s’adossa à sa chaise, croisant les mains devant lui. Malgré son regard fixé sur Jessamy, il percevait du coin de l’œil l’intérêt de la vieille messagère. Il ne doutait pas que celle-ci ne perdrait pas un seul mot de cette conversation.

L’expédition que vous avez menée en compagnie des éminents Réno Callaghn et Amir Al-Khadir dans les ruines de la cité sainte a permis de faire d’importantes découvertes. D’abord, la mort de celui qui a été nommé “Reclus” a libéré la ville de l’emprise qui nous empêchait jusqu’ici de nous y établir durablement.

Il s’arrêta brièvement en voyant le visage de la mutante se crisper à la mention du Reclus. Dégoût ? Non... douleur ? Voilà qui était intéressant... Il lui raconta les informations que l’Alliance avait reçues sur cette mission, n’omettant aucun détail. Pourtant, tout cela demeurait très factuel, un récit détaché, une suite de péripéties sans profondeur. L’arrivée dans la ville, la séparation des troupes, les ennemis rencontrés, l’enfoncement dans les souterrains... Malgré tout, il voyait les émotions passer dans les pupilles sauvages de la jeune femme à mesure qu’il nommait les évènements qu’elle avait elle-même vécus, et qui semblait éveiller en elle des émotions difficiles. Il lui laissa le temps d’assimiler tout cela. Il rapporta la trahison de Stolos, sans pouvoir donner de détails : ni Amir, ni Réno n’avait été présent à ce moment. Puis, il y eut le combat contre le Reclus et celui contre le traître. Beaucoup de détails manquaient : Maël, comme les autres, savait qu’un groupe s’était opposé à chacun et avait triomphé, mais pas beaucoup plus. Il lui expliqua ensuite les découvertes qui avaient été faites au cœur de la Citerne après leur départ, puis termina en lui dévoilant les dernières paroles de Stolos et les conclusions que l’Alliance en avait tirées.

Sans doute as-tu déjà entendu parler du Mandebrume... Hé bien, il semblerait que sa dépouille soit celle qui a été retrouvée dans la Citerne. Selon les inscriptions, il ne serait pas le sauveur que certains croyaient voir en lui. Il serait plutôt un traître, un dieu déchu, connu sous le nom d’Arkanis, soupira-t-il. Cependant, les mots de Stolos, juste avant son décès, apportent un éclairage différent. Bien que son corps ait été retrouvé, son esprit, lui, serait parmi nous. Et les indices que l’Alliance récolte depuis à travers Uhr semblent confirmer cette hypothèse.

Il se pencha vers elle, tendant la main dans un signe de sollicitude. Cela faisait beaucoup d’informations, beaucoup de souvenirs ravivés. Sans doute souffrait-elle des souvenirs qu’il avait ravivés, et il lui laissa encore une fois tout le temps dont elle avait besoin pour s’en remettre.

Comprends-tu pourquoi je dis tout cela ? demanda-t-il avec douceur. L’Alliance sait ce que vous avez trouvé dans les souterrains, mais l’histoire est incomplète, et de nombreux éléments nous manquent pour comprendre les motivations de celui qui se faisait appeler Arkanis. Tout porte à croire qu’une partie des réponses se cache dans les détails que nous ne connaissons pas encore. Jessamy... accepterais-tu de m’en dire plus sur ton expérience dans les souterrains ? Sur ce Reclus ? Voudrais-tu me raconter ce que tu as vécu ?

Elle-même avait sans doute mille questions, des centaines d’interrogations sans réponse. Le diplomate était disposé à répondre à tout ce qui était en son pouvoir si cela pouvait lui permettre d’obtenir des informations sur le déroulé des évènements. Et surtout, sur ce cristal que Jessamy avait ramené...
Mer 17 Jan - 16:39
À nouveau, Jessamy s'envole.
Elle se laisse porter par l'emprise puissante aux plumes de sorgue. Se cale un peu mieux contre le torse du Grigori, peu à l'aise avec cette proximité forcée. Visage fermé, elle n'a d'yeux que pour les vestiges de sa fausse mort, le sang mystique coagulé sur ses vêtements déchirés, son ventre à moitié dénudé mordu par le vent. Un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres alors qu'elle se libère à nouveau, tout près de son chez-elle. Sur le chemin, sa canne l'attendait, gisant sur le sol dans une mare d'hémoglobine séchée. Soulagée de retrouver son bâton, Jessamy réprime un haut-le-cœur en le ramassant. Elle craint de croiser son reflet dans l'étendue poisseuse : celui d'une créature sordide, recrachée par les Limbes.

