Sam 24 Fév - 3:10
Cette douleur sourde, à la tête, et cette insupportable sensation de vertige, alors même qu’il gisait par terre… Les yeux fermés, cherchant à contrôler le malaise qui le prenait, Khang’Haw se surprit à devoir chercher dans sa mémoire une information simple, qui devrait pourtant tomber sous le sens.
*Où… où suis-je ?*
Un râle… Il n’était pas seul ! Une angoisse le prit aussi vivement qu’une brûlure, tandis que nauséeux et bien incapable de retrouver son équilibre, le vagabond se força à bouger, et à ouvrir les yeux.
Une lame… souillée, abandonnée sur un plancher poussiéreux de bois clair… A moins que ce ne soit le reflet de la lune qui ne lui donnât cette teinte blafarde… Oui, il faisait nuit. La fraîcheur nocturne filtrait au travers d’un panneau de papier de riz… éventré.
Peinant à se redresser, le jeune homme tâtonna autour de lui, avant de trouver une surface solide contre laquelle s’adosser. Se reposant de tout son poids, le panneau glissa bruyamment, en griffant les lattes du plancher, aussi, et malgré le tourbillonnement de la pièce tout autour de lui, le garçon dût se résoudre à se maintenir redressé, autant que faire se pouvait.
Il régnait dans la pénombre de cette salle de vie un chaos sans nom… Le mobilier avait été mis sans dessus-dessous, et des traînées noirâtres maculaient çà et là la pièce. Du sang… tel sur la lame…
Affligé, ne parvenant à recouvrer son calme, le Xandrien scruta d’un regard fiévreux les lieux. Un sanglier pris au piège dans cette maison n’aurait pas fait pire… Une étagère à petits tiroirs – de celles que possèdent les herboristes et les médecins – avait été jetée en travers du seuil de la résidence, tel si l’on avait souhaité barrer la route à un intrus… Mais à juger le carnage ambiant, cela n’avait pas suffit à l’arrêter.
Un rideau d’étoffe verte… non… si, verte. Là aussi, du sang, à foison, corrompant le tissu, à l’en rendre méconnaissable. De ceux marquant la séparation entre deux pièces, arraché, et comme roulé en boule à même le sol… Se gonflant légèrement, un nouveau râle s’en extrayait péniblement.
*Quelqu’un… Dedans...*
Le zoanthrope prit une inspiration, avant de se cramponner au meuble qui jusqu’alors le soutenait… Une table basse, massive, qui avait été renversée sur le côté, comme pour encombrer le passage. Manquant de se rétamer, Khang’Haw étouffa un juron, et reprit son souffle.
Tout vacillait. Sa blessure à la tête, saignant encore abondamment et le lançant, ne devait y être étrangère, et c’était pataugeant dans sa propre sève qu’il avait manqué s’effondrer.
*Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer, ici ?! Et qu’est-ce que je fais là ?*
La masse informe dissimulée sous l’étoffe se débattait faiblement, comme effrayée d’entendre à nouveau de l’activité, mais n’avait ostensiblement plus la force de s’échapper de sa prison.
"Ah… Attendez, je viens vous aider…"
Jonchant le sol, au milieu de ce champ de bataille, des fragments d’une poterie… Probablement une cruche. Il fallut quelques efforts à Khang’Haw pour les enjamber sans encombre, tandis que l’inconnu empêtré dans la toile se débattait de plus bel, comme pris de panique, ce qui semblait d’autant plus entacher son linceul…
"Tout va bien, le… le danger est passé."
C’était probablement un mensonge, mais puisque le vagabond et l’être entravé sous la tenture semblaient bel et bien seuls, il était à parier que leur agresseur avait pris la fuite. Or le Xandrien ne pouvait chasser sa stupeur ; qu’est-ce qu’il fichait là, au milieu de la nuit, chez un inconnu, les Ancêtres savaient où…
"Non… Pitié, laissez-moi ! Je ne dirais rien ! Je vous le promets !"
Garder le silence sur quoi ? Plus Khang’Haw fouillait sa mémoire, plus il se sentait happer par un vide insondable. Mais ce qui le perturbait autant, c’était ce contrôle qu’il semblait avoir sur sa partie bestiale… Il pouvait la sentir, tressaillir en lui, mais ne pouvait s’expliquer pourquoi elle ne parvenait à s’imposer à lui…
Oh, c’était plus rassurant qu’alarmant ! Mais on ne pouvait pas réellement s’enthousiasmer en pareille situation. C’était tel si une tornade avait ravagé cette maison, et il n’en était pas même capable de s’en remémorer la moindre bribe…
Et cet homme, de qui avait-il si peur ? Un pas supplémentaire de sa part causa au pauvre hère des soubresauts de terreur. Glapissant, il parvint à sortir un bras de l’étreinte du tissu.
