Elle ne put retenir un regard désapprobateur en direction de ses compagnons. Comment osaient-ils ainsi intimider un citoyen qui lui semblait parfaitement honnête ? Certes, il avait peut-être entendu quelque chose qu'il n'aurait pas dû, mais elle aussi, non ? Alors, elle attendit que l'homme soit parti pour dévoiler son opinion. Certes, elle avait fini par comprendre qu'elle se trouvait avec des personnes importantes, mais elle-même n'était pas citoyenne xandrienne, ni citoyenne tout court, d'ailleurs. Donc cette idée de hiérarchie, même si elle la comprenait, n'avait pas vraiment d'effet sur elle. Et, de toutes façons, elle avait toujours tout misé sur la sincérité, et ce n'était pas en ce jour qu'elle changerait :
- Excusez-moi, mais... C'est habituel, ici, d'intimider un employé ? Et si j'ai deviné juste et qu'il n'avait pas à écouter votre conversation... J'imagine que c'est pareil pour moi. Pour vous ne me menacez pas, moi ? Je ne vaux pas mieux que lui, vous savez.
Même s'il était vrai que, même si elle le voulait, elle ne pourrait pas les trahir. Mais peu importait. Il était hors de question qu'elle bénéficie d'un traitement de faveur.
Puis vint une nouvelle question de l'homme. La femme en profita d'ailleurs pour lui venir subtilement en aide, ce qui lui valut un coup d'oeil reconnaissant, avant qu'elle ne se concentre sur son véritable interlocuteur pour cette fois.
- C'est vrai. Là où je vis, la population la plus nombreuse est constituée d'oiseaux et d'insectes. Autant dire qu'ici, c'est un autre type de foule... Bien plus difficile à supporter, si vous voulez bien pardonner mon honnêteté.
Elle prit un moment de pause, en profitant pour observer les autres tablées. Il n'y avait pas à dire, ce n'était clairement pas le genre de paysage auquel elle était habituée... Qu'étaient devenus ses chers arbres ? Et les animaux qui vivaient là, à l'abri sous leurs branches ? Ici, elle ne pouvait s'empêcher de ne pas se sentir en sécurité. Elle n'était pas dans son élément, et il n'était pas nécessaire d'être un grand spécialiste pour s'en rendre compte.
- Et pourquoi être partie... Honnêtement, je ne sais pas. J'ai souvent des pulsions, des envies de voyager, comme si ma curiosité était un être à part entière qui prenait possession de mon corps, pour le relâcher loin de ma zone de confort... Et je suis toujours incapable de m'adapter.
Il s'agissait là d'un vrai problème. En effet, comment assouvir sa soif de découverte si elle ne savait pas s'adapter au dépaysement qui en découlait ? Enfin, avec un peu de chance, cela pouvait s'apprendre.
Heureusement pour elle, le retour de l'aubergiste détourna l'attention de tout le monde. Elle ne put retenir un petit rire amusé lorsque le discours lui étant adressé contrasta fortement avec celui, censé être impressionnant, destiné à ses compagnons. Oh, bien sûr, elle était bien loin de lui en vouloir. Elle le savait, elle n'était pas aussi distinguée que ses partenaires de tablée, et ne cherchait d'ailleurs pas à l'être.
- Merci pour votre considération ! On dirait que vous m'avez cernée, les faux-semblants pour se donner bonne conscience, très peu pour moi !
Elle avait un peu forcé l'enthousiasme, mais elle voulait avant tout que cet homme se débarrasse de sa culpabilité. Culpabilité si puissante que, même sans pouvoir, elle l'aurait certainement perçue. Et elle avait remarqué, au fil du temps, qu'elle s'était plus ou moins fait une mission d'éradiquer toute émotion négative de la tête de ceux avec qui elle interagissait. Avec plus ou moins de succès en fonction des personnes, évidemment. Mais il lui en fallait plus pour se décourager.
Enfin, pour prouver que ses mots n'étaient pas que des paroles en l'air, elle attaqua immédiatement la boisson. D'aucuns pourraient lui reprocher de ne pas attendre ceux qui partageaient sa table, mais peu importait. Comme elle l'avait dit, elle n'était pas femme à respecter des conventions dont le seul but était de se faire bien voir en société, d'autant plus qu'elle avait du mal à comprendre le concept même de société. Pour elle, du moment qu'elle ne faisait de mal à personne, elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait. Et puis, c'était pour la bonne cause, non ? Elle voulait rendre sa confiance à un employé... Et son opération connut plus de succès que prévu.
- Mais c'est meilleur que ce que je pensais, qu'est-ce que vous y avez mis ?
Et voilà que l'homme se mit à lui faire un exposé très (trop ?) détaillé de la recette. Halie écouta avec attention, satisfaite. Au moins, elle avait réveillé sa fierté professionnelle. C'était ce qu'elle voulait. Le moins qu'elle puisse faire, c'était de lui accorder son attention, malgré la fatigue mentale qui recommençait à se faire sentir, à présent qu'elle se concentrait dans un lieu bien trop peuplé. Mais tant pis. Le bien-être d'autrui avant le sien. Toujours
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