C'est peut-être cela que Cybèle a vu, lorsque son apprentie a franchi les portes de la Guilde des Messagers. Le regard horrifié de la vénérable banshee la transperce, mais l'émissaire de l'Alliance s'empresse de détourner son attention. Sans croiser un seul regard, Jessamy se laisse porter par ses jambes jusqu'à sa chambre. Elle en ressort quelques minutes plus tard, les cheveux retenus en arrière, vêtue d'une chemise attachée sur le côté et d'un pantalon assorti. L'amplitude du tissu laisse à peine remarquer le cristal maintenu contre son corps par des bandelettes. Harnachement rudimentaire qui lui fait réaliser sa propre fragilité. Elle ne s'est jamais sentie aussi éphémère, aussi petite, qu'après avoir vaincu l'impossible.

Dans un froissement d'étoffes, Jessamy s'assoit auprès de l'homme aux ailes noires. Ses mains griffues se croisent sur la table, tandis qu'elle écoute ce qu'il devait lui annoncer. Elle ressent l’œillade perçante de Cybèle, sa façon à elle d'excaver sa psyché. Elle ne pourrait en extraire que doutes. Maël semble avoir tant de questions à lui poser… Et tant de souvenirs pénibles à faire remonter. Et trop de mots beaucoup trop graves à lâcher. Dainsbourg. Le Reclus. Stolos, et le corps, et Arkanis… Elle se crispe un peu plus à chaque révélation. Se demande s'il ne l'a sauvée que parce qu'elle pourrait lui être utile. Après tout, jusque-là, ce n'est qu'ainsi qu'elle a pu survivre. Peut-être même qu'elle pourrait monnayer ses si précieuses informations. Ses yeux se plissent un peu, tandis qu'elle s'enfonce dans le dossier de sa chaise. Son regard dévie un instant pour croiser celui de Cybèle, témoin silencieux, ô combien essentiel. La cheffe des Messagers observe la transaction sans mot dire. Pour le moment.

Jessamy reporte à nouveau son attention sur Maël. Un doux visage, une voix onctueuse, une main amicale. Il lui laisse suffisamment d'espace pour lui donner son consentement, pour revenir parmi les vivants. L'Alliance a choisi le bon envoyé pour essayer de l'apprivoiser. La mutante hoche la tête.

« Je veux bien parler. Mais j'aurais une condition. »

Elle fouille dans l'une de ses poches pour en extirper la prime. Brouillés par des plis irréguliers, le montant et la vieille photo lui arrachent pourtant la même moue dégoûtée. Six ans ont passé depuis sa fuite. Quelque part, elle avait un petit espoir qu'Opale la laisserait tranquille, ou la croirait morte, incapable de se défendre hors de sa captivité, inutile en dehors de sa soumission. Un mirage. Elle aurait dû s'y attendre. La cité des lumières ne laisserait personne sortir aussi facilement de son ombre. Sa main fait glisser l'appel sous les yeux du Grigori.

« Est-ce que l'Alliance peut m'aider avec ça ? Ou bien… Elle hésite un peu. Les mots se nouent dans sa gorge. Elle n'ose pas regarder Cybèle en sachant ce qu'elle va proposer. Penses-tu que je peux encore vivre ici ? »

Ses cils diaphane ombragent son regard. Ses prunelles vermeilles s'abaissent vers la table, soudainement concentrées sur les rainures du bois. Son ventre se serre. Sa voix se fait grondement.

« Réponds-moi sincèrement, et je te dirai ce que je sais. »
Mar 20 Fév - 12:17

L'Héritage du Faux Dieu

Ft. Jessamy

La prime a été émise par deux nations : Opale et Epistopoli, réfléchit Maël à voix haute, plein de bonnes intentions. Je crois qu’il serait possible pour l’Alliance de faire tomber celle de la nation du Savoir. Celle-ci n’a envers toi qu’un intérêt scientifique et une certaine somme devrait suffire à les faire abandonner toute poursuite, surtout qu’à ma connaissance, aucun moyen particulier n’a été pris pour te capturer. Quant à Opale...