"Prenez ce qui vous plaira et allez-vous… allez…"
S’était-il évanoui ? Le bras sitôt retombé, inerte, un silence pesant s’installa, et oubliant ses tourments, Khang’Haw s’accroupit aux côtés de l’inconnu. Reprenant souffle et esprits, son regard balayait la dépouille du malheureux. Il… il ne bougeait plus. Plus du tout…
La main du vagabond survola la parure, noircie autant que détrempée par tout ce sang… Le geste incertain, il hésitait à toucher cet inconnu, de peur de lui faire mal, ou de l’effrayer. Les secondes passèrent, comme une éternité, sans que l’homme ne bouge.
A en juger par sa corpulence, et par l’épais bras velu qui lui seul s’était échappé de la tombe, c’était quelqu’un d’âgé, tout du moins, avait-il vu passé bien plus d’hivers que Khang’Haw. Des taches de vieillesse clairsemaient son bras, et la pilosité brune et abondante s’éclaircissait par endroits.
Reposant sa main sur sa hanche, sans avoir osé toucher l’inconnu, elle entra en contact avec quelque chose de rigide et de froid. Un fourreau… Glissé dans la ceinture de son kimono, il apparaissait subitement une légère pression sur son ventre, qu’il avait jusqu’ici ignoré.
"… Non…"
Le fourreau était vide.
"Non… Non, non !"
Se relevant en catastrophe, et manquant bien de s’évanouir dans cette soudaine entreprise, le berger s’avança d’un pas chancelant vers la table basse. Il ne fallut guère longtemps pour retrouver la lame.
Courte, droite et au tranchant simple, semblant au premier regard extrêmement coupant, le plus perturbant pour le garçon fut de constater que sa garde se trouvait taillée du même bois d’ébène que la gaine à sa ceinture…
Le danger… L’intrus… Le meurtrier de cet homme innocent, c’était lui !
*Où… où suis-je ?*
Un râle… Il n’était pas seul ! Une angoisse le prit aussi vivement qu’une brûlure, tandis que nauséeux et bien incapable de retrouver son équilibre, le vagabond se força à bouger, et à ouvrir les yeux.
Une lame… souillée, abandonnée sur un plancher poussiéreux de bois clair… A moins que ce ne soit le reflet de la lune qui ne lui donnât cette teinte blafarde… Oui, il faisait nuit. La fraîcheur nocturne filtrait au travers d’un panneau de papier de riz… éventré.
Peinant à se redresser, le jeune homme tâtonna autour de lui, avant de trouver une surface solide contre laquelle s’adosser. Se reposant de tout son poids, le panneau glissa bruyamment, en griffant les lattes du plancher, aussi, et malgré le tourbillonnement de la pièce tout autour de lui, le garçon dût se résoudre à se maintenir redressé, autant que faire se pouvait.
Il régnait dans la pénombre de cette salle de vie un chaos sans nom… Le mobilier avait été mis sans dessus-dessous, et des traînées noirâtres maculaient çà et là la pièce. Du sang… tel sur la lame…
Affligé, ne parvenant à recouvrer son calme, le Xandrien scruta d’un regard fiévreux les lieux. Un sanglier pris au piège dans cette maison n’aurait pas fait pire… Une étagère à petits tiroirs – de celles que possèdent les herboristes et les médecins – avait été jetée en travers du seuil de la résidence, tel si l’on avait souhaité barrer la route à un intrus… Mais à juger le carnage ambiant, cela n’avait pas suffit à l’arrêter.
Un rideau d’étoffe verte… non… si, verte. Là aussi, du sang, à foison, corrompant le tissu, à l’en rendre méconnaissable. De ceux marquant la séparation entre deux pièces, arraché, et comme roulé en boule à même le sol… Se gonflant légèrement, un nouveau râle s’en extrayait péniblement.
*Quelqu’un… Dedans...*
Le zoanthrope prit une inspiration, avant de se cramponner au meuble qui jusqu’alors le soutenait… Une table basse, massive, qui avait été renversée sur le côté, comme pour encombrer le passage. Manquant de se rétamer, Khang’Haw étouffa un juron, et reprit son souffle.
Tout vacillait. Sa blessure à la tête, saignant encore abondamment et le lançant, ne devait y être étrangère, et c’était pataugeant dans sa propre sève qu’il avait manqué s’effondrer.
*Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer, ici ?! Et qu’est-ce que je fais là ?*
La masse informe dissimulée sous l’étoffe se débattait faiblement, comme effrayée d’entendre à nouveau de l’activité, mais n’avait ostensiblement plus la force de s’échapper de sa prison.
