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Rendez-vous tardif

Rendez-vous tardif Brandw10
Sam 8 Avr - 16:06
Rendez-vous tardif



Cela faisait de nombreuses semaines que Ekiel Reyes n'avait pas eu l'opportunité de voir celle qu'il considérait comme sa sœur, trop accaparé par sa tache de ministre et les diverses affaires en cours. Le roi déléguait tous ses pouvoirs aux ministres et leur nombre réduit n'arrangeait en rien les affaires du royaume. Ils n'abondaient pas à résoudre tels ou tels problèmes, tels ou tels imbroglios politiques, de quoi à ne plus savoir où donner de la tête.

Ce soir-là, notre beau ministre était convié à une réception mondaine où tout le gratin était présent. Afin faire bonne figure, comme bien souvent, il avait fait acte de présence, afin d'être remarqué et vu en compagnie de telle ou telle personne. Comme ça, on ne lui reprocherait pas son absence par la suite. Tard dans la nuit, il avait pris congé auprès de l'hôte qui avait aimablement organisé la soirée et quittait les lieux. On lui avait proposé d'être escorté par deux membres du guet, mais il avait décliné aimablement l'offre, affirmant qu'il ne craignait pas grand-chose dans les beaux quartiers. Il est vrai que cette partie de la cité était épargnée par les truands en tous genres, plus cantonnés dans d'autres quartiers où le guet ne patrouillait pas aussi régulièrement.

Un rapide crochet chez lui afin de revêtir une tenue plus passe-partout et il gagnait un des quartiers les plus populaires de la cité dans lequel se mêlaient commerçants, trafiquants et filles de joie. Les rues étaient bondées malgré l'heure tardive et sous le couvert de sa capuche, il cheminait de son pas sûr. Ci et là quelques disputes d'ivrognes à la sortie de troquets, des vendeurs à la sauvette, proposant sous le manteau des produits illicites. Xandrie, mélange d'une populace de tous horizons.

Après une bonne trentaine de minutes de marche à travers les rues grouillantes, il parvenait dans un lieu un peu plus calme, à la limite des bas quartiers. On sentait une réelle tension dans l'air, signe que le quartier n'était pas sûr. Cela ne l'inquiétait pas pour autant, ce n'était pas la première fois qu'il venait par ici. Voici qu'il s'arrêtait devant une porte cochère avant de s'engouffrer dans une cour, de traverser un étroit couloir menant dans une arrière-cour qui elle-même débouchait une ruelle très sombre. Quelques détours ci et là et voici qu'il arrivait à destination. Il frappait deux coups secs à la porte, puis trois et entrait se demandant si elle serait déjà là. Il refermait le ventail derrière lui et ôtait la capuche qui lui masquait le visage. La pièce était faiblement éclairée et meublée simplement. Pas à dire, Lillie savait choisir ses planques. Un escalier menait à l'étage. Était-elle déjà là, ou bien devrait-il l'attendre ?

" Tu es là, sœurette ?"

Une question qui ne tarderait pas à trouver une réponse.

" Je t'ai apporté deux petites choses dont tu raffoles. Une bonne bouteille de whisky et des chocolats."

Les chocolat avaient toujours leur petit effet sur Lillie et ça depuis leur première rencontre où elle lui en avait chapardé quelques-uns. Six années, voici six années jour pour jour qu'ils s'étaient rencontrés et pour Ekiel Reyes cela semblait remonter à hier. Que de chemin parcouru par chacun d'eux et voici qu'aujourd'hui ils œuvraient chacun à leur façon pour la révolution.
Il ôtait sa cape et la déposait sur le dossier d'une chaise, se mettant à l'aise.

"Lillie ?"

Il lui tardait de la voir, cela faisait trop longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus.


Codage par Libella sur Graphiorum
Dim 9 Avr - 22:31
Les journées passaient et se ressemblaient. Rien ne semblaient les distinguer. Ni la moiteur qui s'accrochait aux murs de la cité depuis plusieurs semaines, ni le flux incessant de marchands aux accents trainants qui se déversait dans Xandrie quotidiennement. Lillie ne comptait plus ses sorties matinales entre les étales et la misère – sous les traits d'une gamine qu'elle rechignait de plus en plus à être – pour essayer de glaner quelques informations du bout du monde, ou, à défaut, du bout de la rue. Mais rien ne lui parvenait que le rappel froid d'un constat cruel : le monde tournait comme il l'avait toujours fait depuis sa naissance. Opale prospérait, galvanisée par le Myste qui saignait des plaies béantes de Xandrie.