Le diplomate s’agita sur sa chaise, visiblement mal à l’aise. Elle lui avait demandé d’être honnête, et il savait qu’elle ne se laisserait pas facilement berner. Autant lui dire la vérité sur les moyens de l’organisation...

Selon les lois opalines, tu appartiens au Magistère, au même titre que toutes leurs créations. Je crois que je ne t’apprends rien en disant cela. D’après les informations que j’ai pu recueillir, ta fuite a causé énormément de problèmes à ceux qui étaient responsables de toi. Ils ont perdu en grade, mais demeurent malheureusement haut placés, suffisamment pour que le poids de leur décision soit lourd... trop lourd. De ce que j’ai pu apprendre, ceux qui ont émis cette prime ne pardonnent pas ta fuite.

Un soupir las s’échappa des lèvres du grigori. Il exposait la situation avec le plus d’honnêteté possible, conscient qu’il s’agissait du seul moyen de gagner la confiance de la quasi-banshee. Celle-ci n’était pas idiote, Maël s’en rendait bien compte. Il ne servait à rien de lui promettre l’impossible. À tout coup, elle repérerait très vite la supercherie.

Faire tomber cette prime sera donc difficile. L’Alliance ne peut se permettre de se mettre à dos Opale et le Magistère, aussi horrible soient leurs actions, car leur financement et celui d’Epistopoli sont ce qui permet à notre organisation de subsister et de continuer à financer les expéditions, qui sont le point tournant de nos activités.

Maël réfléchissait à toute vitesse. La demande de Jessamy était on ne peut plus légitime. Pourquoi parler, si c’était pour se retrouver dès le lendemain entre les griffes du Magistère ? Pourquoi parler, si cela devait lui couper les ailes et la priver de cette liberté qu’elle avait si chèrement gagnée ?

Xandrie est grande, et te chercher ici est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Cependant, j’ai pu te trouver. De plus, l’attaque que tu as subie aujourd’hui prouve que tu n’es pas en sécurité. Des gens te connaissent, des gens suffisamment peu scrupuleux pour se laisser convaincre par une somme d’argent. D’autres pourraient te trahir sans même s’en rendre compte.

Il ne la regardait plus, fixant un point invisible alors qu’il cherchait dans son esprit sans fond une solution à ce problème.

Peut-être pourrions-nous te faire gagner du temps. L’homme que j’ai abattu était un de la pire espèce. Cependant, ce n’était pas un agent direct du Magistère : il s’agissait d’un mercenaire. Cela signifie que le Magistère n’a probablement pas encore pris les grands moyens pour te capturer. Ils ont émis la prime et attendent de voir si quelqu’un leur rapportera ta tête. Malgré ce que l’on peut croire, c’est plutôt une bonne nouvelle. Peut-être pourrions-nous faire en sorte que le mandat d’arrêt se cantonne à Opale, mais je ne peux rien te promettre. Quant à savoir si tu peux encore vivre ici...

À nouveau, son regard se ficha dans celui de la mutante. Les solutions pour elles étaient limitées, il le savait bien, et savait qu’elle le savait aussi.

Vivre ici risque de devenir dangereux, les tentatives pour te trouver risquent de se multiplier. Si l’Alliance ne peut t’offrir officiellement refuge, moi, je le peux. Si tu le souhaites, je t’ouvrirai les portes de mon appartement, à Andoria. Là-bas, tu seras en sécurité, loin des manigances du Magistère. Cependant... est-ce cela que tu souhaites, Jessamy ? Te cacher pour le reste de tes jours ? Vivre enfermée, certes dans une ville magnifique, mais, si je peux être honnête avec toi, exceptionnellement insipide ?

Un sourire contrit étira ses lèvres. D’un coup, il semblait vieux, beaucoup plus que ne le laissaient croire ses traits chérubins. Il garda le silence quelques secondes, la laissant analyser l’offre qu’il lui faisait. La paix. Était-ce vraiment ce qu’elle cherchait ? Son expédition dans les ruines de la ville sainte n’était-elle pas la preuve qu’elle cherchait davantage que la sécurité ? Quelque chose s’enflamma dans le cœur du grigori.

Si tu veux te battre, cependant, tu peux compter sur moi. J’assurerai ta protection. Ensemble, nous pourrions percer les secrets de ce Reclus, explorer les mystères de la Brume !

Le regard de Maël s’était animé d’une passion nouvelle. Une flamme dansait au fond de ses yeux dorés.

