Jeu 2 Fév - 9:52
Les années passent et invariablement on se lasse ; on finit toujours par revenir au point de départ. Mais dis-donc, quel est ton point de départ à toi ? J'aimerais avoir ta réponse, peut-être que cela pourrait m'aider à trouver le mien. J'ai toujours imaginé que c'était Andoria, que je venais de là, car tous mes pairs y sont rassemblés et chaque visite, chaque retour amène son lot de surprises, comme des bulles de nostalgie remontant à la surface de l'océan.
« - Esmée, bon sang, qu'est-ce que tu fous ici ?!
- Ah. »
Des bulles auxquelles on ne veut pas toujours se confronter. On essaye du moins. J'ai tendance à me dire que c'est une forme de courage, non ? Moi qui confonds cette vertu avec la témérité la plupart du temps, me voilà à aller mettre le nez dans des ennuis que j'ai laissés derrière moi depuis longtemps. C'est pas ça, affronter ses démons ? Non, ça c'est quand je prends mes délicieuses pilules... D'ailleurs où sont-elles ? Merde, je les ai laissées à l'auberge. Ou l'hôtel, je ne sais plus, je n'ai pas trop regardé ; tout ce que je sais, c'est que l'aubergiste avait un air simplet. Même parmi les élémentaires, il existe des couteaux pas trop affûtés dans les tiroirs.
« - Je ne suis pas sûre de vouloir avoir cette conv-
- La dernière fois que l'on s'est vu, tu avais toute la ville aux fesses. Cela fait plusieurs siècles et maintenant tu te pointes ici comme une fleur, comme si on allait oublier ?
- Ouais, euh, écoute, j'ai eu pas mal de travail et puis j'ai fini par rendre le livre, tout est bien qui finit bien non ? »
Non, peut-être pas. Lui c'est Albert, mon colocataire de l'époque. On partageait les mêmes passions à l'époque : mettre notre nez dans ce qui nous regardait pas. À y songer, des souvenirs me reviennent, sortis de cette mémoire morcelée et inefficace. Ah, voilà, je l'avais planté, il n'avait pas eu le droit de lire les « écritures sacrées ». S'il savait. À part quelques vieilles inscriptions au sujet d'un vieux royaume, il n'y avait finalement pas tant que ça de sacré.
L'élémentaire de vent me barrait le chemin, de toute façon. Il. n'y avait pas âme qui vive aux environs et même si c'était le cas, les gens ici ne cherchent jamais à intervenir. Les altercations sont rares parmi les élémentaires, qui ne voient pas l'intérêt de la violence généralement. Sauf certains mais ceux-là ne vivent pas en communauté. Tout est tellement stérilisé ici, à Andoria.
Mais j'étais aussi fichée. Qu'étais-je venue faire ici déjà ? Ah oui, je voulais justement me rendre sur les lieux du crime, mais cette fois-ci sans intention d'enfreindre les règles. Enfin ça, c'était avant de tomber sur Albert.
« - Ne croie pas que je t'ai oublié, tu m'avais promis de ramener le livre. Je t'avais payée pour ça et à la place, qu'est-ce que tu as fait avec mes économies... ?
- Un bon investissement ? Je peux te rendre au centuple ce que tu m'avais gentiment prêté ! Pas besoin d'en venir aux mains.
- C'est pas l'envie qui me démange... mais je ne tiens pas à avoir davantage d'emmerdes avec le doyen. Par contre, tu m'en dois une et je t'avoue que je compte bien saisir toutes les opportunités pour ne pas vivre mes derniers jours ici. »
Ses derniers jours ? Déjà ? C'était bien vrai qu'il avait quelques années d'avance sur moi... quelques siècles en vérité. Le bon Albert semblait exténué à mieux y regarder ; il avait quelques cheveux gris et des traits plus marqués. Lorsque les signes de la vieillesse physique surviennent chez les Élémentaires, il est généralement déjà trop tard. Quelques jours à tout casser avant que son apparence ne s'effiloche et qu'il ne retourne à la Brume. J'avais déjà vu ça une fois, c'était pas joli...
« - Qu'est-ce que tu attends de moi, Albert ?
- Tu as un aéronef non ?
- Et donc ? Tu es fait d'air, tu peux voler !
- Peut-être, mais pas sur de longues distances. Et je ne compte pas utiliser mes dernières forces ainsi. Il y a un endroit où je veux aller... »
Et mon petit doigt me disait que cet endroit ne se trouvait pas en ville, évidemment. Je pouvais profiter de sa faiblesse pour lui faire faux bond, mais je n'avais pas envie de fuir. Je l'ai déjà trop fait durant toute ma vie et aujourd'hui est un nouveau moi, une nouvelle période où j'assume mes actes. Ou presque. Enfin, je le voyais déjà venir ; ses vieux objectifs n'avaient pas changé et je le suspectais d'avoir fini, d'une façon ou d'une autre, par mettre la main sur l'objet de ses convoitises.