L'ouverture récente de nouvelles mines au nord de la Juste – dont l'exploitation fut immédiatement cédée, sous couvert d'un contrat d'observation fantoche, à une entreprise opalienne – avait réveillé les ardeurs des révolutionnaires. Jamais les fractures sociales n'avaient été aussi visibles à Xandrie. Les riches s'enrichissaient plus rapidement qu'ils ne se reproduisaient, alors que le reste de la population mourrait plus vite que les cimetières grandissaient. La classe moyenne, trop empêtrée dans son confort factice, ne tremblait que devant l'insécurité qu'on lui brandissait en épouvantail. Insécurité largement imputée à la Révolution.

Lillie les méprisait tous, pour une fois. Ceux d'en haut, les chantres de la violence légitime, ceux du milieu, les sages suiveurs, soldats prêts à tout, puis ceux du bas, pas assez en colère pour rejoindre un mouvement qui les libèrerait pourtant de bien des soucis.

Elle maugréait, seule dans son appartement du moment, attendant l'arrivée de celui qui pourrait peut-être lui apporter des nouvelles réconfortantes. Quand elle l'entendit arriver, elle noua ses cheveux magentas en un chignon grossier et descendit les marches pour le trouver là.

- Je ne sais pas par quoi commencer. Le chocolat me donnera soif, c'est certain. Mais le whisky me donnera faim, assurément. Dit-elle en approchant pour serrer le ministre dans ses bras. Je crois qu'il est mieux pour notre confort à tous les deux que je ne boive pas cela dit. Quand je suis de cette humeur, un verre de trop risquerait de me faire tout abandonner.

Elle s'assit sur une chaise, attendant que son vis à vis l'imite avant de soupirer. Sa voix était calme, posée, comme à son habitude. Elle n'était pas franchement inquiète que quiconque puisse trouver cette planque, mais elle préférait mettre toutes les chances de son côté. Ce qu'elle n'avoua pas, c'est qu'elle détestait qu'Ekiel prenne tant de risques pour elle. S'il était vu en sa compagnie, les Douze seuls pourraient le sauver.

- Dis-moi que tu m'apportes des bonnes nouvelles. Quelque chose pour le mouvement, n'importe quoi. De quoi faire tomber un ministre ? De quoi attaquer les mines de la famille Oystär ? J'ai besoin de quelque chose pour remobiliser mes hommes.
Mar 11 Avr - 8:17
Rendez-vous tardif


Ekiel n'attendait pas longtemps avant que les pas de Lillie ne retentissent dans l'escalier et qu'elle apparaisse à sa vue. Elle arborait un chignon fait à la va vite, mais cela n'avait que peu d'importance. Le principal était qu'elle aille bien et que rien ne lui soit arrivée. Il s'inquiétait toujours quand elle arpentait les rues de la cité sous l'apparence d'une enfant. Plus le temps passait et plus la ville devenait un coupe-gorge surtout dans certains quartiers dans lesquels même le guet ne se rendait plus.
Lorsqu'elle le serrait dans ses bras, le Strigoi lui rendait son accolade, la gratifiant d'un baiser sur le front fraternel.

"Tu m'as manqué." 

Il s'installait autour de la table, poussant la boite de chocolat en direction de Lillie.

"Allez sers-toi, je sais que tu en meurs d'envie. Quant à la bouteille, je t'arrêterai si je vois que tu en abuses. Après tout c'est à sa que sert aussi un frère." 

Un petit clin d'œil complice avant d'ajouter…

"Toi ! Arrêtez la lutte, à d'autre. Cela te tient trop à cœur pour que tu laisses tomber. Notamment avec ta position de générale. C'est comme si moi, je te disais que j'envoyais tout valser. Pas après tout le mal qu'on s'est donné pour arriver où nous en sommes. Pas après tous les sacrifices que nous avons faits, pas après tout ce que nous avons enduré jadis. Et puis cela ne nous ressemble pas d'abandonner. Nous sommes des battants et tu le sais aussi bien que moi. Alors certes, parfois, on est découragé, mais nous sommes là l'un pour l'autre, pour se redonner du courage et garder confiance. C'est notre force Lillie." 

Un sourire sincère. Avant qu'elle ne demande s'il avait des informations à lui donner. Des choses concrètes susceptibles de redonner courage aux résistants. Il se penche alors vers Lillie et lui souffle quelques mots.