Réponds à mes questions, Jessamy, et je t’entraînerai. À mes côtés, tu deviendras forte, encore plus forte ! Suffisamment forte pour t’opposer au Magistère. Suffisamment forte pour te venger de ceux qui t’ont fait du mal, et gagner ta liberté !

L’exaltation se lisait sur le visage du grigori, qui se laissait emporter par ses émotions. Quelque chose palpitait au fond de lui, prenait de l’ampleur, inarrêtable.

Que souhaites-tu, Jessamy ? Quel chemin veux-tu emprunter ? Choisiras-tu la facilité d’une vie recluse, ou la connaissance qui accompagne le danger ?

Ferait-elle le parallèle avec l’être qu’elle avait combattu dans les sous-sols de Dainsbourg ? Maël repoussa sa chaise, se campant sur ses pieds. Une ombre passa sur son visage. Était-il sain d’esprit ? Que lui promettait-il vraiment ? Se rendant compte de son état, Maël se renfrogna.

Je dois partir. Et toi, tu dois réfléchir. Nous nous reverrons bientôt.

Il lui adressa un clin d’œil et, en un éclair, il disparut, les ombres de la pièce l’accueillant comme l’une d’entre elles.
Lun 25 Mar - 17:46
Le regard de Jessamy se lève, vissé sur la bouche de Maël d’où sort tirade cruelle. Pour ceux qui l’ont condamnée sur papier, elle est un « intérêt scientifique ». Une création. Une tache sur une carrière. Un problème à éliminer. Un monstre et un fétiche. Son ventre se serre. Ce n’est pas comme si elle n’avait pas l’habitude, oh non. Même la Juste a parfois été cruelle, et hors de l’enceinte de la Guilde, les injures se font parfois carnassières, essayant de dévorer le peu de fierté qu’elle s’est construite.

Les lèvres pincées, elle demeure silencieuse. Maël a au moins l’honnêteté de lui dire qu’Opale réclamera toujours son dû. Elle est ce parent égoïste et toxique, qui s’étonne de voir sa progéniture se rebeller et se nourrit de sa servitude. Jessamy le sait. Elle a emmené un peu de cela avec elle. Parfois, elle sent encore dans sa nuque un souffle chargé de l’odeur du Myste brûlé. Quelque chose de similaire lui a chatouillé le museau, le jour où la photo a été prise.

Elle ne peut empêcher ses prunelles de dévier vers ce souvenir, ce faux reflet qui gît sur la table. Le portrait fidèle de ce qu’elle a été. Et à en croire Maël, l’image va encore courir les rues quelques temps, finissant entre les mains de meurtriers sans attaches, de mercenaires bien heureux de supprimer l’enfant-chiendent d’Opale pour s’assurer une retraite confortable.

Après la menace, vient la proposition. Elle comprend pourquoi l’Alliance l’a nommé diplomate. Il y a quelque chose d’envoûtant qui se niche dans les syllabes de l’ange aux plumes noires, une promesse ourlée au fil de ses mots. La sécurité. Jessamy croise les bras. C’est aussi ce qu’elle est venue chercher en Xandrie, il y a six ans. Où que soit Andoria, quelqu’un l’y retrouvera. Elle y sera plus vulnérable, loin de ses repères et de tout ce qu’elle a construit. Maël lui-même semble savoir qu’il s’agit d’une mauvaise option.

Elle le dévisage lorsque son regard croise le sien, et que sa verve prend une allure exaltée. Il semble s’y voir déjà, maître d’armes de l’ancienne chienne de garde. Elle ne peut pas lui en vouloir : il l’a vue dans son pire état. Constaté qu’elle ne pourrait toujours se défendre seule. Des années sans devoir se battre lui ont fait perdre quelques réflexes ; elle l’a ressenti aussi à Dainsbourg, où ses griffes ont été bien moins féroces qu’autrefois. Elle sent le regard de Cybèle darder le grigori de loin. Lui proposer un tel marché devant sa mentor frôle l’incident diplomatique. Chacun ses zones d’ombre : Maël ignore ce qui cloue la mutante au sol, et Cybèle ne sait pas que les Limbes ont recraché son apprentie.

Jessamy soupire. Ses épaules la tiraillent, et sa tête trop pleine de pensées lui pèse. Assurément, l’émissaire de l’Alliance a raison de la laisser à ses rêves et à ses réflexions. Alors, la mutante lui adresse un faible sourire.

