Sibylle n’attendait rien plus impatiemment que ses petites escapades bimensuelles dans la campagne de Xandrie, prêt de Doucerive. C’était une belle journée – le ciel était clair, un petit vent vrai faisait rougir ses joues et le bout de son nez, elle voyait toute la contrée verdoyante onduler en dessous d’elle. Même si son destrier volant était relié d’une corde à celui de son garde du corps – même s’ils n’allaient jamais bien loin, c’était un tel soulagement, un tel poids ôté de ses épaules. Elle sentait l’air picoter ses poumons et le vent mordre son visage, elle entendait le claquement des puissantes ailes de Morpheus et criait dans les cieux de délice à la seule sensation de la communion qu’elle ressentait avec l’animal puissant qui la portait. Elle ne sentait plus que lui – les muscles saillants de ses ailes qui roulaient au niveau de ses épaules, son souffle puissant, sa crinière qui battait l’air – le sentiment de liberté qui l’habitait lui aussi, malgré une once de frustration qu’elle partageait elle aussi.
Mais c’était mieux que rien.
Ne plus entendre la complainte de la ville, enfin. Ne plus sentir la dépravation tout autour d’elle, lui coller à la peau, ralentir son pas comme du goudron sur ses semelles. Oublier brièvement ces nuits à fixer le plafond le cœur battant, ressentant la douleur et la peur d’une famille à proximité – ou à sentir les desseins flous et menaçants de sa propre « mère ». Qu’il était bon de passer du temps loin d’elle, à vrai dire. Et ne plus porter ces fichues tenues qui l’étouffaient du soir au matin ! Pas de gants aujourd’hui, ni corset ni chemise ni bottes- simplement une robe blanche à jupon de dentelle et un cardigan brodé ainsi qu’une simple paire de sandales.
Alors qu’ils fendaient les cieux, une silhouette étrange se profilait au loin, derrière les nuages cotonneux. Elle avait déjà vu certains objets dans le ciel – des draconides quand elle vivait dans la Mer de Brume, des zeppelins à Opales… Mais cet objet était rond. A mesure qu’ils se rapprochaient, il l’intriguait davantage.
« Marcus ! » Cria-t-elle, afin que le zoan derrière elle l’entende, « qu’est-ce donc que cela ? »
« Un ballon milady. Il transporte sûrement des marchandises. » L’homme se passa de faire remarquer que ce genre de ballons était l’apanage de contrées plus pauvres, comme Aramila, mais ajouta cependant « gardons nos distance ! ».
Sibylle acquiesça d’un signe de tête, ne lâchant cependant pas l’objet volant désormais identifié du regard. De loin, elle commençait à distinguer ses couleurs – la toile cirée miroitant au soleil, ses mouvements... Il semblait… Agité ? Marcus s’apprêtait à faire bifurquer leurs montures, quand une averse la frappa soudain. Elle se raidit sur son cheval, ses petits doigts serrant jusqu’à en blêmir les crins de l’animal alors qu’elle fixait le ballon les yeux exorbités.
Sans avertissement, de la peur, crue et froide, lui tombait dessus en pluie torrentielle. Au loin, le ballon s’approchait du sol à une vitesse alarmante.
« Il a besoin d’aide. Le ballon. » marmonna-t-elle en serrant les jambes autour des flancs de son destrier, l’engageant à accélérer. « Mademoiselle Sibylle nous ne pouvons… » Le zoan n’eut pas le temps de finir sa phrase que l’Hespéride avait machinalement défait la corde qui la reliait à lui d’une main et plongeait avec son destrier en direction du ballon qui bientôt s’écrasa sur le sol dans un tintamarre métallique, avant que sa toile colorée se répande par-dessus la nacelle, comme si elle fondait.
Le cheval toucha terre et la jeune femme bondit au sol sans demander son reste, la peur pulsant à ses oreilles. Se jetant sur la toile, elle s’empressa de tirer sur l’épais tissu comme elle le pouvait afin d’en extirper la personne affolée qui se trouvait en dessous.