Après son petit aparté bien tranché, Ekiel se levait et allait chercher deux verres qu'il remplissait de Whisky. Il en tendait un à Lillie.

"Et toi, dis-moi, as-tu as glané quelques informations intéressantes ?"

Codage par Libella sur Graphiorum
Jeu 13 Avr - 9:20
C'est vrai qu'elle en avait envie. Elle plongea sa main dans la boîte de chocolat et laissa le sucre fondre sur le haut de son palais. Il y avait quelque chose de réconfortant dans la pâte épaisse qui naissait sous sa langue, quelque chose de chaleureux, quelque chose de tout sauf révolutionnaire. C'était quelque chose d'enfantin, de simple, quelque chose qui vivrait tant que le chocolat vivrait, loin des taudis, de Xandrie, des politiques. Mais ce quelque chose n'avait malheureusement pas sa place trop longtemps chez Lillie. Elle déboucha la bouteille et se rinça la gorge d'une lampée qui lui brûla la trachée. En réalité, elle n'avait jamais pu affirmer qu'elle aimait le whisky. Elle aimait sa violence ambrée, cette faculté qu'il avait de lui remettre les idées en place quand celles-ci tentaient de s'échapper. Et, au fond, l'enfant aimait le côté caramel que l'alcool donnait au chocolat fondu là.

Elle écouta Ekiel en dodelinant de la tête. Évidemment qu'elle ne pouvait pas abandonner. Évidemment qu'il ne le pouvait pas plus. Elle savait qu'elle avait au fond une place plus enviable que la sienne. Elle n'avait qu'à se cacher, organiser en secret et ne pas se faire attraper. Lui jouait au même jeu en mode difficile. Il devait paraître. Sourire, serrer des mains, devenir un autre. Ils avaient le même objectif, mais lui risquait plus gros. Elle admirait son courage. Sans compter qu'elle savait ses actions indispensables à la Révolution. Ce n'était pas tant d'avoir un infiltré dans les plus hautes sphères de l'État qui la servait, c'était de savoir que si jamais sa couverture venait à être compromise, le mouvement n'en serait pas impacté.

Cette dichotomie lui était insupportable. Elle admirait Ekiel en plus de lui vouer une amitié sincère. Mais elle ne pouvait pas être aussi transparente avec lui qu'il l'était avec elle. Elle écouta attentivement ses projets, opinant du chef de temps à autre, la langue passant sur ses dents attaquées par le sucre.

- Tu penses qu'Epistopoli pourrait tirer son épingle du jeu en nous aidant ? Ils n'ont pas déjà beaucoup de choses à gérer avec Aramila ? Quoiqu'il en soit, j'espère que ta rencontre nous apportera satisfaction. Sois prudent. Si quelqu'un découvre tes agissements...

Elle marqua une pause. Elle secoua la tête. Elle savait que les négociations avec Epistopoli étaient déjà entamées. Ses dernières entrevues avec Elsbeth l'avait confirmé. Mais les initiatives d'Ekiel pouvaient se montrer bénéfiques.

Au diable la non violence. On ne changera pas le monde avec des affiches. Je bouillonne depuis trop longtemps. Si tôt qu'on pourra les organise convenablement, on mènera quelques actions sur des mines de Myste. Il faut qu'on commence à se montrer. Aux habitants, à Xandrie et à Opale.
Sam 15 Avr - 9:34
Rendez-vous tardif



Ekiel attrapait son tour la bouteille de Whisky et se servait un verre, laissant Lillie déguster son petit plaisir chocolaté. Une enfant... à cet instant présent, elle ressemblait à une enfant. C'en était presque risible lorsqu'on connaissait la demoiselle, farouche révolutionnaire engagée. Cependant, se moquer de Lillie était une chose inenvisageable pour le Strigoi. Certes, en de rares occasions il la taquinait ou la houspillait, mais cela n'allait jamais au-delà. Depuis toujours, ces deux là s'étaient très bien entendus. Ils étaient pour ainsi dire complémentaires. Alors oui, ils n'évoluaient pas dans les mêmes sphères, mais cela n'avait que peu d'importance.
Le ministre portait le verre à ses lèvres et avalait une gorgée du liquide ambré et en appréciait le goût tout en écoutant la demoiselle lui demander si Epistopoli pourrait trouver quelques avantages à les aider. Il eut un mince sourire, reposait son verre sur la table, croisait les jambes et se calait confortablement sur sa chaise.