« C’est d’accord. Je vais y réfléchir. À bientôt. »

Les ombres du petit salon le font siennes, et Maël s’évapore pour laisser place à un silence trouble. À la place, la cheffe des Messagers se tient devant elle dans un bourdonnement furieux. Son visage se creuse d’inquiétude, tandis que l’avis de recherche se retrouve froissé entre ses doigts. Rarement son apprentie n’a entendu autant de trémolos dans sa voix.

« À quoi rime tout cela, Jessamy ? Que t’est-il arrivé ? »

La mutante lève un regard fatigué vers elle. Son sourire, pourtant, ne la quitte pas.

« Allons dans ma chambre. Je vais t’expliquer. »

❖❖❖


Quelques jours plus tard.

La tête posée sur une main, Jessamy regarde l’extérieur avec envie. Ses yeux rembrunis de fatigue fixent les nuages xandriens avec l’espoir d’y déceler l’homme aux ailes noires. Depuis sa mort, ses nuits sont agitées, comme si les Limbes lui avaient volé son sommeil en échange de sa survie. Et impossible de prendre l’air. Cybèle lui a interdit de sortir sans la protection d’une autre Banshee, et ses sœurs se relaient sans relâche pour surveiller la Guilde. Sa main griffue cherche un morceau de viande crue dans l’assiette qu’elle a posée sur le rebord de la fenêtre. Elle ne sait pas si elle a vraiment faim, ou si elle tue l’ennui en se nourrissant. La carne juteuse éclate comme un fruit mûr sous ses crocs, tandis qu’elle continue de contempler les nuages.

Une ombre passe.

Avalant sa pitance, Jessamy s’essuie les mains précipitamment sur ses vêtements. Elle empoigne sa canne, puis toque à sa propre porte.

« J’ai vu passer Maël ! Dans le ciel !
Une voix traînante lui répond à travers le bois.
— Oui, comme hier, Jessamy. Et avant-hier. Et les autres jours. T’as encore confondu ce grigori avec un corbeau.
— Non, là, c’est vrai ! »

Ses plumes s’ébouriffent légèrement alors qu’elle proteste.

« S’il te plaît, on peut aller vérifier à l’entrée ? Je suis alitée, pas prisonnière !
— Si tu veux… Ça coûte rien. »

Soufflant de soulagement, la Banshee ouvre la porte, pour se retrouver en face d’une Messagère en uniforme, lunettes sur le nez. D’un signe de tête, elle l’invite à l’accompagner jusqu’à l’entrée. Jessamy se mord l’intérieur de la joue.
Pourvu qu’elle ne se trompe pas, cette fois.
Ven 3 Mai - 12:18

L'Héritage du Faux Dieu

Ft. Jessamy

Adossé à l’immeuble qu’il avait fui, Maël tentait de reprendre son calme. Son souffle était court, comme s’il avait couru, et son cœur battait à tout rompre, menaçant à tout moment de sortir de sa poitrine. Il tremblait légèrement, d’une impuissance et d’une rage contenues, des sentiments qu’il adressait à son état. Cette fébrilité, non, cette effervescence qui l’envahissait parfois... avait-il tout gâché ? Ses mots avaient-ils convaincu la jeune Jessamy, ou avaient-ils seulement fini de la terroriser ? Il avait perdu le contrôle. De ses émotions, de ses paroles et de ses actes. Était-il seulement digne de son rang ? Il soupira en levant les yeux vers le ciel. La luminosité de la ville l’empêchait de voir l’immensité du ciel, et il se sentit soudain à l’étroit dans cette ville humaine. Une détresse profonde envahit son cœur, le sentiment d’être seul, si seul... Oubliant de vérifier si l’on pouvait le voir, il déploya ses ailes et, d’une poussée, se propulsa en altitude. Son âme qui brûlait à petit feu, la folie qui parfois prenait le dessus... Il louvoya un moment entre les étoiles, laissant son cœur s’apaiser et son âme reprendre forme. Lorsqu’enfin, il se posa, son esprit était rangé : les événements avaient repris en lui la place qui leur revenait. Rangé. Tel un oiseau de malheur, il se percha sur la plus haute tour d’une grande cathédrale panthéiste et laissa le vent lui fouetter le visage.
Lorsque les premiers rayons de soleil dardèrent leur lumière sur la Juste, Maël s’y fondit. Il était vertigineux de ne faire qu’un avec les ombres et le soleil, mais ce dernier était le plus délicat, le plus fragile, surtout lorsque l’astre de lumière venait seulement de chasser les ombres de la nuit. L’aurore teintait le ciel d’orange, emportant Maël vers l’ouest à une vitesse qu’aucun convoi, même aérien, n’aurait pu égaler. Pourtant, sous cette forme élémentaire, la rapidité n’avait rien de vertigineuse. Elle était naturelle, une seconde nature, et seul son état d’être pensant faisait de lui quelque chose de différent, guidé par une volonté autre que celle d’étendre chaleur et clarté sur le monde. Il longea l’Argenté, plongea vers les Monts d’Argent et à peine quelques instants après son départ, il se posa au centre d’Andoria, où personne ne fut surpris de voir un éclat lumineux prendre la forme d’un homme. Une connaissance qui passait par là lui adressa un signe de tête, que Maël prit la peine de retourner avant d’ouvrir ses ailes pour qu’elles le portent vers la Haute-Ville. Il se posa dans les quartiers de l’Alliance et demanda sans attendre une audience avec le Chancelier.