« - Je crois comprendre. Pourquoi le Royaume Oublié t'intéresse-t-il autant ? Ce ne sont que de vieilles ruines...
- De vieilles ruines ? C'est notre passé, c'est notre origine ! N'as-tu donc jamais cherché à savoir d'où tu viens ?
- Ah ! Bon point. J'imagine que je n'ai pas trop le choix donc, puis tu as de la chance que je sois venue en ballon, héhé. Mais les Terres Brûlées sont vastes, où veux-tu aller précisément ? » demandai-je, le sourcil levé, circonspecte.
Albert me sourit, dévoilant sa dentition parfaite. S'il n'avait pas adopté cette apparence à un stade de sa vie où il était encore un petit souffle d'air inconscient, on aurait pu le suspecter d'avoir choisi un larron avec une bonne poire. Évidemment, les considérations sur la beauté et l'attirance physique sont généralement étrangères aux Élémentaires et je n'avais des notions là-dedans qu'à cause de ma proximité constante avec les Humains, que j'observais parfois évoluer dans leur environnement naturel pour assouvir ma soif constante de curiosité. Toujours est-il que cette mimique ne répondait pas à ma question, mais appuyait sur les bons boutons. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, mais ça promettait d'être intéressant. Après un silence qui sembla durer dix minutes, mon vieil ami répondit :
« - La vérité ne s'est jamais trouvée dans les ruines du Royaume Oublié. Du moins, pas celles que l'on connaît. On tend à oublier qu'à une époque, Sancta n'occupait pas un territoire aussi vaste et que certaines régions les plus septentrionales faisaient aussi partie du Royaume.
- Aspharos ? Attends, tu veux vraiment que l'on mette les pieds là-bas ? » demandai-je gravement, sans nécessairement m'attendre à une réponse face à cette simple rhétorique. Elle me laissa suffisamment de temps de réflexion pour songer à mes dernières promenades dans les parages ; il n'y avait globalement pas grand chose à voir. De vieilles ruines, évidemment, mais je ne m'étais jamais posé la question de ce qu'elles pouvaient dissimuler. Ce qui est d'ailleurs inhabituel. « Intéressant... Ne perdons pas trop de temps dans ce cas, la soif de l'aventure me brûle déjà les ailes. »
Et dans mon cas, c'est généralement une bonne chose.
« - Esmée, bon sang, qu'est-ce que tu fous ici ?!
- Ah. »
Des bulles auxquelles on ne veut pas toujours se confronter. On essaye du moins. J'ai tendance à me dire que c'est une forme de courage, non ? Moi qui confonds cette vertu avec la témérité la plupart du temps, me voilà à aller mettre le nez dans des ennuis que j'ai laissés derrière moi depuis longtemps. C'est pas ça, affronter ses démons ? Non, ça c'est quand je prends mes délicieuses pilules... D'ailleurs où sont-elles ? Merde, je les ai laissées à l'auberge. Ou l'hôtel, je ne sais plus, je n'ai pas trop regardé ; tout ce que je sais, c'est que l'aubergiste avait un air simplet. Même parmi les élémentaires, il existe des couteaux pas trop affûtés dans les tiroirs.
« - Je ne suis pas sûre de vouloir avoir cette conv-
- La dernière fois que l'on s'est vu, tu avais toute la ville aux fesses. Cela fait plusieurs siècles et maintenant tu te pointes ici comme une fleur, comme si on allait oublier ?
- Ouais, euh, écoute, j'ai eu pas mal de travail et puis j'ai fini par rendre le livre, tout est bien qui finit bien non ? »
Non, peut-être pas. Lui c'est Albert, mon colocataire de l'époque. On partageait les mêmes passions à l'époque : mettre notre nez dans ce qui nous regardait pas. À y songer, des souvenirs me reviennent, sortis de cette mémoire morcelée et inefficace. Ah, voilà, je l'avais planté, il n'avait pas eu le droit de lire les « écritures sacrées ». S'il savait. À part quelques vieilles inscriptions au sujet d'un vieux royaume, il n'y avait finalement pas tant que ça de sacré.
L'élémentaire de vent me barrait le chemin, de toute façon. Il. n'y avait pas âme qui vive aux environs et même si c'était le cas, les gens ici ne cherchent jamais à intervenir. Les altercations sont rares parmi les élémentaires, qui ne voient pas l'intérêt de la violence généralement. Sauf certains mais ceux-là ne vivent pas en communauté. Tout est tellement stérilisé ici, à Andoria.