 

Le Strigoi énonçait cela avec conviction, si bien qu'on ne pouvait douter de son engagement entre la cause et le mouvement révolutionnaire. Il fronçait cependant le sourcil lorsque Lillie lui signifiait vouloir organiser des mouvements contre les mines de Myste. En soi, il était d'accord avec elle, mais il fallait pour cela avoir des appuis à l'intérieur.



Il se levait et arpentait la pièce, mains croisées dans le dos.


Codage par Libella sur Graphiorum
Mar 18 Avr - 12:03
L’incandescence de Lillie lui revenait en pleine figure, comme une flammèche rebelle depuis trop longtemps enfermée dans l'âtre d'une cheminée. Elle écouta parler le Ministre sans l'interrompre, essayant de canaliser ses propres ardeurs. Elle avait par moment l'impression d'entendre parler quelques aristocrates opaliens qu'elle croisait dans les diners mondains auxquels son père la trainait contre son gré. Enfant, elle n'accordait pas la moindre importance à la géopolitique et jurait sur tout ce qu'elle avait de précieux que jamais ces intrications ne l'intéresseraient. Mais elle avait fini par comprendre que les rouages du monde sont bien souvent plus importants que les mécanismes qu'ils actionnent. C'était une des nombreuses leçons qu'elle avait apprises aux côté d'Elsbeth.

La non violence prônée par la cheffe du mouvement n'avait rien d'un pacifisme idéaliste et naïf. La princesse savait seulement que de l'incendie ne naîtrait que la ruine, que même si elle est allumée avec les bonnes intentions, une flamme reste incontrôlable. Que si Xandrie succombait à la violence, alors comme l'enfer, les bonnes intentions de ses habitants en paveraient simplement les rues. Lillie eut honte, tout à coup, de son emportement hargneux, de ses velléités exacerbées. Elsbeth méritait mieux comme bras droit qu'un brasier virevoltant.

- Oublie ce que je viens de dire. Je crois que... Je suis enfermée depuis trop longtemps. Je bouillonne. Mais je ne peux pas laisser ma colère prendre le pas. La Révolution est et restera non-violente. Ce n'est pas négociable.

Elle semblait s'adresser à elle-même plutôt qu'à Ekiel. Comme si elle avait besoin d'être rappelée à l'ordre, comme si l'enfant qu'elle pouvait être était sermonné par l'adulte qu'elle était vraiment. Elle se revoyait, quelques années en arrière, les yeux écarquillés devant le discours d'Elsbeth. Elle se revoyait découvrir enfin une cause qui la dépassait. Elle se revoyait gravir les échelons un à un, s'oubliant parfois dans l'exercice de ses fonctions, mettant en jeu sa propre vie pour préserver celle d'une force qui lui était bien supérieure. Elle ne pouvait pas maintenant risquer de tout faire basculer. Elle ne pouvait pas laisser ses propres colères, ses propres doutes, ses propres envies prendre le dessus.

- Agir sur les mines ne nécessite pas forcément de les faire exploser, tu as raison. Si... Si les contremaîtres ont de bonnes raisons de ne plus superviser les extractions, tout sera mis à l'arrêt. Il suffit de... De trouver un moyen de pression. Les mineurs seraient plus simples à convaincre, vu la gueule de leurs conditions de travail. Mais personne n'hésiterait à les abattre pour les remplacer. C'est ceux du dessus qu'on doit viser. Peut-être que si... Et si nous arrivions à créer une pénurie d'ouvriers qualifiés ? Il suffirait qu'Epistopoli embauche massivement nos techniciens pour paralyser les mines tout en renforçant nos probables futurs alliés. Ce ne sera pas compliqué non plus, la plupart sont sous-payés et rien ne les retient à Xandrie.

Elle avait ce drôle de tic quand elle réfléchissait, ce mouvement singulier de la lèvre inférieure. Ses doigts fins s'agitaient au milieu de ses cheveux. Elle réfléchissait à haute voix. À mesure qu'elle avançait dans son raisonnement, ce dernier lui semblait de plus en plus crédible.