Il devait obtenir des réponses, et Panoptès était le seul en mesure de les lui fournir. Seul, Maël ne pouvait espérer changer les choses, malgré tout ce que lui permettait son titre de diplomate. Il devait partager à son supérieur ce qui s’était déroulé, qui était Jessamy, et ce qu’elle souhaitait en échange de ce que l’Alliance pouvait vouloir d’elle. Le sujet étant prioritaire en raison des derniers événements à Dainsbourg, le Chancelier ne le fit donc pas attendre et le convoqua immédiatement au salon de thé. Bien que Maël s’y rendît aussitôt, il y trouva deux tasses déjà fumantes, et un sourire étira ses lèvres. Comme d’habitude, Panoptès avait une longueur d’avance. Il devait déjà savoir qu’il approchait et qu’il lui apportait les informations qu’il lui avait demandées. Maël espérait ne pas le décevoir. Peu de gens avaient l’estime du grigori millénaire, encore moins pouvaient lui intimer le respect. Le Chancelier était toutefois l’un d’eux. Il le connaissait depuis longtemps, l’avait soutenu dans la création de l’Alliance et pourtant, lorsqu’il se présenta dans la pièce, l’oiseau repoussa sa chaise pour l’accueillir avec tout le respect qu’il pouvait manifester.

Le calme olympien de l’homme aux tempes grisonnantes apaisa immédiatement le grigori, dont le cœur et l’esprit s’allégèrent. Les yeux perçants du chef de l’Alliance scrutèrent le regard d’or de Maël, qui le soutint sans un mot. Puis, il s’assit devant lui et, doigts croisés, lui demanda des détails. Soutenu par son cristal d’hypermnésie, le diplomate n’en ommit aucun, narra dans les plus petits détails le moindre mot qui avait été prononcé, ne cherchant en rien à camoufler ses erreurs et ses doutes. Il parla ainsi une partie de la journée de manière presque ininterrompue, sinon par les serviteurs qui venaient parfois resservir le thé ou proposer le goûter. Lorsqu’il eut fini de narrer les faits, il présenta ses impressions. À aucun moment, le Chancelier ne l’interrompit et à aucun moment son intérêt ne faiblit. Il l’écouta parler de l’assassinat, du spécimen J.31.9 et de son véritable nom, Jessamy. De l’intelligence et de la peur qu’elle dégageait. De sa volonté d’assurer sa propre survie. De la proposition qu’il lui avait faite. Il le questionna sur les possibilités, marchanda pour la jeune banshee avec verve, ce qui eut le mérite de faire s’étirer sur les lèvres du Chancelier un sourire surpris. Il était extrêmement rare de voir le grigori s’investir autant pour une simple mortelle. Celle-ci devait être véritablement spéciale.