Mais j'étais aussi fichée. Qu'étais-je venue faire ici déjà ? Ah oui, je voulais justement me rendre sur les lieux du crime, mais cette fois-ci sans intention d'enfreindre les règles. Enfin ça, c'était avant de tomber sur Albert.
« - Ne croie pas que je t'ai oublié, tu m'avais promis de ramener le livre. Je t'avais payée pour ça et à la place, qu'est-ce que tu as fait avec mes économies... ?
- Un bon investissement ? Je peux te rendre au centuple ce que tu m'avais gentiment prêté ! Pas besoin d'en venir aux mains.
- C'est pas l'envie qui me démange... mais je ne tiens pas à avoir davantage d'emmerdes avec le doyen. Par contre, tu m'en dois une et je t'avoue que je compte bien saisir toutes les opportunités pour ne pas vivre mes derniers jours ici. »
Ses derniers jours ? Déjà ? C'était bien vrai qu'il avait quelques années d'avance sur moi... quelques siècles en vérité. Le bon Albert semblait exténué à mieux y regarder ; il avait quelques cheveux gris et des traits plus marqués. Lorsque les signes de la vieillesse physique surviennent chez les Élémentaires, il est généralement déjà trop tard. Quelques jours à tout casser avant que son apparence ne s'effiloche et qu'il ne retourne à la Brume. J'avais déjà vu ça une fois, c'était pas joli...
« - Qu'est-ce que tu attends de moi, Albert ?
- Tu as un aéronef non ?
- Et donc ? Tu es fait d'air, tu peux voler !
- Peut-être, mais pas sur de longues distances. Et je ne compte pas utiliser mes dernières forces ainsi. Il y a un endroit où je veux aller... »
Et mon petit doigt me disait que cet endroit ne se trouvait pas en ville, évidemment. Je pouvais profiter de sa faiblesse pour lui faire faux bond, mais je n'avais pas envie de fuir. Je l'ai déjà trop fait durant toute ma vie et aujourd'hui est un nouveau moi, une nouvelle période où j'assume mes actes. Ou presque. Enfin, je le voyais déjà venir ; ses vieux objectifs n'avaient pas changé et je le suspectais d'avoir fini, d'une façon ou d'une autre, par mettre la main sur l'objet de ses convoitises.
« - Je crois comprendre. Pourquoi le Royaume Oublié t'intéresse-t-il autant ? Ce ne sont que de vieilles ruines...
- De vieilles ruines ? C'est notre passé, c'est notre origine ! N'as-tu donc jamais cherché à savoir d'où tu viens ?
- Ah ! Bon point. J'imagine que je n'ai pas trop le choix donc, puis tu as de la chance que je sois venue en ballon, héhé. Mais les Terres Brûlées sont vastes, où veux-tu aller précisément ? » demandai-je, le sourcil levé, circonspecte.
Albert me sourit, dévoilant sa dentition parfaite. S'il n'avait pas adopté cette apparence à un stade de sa vie où il était encore un petit souffle d'air inconscient, on aurait pu le suspecter d'avoir choisi un larron avec une bonne poire. Évidemment, les considérations sur la beauté et l'attirance physique sont généralement étrangères aux Élémentaires et je n'avais des notions là-dedans qu'à cause de ma proximité constante avec les Humains, que j'observais parfois évoluer dans leur environnement naturel pour assouvir ma soif constante de curiosité. Toujours est-il que cette mimique ne répondait pas à ma question, mais appuyait sur les bons boutons. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, mais ça promettait d'être intéressant. Après un silence qui sembla durer dix minutes, mon vieil ami répondit :
« - La vérité ne s'est jamais trouvée dans les ruines du Royaume Oublié. Du moins, pas celles que l'on connaît. On tend à oublier qu'à une époque, Sancta n'occupait pas un territoire aussi vaste et que certaines régions les plus septentrionales faisaient aussi partie du Royaume.
- Aspharos ? Attends, tu veux vraiment que l'on mette les pieds là-bas ? » demandai-je gravement, sans nécessairement m'attendre à une réponse face à cette simple rhétorique. Elle me laissa suffisamment de temps de réflexion pour songer à mes dernières promenades dans les parages ; il n'y avait globalement pas grand chose à voir. De vieilles ruines, évidemment, mais je ne m'étais jamais posé la question de ce qu'elles pouvaient dissimuler. Ce qui est d'ailleurs inhabituel. « Intéressant... Ne perdons pas trop de temps dans ce cas, la soif de l'aventure me brûle déjà les ailes. »
Et dans mon cas, c'est généralement une bonne chose.
Dernière édition par Esmée le Ven 21 Juil - 17:53, édité 1 fois