C'est peut-être ça, qu'il faut vendre à Epistopoli. Et ça, qu'il faut mettre dans la tête de nos ouvriers...
Ven 21 Avr - 19:30
Rendez-vous tardif


Ekiel venait-il bien d'entendre les paroles de Lillie ? N'était-ce pas elle qui quelques minutes plus tôt prônaient de frapper fort au niveau des mines de Mystes. Et voici que tout à coup, elle revenait sur ses propres paroles, affirmant qu'elle se terrait depuis trop longtemps et que cela lui montait au cerveau et que cela n'apportait rien de bon de rester ainsi cantonnée entre 4 murs.
En un sens, elle n'avait pas tort, demeurer de trop entre les murs n'était pas bon. On avait tendance à ruminer et des idées pas forcément bonnes venaient à éclore dans nos esprits déjà assez torturés comme ça. Mais de là, à prôner la non-violence, c'était un peu gros. Une révolution ne se gagnait pas avec tous les œufs dans le même panier. Il fallait avoir plusieurs cordes à son arc en cas d'échecs et savoir rebondir.



Ekiel arpentait la pièce de long en large, ne voyant pas de solution idéale à tout ça, enfin si une seule



Il restait silencieux quelques minutes, songeur, comme si cette perspective lui paraissait de plus en plus jouable.


Codage par Libella sur Graphiorum
Mar 25 Avr - 11:45
Lillie éclata d'un rire sonore. Il était bien plus nerveux que moqueur. Elle vérifia le niveau de whisky restant dans la bouteille avant de croiser ses jambes sous la table.

- Je veux bien que l'impatience nous fasse tous péter un boulon, Ekiel, mais tu es sérieusement en train de me dire que tu envisages de tuer le Roi ? Si c'est le cas, je suis assez curieuse de savoir comment tu comptes t'y prendre ?

Elle secouait la tête, incrédule. Le chocolat ne lui faisait plus envie. Le whisky non plus, à vrai dire. Il fallait qu'elle sorte. Elle se redressa lentement, le dos peiné d'avoir si longtemps été soutenu par une chaise au supplice. L'odeur de renfermé semblait s'être incrustée sous ses pores et la vision des planches vermoulues de son taudis suffisait à la rendre folle. Il ne fallait pas qu'elle craque, pas maintenant, pas alors que tout le mouvement semblait s'étioler. C'était son rôle de garder la Révolution sous sa coupe, son rôle de relayer la parole d'Elsbeth à ses membres, son rôle, peut-être, de laisser Ekiel agir de son propre chef.

Mais c'était aussi son rôle d'amie de le raisonner. De l'empêcher de risquer sa vie. Elle s'approcha de lui, secoua la tête. Son visage était grave.

- Je crois qu'on a tous les deux besoin de prendre l'air, Ekiel. On doit... Se calmer. Retrouver nos esprits. Ne tente rien d'inconsidéré. Chaque chose en son temps. Epistopoli, d'abord.

Son visage changea de forme. Ses traits longs se radoucirent, les bords du carré de sa mâchoire s'arrondirent. Ses yeux redevinrent deux billes émeraudes autour desquelles brillaient une constellation de tâches de rousseur. Un sourire mutin accompagna sa décroissance et l'escogriffe soudain redevint enfant. Sa voix aussi changea. Elle n'avait plus rien de grave.

- On va avancer, ok ? Je vais parler à Elsbeth. On va trouver des solutions. D'ici là, on doit garder notre calme.

Lillie se rapprocha des escaliers. Les vêtements de ce qu'elle était quelques secondes auparavant traînaient au sol. Il ne lui fallut qu'une minute pour les troquer contre une tenue plus adéquate.

- J'ai besoin de prendre l'air. Tu as de quoi te cacher un peu ?
Sam 29 Avr - 20:57
Rendez-vous tardif


En cet instant, oui Ekiel envisageait sérieusement la chose. Se débarrasser du monarque arrangerait leurs affaires et celle de Xandrie. C'était un mal nécessaire, il le savait au plus profond de lui. Il suffirait d'un seul instant et tout serait terminé.
Il secouait la tête comme pour se débarrasser des pensées funestes qui lui venaient, comme jadis quand il avait franchi le pas avec ses géniteurs. Un secret qu'il gardait bien enfoui et que nul ne devait connaître. Il regardait Lillie et avait un geste de la main volatile.

" Lillie, il vaut mieux que tu ne saches rien sur façon dont je pourrais le tuer. Ainsi tu ne serais jamais inquiétée. Quoi que je doute fortement que je puisse échouer. C'est si simple de... 