Maël passa les jours suivants à jouer au pigeon voyageur, transportant les volontés de Panoptès et jouant de son influence auprès des deux nations les plus puissantes pour obtenir les faveurs de la jeune mutante. Étrangement, Epistopoli fut beaucoup plus réticente que prévu à faire tomber la prime. Quelque chose, ou quelqu’un, semblait particulièrement tenir à ce que Jessamy atterrisse dans la Cité du Savoir. C’est étrangement Opale qui fut la plus conciliante, les directeurs du Magisterium n’ayant finalement qu’un intérêt de surface pour la quasi-banshee et acceptant sans mal que la prime soit réduite. Lorsque Maël se présenta à nouveau à Xandrie, quelques jours plus tard, beaucoup de points demeuraient dans l’ombre. Néanmoins, il était temps pour lui d’entendre ce que Jessamy avait à dire. Lorsque les portes du quartier des messagers s’ouvrirent devant lui et qu’il rencontra à nouveau le regard de la jeune femme, le grigori comprit immédiatement. Elle l’avait attendu. Elle ne souhaitait rien d’autre, en cet instant, que de le revoir.

Allons discuter en privé, si tu le veux bien, dit-il après les salutations d’usage.

Il portait aujourd’hui des vêtements plus raffinés, adéquats pour le rang qu’il représentait et totalement différents des loques qui lui avaient permis de passer inaperçu lors de sa dernière visite. Cette fois, il ne s’était pas gêné pour se présenter sous son meilleur jour, représentant son rang.

As-tu réfléchi, Jessamy ? lui demanda-t-il d’un air grave avant de lui dévoiler le résultat de ses efforts des derniers jours.
Lun 17 Juin - 19:28
Il est là, furtif comme un souffle, imposant comme l’envergure de ses ailes. Les phalanges de Jessamy se resserrent un peu sur la poignée de sa canne. Pendant des jours, elle a préparé ces retrouvailles. Elle a crues ses questions gravées dans le marbre de sa cervelle : et les voilà envolées, balayées par la présence tant attendue. Celui qui pourra, peut-être, bouleverser sa destinée et lui donner une chance d’être libre.

Elle se tourne vers sa comparse, sourire mutin trônant sur ses lèvres.

« Tu vois, je te l’avais bien dit.
L’autre Banshee hausse les épaules, puis redresse ses lunettes sur son nez, considérant un instant l’homme ailé.
— Je vous laisse à vos négociations. », lâche-t-elle.

D’un bond foudroyant, elle s’envole pour rejoindre un étage supérieur de la guilde. Le regard de Jessamy est un instant attiré par la course de sa sœur, avant de se reposer sur le Grigori. Elle se perd un instant dans les plis délicats de sa tenue, dans les reflets du tissu qu’elle devine luxueux. Loin des nippes qui l’enveloppaient la dernière fois. Ses traits sans âge, eux aussi, sont vêtus différemment. Maël a pris l’habit du diplomate. Elle espère qu’il a emmené avec lui celui qui l’a sauvée.

D’un signe de tête, Jessamy le conduit à s’installer avec elle dans un alcôve non loin, une niche en forme d’alvéole, où se dresse une petite table entourée d’un divan sombre. Quelques couffins aux couleurs bariolées sont disposés sur les sièges et sur le sol, couvert d’un petit tapis où dansent des insectes tissés. Sur la table, une petite corbeille de fruits, de noix et de lambeaux de viande séchée attend ses invités. Victuailles de circonstance. C’est une autre sorte de pitance qui les réunit. Elle le sait, alors que Maël lui demande derechef ce qu’elle a à offrir.

« Pas trop le choix. Je suis privée de sortie jusqu’à nouvel ordre. », sourit-elle.

La mutante passe une main griffue dans sa nuque, avant de la joindre à sa jumelle sur la table. Sa cage thoracique la serre un peu, malgré l’amplitude de ses vêtements, bien plus modiques que ceux de son invité. Les mots qu’elle avait soigneusement préparés restent colmatés dans le désordre aux parois de sa gorge. Elle déglutit. Reprend son souffle.

« Je ne veux pas que ça continue. Je ne me suis pas battue jusqu’ici pour vivre enfermée. Et j’aime ma vie ici. Je veux défendre ce que j’ai construit, mais… »

Ses prunelles se perdent un instant dans le reflet d’une pomme. De sa voix, ne ressortent pourtant que des bris d’amertume. Son regard se voile.