"Ah… Attendez, je viens vous aider…"
Jonchant le sol, au milieu de ce champ de bataille, des fragments d’une poterie… Probablement une cruche. Il fallut quelques efforts à Khang’Haw pour les enjamber sans encombre, tandis que l’inconnu empêtré dans la toile se débattait de plus bel, comme pris de panique, ce qui semblait d’autant plus entacher son linceul…
"Tout va bien, le… le danger est passé."
C’était probablement un mensonge, mais puisque le vagabond et l’être entravé sous la tenture semblaient bel et bien seuls, il était à parier que leur agresseur avait pris la fuite. Or le Xandrien ne pouvait chasser sa stupeur ; qu’est-ce qu’il fichait là, au milieu de la nuit, chez un inconnu, les Ancêtres savaient où…
"Non… Pitié, laissez-moi ! Je ne dirais rien ! Je vous le promets !"
Garder le silence sur quoi ? Plus Khang’Haw fouillait sa mémoire, plus il se sentait happer par un vide insondable. Mais ce qui le perturbait autant, c’était ce contrôle qu’il semblait avoir sur sa partie bestiale… Il pouvait la sentir, tressaillir en lui, mais ne pouvait s’expliquer pourquoi elle ne parvenait à s’imposer à lui…
Oh, c’était plus rassurant qu’alarmant ! Mais on ne pouvait pas réellement s’enthousiasmer en pareille situation. C’était tel si une tornade avait ravagé cette maison, et il n’en était pas même capable de s’en remémorer la moindre bribe…
Et cet homme, de qui avait-il si peur ? Un pas supplémentaire de sa part causa au pauvre hère des soubresauts de terreur. Glapissant, il parvint à sortir un bras de l’étreinte du tissu.
"Prenez ce qui vous plaira et allez-vous… allez…"
S’était-il évanoui ? Le bras sitôt retombé, inerte, un silence pesant s’installa, et oubliant ses tourments, Khang’Haw s’accroupit aux côtés de l’inconnu. Reprenant souffle et esprits, son regard balayait la dépouille du malheureux. Il… il ne bougeait plus. Plus du tout…
La main du vagabond survola la parure, noircie autant que détrempée par tout ce sang… Le geste incertain, il hésitait à toucher cet inconnu, de peur de lui faire mal, ou de l’effrayer. Les secondes passèrent, comme une éternité, sans que l’homme ne bouge.
A en juger par sa corpulence, et par l’épais bras velu qui lui seul s’était échappé de la tombe, c’était quelqu’un d’âgé, tout du moins, avait-il vu passé bien plus d’hivers que Khang’Haw. Des taches de vieillesse clairsemaient son bras, et la pilosité brune et abondante s’éclaircissait par endroits.
Reposant sa main sur sa hanche, sans avoir osé toucher l’inconnu, elle entra en contact avec quelque chose de rigide et de froid. Un fourreau… Glissé dans la ceinture de son kimono, il apparaissait subitement une légère pression sur son ventre, qu’il avait jusqu’ici ignoré.
"… Non…"
Le fourreau était vide.
"Non… Non, non !"
Se relevant en catastrophe, et manquant bien de s’évanouir dans cette soudaine entreprise, le berger s’avança d’un pas chancelant vers la table basse. Il ne fallut guère longtemps pour retrouver la lame.
Courte, droite et au tranchant simple, semblant au premier regard extrêmement coupant, le plus perturbant pour le garçon fut de constater que sa garde se trouvait taillée du même bois d’ébène que la gaine à sa ceinture…
Le danger… L’intrus… Le meurtrier de cet homme innocent, c’était lui !
Le vent… S’engouffrant dans la frondaison déclinante des arbres, il faisait chanter la forêt alentour, arrachant un butin qui ocre, qui cramoisi, le faisant virevolter un temps, avant de l’abandonner au tapis de feuilles mortes qui jonchait tant les sous-bois que le cours d’eau.
Khang’Haw se redressa, interdit. L’arme avait rejoint son étui de bois noir mat… Il ne gardait aucun souvenir de son départ, et seules des traînées de sang – autre que le sien – laissaient présagé qu’il n’avait pas rêvé.
Comment en était-il arrivé là?!
*Bon sang, mais qu’est-ce qui m’arrive ?! Je… Où…*
Tout semblait flou dans sa mémoire, et comme si pour atteindre le moindre indice il lui fallait remonter à contre-courant. Ça aurait probablement été moins épuisant de le faire, pour de vrai, dans une rivière agitée, que dans sa propre tête.
*Aller ! Je… Djeyri… Kamÿ Hylas… Qu’est… Qu’est-ce qu’ils m’ont fait boire ?*
Cela commençait à revenir. Son arrivée à la capitale. Cette ville s’étendant à perte de vue, et grouillant d’une myriade de passants anonymes…
Se rallongeant dans les feuilles, les yeux perdus dans les étoiles, le vagabond semblait recoller les morceaux d’un vase qui semblait avoir – mal – vécu. Les toits de Xandrie, l’arrivée du duo, de prime abord soucieux et secourables, mais…
"Cela ne se peut..."