Il s'arrêtait sur sa lancée, préférant taire le reste. Elle ne devait pas savoir, ne jamais connaître sa nature profonde. Depuis qu'ils se connaissaient, il l'avait toujours épargné et cela devait perdurer. Il s'était déjà posé la question de savoir, si oui ou non, il devait lui révéler qu'il ne se nourrissait que de sang humain ? Quelle serait alors la réaction de Lillie ?  Le considérait-elle comme un ennemi ou bien le percevrait-elle toujours de la même façon? Elle lui avait fait confiance en lui révélant son pouvoir, mais lui, ne se sentait pas prêt à franchir ce cap. Pas encore. Intérieurement, il craignait de perdre la seule personne qui comptait pour lui, depuis la mort de Vladimir.
Comme à chaque fois, lorsqu'elle se transformait Ekiel était fasciné. Elle possédait un pouvoir que beaucoup payerait une fortune. Lui, c'était un tout autre pouvoir qu'il possédait. Jamais il n'en avait usé contre sa sœur et espérait ne jamais devoir le faire un jour.  Ce pouvoir de persuasion, Lillie le connaissait depuis quelques années pour avoir vu un jour Ekiel sans servir contre une personne qui se montrait un peu trop intrusive dans leur petit duo.

"Oui , tu as raison. Epistopoli en priorité. Parle avec Elsbeth, voit ce qu'elle envisage et vient me le rapporter. Nous aviserons par la suite.

Une fois métamorphosée, Lillie allait passer des vêtements adaptés à sa taille d'enfant et demandait à Ekiel s'il avait de quoi se cacher un peu. Pour toute réponse, il lui désignait sa cape à capuche profonde.

" Ca devrait faire l'affaire. Si jamais on vient à me découvrir, je pourrais toujours employer mon don naturel, comme toi tu emploies le tien."

Un clin d'oeil avant de se diriger vers la porte et de l'ouvrir.

"Allons prendre l'air et flâner dans les bas quartiers. Il y a peu de risque que je sois reconnu ici, aussi pas d'inquiétude à avoir."

Il lui ébouriffait les cheveux, sachant pertinemment qu'elle détestait ça quand elle arborait cette allure d'enfant.


Codage par Libella sur Graphiorum
Jeu 4 Mai - 9:36
Elle chassa la main intrusive de ses cheveux avant de refermer la porte. Elle grogna à l'encontre d'Ekiel, bien que sa voix d'enfant ne lui conférait pas la même prestance. Le froid la saisit à la gorge. Elle rigola. Depuis combien de temps n'avait-elle pas ressenti la morsure de la nuit ? Tout la rappela aux bons souvenirs de Xandrie : les effluves mêlées des étales de street food, les murmures secrets des passants, les cinquante nuances de gris dévoilées par la nuit. Elle s'étira comme un chat avant de faire quelques pas. Elle était définitivement restée trop longtemps enfermée.

Si pour la plupart des habitants, la basse-ville n'avait rien d'enviable, Lillie avait appris à apprécier son bazar ordonné. La transition avec Opale l'ordonnée ne s'était pas faite sans heurts – elle se revoyait encore sursauter à la moindre invective d'un mendiant, trébucher contre le premier caillou au milieu de la voie ou ne plus pouvoir se départir de cette étrange sensation d'avoir de la grisaille collée à la peau – mais elle était maintenant ici chez elle. Elle savait éviter les bousculades, se faufiler entre les étales brinquebalantes, éviter les artères trop peuplées. Vivre à Xandrie développait les sens jusqu'à en créer un nouveau. Une sorte d'instinct, un déplacement guidé par le vivant.

Leur étrange duo attirait quelques regards curieux. Les insinuations à peine voilées de quelques soiffard arrachèrent quelques grimaces à Lillie.

- On va voir l'Argenté ?

La question n'en était pas vraiment une. Elle avait intentionnellement pris le chemin du pont-aux-lanternes depuis leur sortie de l'appartement. Voilà longtemps que le ponton ne faisait plus honneur à son nom, mais elle l'aimait toujours autant. Elle grimpa sur le parapet, laissa ses pieds balancer dans le vide, le bras harnaché au pilonne le plus proche. Loin, très loin sous ses chaussures, la rivière allait, emportant on ne savait trop quoi on ne savait trop où.