« Je suis fatiguée de me battre. Le Magistère m’a déjà entraînée à être une arme. Ils sont allés jusqu’à briser mon corps pour ça. »

Parfois, elle s’est demandée si la douleur n’était pas une façon de la garder en laisse. Qu’un infime frémissement d’élytres la cloue au sol, dans un état de détresse tel qu’elle ne pourrait jamais s’enfuir, ne pouvait être que le résultat d’un ignoble dessein. Mais cela serait interdire à Lazar la possibilité la plus simple : une erreur de jugement, menée par la gourmandise et l’impudence. À nouveau, elle avale sa salive. Darde son regard sur l’émissaire. Cette fois, ses mots se font tranchants.

« J’ai besoin d’un traitement de fond contre la douleur. Après, je serai prête à rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui m’ont fait du mal, et plus encore. Je pourrai m’entraîner avec ma mentor, puis avec toi. Voilà. »

Elle s’accroche au regard de Maël, à sa réaction prochaine. Se tortille un peu sur le velours du siège. Se racle la gorge. Puis ses yeux dérivent et reviennent sans trop savoir où se poser. La question qui la taraudait depuis le début vient enfin :

« De ton côté, tu as des nouvelles de ma prime ? »
Jeu 7 Nov - 0:49

L'Héritage du Faux Dieu

Ft. Jessamy

Un demi-sourire étira les lèvres du grigori. Il s’étira sans cérémonie, brisant l’image du digne diplomate en s’étalant sur la chaise dure qui lui avait été présentée. Les banshees avaient eu la bonne idée de faire connaître à Jessamy le coût de la sécurité et les joies de l’enfermement, et Maël ne pouvait que les remercier. Voilà que la détermination de la jeune paria s’était éveillée.  

La vie est une bataille, Jessamy, une bataille de chaque instant. Si tu veux la vivre et non la subir, tu devras continuellement te battre.

Ses souvenirs l’envahirent d’un coup, le replongeant dans la Brume qu’il avait parcourue des centaines d’années durant. Les périodes d’accalmies avaient été rares, toujours interrompues par de nouvelles batailles. La vie ne faisait de cadeau à personne, encore moins aux exclus de la société, comme il l’avait été. Comme Jessamy l’était. Plus que n’importe qui, ils devaient se battre pour avoir le droit de vivre. Une guerre de tous les instants, simplement pour avoir le droit d’exister. Eux, ceux de leur espèce, n’avaient jamais totalement droit au repos. Le combat les rattrapait toujours, tôt ou tard... toujours plus tôt qu’espéré.  

Commençons par cette prime, puisque c’est ainsi ! lança-t-il d’un ton sans doute trop jovial pour la situation. J’ai de bonnes et de moins bonnes nouvelles. Les bonnes d’abord ? sourit-il candidement. Opale a accepté de réduire la prime et de cantonner l’avis de recherche à son propre territoire. Par contre, la situation est différente pour Epistopoli. Là-bas, le commanditaire est puissant et il semblerait qu’il soit préférable qu’il ignore ton lien avec l’Alliance, ce qui empêche les négociations, grimaça Maël, laissant passer quelques secondes. Cependant, à titre personnel, je t’ai offert ma protection, et je ne suis pas du genre à revenir sur ma parole. Honnêtement, je n’ai aucune idée d’à quel point cette protection sera utile, mais je te l’offre sans condition ni limite de temps si notre entente est conclue.

Le diplomate avait parfaitement conscience que ce qu’il présentait à Jessamy n’était pas très alléchant. Pourtant...

Tu possèdes quelque chose de précieux, Jessamy. Quelque chose que tu as ramené des tréfonds de Dainsbourg et qui t’a permis de survivre jusqu’ici. L’alliance se doute de ce dont il s’agit, mais nous n’avons aucune certitude. Cependant, je n’arrive pas devant toi aujourd’hui avec des questions, mais avec une proposition, annonça-t-il d’un air grave. Que dirais-tu de m’accompagner à Dainsbourg ? De venir avec moi tenter de trouver les réponses aux questions qui n’en ont pas encore ?

Un feu brillait dans le fond de ses iris, allumé d’un coup par la passion qui le prenait lorsqu’il parlait des mystères du monde. Rien ne comptait plus pour le grigori que le savoir, rien ne comptait plus que la réponse à la Brume. D’où venait-elle ? Qu’était-elle ? Dans cette ancienne cité sainte, Maël était convaincu de pouvoir en apprendre plus, avide des connaissances contenues dans les souterrains. Et Jessamy... Jessamy était la personne parfaite. Elle avait participé à Dainsbourg, ramené un objet de pouvoir et surtout, elle aussi cherchait des réponses.