Se redressant vivement, comme piqué au vif par quelque insecte, Khang’Haw fut frappé d’un profond vertige, et ce ne fut pas tant sa blessure qui le lui causa, mais le ciel.
*Les étoiles… Non…*
Se forçant à se relever, bien que ses muscles peinaient à lui obéir, le Zoanthrope resta là, pétrifié au milieu du bosquet, à contempler le ciel, comme on constate la mort d’un chien errant au bord d’une route.
"Mais – qu’est – ce – qui – m’arrive ?!"
Mi désemparé, mi furieux, le jeunot tremblait de tout son être, peinant à garder la tête levée, aussi abandonna-t-il la vision d’horreur qui marquait le firmament.
*Les constellations ont tellement bougé… Mais combien de temps ?! A vue d’œil, cinq, six mois… Peut-être plus ! Je ne vois plus… Non, c’est impossible, je n’ai pas pu oublier… tout !*
Las, l’apatride chancela, se rattrapa d’un pas en avant, et contre toute attente, se mit à marcher, dans la pénombre.
Le chant du cours d’eau qui passait là se fit rassurant, tandis que le bruissement des feuilles – tant persistantes que vaincues – l’empêchait de déceler la moindre présence, couvrant tout bruissement de craquements irréguliers.
S’accroupissant au bord de l’eau, Khang’Haw plongea ses mains dans l’eau fraîche, sentant la froidure lui mordre les doigts. Or, faisant fi de ce désagrément, il remplit ses paumes autant qu’il le pu et se jeta l’eau glacée au visage, frissonnant.
Se débarbouillant, à quelques reprises, le nomade marqua une pause, pressentant dans un malaise comme un danger dans l’air…
Khang’Haw se redressa, interdit. L’arme avait rejoint son étui de bois noir mat… Il ne gardait aucun souvenir de son départ, et seules des traînées de sang – autre que le sien – laissaient présagé qu’il n’avait pas rêvé.
Comment en était-il arrivé là?!
*Bon sang, mais qu’est-ce qui m’arrive ?! Je… Où…*
Tout semblait flou dans sa mémoire, et comme si pour atteindre le moindre indice il lui fallait remonter à contre-courant. Ça aurait probablement été moins épuisant de le faire, pour de vrai, dans une rivière agitée, que dans sa propre tête.
*Aller ! Je… Djeyri… Kamÿ Hylas… Qu’est… Qu’est-ce qu’ils m’ont fait boire ?*
Cela commençait à revenir. Son arrivée à la capitale. Cette ville s’étendant à perte de vue, et grouillant d’une myriade de passants anonymes…
Se rallongeant dans les feuilles, les yeux perdus dans les étoiles, le vagabond semblait recoller les morceaux d’un vase qui semblait avoir – mal – vécu. Les toits de Xandrie, l’arrivée du duo, de prime abord soucieux et secourables, mais…
"Cela ne se peut..."
Se redressant vivement, comme piqué au vif par quelque insecte, Khang’Haw fut frappé d’un profond vertige, et ce ne fut pas tant sa blessure qui le lui causa, mais le ciel.
*Les étoiles… Non…*
Se forçant à se relever, bien que ses muscles peinaient à lui obéir, le Zoanthrope resta là, pétrifié au milieu du bosquet, à contempler le ciel, comme on constate la mort d’un chien errant au bord d’une route.
"Mais – qu’est – ce – qui – m’arrive ?!"
Mi désemparé, mi furieux, le jeunot tremblait de tout son être, peinant à garder la tête levée, aussi abandonna-t-il la vision d’horreur qui marquait le firmament.
*Les constellations ont tellement bougé… Mais combien de temps ?! A vue d’œil, cinq, six mois… Peut-être plus ! Je ne vois plus… Non, c’est impossible, je n’ai pas pu oublier… tout !*
Las, l’apatride chancela, se rattrapa d’un pas en avant, et contre toute attente, se mit à marcher, dans la pénombre.
Le chant du cours d’eau qui passait là se fit rassurant, tandis que le bruissement des feuilles – tant persistantes que vaincues – l’empêchait de déceler la moindre présence, couvrant tout bruissement de craquements irréguliers.
S’accroupissant au bord de l’eau, Khang’Haw plongea ses mains dans l’eau fraîche, sentant la froidure lui mordre les doigts. Or, faisant fi de ce désagrément, il remplit ses paumes autant qu’il le pu et se jeta l’eau glacée au visage, frissonnant.
Se débarbouillant, à quelques reprises, le nomade marqua une pause, pressentant dans un malaise comme un danger dans l’air…