- T'es pas désespéré, toi ? Je veux dire... Pourquoi tout est si compliqué ?
Mar 9 Mai - 19:45
Rendez-vous tardif


Comme il s'y attendait, Lillie avait tout de suite chasser la main d'Ekiel et cela l'avait fait sourire. Un sourire franc qu'il arborait rarement en société, toujours plein de réserve, gardant une certaine distance avec ceux qu'il côtoyait. Cela était dû à sa position et puis il ne se voulait pas trop abordable non plus afin de pouvoir garder une certaine tranquillité.
Le froid était plus mordant qu'à son arrivée et il resserrait sa cape contre lui, en rabattant plus profondément sa capuche sur son visage. La basse ville lui rappelait, là d'où il venait et il s'était juré de ne plus vivre dans de telles conditions et surtout de ne plus jamais revivre de tel calvaire.
Lillie sous ses traits d'enfant semblait dans son élément parmi eux et le fossé qui les séparaient prenait alors une tout autre dimension. Comment avaient-ils pu en arriver à devenir si proche ? Cela était inexplicable et pourtant ils étaient plus proches que pouvait l'être deux membres d'une même famille. Ils cheminaient tranquillement sous l'effervescence de la nuit et son balai incessant d'habitants qui traînait à cette heure tardive, ne manquant pas d'attirer les regards et quelques remarques désobligeantes. Ekiel ne prêtait guère attention à cela, se contentant de cheminer aux côtés de Lillie qui l'entraînait vers le pont aux lanternes. Une fois sur place, elle avait pris place sur le parapet, pied dans le vide alors que Ekiel s'y accoudait. Ô bien sûr, il aurait pu faire comme Lillie et se comporter comme un enfant, mais cela n'était pas dans ses habitudes. Il gardait le sérieux qui le caractérisait si bien depuis toujours. Ekiel laissait son regard sur le cours de la rivière, laissant pour quelques minutes les tracas du quotidien de côté avant que la question de Lillie ne le ramène à la réalité.

" Désespéré ?! Non. Mais j'avoue parfois ressentir une certaine frustration de ne pouvoir faire plus pour Xandrie. Quant au compliqué, toi et moi savons depuis bien longtemps, pour ne pas dire depuis toujours que la vie ne fait pas cadeau. Il faut saisir les opportunités lorsqu'elles se présentent sans état d'âme. La vie ne nous a pas épargné et pourtant regarde où nous en sommes. Nous occupons des postes et avons des responsabilités que nous n'aurions jamais pensé obtenir un jour. Quand on regarde nos parcours respectifs, nous pouvons être fiers de ce que nous nous sommes devenus. Alors non, je ne suis pas désespéré par la situation. Je sais que nous mettons tout en œuvre pour que cela change. Si un jour, je venais à sentir le désespoir me gagner, je crois que je préférais m'ôter la vie plutôt que de me morfondre en me lamentant sur mon sort. Il vaut mieux la mort à une vie sans objectifs. Et puis m'avouer vaincu n'est pas dans mon tempérament. "

Il lançait cette dernière phrase, ça comme pour dédramatiser sa tirade.

 " Dis-moi, si nous parvenons à ce que pour quoi nous nous employons ; que feras-tu après ? Y as-tu déjà réfléchi ? "



Codage par Libella sur Graphiorum
Dim 14 Mai - 16:33
Elle l'avait écouté parler sans le regarder. Loin sous ses pieds, le fleuve s'écoulait sans se soucier des soucis du monde. Elle le regardait fuir, suivant son lit tracé loin après les frontières de la ville. Et elle se demandait ce que devenait son eau quand, à la fin de sa course effrénée, elle allait rejoindre toutes celles qui comme elle se mêlaient aux autres. Est-ce que tous les souvenirs qu'elles transportaient formaient la mémoire du lac Xandrie ? Est-ce que les amnésiques pouvaient, en y plongeant, recouvrer ce qu'ils avaient oublié ? Est-ce que la peine et la haine noircissaient le lac quand elles arrivaient sur leur pirogues invisibles ? Elle soupira. Ses pieds s'immobilisèrent. Un artiste de passage aurait pu vouloir la figer là, rendre cet instant éternel. La jeune fille du pont aux lanternes.

- Non, je ne sais pas, Ekiel. Avoua-t-elle à voix basse, sans relever le menton. Je veux dire... Je n'y ai même pas réfléchi.

Quelques femmes aux dos courbés rinçaient des paniers de vêtements sales en contrebas. Depuis les pontons chancelants auxquels s'amarraient les pêcheurs lacustres, elles plongeaient leur bras dans l'eau froide. Du haut de leur observatoire, Ekiel et Lillie pouvaient les entendre bavarder. C'était un murmure doux, indéchiffrable, comme s'il ne souhaitait pas troubler la nuit de Xandrie. Comme si ses femmes, à qui un système injuste avait tout retiré, avaient décidé ensemble de ne pas s'en faire. Puisqu'il fallait vivre de toute façon, autant le faire sans trop de questions.

C'était pour elles, pensa Lillie, que la lutte devait aboutir. Pour toutes celles et ceux que ce fleuve faisait vivre malgré tout. Pour que les rires ne soient plus des murmures, que les murmures ne soient plus soupirs. Pour que Xandrie respire, qu'elle flâne le long de son eau, qu'elle se redresse, qu'elle s'étire, et qu'enfin elle se tourne vers l'avenir.

- Peut-être que je partirai. Découvrir le monde. Voir le sable chaud d'Aramila. On m'a parlé d'une région isolée où vivent des pirates prêts à tout pour percer les secrets de la Brume. La seule évocation de ces rumeurs la laissa songeuse. À cet instant précis, c'était bien une enfant. Peut-être que je resterai. Je ne sais pas.

Son visage s'illumina d'un maigre sourire, flammèche trop molle pour éclairer en plein son esprit incertain. Elle n'était ni d'ici ni d'ailleurs. Son combat l'avait maintenu à flots, mais sans lui, elle se noierait. Que la Révolution aboutisse ou dépérisse, sans elle, « Elles » ne seraient probablement plus rien.
Mar 16 Mai - 19:29
Rendez-vous tardif



Ekiel était accoudé au parapet du pont, écoutant la réponse de Lillie et venait à l'observer quelques secondes.

"Oh je vois... tu suis le courant afin de voir où il te portera. Si notre projet aboutit,  je pense tout plaquer, mon poste, la politique, tout. Je me construirai un nouvel avenir, loin de tout ça. Peut-être dans une autre faction. Seuls les dieux savent ce qui nous attend. Alors en attendant, je profite du moment présent, comme si c'était le dernier."

Son expression devenait plus grave, comme si quelque chose le tracassait. En contre bas, des femmes lavaient leur linge, plongeant leurs mains dans l'eau glacée, encore et encore.

" C'est pour eux que nous nous battons. Afin qu'ils puissent avoir un meilleur avenir. Il y a trop d'inégalité. Tous devraient pouvoir vivre décemment et ne plus souffrir de la pauvreté. Malgré nos efforts du quotidien, j'ai la sensation que rien ne change. Tôt ou tard, le peuple sera à bout et ce n'est pas une révolution que nous aurons, mais une guerre civile. J'espère que nous n'en arriverons pas là."

Lillie lui dévoilait alors des projets d'avenir. Évoquant Amarila et ses terres chaudes, les pirates et le fait de pouvoir percer les secrets de la brume. Une vie d'aventure. Oui pourquoi pas. La connaissant, elle remplirait ce rôle à merveille.

"Toi ! Devenir une aventurière… après tout c'est un métier comme un autre. An moins tu n'aurais pas le temps de t'ennuyer.  As-tu seulement un jour envisagé de te marier et de fonder une famille ?"

Quelques badauds passaient près d'eux et le Strigoi gardait un œil sur eux, le temps qu'ils quittent le pont.

" Parfois, je me demande quelle aurait été ma vie, si je n'avais pas suivi les traces de mon père adoptif. Tu ne le sais, mais une année après notre rencontre, j'ai failli me fiancer. Le père de la demoiselle n'étant pas très honnête, j'ai préféré prendre mes distances. Tu me connais, j'aurai refusé à fermer les yeux sur des agissements malhonnêtes qui auraient pu compromettre ma carrière. On ne me surnomme pas l'incorruptible pour rien. J'ai une ligne de conduite et je m'y tiens. Enfin bref, tout ça pour te dire que lorsque tout sera terminé, fait ce qui tient à cœur et ne regrette rien."  

Il se redressait et posait une main chaleureuse sur l'épaule de la gamine.

" Il est temps pour moi de regagner mes appartements. On se tient au courant de la suite et on se verra à mon retour d'Epistopoli. Prend soin de toi sœurette et pas d'imprudence."  

Il s'éloignait alors tranquillement dans la nuit, laissant Lillie à ses rêves d'avenir.

Codage par Libella sur Graphiorum